Le début du commencement

Ecrit par Cella

Chapitre I

Lomé, Togo, 2004

-          Tu racontes n’importes quoi.

-          Juré, craché !

-          Tu es un gros menteur Felix !

-          Et toi Edem, qu’est-ce que tu en dis ? Je mens ou je dis la vérité ? Est-ce qu’une bonne pute peut t’enfiler une capote avec la bouche ?

Edem Lawson jeta un regard perplexe à ses deux acolytes Félix Abalo et  Franck Anato.

-          Je n’en sais rien, avoua t’il. Felix est-ce vraiment possible ?

-          Je suis vraiment con et bête de te le demander, tu n’as jamais mis pied à Dékon.

-          Et toi ? voulut savoir Franck.

-          Bien sûr, plusieurs fois, répondit Felix.

Les trois jeunes étaient attablés dans un coin du seul bar du quartier, Edem et Franck l’un à côté de l’autre face à Felix vautré sur la chaise plastique.

-          Je ne te crois pas, dit Franck.

-          C’est mon daron qui m’y emmène.

-          Et tu ne te sens pas gêné ? voulut savoir Edem.

Franck le regarda avec méprise.

-          Espèce d’idiot, tu ne vois pas qu’il nous tourne en bourrique ?

Felix se regarda dans le miroir en face et fut ravi de son apparence. Il était élancé et de corpulence moyenne, un visage carré et une physionomie gaie, le teint noir typique des habitants du nord du pays, cheveux crépus et touffus comme on le trouvait chez les adolescents adeptes de ce mouvement nommé « Afro ». Bref, un beau garçon avec juste ce qu’il fallait.

-          Je n’ai pas dit que mon vieux m’a emmené à Dékon, mais chez une bordelle…

Beaucoup moins séduisant que son ami, Franck Anato était un garçon teint noir sale aux larges épaules et aux oreilles décollées, un visage typique avec un nez bien épaté. Il se pencha en arrière et demanda à son ami dans un murmure :

-          Il y’a une pute ici au quartier ? Comment s’appelle-t-elle et où habite-t-elle ?

Felix lui sourit avec désinvolture.

-          Tu crois vraiment que je vais te le dire ? Pour que tu coures tout de suite tapé à sa porte ?

Il fit signe à une serveuse et commanda une autre tournée de coca cola. Dès qu’ils furent servi, Felix sortit un petit flacon et ajouta une bonne dose de Jack Daniel dans son verre. Franck en fit de même, Edem déclina.

-          Non, merci. J’ai déjà eu ma dose.

-          Femmelette, le tacla Franck en lui envoyant un coup de coude dans l’estomac.

Felix rangea le petit flacon et dit :

-          Mon daron dit que dans la vie, un homme n’en a jamais assez de deux choses : Les femmes et l’alcool.

-          Amen, fit Franck.

-          T’es pas d’accord avec, Edem ?

Le jeune homme au visage ovale haussa les épaules et acquiesça.

Felix se laissa retomber sur le dossier de la chaise plastique et dit :

-          Edem, tu commences sérieusement à nous taper sur les nerfs. Si tu n’en es plus capable, on laisse tomber.

Les yeux d’Edem s’assombrirent.

-          Plus capable de quoi ?

-          De draguer et de prendre une cuite.

-          Sa madre le lui a interdit, se moqua Franck.

-          La dernière fois j’ai bu autant que vous. Et ce mois, c’est moi qui ai volé les mangues du proviseur. Et qui a acheté les peintures pour écrire sur le mur du collège ?

Sa véhémence fit rigoler ses deux compagnons.

Franck en rigola à la folie.

-          Tu as bu autant que nous deux réunis, et tu as vomi autant. Et qu’a dit ta maman le lendemain matin ?

-          Etant donné que je ne me suis pas levé, elle n’a rien su.

Comme tous les dimanches soirs, ils s’ennuyaient à en mourir. Les filles faciles du quartier se reposaient de leur débauche de la veille et les autres étaient à l’église. Aucune activité sportive n’était au programme et eux même n’avaient aucune envie d'aller courir ou d’aller jouer au football.

Felix le meneur avait embarqué les deux autres dans la voiture de son père et ils avaient sillonné en vain le quartier. Aucune distraction quelconque, les gens se reposait ou priait.

-          On fait un tour à « Goyi Score » ? Avait suggéré Edem.

-          Non, avaient répondu ses compagnons d’une seule voix. Eux voulaient quelque chose de plus piquant.

-          Je sais, s’écria Felix. Allons à une église semée un peu de désordre, ce sera strident.

-          Mon paternel a menacé de m’émasculer si on recommençait.

En tant que commissaire du quartier, Kofi Anato avait tout le temps servi de conscience aux garçons. Finalement, ils avaient échoué dans ce bar en espérant que l’aventure les y rejoindrait. Tant qu’ils commandaient et se tenaient correctement, ils seront tolérés. D’ailleurs Balo, son père lui avait interdit la bière quand il sortait.

-          Pourquoi ?

-          Parce que Kofi m’a appelé hier matin. Il était hors de lui. Franck est rentré le vendredi soir complètement soul et il parait que c’est toi qui as payé la bière. Pour Kofi, ce n’est pas acceptable que le fils du commissaire soit vu en état d’ivresse. Abla Anato était folle furieuse. J’ai promis de m’en occuper.

-          Et alors ?

-          Je m’en occupe. Pas de bière ce soir.

Felix est parti en claquant la porte mais une fois dans la voiture, il s’était mis à rigoler en tapotant le flacon de Jack’s Daniel. Son père n’en remarquera même pas la disparition. Mais le plaisir d’avoir dribblé son paternel avait disparu il y a longtemps. Franck quant à lui dévorait avec une avidité répugnante une seconde assiète de koliko comme si cela sera son dernier repas. Quant à Edem, c’était un trouillard que Felix supportait comme souffre-douleur. Se moquer du garçon, et l’humilier lui permettaient de passer le temps. Bien élevé et beau garçon, il ne tenait qu’un seul rôle auprès de Felix, celui du punching-ball.

Ce soir il était nerveux comme toujours, il paniquait à chaque fois qu’on lui adressait la parole. Felix a toujours attribué cette attitude craintive au fait que le garçon vivait seul avec sa mère, laquelle était assez terrifiante pour anéantir n’importe qui.

Parcours d'une vie.....