Legacy

Ecrit par Farida IB


Eddie…


Je remets le balai à feuilles que j’ai utilisé pour arracher les mauvaises herbes autour de la tombe de mes parents biologiques à maman avant de poser un assortiment de bruyère et de choux d’ornements en pot que papa vient de me tendre sur les deux tombes et les arrose. 


Papa : voilà, c’est plus propre comme ça !


Moi lui souriant : oui.


 Il me tapote l’épaule et maman me presse le bras ensuite, ils s’éclipsent afin de me permettre de me recueillir. 


Je fais une petite prière avant de remémorer tout le récit qu’on m’a fait sur eux et les libère du sentiment de m’avoir abandonné. Ça fait quelques semaines que le voile a été levé sur leur véritable identité, je sais à présent tout sur eux. Enfin, je sais surtout à quoi ils ressemblaient. À ce qu’il paraît, ils formaient un couple parfait qui vivait modestement malgré leur fortune. Mon père était un informaticien, développeur et consultant spécialisé et ma mère une entrepreneure dans le domaine de l’énergie. Je connais également leurs noms et le plus important, la raison pour laquelle ils m’ont abandonné pour ainsi dire. Il se fait qu’ils aient renoncé à être mes parents tout juste après ma naissance et m’ont confié à papa qui était en même temps l’ami et l’avocat de mon père biologique. Ils ont pris cette décision étant entendue qu’ils étaient tous les deux condamnés par le VIH afin de m’épargner non seulement de la maladie, mais également de la vindicte publique. C’est le couple Elli qui s’est également occupé d’eux dans leurs derniers moments parce qu’ils étaient laissés à leur sort par leurs familles respectives. C’est la raison pour laquelle je suis le seul à hériter de leurs biens matériels comme immatériels qu’ils ont reconverti pour la modique somme de 30 millions de dollars gardés au chaud à la BNG Bank au pays bas. Tout ça était notifié dans un testament que papa devait me lire qu’à mes 25 ans, mais étant donné les circonstances il a dû tout me dévoiler. Toutefois, ce n’est pas pour autant que j’en ai accès. De toute façon, je ne sais pas encore ce que je ferai de tout cet argent, pour le moment, je suis focalisé sur mes études. 


Ça m’a fait du bien de connaître la vérité sur mes origines, mais en même temps cela à renforcer mon amour pour mes parents et mon sentiment d’appartenance à cette famille. La première fois, nous étions venus ici tous ensemble et mes frères et moi avons même plantés un rosier pour eux.


Je me retourne lorsque je sens une présence pour voir maman arriver.


Maman : mon chéri, nous devons y aller. N’oublie pas que nous avons beaucoup de choses à faire aujourd’hui.


Je hoche lentement la tête.


Elle m’aide à arroser le rosier et nous rejoignons le boss dans la voiture. En parlant de lui, il nous a tous étonné à notre arrivée. Il m’a accueilli avec une joie immense, il a même eu la larme à l’œil. Il a dit qu’il redoutait que je disparaisse réellement. Il m’a quand même fait une petite remontrance sur la manière dont j’ai voulu gérer cette affaire et je me suis excusé par rapport à cela. Il a promis de revoir son côté rigide et depuis lors, il fait des efforts dans ce sens. Ce n’est pas encore parfait comme nous voulons, mais ça fait un mois plein qu’on ne l’a pas entendu crier. Il prend même le temps de demander notre avis avant de se prononcer sur un sujet. C’est dingue ! Nous même avons du mal à y croire. Il dit que si le plus patient de ses enfants a crié son ras-le-bol, c’est que ça devrait être l’enfer pour nous. Il n’a même pas idée d’à quel point ! 


Papa (me sortant de ma rêverie) : tu t’es finalement décidé pour ton logement ?


Moi : pas pour le moment, j’attends la réponse de l’hôpital pour actionner mes connaissances.


Papa : Los Angeles, c’est ça ? Tu n’as pas fait d’autres choix ?


Moi : non, je préfère. J’ai déjà eu à faire mes stages là-bas. 


Papa : tu peux commencer les recherches dès maintenant, ça va être full à la rentrée.


Moi : tout à fait, c’est pour ça que j’ai écourté mon séjour.


Papa (sur le ton de la plaisanterie) : je pensais que c’était à cause de la fille qui te cache souvent.


Maman : au fait, tu nous la présentes quand ?


Je les regarde tour à tour amusé.


Moi : il n’y a pas de petite, je suis libre comme l’air.


Papa (me jetant un coup d’œil) : comment ça ? Tu es gay ?


Moi horrifié : bien sûr que non papa, je n’ai juste pas encore trouvé la femme de ma vie.


Maman ton surpris : parce que vous les jeunes de nos jours vous prenez encore la peine d’attendre la femme de votre vie ?


Moi : d’autres comme moi oui.


Papa l’air sceptique : humm.


Moi : papa, j’aimais une fille, c’est juste qu’elle n’a pas voulu de moi.


Papa : alors cherche-toi une autre ! Les études, c’est bien, mais il faut bien vivre ta jeunesse. Depuis que tu es rentré même pas un poussin, je commence à me poser des questions.


Maman : Fulbert laisse-moi l’enfant, au moins un sur qui je peux compter pour ne pas me ramener des gosses avec chacun leur mère.


Je ris doucement, ils passent le reste du trajet à se chamailler gentiment. Lorsqu’on arrive à la maison, papa nous laisse après le petit-déjeuner pour le boulot et maman et moi  nous lançons dans les dernières courses. Normalement, j’ai tout ce qu’il me faut, mais vous connaissez les mamans non ? Je profite pour faire quelques courses à Ian, il en rajoute tous les jours et essentiellement de la bouffe du bled. Il a tout une valise remplie de plantes potagères séchées, d’ignames et des haricots. Un Blanc qui raffole du Kpédigaou (pancake aux haricots) krkrkr. En fin d’après-midi, je laisse maman au grand marché et me rend chez Bradley pour chercher mes neveux. Ce sont les instructions de Bradley, Tina et lui passeront directement à la maison après le boulot. Maman veut qu’on dîne ce soir avec tout le monde à table. Dès que j’entre dans la concession, les enfants quittent la cabane où ils jouaient et me tombent dessus. Je m’abaisse pour recevoir le bisou mouillé de Léana et les garçons (les jumeaux et Nabil qui est là pour le week-end) me saluent chacun avec son style ensuite, je me retrouve avec Léana sur mes épaules. Pendant qu’on attend la nounou qui prépare leurs affaires, je charrie un peu Nabil qui grandit trop vite pour son âge.


Moi à Nabil : maman ne t’a pas dit que c’est interdit de grandir plus que ses tontons ?


Nabil souriant : non par contre elle dit que je n’ai pas le droit de la dépasser en taille.


Moi : elle a raison, et tu n’as plus droit aux confiseries.


Nabil : mais pourquoi ?


Moi : parce que tu grandis trop vite.


Tyler : tonton donc si je mange beaucoup beaucoup de confiseries, je serai grand comme Nabil ?


Moi : oui.


Tristan : mais maman dit que manger trop de sucreries fait tomber les dents.


Moi : maman dit vrai.


Tyler : et on fait comment pour manger quand les dents tombent ?


Moi : bah, on ne mange plus, on a tellement faim qu’on devient comme un chaton.


Tristan : alors je ne veux plus jamais jamais jamais manger de sucrerie.


Tyler : moi aussi !


Léana : me auchi.


Moi : donc si je vous offre un pot de glace là tout de suite, vous allez refuser ?


Nabil : moi, j’en veux.


Tristan : euhh tonton pour aujourd’hui seulement ne va pas faire tomber nos dents nan ?


J’éclate de rire.


Moi hilare : oui, alors va pour un pot de glace chacun.


Les garçons contents : super !


Léana : krkrkr krkrkr.


On se met en route quelques minutes plus tard et nous arrêtons à un supermarché pour prendre leur glace. Nous terminons notre course au grand marché d’où nous embarquons maman pour la maison. Le soir, pendant qu’elle prépare le dîner avec Tina, je me retrouve à faire mes valises avec mes frère. Je décolle demain vers 4 h du matin. Armel m’aide à les remplir puis à la refermer et Bradley les pèse. 


Bradley : il y a un supplément de bagages.


Moi : je m’en doutais, en tout cas, c'est Ian qui paiera les excédents. 


Bradley : t’inquiètes pour ça, j’ai déjà prévenu Alfred pour cet éventuel cas.


Armel : donc je peux même m’ajouter aux bagages là, une valise suffira pour moi.


Moi : idiot ! Ce n’est pas moi que tu mettras dans des problèmes.


Armel : sérieusement, j’aurais bien voulu pouvoir rendre visite à Cassidy (l’une de ses petites). Je paierais moi-même le billet.


Bradley : tu as cet argent ?


Armel : bien sûr, j’ai mis de l’argent de côté et elle a promis m’aider.


Moi : c’est même sérieux ton affaire là, tu veux dépenser ton argent pour aller voir une nana ?


Brrrr Brrrr !


C’est son téléphone qui sonne, il le prend et pianote dessus et le repose avant de me répondre.


Armel : pas n’importe laquelle cette fille en vaut la peine.


Bradley : akieee (touchant son front) Elli tout va bien ? Tu es sûr que tu as bien traité ton palu la dernière fois ?


Moi riant : sûrement pas.


Armel : rhoo les gars arrêtez, je suis sérieux.


Bradley narquois : Armel Selom Elli, serait-il amoureux ?


Moi : on dirait que oui krkrkr.


Armel (pianotant une nouvelle fois sur son téléphone) : je n’irai pas jusque-là, mais de toutes, c’est avec elle que j’ai le plus de sensation.


Moi : en gros, tu es amoureux ! Celle-là, je lui en dois une !


Bradley renchérissant : et moi plusieurs, elle doit être bonne celle là.


Armel se grattant le menton : tu n’en as pas idée.  


Tina (arrivant sur l’entrefaite) : qui est bonne ?


Armel : ma femme à moi, tu es toute belle ce soir.


Tina : mouais, c’est ça ! Répondez à ma question.


Bradley : euhh personne enfin une go à Armel.


Tina (regard appuyé) : hmmm.


Bradley : mais bébé, c’est vrai.


Armel à Tina : tu sais que je t’aurai moi-même fait le rapport s’il a le malheur de se trouver une autre nana, comme ça vous divorcez et moi, je t’épouse.


Moi : lol.


Tina (faisant un signe de croix) : genre je laisse le voleur pour épouser le sorcier, je préfère encore ton frère à toi qui passe ton temps à me tromper.


Armel ton suave : pour toi, je serai l’homme d’une seule femme.


Bradley (lui tapant la nuque) : sombre idiot enlève tes yeux de dragons sur ma femme.


Tina regard en biais à Bradley : j’aurais même dû viser Eddie, c’est le vrai mari.  


Eddie : pardon, je veux retourner derrière l’océan avec tous mes membres en place.


Bradley : tu as senti inh krkrkr.


 On rit tous ensemble.


Tina : pour info, le dîner est prêt, on passe à table dès que papa arrive.


Bradley : d’accord merci chérie.


Elle le toise et s’en va.


Bradley (se passant la main sur la tête) : je viens de me créer une embrouille.


Moi : elle va te faire ça dure kiakiakia.


Bradley : ça, tu l’as dit !


Armel : chuan un poltron !


Bradley : attends ton tour.


Armel : aucune meuf n’aura de l’ascendance sur moi.


Moi : c’est pour ça que tu fais de plan d’aller retrouver (appuyant) Cassidy à l’autre bout du monde ?


Armel : ça, c’est pour marquer des points.


Nous : mdr.


Armel (me fixant) : tu parles des autres, on attend que tu nous ramènes une BS, tu n’en as pas marre de branler ?


Moi : je ne me branle pas.


Armel : en tout cas ! Je t’ai filé tous les tuyaux pour te trouver une femme, pourquoi pas des femmes.


Bradley : laisse tomber, il ne fera rien avec.


Moi avec conviction : vous serez surpris.


Bradley : on attend que ça.


Nous nous levons tous en même temps pour rejoindre les autres et donnons un coup de main pour le couvert. On dîne plus tard dans une ambiance bonne enfant ponctuée par le bavardage des enfants et les blagues de papa. Pendant tout le long Armel est plus concentré sur son téléphone qu’autre chose. À un moment ça agace maman qui le lui arrache.


Maman : un peu de respect jeune homme, c’est quoi ces manières ? 


Armel : maman, ce sont mes copines qui me cherchentu. Ce n’est pas ma faute, elles n’arrivent pas à se passer du beau gosse.


Moi : et cassidy ?


Armel : laisse ça comme ça bro.


Maman : c’est ça, gare à toi si tu me ramènes un bébé ici.


Papa : du moment où il dégage de chez moi, moi ça me va.


Armel : rrhoo le boss, tu mets les vetos avant même les faits, c’est comment ?


Papa : tu es prévenu.


Après le repas, on improvise un chill entre frères dans la chambre d’Armel. Ils me font prendre un mélange incongru de boissons qui me met chaos. Ce qui fait qu’au petit matin, je me retrouve dans l’avion avec une tête de zombie et dors pendant tout le vol. 


J’atterris sur le sol américain quelques heures plus tard et me cache derrière de grosses lunettes de soleil pour camoufler les poches sous mes yeux. Ça me prend quelques minutes pour finir les formalités et je me retrouve par la suite en train de chercher un taxi pour rentrer au port lorsque j’entends une voix que je reconnais m’interpeller. Elle se place devant moi avant même que je ne me retourne.


Adriana : Eddie, c’est bien toi ? Bonjour,


Moi (enlevant mes lunettes) : bonjour,


Adriana : waoh je ne pensais plus jamais te revoir, tu viens de rentrer de voyage ?


Moi : comme tu vois.


Adriana sourire contrit : c’est vrai qu’elle est bête ma question, c’est que je suis tellement surprise de te voir. (regardant mes bagages) Tu cherches un taxi ? Je peux t’emmener si tu veux.


Moi : non merci.


Adriana : j’insiste, et j’en profiterais pour connaître ton nouveau chez. J’ai appris que tu avais déménagé.


J’ouvre la bouche pour décliner son offre et au même moment j’aperçois au loin une haute silhouette qui me dit vaguement quelque chose avancer vers nous à pas pressés. Quand la lumière se fait dans ma tête, je me tourne vers Adriana et lui réponds par l’affirmatif d’un ton pressant. 


Moi : on peut se dépêcher s’il te plaît ?


Elle me regarde d’un air intrigué avant de hocher la tête. Elle met les bagages dans le coffre et revient s’installer à son tour à peine que le type de Yumna passe et s’arrête pas loin. Je jette mon visage en brousse jusqu’à ce qu’on le dépasse. Je m’adosse au siège en posant mes mains jointes derrière ma nuque pour regarder par la vitre. Franchement, c’est la dernière personne que je m’attendais à revoir surtout pour lire le bonheur sur son visage. On voit à des kilomètres qu’il est heureux et savoir que c’est avec la femme de ma vie me déchire le cœur (soupir). Cette rencontre vient de balayer en un clic tous les efforts que j’ai consentis pour oublier cette histoire ces derniers mois. (soupir) C’est Adriana qui me ramène sur terre.


Adriana : Eddie ? 


Moi : excuse-moi, tu disais quelque chose ?


Adriana : oui, je disais qu’il me faut ton adresse pour savoir vers quelle autoroute me diriger.


Moi : je vais au port.


Adriana arquant le sourcil : c’est là-bas que tu vis ?


Moi : provisoirement, je cherche à déménager.


Adriana : ah oui ? Il y a la maison de ma tante à Malibu qu’elle met en location, elle et sa famille déménage en Caroline du Sud. Ça te dit de le prendre ?


Moi intéressé : ok, tu me fais visiter si ça me plaît, je prends.


Adriana (me jetant un coup d’œil) : d’accord.


Plus personne ne parle jusqu’à un moment où je décide de lui faire la conversation.


Moi : tu as choisi quelle spécialité pour ton internat ?


Elle me parle de ses projets d’études, en gros elle a choisi faire cardio donc elle en a encore pour six ans de plus tout comme moi. Je l’écoute patiemment même si j’ai du mal à assimiler tout son récit. Elle paraît tellement superficielle qu’on ne s’attend pas à ce qu’elle ait des projets aussi sérieux. Elle me raconte sa vie pendant tout le trajet et je me rends compte au fur et à mesure de son récit que je l’ai méjugé dès le début.  


 

Nahia…


Nous accompagnons les hommes qui transportent la dépouille de mamie qui l’allongent ensuite dans sa tombe. S’en suit les prières et les derniers pleurs puis nous retournons à la maison en silence. Une petite réception a été prévue par les voisins en son honneur chez sa voisine d’en face. Les autres s’y sont rendus pour faire acte de présence, moi, je n’en ai pas envie. Je n’ai pas envie d’écouter les gens parler d’elle et surtout me rendre compte qu’elle n’est vraiment plus parmi les vivants. Aujourd’hui ça fait quinze jours qu’elle a fait le grand voyage et la douleur est aussi intense qu’au premier jour. N’eut été la présence de Khalil que j’avais déjà sombré dans les affres de la mélancolie. Je troque mes vêtements de deuil contre un pyjama et m’installe dans la chambre pour broyer du noir. Je me suis promis de ne plus pleurer, elle a choisi de mourir (parce que oui, elle s’est fait euthanasier en connaissance de cause) parce que c’était le bon choix pour elle, elle a choisi de mourir pour éviter de souffrir. Au fait, on lui avait découvert une leucémie en phase terminale depuis un an et il ne lui restait plus que quelques mois à vivre. Elle redoutait de perdre son autonomie et sa dignité et surtout de nous faire vivre la période éprouvante qu’est de se rendre compte de la mort imminente d’un proche. Du coup, elle a préféré garder cela pour elle. Son médecin traitant nous a révélé que la maladie de Liam avait renforcé cette prise de décision, elle a voulu le sauver ainsi que d’autres personnes qui auront besoin de ses organes encore en bon état. C'est louable de sa part, mais nous aurions préféré le savoir pour lui apporter le soutien qu’il faut. Là, elle nous laisse dans l’amertume profonde motivée par la culpabilité et Liam plus que tout le monde. Il se remet de son opération de façon satisfaisante en dehors de son moral qui est en berne. 


Je finis par m’en dormir pour me réveiller par de douces caresses et de tendres baisers. J’ouvre lentement les yeux pour voir Khalil assis près de moi.


Khalil : ça va mon cœur ?


Moi hochant la tête : j’ai dormi longtemps ?


Khalil : non, mais ils n’attendent plus que toi pour la lecture du testament. 


Je plisse les yeux et me redresse intriguée.


Moi : ça ne me concerne pas pourquoi m’attendraient-ils ?


Khalil haussant l’épaule : ta sœur m’a dit de te prévenir, mais il faut d’abord que tu manges.


Moi : je n’ai pas faim.  


Khalil : tu n’as rien mangé depuis hier, tu vas au moins prendre du yaourt.


Moi soupirant : ok.


Je vais me brosser et reviens prendre un petit pot de yaourt, il réussit à me faire avaler un peu de tout ce qu’il y a sur le plateau. C’est pendant que je dépose la moitié d’une pomme sur le plateau qu’Amou tape à la porte et entre. 


Amou : Nahia on… (s’interrompant en apercevant le plateau) Mâcha Allah, tu as réussi à lui faire avaler un bout ?


Khalil : oui.


Amou : merci Khalil ! Maintenant, il faut qu’on y aille, ce n’est pas bien de faire attendre les auxiliaires de justice.


Moi : ma présence n’est pas nécessaire.


Amou : mamie l’avait exigé.


Je fronce les sourcils surprise.


Moi : ok, je m’habille et je vous rejoins.


Amou : d’accord, nous sommes dans le grand bureau.


Elle ressort à la suite de Khalil qui se retourne avec le plateau, je les rejoins sans tarder dans le bureau de M. Ducard Senior et m’assois à côté d’Amou à qui tient la main de Liam. Le notaire commence la lecture sans autre forme de procès.


« A la lecture de ce document, je ne serai certainement plus parmi vous. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir choisi, vous épargner de l’épreuve douloureuse qu’est de vivre avec la maladie d’un proche… 


Stéphanie (essuyant une larme au coin de l’œil) : non maman nous ne t’en voulons pas, nous sommes plutôt fière de toi.


Nous abondons dans le même sens et le notaire reprend.


… Je rends mon âme la tête basse, non pas pour me plaindre parce que la vie m’a tellement gâtée. J’ai plutôt eu du mal à me défaire de tant d’égards. Autant que vous êtes, vous avez apporté chacun une part de bonheur dans ma vie et je pars avec de beaux souvenirs. 


À Liam, je dois des excuses particulières. Je sais que je pars en te laissant la lourde charge de veiller sur ton frère et tes sœurs. J’aurais dû te préparer à cette éventualité, mais je te fais confiance pour prendre soin d’eux comme tu as toujours su le faire. 


Commence alors la répartition des biens.


« Moi, Catherine Alexia Ducard née De Block, saine de corps et d’esprit énonce mes dernières volontés par la présente… »


L’essentiel de son patrimoine est constitué d’actifs mobiliers et immobiliers, des parts de sociétés et de l’argent. Les biens matériels sont répartis à part égale entre ses enfants et petits enfants et la plus grande partie de l’argent également. Une partie du reste sera remise à titre de don à des associations caritatives. Quand le notaire lit à quoi servira l’autre partie, je le regarde juste éberluée.


« Nahia, ma petite chipie adorée. Tu as tellement égaillé mes vieux jours que je voudrais que tu te rappelles de moi tous les jours autant que je t’ai gardé dans mon cœur. C’est dans cette optique que te laisse cette partie pour lancer ton magazine dans son entièreté. »


Un frisson me parcourt l’échine. Je précise que la partie en question fait une coquette somme de sept cent cinquante mille euros.


« J'ai pris vos paroles pour être à jamais mon héritage, parce qu'elles sont la joie de mon cœur, et même dans l’au de là. Sachez que je vous aimerai toujours ».


Un grand silence envahit la salle jusqu’à ce que notaire et l’avocat annoncent leur départ. Liam et son frère les escortent et Amou se tourne vers moi dès qu’ils referment la porte.


Amou : tu veux créer un magazine ?


Moi : oui ça fait un moment que je travaille dessus, mais je ne me souviens pas de lui en avoir parlé.


Aurore : un oubli peut-être parce que maman, elle retient tout.


Moi hochant la tête la voix tremblante : elle va tellement me manquer.


Stéphanie : moi pendant la lecture, j’avais l’impression de l’entendre parler.


Amou : moi aussi, je l’imaginais même nous toiser et utiliser ses expressions en anii.


Aurore : oui surtout domalam.


Elle le dit avec un accent tellement bizarre qu’on éclate de rire Amou et moi. Les hommes nous rejoignent plus tard et nous passons le reste de la journée à rire des frasques de mamie. C’est dans cette atmosphère que nous dînons ce soir là puis les jours moroses furent graduellement remplacés par des jours plus gais. C’est une semaine plus tard après le dernier contrôle de Liam que nous faisons le programme de retourner à Abu-Dhabi Khalil et moi. Comme toujours, il a été d’un soutien et d’un réconfort sans pareil à l’égard de tout le monde. Les Ducard n’ont pas manqué de le souligner  durant le trajet vers l’aéroport, Stéphanie lui promets de lui céder une partie de ma dot ce qui fait rire tout le monde sauf lui. D’un accord tacite, l’affaire rupture est mise en stand by pour le moment. Je dois reconnaître que ses câlins et ses mots de réconforts m’ont été très bénéfiques pour garder le moral haut. 


A l’aéroport on se retrouve assis dans le hall des départs, nous discutons entre femmes pendant que les hommes qui se tiennent un peu à l’écart participent par moment. Enfin plus Liam et Timeo parce que Khalil depuis qu’on a quitté la maison, il n’a pas l’air dans son assiette. À un moment donné il s’éloigne pour répondre à une énième appel, je le suis discrètement et attends qu’il finisse le coup de fil pour parler.


Moi : qu’est-ce que tu as ?


Il sursaute et se tourne vers moi.


Khalil : bon sang, tu m’as fait peur.


Moi : désolée, il y a un problème ?


Khalil : non.


Moi : Khalil tu n’essais pas de me mentir, je te connais. Je sais qu’il y a quelque chose qui te tracasse.


Il se passe la main dans les cheveux.


Moi : je m’en doutais bien, c’est ton père ? Je t’avais dit de ne pas venir, tu…


Khalil : non, c’est toi le problème.


Moi haussant le sourcil : comment ça ?


Khalil hésitant : en fait euhh… Ta photo circule sur internet et tu fais la une des journaux à scandale des émirats.


Moi scandalisée : quoi ? Comment ça se fait ?


Khalil : certainement que des paparazzis nous ont suivis à l’aéroport le jour de notre départ.


Moi : oh mon Dieu, c’est grave. Je ne peux pas retourner là-bas.


Khalil : t'inquiètes pas, les gars (ses amis) et moi avons trouvé une solution.


Moi : laquelle ?


Khalil : nous avons trouvé le moyen de te faire rentrer chez les Singh en toute discrétion, les photos et les journaux Salim s’en occupe. Le reste je verrai une fois sur place.


Moi sceptique : non ce n’est pas une bonne idée, je vais attendre que tout ça se tasse d’abord. Je ne veux pas créer d’autres ennuis.


Amou (arrivant en ce moment) : les amoureux, c’est l’heure de partir. Votre vol a été annoncé.


Khalil me regarde comme pour avoir mon autorisation pendant qu’Amou passe son regard de lui à moi.


Amou : il y a un souci ?


Moi supputant : non (me tournant vers Khalil) allons-y.


Il hoche la tête et nous laisse passer la porte avant de nous suivre. On fait nos adieux à coups de vent pour nous retrouver ensuite dans l’avion. Je reste dubitative alors que Khalil essaie de me rassurer du bien fondé de leur démarche pendant un long moment avant de m’endormir pour me réveiller au moment où le commandant annonce l’atterrissage.

Nous sommes les derniers passagers à sortir et sommes directement accueillis par ses amis qui nous attendaient sur le tarmac devant des Mercedes noires puis tout se passe comme dans un film. Je monte avec Jemal et Khalil avec Salim, on se suit un moment avant de nous séparer à un tournant. Ma respiration ne devient régulière que lorsqu’il gare devant le perron chez eux, je descends du véhicule encore plus dégoutée par toute cette histoire. Je n’ai qu’une envie, c’est de rentrer à Lomé et oublié tout ça. 


C’est dans cet état d’esprit que je passe la porte d’entrée pour tomber nez à nez sur Alisha qui me colle un article au visage. 


Alisha hargneuse : tu es contente de toi n’est-ce pas ? 


Je soupire et veux passer devant elle, mais elle me retient par le col.


Alisha : tu restes ici quand je te parle ! (mettant le journal en évidence) Tu vois ça, ça ne signifie rien du tout. Tu seras bannie de ce pays. Espèce de voleuse de mari sans…


Elle est interrompue par Khadija qui vient d’entrer dans le hall par la porte de la terrasse.


Khadija : non mais Alisha, tu es malade ? Ça ne se fait pas d’agresser le gens comme ça, tu as quel problème au juste ? 


Alisha criant : ça ne va pas de me parler ainsi devant cette moins que rien ?


Moi exaspérée : je ne te permets pas de…


Alisha me lançant un regard ardent : je vais me gêner.


Jemal (qui arrive en ce moment) : que se passe-t-il ici ? (se tournant vers elle) Alisha pourquoi tu cries ?


Alisha ton doucereux : je ne criais pas chéri, je lui souhaitais la bienvenue.


Je la regarde choquée par ce  par revirement furtif d’attitude pendant que Khadija la regarde les yeux tout rond.


Jemal : ok, je monte les valises et je reviens.


Alisha : je viens avec toi chéri.


Je la regarde partir les yeux et la bouche grandes ouverts, c’est lorsqu’elle disparaît de mon champ de vision que je me tourne vers Khadija.


Moi : c’est possible qu’on ait une discussion toutes les deux ?


Khadija : ça tombe bien, je voulais discuter avec toi moi aussi. Enfin si ça ne te gêne pas, tu viens de rentrer de voyage. J’imagine que tu dois être éreintée.


Moi : ça ira pour moi.


Khadija : ok.


Je la suis à la terrasse et nous prenons place toutes les deux. C’est elle qui prend la parole en premier.


Khadija : je tiens à m’excuser pour toute à l’heure. 


Moi : ça n’a pas d’importance.


Khadija : je tiens également à m’excuser pour mon intrusion dans ton couple, je veux que tu saches que je n’ai pas l’intention d’épouser Khalil.


J’arque le sourcil et elle hoche lentement la tête avant de poursuivre.


Khadija : je dois avouer que je l’ai utilisé pour me sortir d’un guêpier et là, je cherche le moyen de les sortir son père et lui de cette affaire.


Moi larguée : moi, je ne vois aucune solution à part celle que proposent vos parents. Ça arrangerait bien l'affaire.


Khadija secouant vigoureusement la tête : non, je ne veux pas épouser un homme que je n’aime pas et on n’a pas besoin d’être devin pour savoir que Khalil est fou amoureux de toi. Il te regarde comme si tu étais la huitième merveille du monde (l’air dans les vapes) je donnerais tout pour que Ussama me regarde un jour comme ça.


Moi abasourdie : hein ?





  
Le tournant décisif