LES CHRONIQUES DE NAÏA Chapitre II - #1

Ecrit par BlackChocolate

Lorsque je parle de la guerre, de cette période de mon enfance, j’ai toujours des larmes aux yeux. Même après que 17 années soient passées, certains souvenirs sont gravés dans ma mémoire comme du fer rouge marqué sur un taureau. Après cette nuit où je fus sauvée, je fus très heureuse de revoir les miens, jusqu’à ce qu’on m’apprenne la nouvelle de la mort de mon frère. Je passai plusieurs jours et plusieurs nuits à pleurer, inconsolable. La moindre personne, la moindre voix ou le moindre objet me faisant penser à lui ravivait en moi cette douleur indescriptible. J’avais été très proche de Marc-Hervé, et bien que nous nous querellions souvent, l’amour qu’on éprouvait l’un pour l’autre en tant que frère était très fort. Mes parents nous avaient appris à nous aimer, à souffrir lorsque l’un de nous souffrait, et à être heureux lorsque l’autre l’était. Et je n’avais jamais imaginé qu’on pouvait perdre deux êtres si chers en si peu de temps. Mais contrairement à d’autres personnes, j’avais la chance d’avoir encore suffisamment de personnes à mes côtés pour m’aimer et me soutenir pour de vrai. Deux semaines passèrent avant que nous ne puissions retourner dans le sud du pays. La guerre était finie, mais elle avait laissé derrière elle tellement de cadavres et de dégâts matériels considérables. Il fallait tout réparer, tout reconstruire.

Cela fait quelques jours que je suis sortie de l’hôpital où j’avais commencé à raconter mon histoire. J’y suis rentrée avec un gros ventre, et j’en suis ressortie avec une jolie petite fille. A la naissance, Mouna faisait 4,1 kg. Elle ne pèse pas plus qu’une plume, pleure énormément lorsqu’elle a faim, rit beaucoup lorsqu’elle est dans les bras de son papa. C’est tout ce que j’ai remarqué trois jours après sa venue au monde. En grandissant, elle me laissera probablement découvrir d’autres facettes d’elle. Pour le moment, j’avais encore quelques mois de congés, et je les mettrai à profit pour vous raconter la suite de l’histoire. Vous vous souvenez de ma sœur Ana ? Je vous en avais parlé précédemment. Eh bien, il est temps pour vous de la connaitre.

Lorsque nous avons quitté le Nord pour le Sud, il n’était plus question d’aller vivre dans notre ancienne maison, là où maman avait perdu la vie. Papa dit qu’il ne pouvait pas dormir dans l’une des chambres en sachant que sa femme y avait été violée. Nous avons donc emménagés dans une nouvelle maison, à l’autre bout de la ville. Les choses peinaient à décoller dans tous les secteurs. L’économie, l’éducation, la santé, tous les domaines étaient au ralenti. En outre, il fallait élire un nouveau Président. Tout comme dans le pays, rien n’était plus pareil à la maison. Chacun d’entre nous passait le clair de son temps dans sa chambre, même pour les repas. Lorsque papa n’était pas au boulot, il s’enfermait dans son bureau ou dans sa chambre. Parfois, il m’arrivait de l’entendre pleurer, mais que pouvais-je y faire ? Moi non plus je n’avais pas fini de combattre mes démons. Je faisais des cauchemars toutes les nuits. Et il n’y avait personne avec qui partager mes douleurs. Ma mère et ma copine Leslie étaient les seules avec qui j’aurais pu parler du viol. Mais maman n'était plus là, et l’école était fermée.

Un matin, papa nous appela. Nous étions tous réunis, même si des personnes manquaient et que plus jamais nous ne les reverrions. La cupidité et l’avidité des Hommes avaient entraîné la mort d’un père, d’une mère, d’une sœur ou d’un ami dans plusieurs familles. Lorsque les éléphants se battent, pourquoi est-ce les herbes qui doivent en souffrir le plus ? Voilà une injustice qui ne dit pas son nom. Papa commença à parler :

- Ca fait une semaine que nous avons intégré cette maison les enfants. Et je suis le premier à reconnaitre que nous nous sommes un peu perdus de vue. Je suis désolé de ne pas avoir été présent ces derniers jours. Mais j’avais besoin d’un moment à moi pour faire mon deuil. A présent, il est temps que nous recommencions à vivre. Nous ne devons surtout pas arrêter de vivre après les événements qui se sont passés. La vie doit continuer son cours. Jeannette m’a dit que vous restez enfermés la plupart du temps et que vous mangez à peine. Que voulez-vous ? Que les soucis me tuent ? C’est ce que vous attendez de moi ? Je sais que ce n’est pas facile, mais ce n’est pas en vous enfermant que vous surmonterez cette étape. Votre maman n’aurait pas voulu cela. Ces quelques jours m’ont aussi permis de peser le pour et le contre suite à une décision que j’ai pris.

Personne n’avait prononcé le moindre mot. Aucune réponse.

Papa : Naïa, tu avais 4 ans lorsque votre sœur ainée est partie de la maison pour s’installer en Europe. Vous n’avez pas passé beaucoup de temps ensemble, mais tu as eu l’occasion de la revoir pendant les vacances dernières lors de notre voyage. Et vous vous êtes bien entendu si je ne me trompe pas.

Moi : Où veux-tu en venir papa ?

Papa : Tu iras rejoindre ta sœur et passer quelques années avec elle. Ghislain et Kevin vous resterez en Afrique, mais pas dans le pays. Une ou deux années dans un pays anglophone vous feront le plus grand bien. D’ici là, je pense que tout serait rentré dans l’ordre et si vous souhaitez revenir, vous pourrez le faire.

Ghislain : Je suis partant

Kevin : Moi aussi. De toute façon je commençais à en avoir marre de l’ambiance dans cette maison et dans ce putain de pays.

Papa : Surveille ton langage Kevin. Je ne suis pas ton copain de classe. Je sais que vous traversez une période difficile, mais cela ne vous donne pas le droit d’être grossier ou impoli.

Kevin : Désolé

Moi : Je veux pas partir papa. Je ne veux pas te laisser tout seul

Papa : Allons chérie. Ce n’est pas non plus comme si on ne se reverrait jamais. Ecoute, on se verra chaque fois que j’effectuerai un voyage sur l’Europe. Et tu sais combien je voyage beaucoup.
Il esquissa un sourire qui ne me rassura pas pour autant. Mais au fond de moi, je savais que c’était la meilleure décision qu’il aurait pu prendre pour nous en ce moment. Il n’y avait plus de joie de vivre, et le temps risquait de paraitre très long. J’avais cette opportunité de partir que beaucoup n’avait pas parce que leurs parents n’avaient pas les moyens de le faire. De toute façon, il n’aurait servi à rien de lutter. Sans mes deux frères à la maison et papa qui serait presque tout le temps au boulot, je risquais de me retrouver seule face à mes démons, et je ne pensais pas pouvoir y arriver.

Moi : Le voyage est prévu pour quand ?

Papa : Le plus tôt possible. J’ai déjà prévenu ta sœur, et vous deux je vous ai trouvé une excellente école dans le Sud de l’Afrique.

Ghislain : Apparemment notre avis comptait peu. Tu avais déjà tout mis en place.

Papa : Vous savez, les parents ne sont là que pour indiquer le chemin. Mais ce sont les enfants qui doivent le suivre, et seuls. Je ne veux pas vous priver de vivre des expériences. Je ne veux pas vous empêcher d’améliorer et d’enrichir votre expérience. Il ne sera pas facile pour moi d’être séparé de vous. Mais mon amour pour vous ne doit pas vous empêcher de grandir. Tôt ou tard, le moment serait venu pour vous de partir de la maison. Et sachez que même à 70 ans, j’aurai la même difficulté à vous laisser partir. Je vous aime très fort.

Il ouvrit ses bras, et nous nous jettament tous sur lui, en pleurant. Cette nuit-là, je ne fis aucun cauchemar. "

LES CHRONIQUES DE NA...