La réception

Ecrit par leilaji

Chapitre 14

 

****Leila****

 

Il parait que le soleil brille toujours plus fort après une nuit sombre. Je suppose que notre nuit sombre est loin derrière nous. Depuis la nuit où je me suis donnée à Alexander corps et âme, on essaie de ne plus se laisser dominer par les exigences de nos sentiments. On veut  construire quelque chose de stable malgré notre passion. Ce n’est pas facile tous les jours. Nous sommes deux personnalités très fortes et j’avoue qu’il essaie toujours de tenir compte de moi dans ses prises de décisions. Et moi aussi j’essaie de faire de même. On se confie beaucoup l’un à l’autre : on fait l’amour, on parle ; on parle, on fait l’amour. Il le faut. Nos certitudes, nos peurs, nos déceptions et nos plus belles réussites, tout y est passé. Je lui avoué avoir trouvé la photo d’une jeune femme indienne en dessous de celle de sa famille dans un livre au fond d’un de ses tiroirs ! Il m’a regardé et dit : « tu peux la déchirer si tu veux, c’est une très vieille histoire qui n’a plus grande importance maintenant ».

J’ai insisté et il m’a raconté que quand il était très jeune, ses parents ont quitté la Réunion pour rejoindre Mumbai en Inde. Il a eu beaucoup de mal à s’adapter à son nouvel environnement. Les élèves de l’école huppée qu’il fréquentait ne le mettaient pas vraiment à l’écart mais le traitaient en étranger. D’ailleurs, tout le monde le traitait en étranger avec son accent français et son hindi approximatif à l’époque. Tout le monde, sauf une jeune fille qui mendiait pas loin de leur carrefour et avec qui étrangement il s’est lié d’amitié. Le problème c’était qu’elle était dalit.

 

Puis il m’a expliqué longuement que le mot « Dalit » ou « intouchable » venait du Sanskrit et signifiait “brisé, opprimé, tyrannisé, ou oppressé ». Ils étaient considérés comme impurs et polluants, et étaient par conséquent physiquement et socialement exclus et isolés du reste de la société. Il m’a dit que, le système des castes  vieux de 2000 ans déterminait la place de l’individu dans la société hindoue en fonction de la naissance. Qu’elle se divisait en quatre grands ordres ou « varnas » et chaque individu appartient à l’un des quatre ordres de sa naissance jusqu’à sa mort. Par ordre de préséance viennent d’abord les Brahmanes (ou prêtres), puis les Ksatriyas (ou guerriers), les Vayshias (ou commerçants) la caste d’Alexander et les Shoudras (castes de services comprenant les agriculteurs et les artisans).

Au nom du principe d’ “intouchabilité”, il ne pouvait manger avec elle, marcher avec elle, entrer chez lui avec elle, même marcher sur son ombre lui était interdit car cela l’aurait aussi rendu impur. Tel était donc la religion de son père.  En plein début d’adolescence, il s’était rebellé, parce qu’elle était la seule avec qui il pouvait parler et qu’il s’en était fait une amie. Alexander ne tolérait pas qu’on puisse lui interdire de la fréquenter surtout qu’il jugeait ne rien faire de mal. Il s’était mis en colère contre son père, et comble du malheur dans sa crise de colère, avait proféré des paroles humiliantes à son encontre. Son père l’a donc renié et fait sortir de sa maison.  Pour le protéger de la colère de son père, sa mère l’a envoyé dans un internat à Londres. Quand son père l’a découvert, elle a dû couper tous les ponts avec lui pour le protéger et il s’est retrouvé comme seul au monde.

 

    Comme tu vois, les colères incontrôlables, c’est de famille. J’ai traité mon père et toute sa famille de menteurs et d’hypocrites. Ils sont tellement fiers de ma peau blanche. C’est comme si ça lavait tous les errements de ma famille. Je ne sais pas pourquoi, à cette époque ça m’a révolté.

    Tu n’as plus de contact, plus du tout !

    Aucun. A leurs yeux je suis surement mort.

 

Son histoire m’a rendu triste et je l’ai serré très fort dans mes bras.

 

     Je suis aussi seule au monde que toi, alors on va se créer notre famille à nous.

 

Il a caressé mes cheveux et on a fait l’amour.

 

Quand je nous vois enchevêtré ainsi l’un à l’autre, je comprends que nous vivons quelque chose d’exceptionnel, que les autres nous envient ou critiquent selon leur état d’esprit. Et ça me fait peur. Alexander avance sans doute, il sait ce qu’il veut et il le prend, moi c’est un tout autre combat. Je passe pour la femme cupide parce que je suis avec « un blanc ». Depuis qu’on est ensemble, tout le monde estime que ce que j’ai, c’est lui qui me le donne. Ils ont tous oublié qu’avant lui j’avais une vie et que je gagnais assez pour n’avoir besoin de personne. Je suis la femme « vénale » qui l’a choisi pour sa position sociale donc son argent. Ca me met hors de moi que tout ce pour quoi je me suis battue, mon indépendance morale et financière soit bafouée ainsi ! Les démonstrations d’affection de Alexander en public me gênent à tel point où je lui ai demandé de ne plus me toucher quand il y a des gens autour de nous. Il a tenu quoi ? Cinq minutes.  Puis il a pris ma main dans la sienne et on a continué à marcher. Il ne peut pas empêcher son corps d’être en contact avec le mien. C’est ainsi et je dois m’y faire.

Quand je pense à tout ce qu’on a vécu depuis qu’on s’est rencontré, j’ai du mal à croire que c’est ma vie qui a changé ainsi. Ce n’est pas un chamboulement que j’ai vécu mais le chaos total ! Quand elles me voient avec lui, elles veulent être à ma place. Hum ! Savent-elles ce qu’est : « aimer passionnément » ? Non elles ne savent pas, j’en suis sûr parce que moi non plus je ne savais pas avant de l’avoir rencontré.

Se réveiller et avoir l’impression que son âme s’est mêlée à celle de l’homme qui est là endormi à vos côtés est quelque chose d’époustouflant mais aussi d’effrayant. Que devenez-vous s’il lui arrive quelque chose ? Hein ? S’il ne s’était pas réveillé de son accident qu’aurai-je fait ?  Parce qu’il était loin de moi, j’ai perdu du poids et commencé à perdre mes cheveux. Ca ne m’était encore jamais arrivé. Et à cette époque je ne savais même pas encore à quel point il m’aimait et à quel point j’en étais amoureuse. 

Mais maintenant je sais. Et maintenant, j’ai peur en permanence.

 

*

**

 

Aujourd’hui à l’appartement, nous recevons du beau monde. Alexander essaie d’égayer nos soirées ! Je lui ai dit que je ne savais pas faire ce genre de chose, me poser en maitresse de maison et recevoir du monde, mais il m’a dit que tout se passerait bien, qu’il suffirait pour les subjuguer de leur faire mon plus beau sourire. Non mais n’importe quoi !!!

 

Sur les conseils d’Elle, j’ai fait appel à un traiteur pour l’occasion, je ne suis pas vraiment une très grande cuisinière. Un DJ anime la soirée, il mélange à merveille des chansons populaires indiennes  et gabonaises. Ca fait un drôle d’effet parce que les deux communautés dansent à tour de rôle et ne se mélangent pas beaucoup.  Mais le plus important, c’est que l’ambiance est détendue. Du moins, elle était détendue pour moi jusqu’à ce que Nathalie se pointe !

Alexander et moi avions pourtant discuté de sa présence ou non à cette soirée et j’avais espérer que comme d’habitude, il tiendrait compte de ma position sur le sujet. En tant que nouvelle Directrice adjointe d’Alliance, il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas ne pas l’inviter à cette soirée. Elle s’était occupée de lui trouver son appartement mais aussi le nouveau siège social de la Holding OLAM. C’était la moindre des choses de l’invité dans un cadre PROFESSIONNEL.

Cette femme est comme une plaie ouverte pour moi. Je ne veux pas la voir. Bien entendu, elle n’a jamais été désagréable avec moi mais je ne supporte pas de repenser à cette période où, il n’a plus voulu de moi et a entretenu une relation avec elle.

 

    Leila, elle et moi on se respecte beaucoup, et je pense qu’elle a le même respect pour toi. Tu n’as rien à craindre alors s’il te plait n’en fais pas toute une montagne.

    Elle est encore amoureuse de toi, ça se voit comme le nez au beau milieu de visage. Alexander je ne veux pas la voir ici, dans cet appartement, elle me rappelle de trop mauvais souvenirs.

    Leila grandis un peu.

 

Puis, il a tourné les talons et est parti.

 

Et me voici maintenant dans le couloir, tétanisée par ce que j’entends. Des femmes chuchotent dans les toilettes visiteurs. A entendre leur accent, il s’agit d’indiennes. Elles parlent en anglais.

 

     Elle met un sari et elle se colle des cheveux sur la tête et elle pense être des nôtres.

       Nathalie est présente à la soirée. C’est sûr qu’il couche avec les deux en même temps. Il est tellement beau, quelle femme refuserait de le partager.

 

Elles ricanent de leurs allusions. Espèce de pétasses ce sont mes vrais cheveux ! Je serre les poings. J’ai mis un sari c’est vrai, mais c’était pour faire honneur à mes invités. C’est en voyant une photo de Naomi Campell en sari que l’idée m’est venue. De même quand ils entraient je joignais mes mains devant ma poitrine et disais : « Namaskar » mot plus formel que le Namasté habituel pour dire bonjour.  Pourquoi voudrais-je devenir l’une des leurs alors que Alexander m’aime comme je suis ?

Et pourtant, je lui avais dit que je ne voulais pas la voir ici, mais il ne m’a pas écouté !

 

    De toute manière, les indiens n’épousent que des indiennes. Elles auront beau tourner autour de lui, il finira par épouser une vierge de chez nous.

 

J’en ai assez entendu, je m’éloigne.

 

Peut-être que tout ceci est impossible à conserver, notre amour, notre relation … si spéciale. Peut-être que nous sommes en train de nager à contre courant et que tôt ou tard, nous serons balayés par la force de l’eau. Il serait si facile de tout abandonner et de chercher quelqu’un de chez moi tout simplement.

 

Quand j’arrive dans le salon, Nathalie a pris ses aises, elle se permet même de servir certains invités. Non mais elle se croit chez elle ? Tout le monde remarque qu’elle sait où chaque chose se trouve dans la cuisine. Elle sort un autre seau à champagne sans m’avoir demandé au préalable de lui montrer où se trouve l’objet recherché. J’ai comme l’impression que les gens chuchotent à mon passage. C’est comme si ceux qui connaissaient leur ancienne liaison informaient les autres pour mieux se moquer de moi.


Je regarde Xander mais il est occupé à parler avec la femme de l’ambassadeur de l’Inde au Gabon. Je ne peux pas le déranger en pleine conversation, ce serait impoli de ma part. Je lui envoie un message.

 

    Fais la partir où je ne réponds plus de rien !

 

J’attends qu’il réagisse mais il ne fait rien, il continue tout simplement de parler avec son invitée qui a été rejoint par son mari et sa fille venue en vacance.

 

****Alexander****

 

Je discute avec Madame Naranayi qui me regarde les yeux brillants

 

     Il a fallu que tu te mettes avec cette jeune étrangère pour qu’on te voie fréquenter ta communauté !

 

Elle connait très bien mon histoire puisque c’est une cousine par alliance de ma mère.

 

    J’ai beaucoup de travail c’est tout, ce n’est pas par manque de respect.

    Tu ne fréquentes quasiment pas les tiens, nous sommes  ta famille ici. Change ça mon fils.

    Achhaa (d’accord).

 

Elle me regarde longuement et me souris. Puis elle prend ma main tourne la paume vers le haut et se met à la regarder un moment comme si elle y lisait des réponses à ses questions.

 

     Nous les indiens aimons les mariages arrangés. Nous aimons que l’amour prenne le temps de s’installer dans le cœur des promis. Parce que nous savons à quel point la passion peut être dévastatrice, Devdas (ça faisait longtemps qu’on m’avait appelé ainsi, ça m’a fait une drôle de sensation). Je sais que je ne pourrai rien te dire qui te fera reculer (elle regarde Leila puis son regard se pose une nouvelle fois sur les lignes de ma main). Je suis heureuse de te voir enfin heureux après tout ce que tu as dû traverser seul. Quand je te vois, je pense à une chanson que ma fille chante tout le temps.

 

Je la regarde et ne l’interromps pas, même si je commence à me demander où est passé Leila. 

 

     Deewanagi hai iss kadar, Mujhko nahin apni khabar, Aisa deewana hua hai yeh dil, Aapke pyar mein.

 

La folie est si intense que je ne sais plus qui je suis. Voilà comment mon cœur est devenu fou dans ton amour.                        

 

Je la rassure. Ce ne sont que des mots de chansons populaires de film indien. Ce n’est pas écrit sur ma main. Elle me la rend après que son mari lui ai fait une petite remontrance pour ce qu’elle venait de me dire. Je prends congé de la famille et cherche Leila des yeux. 

 

***Un peu plus tard dans la soirée. ***

 

Tout doucement, les invités prennent congé de nous. Enfin quand je dis nous, c’est une façon de parler car Leila m’évite. Dès que je me rapproche d’elle, elle éloigne ses pas et comme je ne veux pas que les invités remarquent notre manège, je n’insiste pas et la laisse tranquille. Nous réglerons tout ça plus tard.

 

Trente minutes plus tard, Nathalie est la dernière à partir car elle a fait un peu de rangement pour se rendre utile. Je referme doucement la porte derrière elle. Cette soirée a été épuisante, je me sens fatigué. J’ai passé mon temps à aller de groupe en groupe pour que personne ne se sente exclu. Ce n’est pas facile de regrouper deux communautés, j’en prends conscience. J’ai envie de discuter avec Leila. D’abord, je veux la féliciter pour son organisation magistrale, puis lui faire l’amour avec douceur et volupté. Elle aime ça. Je suis fatigué mais pas de son corps. J’enlève ma veste et la pose sur un des fauteuils du salon. Je prends un dernier verre que je vide d’un trait.

 

Moi : Leila !

Elle ne répond pas. Je cherche dans tout l’appartement et elle n’est nulle part. Je cherche mon téléphone pour l’appeler et lui demander où elle se trouve mais ce dernier est introuvable pendant un petit moment. Finalement, je le retrouve posé sur le lit dans la chambre. J’avais oublié que comme je ne voulais pas être dérangé pendant que je m’occupais des invités, je l’ai laissé là.  J’y trouve un massage de Leila.

 

«  Fais la partir où je ne réponds plus de rien ! »

 

 Quand l’a –t-elle envoyé ? Il y a plus de 2 heures de temps déjà. Je compose son numéro. Le téléphone sonne dans le salon. Je me redirige vers le salon et prend son téléphone. Elle l’a oublié. Au moment où je veux déposer son Samsung, il s’illumine et un message défile tout en haut de l’écran :

 

07 66 35 56 : Toi et moi, on s’est quitté sur un malentendu. Tu es devenue une femme à présent, je l’ai vu lors de la soirée. Laisse-moi une chance de me rattraper ma chérie.  Je t’attends au parking sous-terrain, si tu viens je saurai que j’ai encore une chance.

 

Elle me fait une scène pour Nathalie dont je n’ai absolument plus à rien à foutre  et se permet de descendre discuter avec un ex à elle qui veut la reprendre!

 

Je sors de l’appartement en flèche, je ne sais même pas à cet instant précis à quoi je pense. Je crois que je ne pense plus là, je réagis tout simplement. Je prends l’ascenseur et appuie sur le bouton sous-sol.

 

Dès que les portent s’ouvrent, je la vois, elle est là et elle semble parler avec quelqu’un.

 

 

A suivre

 

 

Les amoureux du Taj...