L’essentiel

Ecrit par Iriselom

[Mattia a 37 ans, il est au monastère de Danyi-Dzogbegan (Togo) espérant pouvoir se ressourcer]


Une phrase a attiré mon intention: on ne mange pas en dehors des heures de repas!


Je prends en photo le programme avec mon téléphone, qui en passant n'a pas de réseau, pour bien mémoriser les heures de repas.


Une cloche sonne!


Je regarde le programme. 


18:10: Oraison communautaire à l'église.


Allons y! Nous sommes avec les moines, une trentaine de personnes.


C'est juste pour 10 minutes après il y a aussi 10 minutes de lectio divina*.


Je n'écoute pas ce qu'il lit, de toutes façons, je n'y crois pas mais je ressens une sensation d'apaisement sûrement dû au calme qui règne.


La lecture se conclut et tout le monde se lève. Je les suis.


Nous arrivons dans le réfectoire. Ah! Dîner!


Au menu d'aujourd'hui, il y a du ragoût de patates douces et ignames.


Je fais deux tours, j'aurais voulu en faire trois mais déjà au deuxième, je me sentais observé. Je ne veux pas me faire remarquer déjà dès le début.


Après le dîner, le moine Benoît vient s'enquérir de mes impressions. 


Nous parlons un peu de tout sauf de religion et je regagne ma chambre.


J'essaie de joindre les miens mais peine perdue, zéro réseau.


Je m'étends pour penser un peu à de nouvelles stratégies révolutionnaires qu'on pourrait mettre en place pour faire bouger le monde du business.


Le son d'une cloche! 


Mais je me suis endormi quand?

Je regarde mon téléphone: 4:50 réveil.


Ça commence à bien faire et moi qui voulais courir un peu.


Je me débarbouille et sors.


Laudes, lectures...


Enfin petit déjeuner à 7:25 et place aux travaux manuels.


À 12h, je n'en peux plus.


J'ai choisi d'aller cultiver: respect aux cultivateurs!


Les jours passent, je confirme que Dzogbegan me fait du bien.


Deux semaines sont passées. Je suis presqu'un cultivateur accompli maintenant. 


Pour les activités religieuses, je dirais que ça peut aller, j'écoute, je chante mais quand ils prient, je ferme les yeux et continue à chanter dans ma tête.


Je n'ai rien contre Dieu mais tout contre l'église, les institutions, les diacres: mon père était diacre, fervent chrétien.


Mais quand je vois le travail que les moines effectuent, je

me dis que ça comble certains péchés, que commettent certains chrétiens.


Je vous explique un peu, les moines bénédictins ont fait une espèce d'agriturisme. 


Ils produisent de tout: café, légumes, épices, thé de Gambie, encens, huiles essentielles...


Ils donnent du travail à la population, l'instruction.


Ils font tout et n'ont pas de salaire. Tout ce qu'ils gagnent est dévolu en charité.


C'est vraiment admirable, j'ai appris beaucoup de choses et recueilli beaucoup d'idées pour mon projet après mes 55 ans.


3 semaines sont déjà passées, aujourd'hui nous allons chez les sœurs. Elle sont toujours à Dzogbegan mais dans un autre couvent.


Nous y avons passé toute la journée: apiculture, tricotage, encens, biscuits...


Je suis plein d'admiration pour ces personnes qui ont décidé de dédier leur vie aux autres.


Je suis à la fin de mon périple, Dzogbegan va me manquer mais je pourrai finalement voir mes enfants.


Moi: Merci pour tout, je reviendrai sûrement.


Moine Benoît: J'espère que tu as trouvé la quiétude dont tu as besoin, mon fils.


Moi: Je l'espère aussi.


Moine Benoît: Je pense que tu as apprécié bonne partie de nos activités manuelles, qu'en est il des activités religieuses?


Moi: J'ai adoré chanter avec vous mais je ne crois pas en Dieu!


Moine Benoît: En quoi crois tu?


 Je pense à Rémy, un ex toxicomane à peine sorti d'une période de désintoxication. Il est ici depuis deux semaines.


Il m'a raconté son expérience qui m'a beaucoup fait réfléchir. 


C'est un rasta très ancré dans son rastafari, il essaie de rester clean parce que de la marihuana légitime des rasta il est passé à l'héroïne et a failli y laisser la vie.


Il croit fermement à son rastafari et consomme encore de la marihuana.


Il est convaincu qu'après son overdose, il a vu Hailé Selassié qui lui aurait dit de retourner sur terre et porter un message de paix et amour.


En quoi est ce que je crois?


Moi: Au dur labeur!


Moine Benoît: L'essentiel est de croire en quelque chose, c'est cette croyance qui te fait gagner, permet moi l'expression, non pas toutes les batailles mais toutes les guerres.


Je me sens nettement mieux, je repars à Seattle plus tranquille. 

Le travail est la clé. 


Je revois mes petites chéries et mon fils aussi. J'ai ramené plein de choses de Dzogbegan dont le poivre du paradis (Atakou en langue ewe) et du pomavoc qui est une pommade à base d'huile d'avocat pour les cheveux des filles (YV me l'a expressément demandé).


Le travail repris avec plus d'entrain, je me sens renaître!


Je ne travaille que 10h par semaine à la DHF, j'ai mis sur pieds une société de hedge funds**.


En un an, j'ai travaillé plus que quiconque. Je peux tout vaincre par la force du travail.


Les 3 premiers mois, je n'ai rien presque rien gagné, économiquement parlant. À partir du 4e mois, j'ai commencé à gagner des sommes exorbitantes, dont une bonne partie investie dans ma ferme. 


J'étais super content, les filles ont maintenant 5 ans et moi 38. Le divorce a été prononcé.


Mon fils a fait son bachelor, je l'ai envoyé faire un double master à Londres.


Puis un matin, désastre: un de mes investisseurs majeurs a un problème, il me retire ses placements: 55% de mes affaires envolés.


Recherche de nouveaux marchés, course contre la montre, d'autres retirent leurs affaires parce que ma compagnie a perdu en solvabilité.


Je vends.


Retour à la case départ.


Je ne veux plus sortir de la maison, je ne veux plus rien faire. J'ai honte!


Le trou noir!


La force du travail?! Pfff!!


Je repense au moine Benoît: "L'essentiel est de croire en quelque chose."

    

Je ne crois plus en rien. 


J'ai 39 ans et Il me manque l'essentiel.


Il faut que je retourne de temps en temps au boulot sinon mon contrat saute.


Un jour, je surprends une conversation entre deux de mes subordonnés: 

"

-Il pourrait démissionner!


-Qui, the Aberdeen Bear?


-Bien sûr, qui d'autre?


-Il a beaucoup de potentialités. Ce serait dommage!


-On s'en tape, il est fou! Il ne sert à rien


-Mais non, c'est juste une dépression.


-C'est la même chose.


"


Je rentre à la maison. Je ne sors plus, je ne réponds plus aux appels de mon fils. J'ai peur de l'avoir déçu.


L'hiver arrive! Les miens voudraient que je rentre mais ça ne m'intéresse pas. Ça ne marche pas!


Trois mois plus tard, nous sommes en février.


Mon nouveau téléphone sonne!


*Lectio divina: opération de l'Ecoute de Dieu qui veut nous parler par les Écritures, développée dans la tradition monastique.


** Hedge fund: fonds d'investissement.


Je conseillerais une relecture du prologue. Nous y sommes!

Better To Burn Out T...