<< La voie à suivre >> Chapitre 16

Ecrit par Le Kpetoulogue

Chapitre 16


Leila observait Luqman, son regard rivé sur lui alors qu’un sourire flottait sur ses lèvres depuis un long moment. Elle n’en comprenait pas la raison, et cela l’irritait au plus haut point.

Leila : « Bon, il sourit pourquoi ? Hein ? Qu’est-ce que Myriam a bien pu lui dire pour le faire sourire comme ça ?? Yohan, je te parle ! Pourquoi il sourit ?? »

Yohan, la bouche pleine, haussa un sourcil.

Yohan : « Ahii ?? Mais comment je peux savoir ça moi ?? Je suis dans leur discussion ?? »

Leila : « Mais comment tu ne sais pas ? Ce n’est pas ton ami ? Réfléchis un peu au lieu de manger seulement, tu ne penses qu’à ton estomac ! »

Yohan : « Ha tchaaii, mais ce sont ses dents non ? Si lui veut sourire avec, ça a quoi à voir avec mon estomac ? Moi, j’ai faim, tchaii ! »

Le rendez-vous de Luqman et Myriam prit fin peu après leur repas. Myriam monta seule dans un Yango pour rentrer chez elle, tandis que Luqman enfourcha sa moto et disparut dans la nuit.

Leila, elle, était mitigée. Il n’y avait eu aucun signe apparent d’un rapprochement entre Myriam et Luqman, mais une question la rongeait : qu’avaient-ils bien pu se dire ? Myriam avait-elle marqué des points ? Ce qu’elle ressentait, elle refusait de le nommer. Pourtant, c’était évident. De la jalousie.

Le lundi, Dès son arrivée à l'université, Leila marcha d’un pas décidé jusqu’à la salle de classe de Myriam. Elle voulait des réponses. Myriam, surprise de la voir débarquer si tôt, arqua un sourcil moqueur.

Myriam : « Ahii ? Je vais fuir ou bien ? Pourquoi tu viens me voir si tôt ? »

Leila : « Même pas. Je passais juste par là, c’est tout. »

Un silence.

Leila : « Et donc ? Ton rendez-vous avec Luqman s’est bien passé ? »

Myriam eut un sourire amusé.

Myriam : « On dirait que ça t’intéresse beaucoup, hein ? »

Leila : « Même pas. Je posais juste la question comme ça. »

Myriam : « Pourquoi ne pas le lui demander directement ? Tout ce que je peux te dire, c’est que nous avons eu des discussions très… croustillantes. »

Leila sentit son cœur se serrer malgré elle. Elle détourna rapidement le regard.

Leila : « Fhoum… breeeeef. Je peux compter sur toi pour convaincre les secondes années de voter pour moi ? »

Myriam : « Évidemment ma chérie, un accord est un accord. »

Leila : « Ok. »

Elle tourna les talons, visiblement frustrée. Myriam la regarda s’éloigner avec un sourire malicieux. Elle savait exactement ce qu’elle faisait.

Plus tard… Leila retrouva Yohan et Luqman pour discuter de quelques points importants pour la campagne. Pourtant, dès le début, Luqman remarqua son comportement étrange. Elle ne lui adressait pas un mot. Elle parlait uniquement à Yohan, ignorant Luqman avec une froideur presque calculée.

Luqman : « Leila ? Il y a un problème ? »

Leila : « Je ne vois pas de quoi tu parles. »

Luqman : « Je ne sais pas… J’ai l’impression que tu es hostile envers moi depuis ce matin. Tu le vois aussi non, Yohan ? »

Yohan : « Huuuuum mon frère, pardon !! Ne me mêlez pas à vos histoires-là ! »

Leila croisa les bras, exaspérée.

Leila : « Il n’y a strictement rien. Tu t’es bien amusé avec Myriam, non ? Tchrrr. »

Luqman : « Mais ?? C’est pas toi qui m’as convaincu d’accepter son rendez-vous ? À la base, je ne voulais même pas y aller. »

Leila : « Tu souriais beaucoup pour quelqu’un qui ne voulait pas, hein. »

Luqman : « Pardon ? Comment tu sais que je souriais ? »

Leila ouvrit la bouche… puis la referma aussitôt. Merde. Elle avait parlé trop vite. Elle baissa légèrement les yeux, cherchant une échappatoire.

Leila : « … Eeeeeh, c’est pas important. Concentrons-nous sur ce qu’on est en train de faire là. »

Ils retournèrent à leur discussion jusqu’à ce qu’une voix timide les interrompe. C’était Grâce.

Grâce : « Euh… bonjour… Leila, est-ce que je peux te parler, s’il te plaît ? »

Leila : « Bonjour… Oui, bien sûr, je peux faire quelque chose pour toi ?? »

Grâce : « Euh… c’est-à-dire… euh… »

Luqman remarqua que Grâce semblait vraiment gênée de parler. Son regard innocent mais craintif lui rappela un certain souvenir de son enfance. Grâce lui rappelait une certaine fille. Dans son souvenir, Luqman voyait cette petite fille se cacher derrière lui, alors que ses poings en sang, il se tenait debout face au corps d’un adulte. Ce souvenir s’estompa rapidement.

Luqman comprit instinctivement que c’était sa présence à lui et à Yohan qui provoquait la gêne de Grâce. Il n’en connaissait pas la raison, vu que c’était la première fois qu’il la voyait et que Yohan ne semblait pas la connaître également. Mais il comprit qu’ils devaient s’éloigner tout simplement.

Luqman : « Yohan, viens m’accompagner, on va aller payer un truc dehors vite fait, là, on a faim. »

Yohan : « Ahi, comment ça "ON a faim" ? Moi, j’ai pas faim, hein ! »

Luqman : « Si tu as faim, fais-moi confiance, j’entends ton estomac d’ici. Tu as faim. »

Yohan : « Mais vous deux, là, mon estomac vous a fait quelque chose ?? »

Luqman ne répondit pas et saisit de force le bras de Yohan pour le forcer à le suivre. Yohan protesta un peu, mais finit par se laisser entraîner. Suite à leur départ, Grâce se sentit un peu plus détendue. Un poids s’était momentanément envolé. Elle jeta un regard autour d’elle, s’assurant qu’il n’y avait personne d’autre. Pas de regards curieux. Pas d’oreilles indiscrètes.

Leila, qui l’observait en silence, fronça légèrement les sourcils.

Leila : « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu sembles inquiète. »

Grâce : « Je… Je ne sais pas trop comment expliquer ça… »

Elle hésita. Elle jouait nerveusement avec ses doigts, cherchant les bons mots. Leila la sentait troublée. Ce n'était pas une inquiétude ordinaire, pas un simple stress lié aux cours ou à des histoires de lycéens. C'était plus profond. Plus grave. Alors, doucement, elle posa une main sur celle de Grâce, en signe de réconfort.

Leila : « Tu peux tout me dire, tu n’as pas à t’en faire. Si je peux t’aider, je n’hésiterai pas. Tu peux avoir confiance en moi. »

Grâce prit une profonde inspiration. Elle devait parler. Elle ne pouvait plus garder ce secret pour elle seule. Elle raconta tout.

Le censeur M. Koua l’avait surprise, il y a quelque temps, en train de s’embrasser avec un étudiant de l’université. Ce n’était pas un simple baiser, c’était bien plus. il y avait eu des attouchements intimes aussi. L’étudiant, terrifié, avait fui sans se retourner, la laissant seule face à M.Koua. Elle s’attendait à une réprimande sévère. Mais il n’avait pas haussé le ton. Il avait dit quelque chose de bien pire. Il devait avertir ses parents. Cette menace avait suffi à la terrifier. Dans sa famille, le respect des règles religieuses était non négociable. Son père était une figure importante de l’église. Un scandale de ce genre ne passerait jamais. Si ses parents apprenaient ça, ce serait la fin. Et M. Koua l’avait compris. Alors, subtilement, il lui avait fait comprendre qu’un arrangement était possible. Un service en échange de son silence. Sa demande ? Une simple fellation.

Leila écarquilla les yeux, un frisson d’horreur lui parcourut l’échine.

Leila : « Seigneur ??!!! Mais… Ne me dis pas que tu l’as fait. »

Grâce baissa la tête et en tremblant : « Je… je n’avais pas le choix… Je me suis dit que si je faisais ça, ça en serait fini. Sur le coup, j’étais trop paniquée pour réfléchir correctement… »

Elle s’était dit qu’après cela, il la laisserait tranquille. Qu’il oublierait tout. Mais elle s’était trompée. Le lendemain, il l’avait convoquée à nouveau. Sur son ordinateur portable, il lui avait montré une vidéo. Elle était là, sur l’écran, clairement visible. En train de lui faire une fellation. Grâce sentit son cœur s’emballer en revivant ce moment. Elle aurait voulu vomir. À partir de là, le cauchemar commença réellement. M. Koua avait son arme. Il avait du pouvoir sur elle. Il n’allait plus jamais la lâcher. Leila sentit une rage indescriptible monter en elle. Ses poings se serrèrent, ses ongles s’enfoncèrent dans sa peau.

Leila : « MAIS C’EST UN SALAUD, CE SALE PORC !!! »

Grâce : « Chuuut… je… s’il te plaît… parle doucement… »

Leila : « Excuse-moi… Je n’ai pas pu m’empêcher de m’emporter… Mais pourquoi tu n’en as pas parlé aux profs ? Ou à M. Bathily, l’autre censeur ? »

À cette question, Grâce resta silencieuse durant un bon moment avant de dire à Leila que c’était pour la simple et bonne raison qu’elle n’avait pas confiance en eux. Si un censeur lui faisait un tel chantage, alors peut-être que d’autres sont pareils que lui. Elle avait surtout terriblement peur que M. Koua fasse fuiter ses vidéos.

Leila : « TES vidéos ?! Comment ça ? Il n’y en a pas qu’une ?! »

Grâce : « Il… il a filmé plusieurs de nos rapports… »

Un silence pesant tomba entre elles.

Leila : « Mon Dieu… mais c’est un salaud… Pourquoi tu n’as pas essayé d’en parler à Éric ? C’est le président du conseil actuel… »

Grâce : « J’ai essayé… mais il ne m’a même pas laissée lui expliquer quoi que ce soit. Il disait qu’il n’avait pas le temps pour "les bêtises de première année". »

Elle marqua une pause, puis releva les yeux, fixant Leila avec une lueur d’espoir désespérée.

Grâce : « C’est pour ça que, quand j’ai entendu que tu te présentais, je me suis dit que tu pourrais peut-être m’aider… »

Leila serra les dents.

Leila : « Hum… Il va falloir que j’en parle à mes deux amis, Luqman et Yohan. J’ai toute confiance en eux, vraiment une absolue confiance. Avec eux, on pourra peut-être trouver une solution pour t’aider. »

Grâce ne savait pas trop. À cause de cette histoire avec M. Koua, elle avait fini par ne plus avoir confiance aux hommes. Elle commençait à en avoir une peur terrible. Donc le fait que Leila l’expose ainsi à ses deux amis la dérangeait terriblement, mais s’ils pouvaient trouver une solution pour l’aider, alors pourquoi pas ? Grâce accepta que Leila raconte l’histoire à Yohan et Luqman.

Quand Leila leur expliqua, il n’y eut pas le moindre jugement de Yohan et de Luqman envers Grâce. Yohan, particulièrement, semblait encore plus en colère que Leila.

Yohan : « C’est pas pour rien que je n’ai jamais aimé le crâne de ce bâtard-là ! Sa tête, on dirait une espèce préhistorique, là. Je vous avais dit qu’il dégageait une vibe trop bizarre. Je n’ai jamais aimé sa game. »

Leila : « Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Quelqu’un a une solution ? »

Luqman : « Si je comprends bien, Grâce, tu voudrais qu’on essaie de régler ça sans pour autant alerter tes parents ou qui que ce soit dans l’établissement ? »

Grâce : « … Oui… J’ai bien trop honte de moi, déjà… »

Luqman voulait en savoir plus et posa quelques questions à Grâce. Ce qu’il apprit, c’était que tous leurs ébats avaient eu lieu au sein de l’établissement et à chaque fois après les cours, à l’insu de toute personne. Il pouvait la faire demander au moins une fois par semaine. Elle disait ne pas connaître où habitait M. Koua. La sonnerie de l’établissement mit fin à leur entrevue. Grâce devait se dépêcher de retourner en classe parce que justement, elle avait cours avec ce M. Koua. Il était censeur mais aussi professeur. Elle n’avait aucune envie de participer à son cours, mais elle avait peur qu’il ne fasse quelque chose qu’elle pourrait amèrement regretter s’il ne la voyait pas en classe.

Après qu’elle soit partie, Luqman suggéra à Leila et Yohan d’aller en parler à M. Bathily. Ce dernier lui paraissait plus digne de confiance que quiconque dans cet établissement. 

M. Bathily : « Alors, que me vaut cet honneur ? Je peux vous aider ? »

C’est Leila qui décida de raconter ce que Grâce lui avait dit tout à l’heure. Étonnamment, M. Bathily ne fut pas réellement surpris en entendant ce que Leila disait.

Luqman : « Étiez-vous au courant, monsieur ? »

M. Bathily : « Non, pas pour le cas de Grâce. »

Leila : « Donc il y a eu d’autres cas ? » 

M. Bathily : « J’en ai eu connaissance à deux reprises depuis que je travaille ici. Le premier cas remonte à trois ans, et le dernier, c’était l’année dernière. Mais ces filles avaient une peur bleue de confronter M. Koua, redoutant les répercussions sur leur réputation. Il semble cibler un certain profil : celles qui ne supporteraient pas d’être exposées. »

Yohan : « Mais pourquoi il bosse encore ici alors que tout le monde sait ce qu’il fait ?! »

M. Bathily : « Parce que je n’ai jamais eu de preuves tangibles. Les victimes refusent de parler, et en plus… c’est le petit frère du président de l’université. »

Un silence pesant s’installa.

M. Bathily : « J’ai essayé d’alerter le président à plusieurs reprises, mais M. Koua m’a accusé de le jalouser et de le harceler. La plupart des autres professeurs se sont rangés de son côté… enfin, je ne vous apprends rien, Yohan. Ils ont fait pareil avec vous après votre altercation avec Tano Jules. »

Yohan : « Ouais… Ces hypocrites, ces lèche-bottes de merde... »

M. Bathily : « Surveillez votre langage, M. Yohan. »

Yohan : « Eeeh, pardon… Ma langue a glissé. »

Leila : « Mais si on vous apporte des preuves, ça changerait la donne ? »

M. Bathily : « Absolument. Avec des preuves solides, il ne pourra plus s’en tirer. »

Leila : « Mais comment les obtenir ? »

Luqman : « Son ordinateur. Il doit forcément y garder quelque chose. Si vous le tenez occupé, je peux fouiller. »

Yohan : « Moi, si je le vois en face, je risque de lui refaire le portrait… et de l’envoyer valser par le balcon. »

M. Bathily : « Vous réalisez que vous êtes en train de préméditer un crime… devant moi ? »

Leila : « Monsieur, on ne peut pas juste le laisser continuer… »

M. Bathily : « Je suis d’accord. Mais ce n’est pas une raison pour devenir comme lui. On doit faire les choses dans les règles, sans entacher notre combat. »

Luqman resta silencieux, les bras croisés, le regard sombre. Il n’adhérait clairement pas à cette approche passive.

M. Bathily : « J’ai mené ma propre enquête sur lui. Avant d’être ici, il était professeur dans un lycée à l’intérieur du pays. Des rumeurs d’agressions circulaient déjà, mais il n’y avait aucune preuve. C’est après ça qu’il a été transféré ici, sous la protection de son frère. »

Il marqua une pause.

M. Bathily : « J’ai une réunion avec lui et deux autres collègues cet après-midi, à 13 h précises. Elle durera au maximum 30 minutes. Faites ce que vous voulez de cette information. »

Leila échangea un regard avec Luqman et Yohan.

Leila : « Parfait. Merci, monsieur. »

A Suivre …


La voie à suivre