Lettre 8

Ecrit par Alex_Akah

Laurent Assa
18 Juillet 1978,
Londres

Mon cher amour,

Je suis à Londres depuis deux jours.
Tonton Abel, l'ami de papa, est en mission de je ne sais quoi et a demandé aux parents si je pouvais l'accompagner. Cadeau de bac, a-t-il dit.
J'ai été surpris qu'il propose, et encore plus que maman accepte. D'habitude, quand je demande à partir en voyage avec eux, elle me sort que "Laurent, tu es trop jeune pour aller à l'étranger. De toute façon, tu as ton camp de super intello non?"
J'ai beau lui expliquer que la jeunesse et la capacité à aller à l'étranger n'ont aucun lien, elle s'en fiche.
Je suis sur que c'est d'ailleurs pour ça qu'elle m'a inscrit à ce camp de "super intello" comme elle dit. En réalité, c'est juste une colonie de vacances à Yamoussoukro, ou la majorité des activités sont intellectuelles: génie en herbe, concours d'orthographe et de dictée, miss et mister mathématiques... C'est comme des cours de vacances, en 100 fois mieux. Maman est juste jalouse parce qu'elle n'a pas eu ça dans sa jeunesse.

Bref, donc ils ont accepté.
Tout le monde était super content pour moi, sauf Camille.
Pendant que mes frères faisaient des listes de ce qu'ils voulaient que je leur rapporte, elle s'est mise à pleurer et à se rouler par terre en criant "pas pati, yoen!!".
Maman dit que j'ai envouté son enfant, parce que même quand elle sort, Camille ne pleure pas autant.
J'ai été obligé de lui promettre plein de cadeaux pour qu'elle se calme. Quel escroc, cette enfant. Comme toutes les femmes, a dit papa. Je suis certain que tu ne seras pas comme ça. Même si ce sera un plaisir pour moi de me faire escroquer par toi, quoique.

Je devais aussi te donner des nouvelles par rapport à mes études. Mon plan d'année sabbatique est tombé a l'eau. C'est sûrement pour ça que maman a accepté que je voyage avec tonton Abel, pour me consoler.
Il se trouve que, étant le premier de mon centre, de la ville et de la région; et le deuxième au plan national - le premier étant un AS**- j'ai reçu une bourse de l'état pour aller étudier dans l'université de mon choix, tous frais payés.
J'ai voulu refuser, vu que je n'avais pas encore choisi, et que je ne voulais pas être influencé. Mais tu aurais vu la tête de maman, quand Akoto*** en personne a téléphoné à la maison pour annoncer que le Président allait me recevoir. Elle était tellement fière, tellement heureuse qu'elle est tombée a genoux et a commencé a pleurer de joie. Je n'ai pas eu le courage de gâcher sa joie.
Et j'ai toujours eu envie de rencontrer le Président, je n'allais pas rater cette occasion, si?

Donc j'ai accepté. La cérémonie est supposée avoir lieu lundi prochain, le 24, pour qu'on ait le temps de se préparer. Je n'ai pas trop compris pourquoi on avait deux semaines pour se préparer a rencontrer le président. Ce n'est pas comme si on doit d'abord se purifier et faire des rituels particuliers, si? Je veux dire, ce n'est pas Dieu. Pas la peine de traverser la grande épreuve avant de se présenter a lui.
Mais manifestement, maman n'est pas de cet avis, parce que je l'ai entendu dire a tonton Abel qu'on devrait faire du shopping, parce qu'il me fallait le plus beau costume du meilleur tailleur d'Oxford Street.
Si tu veux mon avis, elle se croit trop dans ces romans historiques qu'elle lit et dans lesquels les "nobles" vont se faire habiller par des "couturiers de luxe".
Une chemise et un pantalon de ville feront l'affaire, je pense bien. Je doute que le président s'attende à me voir arriver vêtu du même costume que le prince Charles.
Toute façon, s'il faille vraiment que je m'habille ainsi, ce ne sera certainement pas pour aller voir le président. Il y a tellement d'événements plus importants que ça, comme mon premier rendez vous avec ta mère, ou notre mariage, ou ta naissance.

On part avec Tonton Abel à Buckingham, il veut me faire voir la relève de la garde. Je ferais des photos, que je joindrais à la lettre, comme ça ce sera comme si tu l'avais vécu avec moi.
En attendant impatiemment le jour ou on le verra ensemble.

Je t'aime,

Laurent Assa

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**AS: Ancien du Scientifique. Nom donné aux anciens élèves du lycée scientifique de Yamoussoukro.
***Akoto: Paul Akoto Yao, ministre de l'éducation nationale de l'époque (1971-1983)

Moayé