Lettre 7
Ecrit par Alex_Akah
Laurent Assa
12 juillet 1978
Abidjan
Mon cher amour,
J’ai deux nouvelles à t’annoncer.
Commençons par la moins importante : j’ai obtenu mon bac.
Je sais, c’est carrément un non évènement, mais maman en a fait tout
un plat, à tel point que c’est devenu comme l’indépendance. Elle a
organisé une fête et a demandé au vendeur de choukouya* du coin de
cuisiner deux moutons. Ne me demande as à quel moment elle a eu le temps
de faire tout ça, je n’en sais rien. Je sais juste que quand je suis
rentré de mon centre de composition, vers 18 heures, il y avait plein de
monde à la maison, ainsi que des tonnes de nourriture et de la musique.
Il y avait toute la famille, ainsi que la non famille, entends par là
les amis de mes parents et les gens du quartier. Même Catherine qui vit
au coin de la rue a fait le déplacement, avec son gros ventre. Je me dis
qu’ils sont venus si nombreux pour me féliciter, même si la vue des
nombreux plats qui ont envahis la cuisine me fait quelque peu douter.
Mais comme dit maman ‘’tu es trop désabusé pour ton jeune âge,
Laurent’’, alors j’essaie de garder la foi en l’être humain.
De
toutes les façons, qu’ils soient là pour manger ou pour moi, ils m’ont
tous apporté des cadeaux, alors ça va. Avant, j’avoue, je ne comprenais
pas ce principe d’offrir des cadeaux à quelqu’un qui a son bac. Je veux
dire, c’est normal non ? C’est la moindre des choses, pour un élève de
terminale de l’obtenir. C’est comme si on offrait des cadeaux à des gens
parce qu’ils passent en classe supérieure. N’est-ce pas ce qu’ils sont
supposés faire ? Par contre, je comprends les fêtes, il est dans la
nature de l’humain, en tant qu’animal social, de vouloir célébrer les
faits marquants de sa vie avec ses semblables. Et le bac symbolisant la
fin d’un cycle et le début d’un autre, c’est normal. Mais des cadeaux ?
Cependant, même si je ne comprends pas très bien le but, je ne vais pas
me plaindre des cadeaux que j’ai reçus. Pour la plupart des gens
présents, c’était de l’argent : 1000 francs ou 2500 francs CFA. Je me
retrouve avec un bon petit pactole qui va servir à financer mon année de
villégiature.
Mais les autres cadeaux en nature étaient très bien
aussi. Par exemple, tonton Robert, le mari de tata Agathe, m’a offert sa
belle montre Cartier. Il faut dire que je louche dessus depuis que j’ai
14 ans. Dès que maman lui a annoncé que j’avais eu la mention très bien
et que j’étais le premier de mon centre, sans un mot, il l’a enlevée de
son poignet et me l’a tendue. Tonton Abel, le meilleur ami de papa, lui,
m’a offert un beau stylo à plume en argent. Il a dit que ça me
servirait à signer les chèques quand je serais devenu un ‘’grand
quelqu’un’’. J’en ai fait un meilleur usage, en l’utilisant pour
t’écrire cette lettre. Toutes façons, si je t’ai toi, quel besoin ai-je
de devenir un grand quelqu’un et de signer des chèques ? La preuve de ma
richesse ne se trouvera pas à la banque, elle ne sera pas pécuniaire.
Qui a besoin de compte bancaire, quand mon plus grand trésor, c’est toi ?
Bref, je m’égare. Ça m’arrive souvent, quand je pense à toi. Je te
disais donc que mes cadeaux en nature étaient super. Le meilleur,
c’était celui de papa, en toute objectivité. Quand tout le monde a fini
de m’embrasser et de m’étreindre, il a posé sa main sur mon épaule et
m’a dit ‘’je suis fier de toi, mon fils’’. Je savais déjà que je le
rendais fier, mais c’était la première fois qu’il le disait, et ça m’a
fait un truc là, dans la poitrine, un peu comme si mon cœur était en
train de fondre. J’ai dû lever les yeux au ciel pour empêcher mes larmes
de couler, et maman à interprété ça comme de la suffisance, parce
qu’elle a dit juste après ‘’ce n’est pas une nouvelle ça, c’est ce que
tu veux nous faire comprendre?’’. Papa lui a dit qu’elle nous
embrouillait et que d’ailleurs, il en avait marre de l’entendre. Puis il
m’a entrainé dans son bureau et m’a pris dans ses bras. Lever les yeux
au ciel n’a été d’aucune utilité.
Le moment d’émotion passé, il a
ouvert un des tiroirs de son bureau et en a sorti une grande enveloppe kaki Il l’a ouverte et en a vidé le contenu devant moi.
‘’Tout ça,
c’est pour toi, tu es un homme maintenant’’, a-t-il dit. Il y avait
dans l’enveloppe une clef de voiture, le double des clefs de la maison,
une carte bancaire SGBCI* (tu n’es pas encore là, du coup je peux
l’utiliser) et un passeport.
Il m’a expliqué qu’il voulait que je
passe le permis de conduire, et que dès que je l’aurais, je pourrais
utiliser la voiture de maman, à qui il avait acheté une nouvelle. Il
aurait tout aussi bien pu me donner la nouvelle hein. Mais bon, comme
dit souvent maman, ‘’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras***’’.
Ensuite, on a parlé de ce que je voulais faire et de mes options. Il n’a
pas réagi aussi mal que je pensais quand j’ai dit vouloir prendre une
année sabbatique, mais il m’a quand même fait promettre de continuer à
chercher et d’étudier avec sérieux la piste ‘’études à l’étranger’’.
J’avoue que j’ai moins de réticences, à l’issue de cette journée, parce
que j’ai compris que ma peur – celle de retarder notre rencontre et/ou
de passer à côté de toi si je quittais le pays – avait très peu de
chances de se concrétiser.
Ce qui nous emmène à la deuxième
nouvelle, la plus importante de la journée, et même de l’année. Tu es
prête ? Allez, je te le dis : j’ai rencontré ta mère, aujourd’hui !! Je
sais, c’est génial ! Elle était avec sa sœur, au centre de composition.
Elle était sublime, dans sa petite robe à fleurs bleue et ses cheveux
nattés en motifs compliqués. Et ses yeux, doux Sauveur, ses yeux… mon
cœur a raté un battement quand je les ai croisés.
Comment je sais
que c’est elle ? De la même façon que je sais pour toi : je l’ai rêvé.
Le même jour que j’ai rêvé de toi, en fait. Et oui, je tiens un autre
journal pour elle aussi.
Mais ne sois pas jalouse. Certes, elle
fait battre mon cœur de la même intensité que toi, tu le fais, mais il
est évident que je t’aime plus qu’elle. Après tout, tu es parfaite,
comment ne pas ?
Je reviendrais t’en parler, mais là, il faut que j’aille ouvrir le champagne que j’ai largement mérité.
Je t’embrasse,
Laurent Assa.
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*Choukouya : viande ou poisson, cuit à l’étouffée, sur une sorte de grill. Voir la photo d'illustration.
**SGBCI : filiale du groupe bancaire français ‘Société Générale’, l’une des premières banques en CI.
***C'est le proverbe favori de ma mère.