Le parchemin.
Ecrit par Saria
***Sous d’autres cieux***
***Villa Oasis – Quartier Wemtenga – Ouagadougou, Burkina Faso***
***Kader***
Je me réveille en sursaut. Comme depuis le départ de Selma, je n’ai plus de répit. Je ressens avec acuité sa souffrance, parfois je l’entends pleurer… Ne me demandez pas comment… Parfois je suis dépassé par mes propres aptitudes. J’ai parlé avec sa mère, nous avons discuté de façon courtoise. Elle a plaidé pour Selma, je n’ai rien promis mais j’ai compris. Avec Tim par contre, c’était plus chaud ! Il m’a traité d’ingrat et de pauvre con.
J’ai également vu autre chose… Plus pénible et douloureux. Mais que voulez-vous ? C’est la vie ! Les choses se règleront en temps et en heure.
Je me redresse péniblement sur le fauteuil en cuir dans lequel je me suis assoupi. C’est la maison de ma grand-mère Sanata, celle qui revient d’office à ma mère… C’est une belle propriété qui porte bien son nom. J’ai dû l’arracher à tonton Madou qui voulait y installer sa nouvelle épouse de 25 ans. N’importe quoi ! L’architecture est simple et fonctionnelle, la décoration sobre même s’il y a plein d’objets de valeur. Ici, dès qu’on entre, on est coupé des bruits du quartier. Il y a un très beau jardin, avec ça et là des arbres fruitiers. Presqu’au fond de la propriété, il y a trois dépendances meublées.
C’est le notaire qui m’en a remis les clés. Je me suis donc installé ici. J’ai négocié avec Loubna qui vient faire le ménage et me préparer à manger. Je n’ai plus le temps pour rien, trop de choses à ordonner et décider. Sans compter mes oncles et très nombreux cousins qui veulent ma tête.
Hum dans quelques semaines, je vais revoir mes enfants. Je ne sais pas encore quelle sera leur réaction mais j’espère de tout cœur que tout ira au mieux. J’ai encore quelques jours pour sécuriser leur venue.
Mon téléphone sonne, c’est Lucien. On est resté amis et il m’accompagne dans toutes mes démarches. Comme toujours, il est d’une grande efficacité.
Moi : Allô mon frère ? Comment ça va ?
Lucien : Ça va un peu ! Et chez toi ?
Lucien, je ne m’habitue pas à certaines de ses expressions qui sont typiquement liées au Burkina.
Moi : Ok… Moi, je vais bien ; je suis à la maison en ce moment.
Pendant que nous parlons gaiement, je me dirige vers la chambre qu’occupait mon grand-père quand il était de passage dans la villa. C’est là que j’ai pris mes quartiers ; j’avais besoin de m’imprégner de sa présence, un homme extraordinaire que je n’ai pas connu. Je me dirige vers le meuble au fond de la pièce où est posé un vide-poche. Par habitude, comme chez Selma, je dépose mon portefeuille, ma montre. Je continue de parler avec Lucien.
Lucien : Je viens te chercher pour qu’on mange un poulet bicyclette et tuer quelques bouteilles de bières-là !
J’éclate de rire. A un moment, je m’assois sur le meuble et pose ma main sur le rebord ; par inadvertance mes doigts frôlent les rebords et j’entends comme un clic, un tiroir à deux battants s’ouvre sur le côté du meuble.
Moi (surpris) : Ce n’est pas possible !
Lucien : Si c’est possible, il faut juste que tu dises oui.
Moi : Euh Lucien, excuse-moi s’il te plaît, il faut que je raccroche. Je te rappelle un peu plus tard.
Sans attendre sa réponse, je raccroche et m’accroupis précipitamment. Je ne rêve pas, il y a bien deux battants. Je repasse ma main sur le mécanisme et les battants se referment. Alors j’éclate de rire, j’adore mon grand-père ! Il est d’une ingéniosité incroyable, ce meuble je le connais parfaitement… Pour avoir travaillé dessus… Oui ! Je l’ai intégralement restauré !
J’enlève le vide-poche, la lanterne et les quelques objets qui étaient posé dessus, puis ôte la nappe qui jusqu’ici le recouvrait. Oui, c’est bien le meuble qui m’a été envoyé il y cinq ans exactement. Le bois était ancien et conçu selon les anciennes techniques. J’ai dû me documenter sur les différents artisans qui pouvaient l’avoir créé. J’en étais venu à comprendre que c’était les laobés, un peuple auquel appartenait mon père. J’ai mis huit mois à le restaurer parfaitement. C’est à ce moment également que j’ai ressenti l’appel du pays !
Mon grand-père est, ni plus ni moins, l’homme qui était entré en contact avec moi. Je ne le connaissais pas mais on se parlait quasiment tous les jours, tout le temps qu’a duré la restauration. On parlait de tout et de rien : la vie, les femmes, l’argent, les valeurs. J’avais une certaine facilité à lui confier ce qui me tourmentait, mes rêves. Je l’appelais mon Gôrôthiè[1], peut-être parce que je n’avais aucune figure paternelle et lui m’a toujours appelé Toro-Gbaitigui ou Sira-Gbaitigui… Je n’ai jamais compris pourquoi d’ailleurs !
A la fin de notre collaboration, j’ai refusé de prendre la main d’œuvre, j’ai juste demandé les frais d’envoi vers le port d’Abidjan. Il n’a rien dit mais j’ai reçu un retour un gros chèque. Puis plus rien, comme s’il n’avait jamais existé. Je n’ai pas cherché plus avant.
Je me baisse au niveau du meuble ; à l’intérieur il y a de l’argent, des bijoux en or massif, des trousseaux de clés, des documents et du papier ancien roulé comme un parchemin. J’ai les mains tremblantes. Mes tempes battent comme si tout le sang de mon corps refluait à ce niveau. Je m’assois en tailleur, à même le tapis qui recouvre le sol. Je déroule le parchemin.
« Tu y es arrivé jeune homme ce n’est pas trop tôt ! Ici, j’ai mis mes volontés. Les sociétés restent indivises, rien ne pourra être vendu, séparé ou cédé. Le tout sera géré par un consortium dont tu prendras la tête, toi Kader Diaby Sidibé, fils de Dramane Sidibé et de ma fille Zouhératou Bah. Comme je l’ai dit dans la première partie de mon testament, les terres ont été réparties en fonction de chaque lit, les maisons également, sauf celle de Ouaga 2000 qui reste la maison de toute ma descendance. Tu veilleras à ce que chaque enfant soit scolarisé ou formé aussi bien à l’école du blanc qu’à l’école coranique afin qu’il acquière le savoir, les valeurs et la crainte de Dieu car l’enfant est le père de l’homme.
Ta charge est lourde car désormais chaque enfant de la communauté est le tien. Tu en as la responsabilité ; tu devras penser communauté, famille avant toi-même, tes intérêts et ceux de ta famille nucléaire.
Tu trouveras ici tous les documents administratifs, juridiques, tous les accès. Tu auras des informations sur mes alliances et mes interférences politiques. Une fois que tu auras pris tes fonctions, des hommes puissants viendront à toi de tous horizons. Ne sois pas effrayé. Apprends, écoute et décide. Tu es le Toro-Gbaitigui, n’oublies pas ; tu devras rassembler !
Ce document a été rédigé en toute lucidité et en possession de toutes mes facultés »
Je dépose le document et m’adosse au mur, je suis toujours assis mais j’ai la tête qui tourne. Je comprends pourquoi il y a tant de haine envers ma personne. Il n’est pas question que d’argent, il est question de pouvoir… de beaucoup de pouvoir ! Au-delà de tout ce que je pouvais imaginer !
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[1] Grand-père en langue dioula.