Le baiser
Ecrit par lpbk
Lorsqu’il revient quelques instants plus
tard, j’ai déjà remis notre plat à réchauffer, doucement, selon les
instructions données.
— Ce n’était pas à toi de faire cela, m’interpelle
André.
— J’avais trop peur que tu ne fasses une catastrophe. Je
préfère assurer mon repas.
Nous rions ensemble. André finit par
m’emmener au salon où il nous sert un verre de Chardonnay blanc.
— Je ne m’y connais pas tellement en vin m’ais d’après
mon caviste, il est parfait pour un apéritif.
— En effet, affirmai-je après avoir savouré une gorgée.
Un silence léger s’installe tandis que
nous sirotons nos verres. Je contemple les flammes qui dansent dans la cheminée
électrique. J’arrive enfin à me détendre.
— Alors, c’est du sérieux avec cet Ethan ? lance
abruptement André.
— Ethan ? fis-je, décontenancée.
— Ton petit-ami.
J’avoue que j’étais à des années-lumière
de penser à lui. Il doit me prendre pour une idiote.
— C’est très récent à vrai dire, répliquai-je, évasive.
— C’est pour cette raison qu’il t’a laissée seule, avec
l’autre abruti ? rétorque mon hôte, tout en buvant une gorgée de vin, mine
de rien.
— Astride devait rentrer et comme il travaillait tôt lui
aussi le lendemain, il s’est proposé pour la raccompagner, tentai-je de le
convaincre.
— Il raccompagne ton amie mais ne se soucie pas de
toi ? C’est étrange comme attitude. Moi, je ne t’aurais jamais abandonnée,
surtout vue la quantité d’alcool que tu avais ingurgitée.
— Il faut vraiment que…
— Vous n’êtes pas réellement ensemble, n’est-ce pas ?
me coupe-t-il.
— Pardon ? m’étonnai-je.
— Ethan et toi, vous n’êtes pas un couple au vrai sens
du terme. Je vous ai observé toute la soirée et il ne te traitait pas comme un
homme devrait le faire avec celle qu’il aime. Il avait ces attentions-là envers
Astride. Toi, il te voit juste comme une bonne amie.
J’en reste bouche bée.
— Comment ça, tu nous as « observé toute la
soirée » ? m’écriai-je, outrée.
— Je t’ai vue débarquée au Top avec tes amis et…
— Tu m’espionnes ?
C’est à son tour d’être gêné. Il commence
à s’emmêler dans des explications où il est question d’un rendez-vous
d’affaires qui s’est terminé au restaurant comme par hasard. La bonne
excuse !
— Et comme par hasard aussi, tu t’es ensuite retrouvé au
Mandarin ? m’enquis-je
sarcastique.
— Non, là je t’ai carrément suivi, je le reconnais.
Mais, continue-t-il en élevant la voix lorsqu’il s’aperçoit que je commence à
m’énerver, ce type ne me plaisait pas et à voir ton état, je pense avoir agi au
mieux.
— Mon état ? glapis-je, ma voix montant de deux
octaves au moins.
— Oui, ton état proche du coma éthylique. Tu tenais à
peine debout, s’emporte André. Heureusement que j’étais là car qui sait ce qui
aurait pu t’arriver !
Je ne réponds rien car il n’a pas tort
dans le fond. Mais il m’a suivie tout de même ! Je me lève et commence à
faire les cent pas dans la pièce, histoire de me calmer. André ne fait pas mine
de bouger et continue de déguster son Chardonnay, avec un calme olympien, qui
me donne envie de le gifler.
— Tu as raison, finis-je par concéder à contrecœur en lui
faisant face. Heureusement que tu étais là, au Mandarin.
— Waouh ! Mélanie reconnait, pour une fois, qu’elle
n’a pas toujours raison ! Tu as peut-être un peu changé finalement,
rétorque mon hôte, railleur.
— J’essaie de faire en sorte de ne pas gâcher cette soirée
alors n’en rajoute pas une couche s’il te plait.
Nous en restons là. André nous ressert
généreusement et je m’abime une fois de plus dans la contemplation de l’âtre.
— Je m’excuse aussi. Je n’aurais pas dû me comporter de
cette façon avec toi. J’étais en colère et j’ai peur. Enfin ça ne justifie pas
mon attitude mais, tu me connais.
Je ne relève pas, mais lui sourit,
reconnaissante.
— Olivia est très enthousiasmée par tes idées pour son
mariage, enchaine-t-il, sans transition.
Je suis surprise mais ravie qu’il
abandonne le sujet de ma conduite de mercredi soir.
— Elle n’est pas très difficile à contenter, je dois
dire. Tout ce que je lui propose est selon ses termes, « absolument
parfait ».
— Olivia a toujours été d’un naturel accommodant,
contrairement à moi.
Effectivement, André a toujours été le
rebelle des Felton. Visiblement, il n’a pas changé après mon départ, puisqu’il
n’a pas repris les rênes de l’affaire familiale, préférant suivre sa propre
voie.
Comme promis, le maitre de maison me
raconte tout ce qui pourrait m’intéresser concernant la future mariée. Il
évoque sa rencontre avec Pierre à un gala de charité organisé par sa mère, en
passant par le début de leur idylle. Olivia a fait de la résistance à Pierre
pendant quelques temps, pensant qu’il était intéressé par l’argent de ses
parents et non par sa personne, avant de comprendre que son prétendant était
tout aussi riche que sa famille. Il me narre également les circonstances de
leurs fiançailles :
— Avant même de demander Olivia en mariage, Pierre a été
voir mon père pour lui demander sa mains en bonne et due forme.
— Tu plaisantes ? m’étonnai-je.
— Absolument pas ! Pierre est très traditionaliste.
Il voulait faire les choses comme il se doit. Lorsque mon père a accepté, il
est allé voir ma sœur. Il l’a invitée au Persée,
il avait carrément fait privatiser le restaurant pour faire sa demande.
— Le Persée ?
privatisé en plus ? Plutôt extravagant, non ?
Le Persée
est un des restaurants les plus chics de la ville. Le faire privatiser a dû
couter une sacré fortune.
— Extravagant, pas du tout. Enfin peut-être mais pour
Pierre, c’était juste pour être tranquille. Je ne sais pas si tu as remarqué,
mais il est plutôt du genre timide alors faire sa demande devant un restaurant
bondé…
Il laisse sa phrase en suspens mais je
comprends très bien ce qu’il veut dire. Le pauvre n’aurait pas réussi. Et il
aurait peur de se prendre une veste par sa promise.
— Evidemment, Olivia a dit « oui ».
— Qu’aurait-elle pu répondre d’autre ? m’enquis-je.
Ils vont si bien ensemble et ils ont l’air très amoureux. Je suis véritablement
heureuse d’organiser leur mariage.
— J’en suis tout aussi heureux. Mais pour d’autres
raisons.
Je fais mine de ne pas avoir entendu cette
dernière remarque et enchaine :
— Nous devrions préparer le riz. Il commence à se faire
tard et demain matin, j’ai des rendez-vous que je dois honorer assez tôt.
André esquisse un sourire et sans un mot,
m’invite à la suivre dans la cuisine. Il sort sa panoplie du parfait
cuisinier : tablier, casserole en inox, cuillère en bois avec thermomètre
intégré avant de chercher la boite de riz.
Le voyant en difficulté, je me mets à la
recherche du précieux féculent, que je trouve exactement à l’endroit mentionné
par Marguerite de l’eau dans sa casserole, et y jette le riz.
— Que fais-tu ? m’écriai-je.
— Je fais cuire du riz, au cas où tu ne l’aurais pas
remarqué.
— Je remarque surtout que tu n’en as jamais cuisiné
avant aujourd’hui. Pousse-toi de là, avant de faire un nouveau massacre
alimentaire.
Je sors le riz de l’eau, et mets cette
dernière à bouillir avec un cube de légumes.
— Maintenant que l’eau bout, expliquai-je doctement, tu
peux mettre ton riz.
— Je ne suis pas id…
— Ce n’est pourtant pas ce que tu allais faire, le
coupai-je.
Le voyant se renfrogner comme un gosse,
j’éclate de rire.
— Tu pourrais peut-être mettre le couvert pendant que je
termine la cuisson du riz et que je m’occupe du poulet.
Avec une mauvaise volonté évidente, André
s’exécute. Evidemment, les couverts ne sont pas correctement placés mais je ne
lui en fais pas la remarque. Nous dinons à la « bonne franquette ».
Et puis qu’importe, pour une fois, que le couteau soit à gauche ou à droite.
Je nous sers et nous mangeons tout en
discutant de nos carrières respectives.
— Alex t’admire beaucoup, remarquai-je au détour de la
conversation.
— Tu connais Alex ? s’étonne-t-il.
— Tu ne l’as pas remarqué lorsque tu m’espionnais au Top ?
— Arrête, je ne t’espionnais pas, me contre André. Et je
t’avoue que j’étais plus préoccupé par ton état et tes deux prétendants que par
le troisième qui, d’une part me tournait le dos et d’autre part, se souciait de
ton autre copine que toi.
— Coralie !
— Quoi ?
— Elle s’appelle Coralie, mon « autre
copine », comme tu dis. C’est ma seconde meilleure amie. Avec Astride,
nous sommes inséparables.
— Tu les connais depuis longtemps ?
— Douze ans.
— Tu les a connu après nous, alors, constate André.
— Oui. Nous avons habité quelques temps ensemble. Elles
se connaissaient du lycée et avaient emménagé dans un petit appartement. Le
loyer était encore trop cher pour elle deux alors elles s’étaient mises en
quête d’une troisième colocataire. C’est là que j’entre en scène.
La soirée se poursuit entre nostalgie et
franches rigolades à l’évocation de certains souvenirs, qu’ils soient communs
ou appartenant à l’un d’entre nous.
Il est passé minuit lorsque je consulte
l’heure à mon smartphone.
— Je n’avais pas vu l’heure ! Il faut vraiment que
je me sauve, déplorai-je.
— Je comprends, consent André. Je te raccompagne,
ajoute-t-il.
— Ce n’est pas nécessaire, tentai-je, vainement.
— J’insiste. Je ne vais pas te laisser repartir seule.
J’enfile mon blazer et attrape ma
pochette. André me laisse galamment passer pour entrer dans l’ascenseur. Je n’y
avais jamais réellement prêté attention jusqu’à maintenant. Ces engins sont
vraiment très réduits.
— J’ai passé une excellente soirée, remerciai-je mon
hôte.
— Moi aussi, me confie-il d’une voix rauque.
Je rougis. Pourquoi les ascenseurs
sont-ils si lents ? J’ai l’impression que nous ne descendons pas. Que nous
sommes à l’arrêt.
Et puis, il fait terriblement chaud. J’ai
envie d’enlever ma veste, mais nous allons bientôt sortir à l’extérieur et
l’air risque d’être très frais, vue l’heure.
Je sens le regard d’André qui ne cesse de
me fixer.
— Est-ce que tu pourrais arrêter, s’il te plait ?
— Arrêter quoi ? demande-t-il, faussement innocent.
— De me dévisager ! C’est gênant, assurai-je.
— Non ! Non, je ne peux pas.
Je fronce les sourcils, faisant mine
d’être fâchée.
— J’ai très envie de reprendre là où nous avons été
interrompus par Marguerite.
— Marguerite n’a rien interrompu, ripostai-je, fermement.
— Vraiment ? me susurre André, en s’approchant.
Je lève les yeux et me contente de le
fixer. Je me plonge à nouveau dans son regard profond. Et en une fraction de
seconde, je perds totalement pied. Mais je ne suis pas la seule.
Je sens la bouche d’André s’écraser contre
la mienne, pendant qu’il me plaque contre la paroi de l’ascenseur. Je ne peux
retenir un gémissement de plaisir, de désir, de satisfaction mêlés.
Je m’enivre de lui. De son odeur. De sa
peau. De son baiser. Je caresse enfin cette barbe qui n’attendait que moi. Je
mordille sa lèvre inférieure. Sa langue en profite pour aller à la rencontre de
la mienne. Sa main se faufile le long de ma nuque et défait ma chevelure
pendant que l’autre me maintient fermement contre lui.
Je devine le désir qu’il ressent pour moi.
Je suis toute émoustillée.
Une sonnerie, reconnaissable entre mille,
vient interrompre cet intermède enchanteur et me rappelle où je me trouve et
qui j’embrasse sans pudeur.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrent alors.
Je bouscule André et sans me retourner, alors même qu’il m’appelle, je me
précipite à l’extérieur avant de sauter dans le premier taxi que j’aperçois.