Mélancolie

Ecrit par Farida IB



Eddie…


Ussama criant : Yumnaaaa !!


Elle débarque dans le chambranle de la porte du salon la mine boudeuse.


Yumna maugréant : c’est quoi ? Pourquoi tu cries mon prénom ?


Ussama : nous allons être en retard.


Yumna faisant la moue : le vol, c’est dans trois heures.


Ussama : oui, mais il ne faut prendre aucun risque. J’ai eu du mal à nous trouver ces billets, ou est-ce que tu préfères voyager en classe écono sur le vol que tu sais ?


Yumna : pffff, je suis prête.


Ussama : c'est pas mieux pour toi ?


Moi la fixant : ta valise est où ?


Yumna : dans la chambre, je vais les chercher.


Elle s’éclipse et revient avec deux valises qu’elle met de côté puis se retourne pour ramener deux autres, ensuite deux autres encore. Nous la regardons faire ces va-et-vient perplexes.


Moi (au dernier tour) : tu rentres définitivement au pays ?


Yumna : j’anticipe sur les évènements imminents, on sait tous qu’avec la riposte que je prépare si le Cheikh ne m’envoie pas au bout du monde, c’est qu’il me gardera près de lui et fera de moi une femme foyable. Dans tous les cas, la révolte aura lieu.


Moi dépité : ne va pas faire de bêtises, j’ai besoin de toi ici.


Ussama : prêche bien mon bon petit, elle ignore dans quoi, elle veut se mettre.


Elle nous lance chacun un regard de travers avant de tchiper.


Yumna : au moins de nous trois on connait la plus courageuse.


Ussama remuant la tête : appelle cela un suicide, pas du courage.


Yumna : le changement ça s’obtient en prenant des risques, vous risquez de rester au même stade toute votre vie si vous n’osez pas.


Je bloque un moment choqué par sa déclaration, comme si la phrase m’était destinée. Ça tourne en boucle dans ma tête pendant un laps de temps. 


Yumna me regardant : ce n’est pas pour autant que tu dois devenir aussi livide que ça, je n’ai pas mis un couteau sur ta gorge pour t’obliger à affronter ton père quand même nan ?


J’entrouvre ma bouche pour parler, mais aucun son ne sort. Elle plisse les yeux et me regarde, mais ne dit rien.


Ussama : bon, on part ou quoi ?


Yumna : moi, je suis prête.


Moi évasif : oui oui.


On fait plusieurs allers retours pour descendre les valises ensuite, Ussama et moi les rangeons dans le coffre arrière et sur une partie des sièges arrière. Ensuite, je prends place au volant, Yumna s’assoit sur le fauteuil à côté et Ussama occupe le siège libre de derrière. Nous démarrons dans une atmosphère morose, enfin plus pour moi et Yumna qui est le pont des soupirs en ce moment. 


Pour la petite histoire, elle s’est réveillée avec la lubie d’affronter son père à son arrivée afin de rétablir leur relation. Quant à moi, j’ai guetté d’autres occasions pour terminer ma déclaration ce matin, mais le moment n’est pas du tout propice pour moi. Ils étaient tous les deux sur le pied de guerre vu qu'ils n’ont eu qu’une heure pour se préparer. Et là ils doivent urgemment se rendre l’aéroport pour éviter toutes surprises de dernières minutes encore qu'ils doivent d'abord prendre le métro. Il faut dire que ça n’a pas été une sinécure de trouver ces places du coup son frère veut prendre toutes les précautions possible. 


Je pense qu'il serait judicieux de mettre mes sentiments de côté en attendant de voir l'aboutissement de cette  affaire de révolution. Ça risque vraiment de jacasser et connaissant son père elle risque de ne plus revenir par ici. Ça ne servira donc à rien de lui parler de mes sentiments, du moins pas pour l’instant. J'espère cependant qu’elle ne commettra pas cette erreur monumentale d'affronter son père parce que je ne me vois pas en train de faire ma vie sans elle ici, ça n'aura plus du tout de sens.


On arrive à la station AirTrain avec trente-sept minutes d’avance  et on se cherche des places sur un banc pour attendre le métro. On se met à parler de la pluie et du beau temps jusqu’à ce que Yumna commence à soupirer en se touchant le ventre.


Moi : tu as faim ?


Yumna hochant la tête : mouais, je crève de faim.


Ussama : idem.


 Moi me levant : je vais errer sur les alentours voir si je vous trouve quelque chose à grignoter.


Yumna : laisse j’y vais, je vais profiter me dégourdir un peu les jambes.


Moi : ok.


Elle s’en va et dès qu’elle disparaît de notre champ de vision son frère me tapote l’épaule.


Ussama : je vois que tu n’as pas pu lui dire.


Moi soupire dépitée : l’appel de votre père m’a interrompu juste au moment où je voulais le faire.


Ussama : désolé mon petit, j’ignorais que vous étiez tous les deux dans la cuisine. Enfin, j’ai entendu des voix, mais les cris de papa m’ont distrait.


Moi : t’inquiètes, j’attends son retour pour le faire parce que là, rien n’est sûr qu’elle revienne.


Ussama : elle va revenir, elle est simplement sur les nerfs. Elle n’est tout de même pas assez folle pour affronter papa parce que même Khalil sur qui elle veut prendre exemple n’a pas réussi à le faire jusque là. Il lui fait des coups bats certes, mais la décision revient toujours à papa.


Moi sceptique : tu crois ? Elle a l’air vraiment déter.


Ussama : on verra bien, je suis prêt à mettre ma main à couper qu’elle n’aura pas ce cran.


Moi sans conviction : ok, si tu le dis.


Je dis ça parce que quand Yumna Cheikha Ben Zayid prend une décision c'est soit elle l'exécute ou elle l'exécute. 


Nous restons un moment sans parler, c'est Ussama qui rompt le silence.


Ussama : tu sais où ils en sont avec la procédure d’arrestation ?


Moi : oui, l’ordonnance restrictive sort la semaine prochaine et la police dit avoir localisé cette crapule à Los Angeles.


Ussama : donc il sera mis aux arrêts sous peu.


Moi : c’est sûr, l’ami de mon père s’en occupe.


Ussama : ok, tu me tiens au courant de tout ça instantanément. Je vais te filer le numéro sur lequel tu peux me joindre partout et à n’importe quel moment. 


Moi : d’accord, le mien aussi.


Ussama taquin : tu as un numéro privé toi ? C’est pour appeler qui ? Est-ce que ma sœur le sait ?


Moi : rire... Je ne l’utilise qu’avec ma mère et mon grand frère. C'est en fait pour éviter mon père  et mes petits frères par moment. (expliquant) Mon cadet est un vrai casse couille, dernièrement il s’est mis à entraîner nos petites sœurs là-dedans du coup, je suis parfois obligé de me mettre hors circuit. Pour le cas de mon père, beh, il est comme le vôtre.


Ussama : j’ai appris ça, j’y pense elle n’a pas totalement tort ma sœur quand elle dit qu’il y a des similitudes entre toi et moi.


Moi hochant la tête : sur plusieurs plans oui.


Ussama (pendant qu'on s'échange nos numéros) : et vous vous êtes combien de frères et sœurs ?


Je pars dans un speech sur ma famille et le temps file sans qu’on ne s’en rende compte, c’est l’arrivée de l’AirTrain qui nous rappelle que Yumna n’est toujours pas de retour.


Ussama (errant son regard nerveusement) : elle n’est pas retournée à la maison hein ?


Moi : elle s’est sûrement perdue en chemin.


Ussama : Yumna se perdre dans une station métro ? Nan, ce n’est pas  son genre.


Moi : je vais faire un tour pour voir.


Yumna (débarquant en ce moment) : les gars vous faites quoi ? Le métro est déjà là.


Ussama avec humeur : mais tu étais où ?


Yumna : pas besoin de crier, j’étais juste là.


Elle pointe du doigt le siège à l’autre bout de la station.


Yumna sourire énigmatique : vous n’allez pas croire si je vous raconte.


Ussama : dis toujours !


Yumna : j’ai retrouvé mon sauveur, c’est avec lui que je discutais tout ce temps.


On parle tous les deux à la fois.


Moi : ah bon ? 


Ussama : il est où ? Pourquoi tu n'es pas venue avec lui pour que je puisse le remercier ?


Yumna : tu le feras un autre jour, il vient de partir pour Los Angeles.


Moi : ah oui ? C’est là que l’autre idiot s’est réfugié.


Signalement de départ.


Yumna se pressant : tu m’en diras plus après.


Moi : d’accord.


Ussama : aller faut qu’on y aille maintenant si nous ne voulons pas rater le métro et l’avion par ricochet.


Je les aide à s’installer et redescends suivi de Yumna.


Yumna me fixant : tu me promets de prendre soin de toi ?


Moi : promis, tu prends soin de toi également.


Elle hoche la tête en se mordant les lèvres.


Moi : promets-moi aussi que tu ne feras pas de bêtises et que je te reverrai dans cette station dans un mois et demi.


Yumna hochant nonchalamment la tête : je ferai gaffe t’inquiète (se jetant dans mes bras) tu vas me manquer.


Moi lui frottant le dos : tu vas me manquer toi aussi.


Elle met fin à notre étreinte dans l’intention de s’en aller, je la retiens par le bras et penche ma tête avant de la fixer dans le blanc des yeux.


Moi : je t’aime.


Yumna souriant : je t’aime aussi mon best pour la vie.


On s'enlace une dernière fois pour se dire au revoir avant qu'elle disparaisse dans le métro. Inutile de vous dire à quel point mon cœur saigne en ce moment, vous savez ce que c’est. Bref, j’attends qu’il démarre pour prendre place dans la voiture et démarrer à mon tour jusqu’à la maison. Là, je prépare un petit sac de voyage et me rends directement chez mon pote Ian. Je n’ai pas vraiment envie de rester seul chez moi à penser à Yumna, elle va terriblement me manquer cette petite chipie.


 Je gare devant la concession dix minutes plus tard, au même moment Ian sort de chez lui  en bas de jogging, le torse en l’air. 


 Moi le taquinant : man, tu as décidé de faire fuir les petites du quartier ?


Ian comprenant : c’est sexy les poils.


Moi moue de dégoût : beuurkkk !


Il sourit puis lorsqu'il arrive à mon niveau, on se tchèque à notre style après quoi je vais chercher mon sac pour le suivre à l'intérieur de la maison. 


Ian : alors ?


Moi (pendant qu’on traverse la porte d’entrée) : rien mec.


Ian secouant la tête : poto tu fais honte à nous les togolais.


Moi le fixant amusé : tu es togolais maintenant toi ?


Ian : ma daronne est togolaise, je te signale.


Moi : lol ça fait bizarre en fait, un togolais blanc comme le linge.


Ian farouche : chuii bronzé et j’ai passé la moitié de mon enfance à Lomé.


Moi narquois : n’est pas togolais qui veux mon cher, tu t’en remettras.


Il me donne une tape que je lui retourne, ensuite, on se met à se boxer. Dans sa chambre, je déplie son lit canapé sur lequel je me jette pendant qu’il prend place sur l’unique fauteuil de la chambre.


Ian : qu’est-ce qui s’est passé ? Je pensais que tu étais décidé à block ?


Moi : yeah et j’y étais presque.


Je lui raconte toute la scène jusqu’à toute à l’heure.


Ian (à la fin de mon récit) : vraiment, tu as raté le bateau de la chance toi.


Moi soupirant : à qui le dis-tu ?


Ian : et elle te prend toujours pour son ami (secouant la tête l'air dépassé) cette fille est aveugle ou elle fait exprès ?


Moi évasif : laisse ça comme ça, parlons d’autres choses plus gai s'il te plaît.


Ian se levant brusquement : yep, j’ai ton test.


J’arque le sourcil.


Ian : tu sais, le test d’ADN !


Moi surpris : tu l’as fait ? Je plaisantais moi.


Il fouille dans l’un de ses tiroirs et me jette une enveloppe blanche scellée en face.


Ian : bof tu peux toujours t’en servir. C’était mon premier test au laboratoire, je l’avais oublié quelque part au bureau, c’est un collègue interne qui me l’a apporté hier.


Je le prends et le fourre dans mon sac.


Moi : laisse les choses de mes frères, je suis un Elli point barre.


Ian sourire narquois : type vérifie pardon, tu donnes matière à douter.


Moi : tu es vraiment con toi !


C’est parti pour une autre manche de boxe.



Nahia…


Nous sommes à trois semaines plus tard de la fête des jumelles et j’avoue que ce sont les semaines les plus éprouvantes pour moi. Avec Khalil, rien n’a changé, l’atmosphère est toujours aussi tendue encore que l’arrivée de l’hôtesse creuse plus de fossé entre nous. Ils passent beaucoup de temps ensemble, elle vient le chercher certains soirs à la sortie pour le ramener à pas d’heure. Nous avons toutefois gardé le même rythme de travail, il est même à un de mes rendez-vous en ce moment.  Mais toujours est-il qu’il s’adresse à moi de façon laconique. De mon côté, j’ai décidé de ne plus faire des efforts pour corriger le tir parce que je juge avoir fait assez d’efforts comme ça. De toute façon, notre collaboration tire vers la fin. Notre dossier se tasse comme il faut, il reste juste quelques détails à peaufiner et nos vies reprendront leur cours.


Cela me préoccupe moins que la pression que je subis de mes proches en ce moment. En dehors de mes parents, ils se sont tous donnés le mot pour me stresser avec cette histoire de me mettre avec Khalil. Ce qui fait que je les évite actuellement, j’ai même filtré mes appels parce que j’en ai vraiment ma claque. Ma chance qu’Amou et sa famille ont regagné leurs domiciles. 


Les seules choses qui me font tenir c'est mon boulot et la rédaction de mon projet. J’ai passé en revue toutes mes instances et je me suis également consacrée à ma formation sur la gestion des ressources humaines avec l’expert en RH que Khalil m’avait pris. Cette semaine nous en sommes à la phase pratique. J'ai donc attendu ce mercredi pour m’appliquer avec la miss du service design parce qu’elle devient franchement un handicap pour la boîte. La preuve que ça fait trente minutes que j’ai envoyé Annie la chercher, mais la fille n’a toujours pas trouvé le temps de se présenter. 


C’est dix minutes plus tard, alors que je relisais son contrat qu’elle pousse la porte et vient prendre place avec son air le plus hostile.


Nina : vous avez demandé à me voir.


Je lève les yeux et la regarde.


Moi : bonjour,


Nina : ah, j’avais oublié qu’on ne s’était pas salué aujourd’hui. Sinon bonjour.


Moi (sans faire cas de sa réplique) : oui je t'ai convoqué par rapport à la lettre recommandée que je t'ai fait parvenir il y a trois mois auparavant. Je suppose que tu l'avais reçue.


Nina : oui


Moi : pourtant, je n’ai pas eu de suite.


Nina : je n’ai pas accusé réception de cette lettre parce que j’ai jugé les motifs non-lieu.


Je lui tend la copie que j'ai en ma possession qu'elle prend et dépose devant elle.


Moi : ok si je m’en tiens à cette copie de la lettre en question, tu étais sanctionnée pour cumul de congés inopinés, des dysfonctionnements et des comportements pas du tout professionnels comme ton insolence avéré envers tes supérieurs directs. Ce qu'on t'a plusieurs fois signalés. Cependant, malgré ces avertissements, aucune amélioration n’a été constatée.


Nina : tout ça, ce sont des allégations qu’ils portent à ma personne pour m’évincer de l’agence. La preuve, c’est qu’ils avancent tous des arguments fallacieux sans preuves concrets.


Moi haussant le sourcil : ah bon ?


Nina avec conviction : bien sûr ! 


Moi : je veux bien te croire, seulement que les mêmes constats ont été faits après l’entretien que vous avait fait passer monsieur Ben zayid entre temps et…


Nina (m’interrompant d’un ton condescendant) : où voulez-vous en venir au juste ?


J’ouvre les yeux et la regarde sonnée, je finis par m’éclaircir la voix avant de reprendre.


Moi : sache que la direction ne peut se lever sur un coup de tête pour t’envoyer une lettre de préavis, j’ai moi-même été témoin de quelques-unes de tes altercations et c’est la raison pour laquelle je me vois obligée de me séparer de toi à partir de cet instant.


Nina : ça veut dire quoi vous vous séparez de moi ?


Moi la fixant : en d’autres termes, tu es licenciée, tu ne fais plus désormais partie de mes salariés. Je t’enverrai tes indemnités ainsi que ton salaire de ce mois dans le plus bref délai.


Nina avec humeur : non mais tu te prends pour qui ? Tu vas me licencier au nom de quoi ?


Moi posément : j’en ai fini avec toi, tu peux sortir de mon bureau. Je te donne la journée pour vider tes affaires du sien.


Nina élevant la voix : ça ne se passera pas comme ça, je vais prendre un avocat. Je vais te traduire en justice.


Moi toujours posément : fais donc, mais pour l’instant libère-moi le plancher.


Elle bondit de sa chaise et pointe son index sur mon front.


Nina : tu te crois déjà arrivée parce que (jetant un regard circulaire dans la salle) tu as cette minable agence qui te permet de baiser avec un Arabe n’est-ce pas ? 


Je le regarde les sourcils froncés.


Nina d'un ton rageur : tu penses qu’on ne sait pas tous que tu baises avec ton collaborateur ? On a déjà vu comment il t’a porté ici, tu crois qu’on ne voit pas les petits jeux que tu lui fais ? Tu me renvoies parce que tu sais que je suis une menace pour toi, parce qu’il n’en a rien à foutre d’une noiraude panade comme toi. (hurlant) C’est comme ça que tu demeureras toute ta vie, moche, aigrie et seule. Une mal baisée comme ça, on t’a vu ici, tu vociférais ta frustration sur tout le monde et parce que maintenant un Arabe te torche le cul, tu te prends déjà pour la reine du monde. Kpo nouya nam’da (regardez-moi une chose comme ça) toi licencier qui ? Chuannn !!! (interjection).


Je me lève et décale d'un pied avant de me pencher sur sa face pour lui coller deux gifles sonores. Elle se tient la joue et me toise à plusieurs reprises avant de se lever pour se diriger vers la porte avec tout un boucan.


Nina tenant la porte : tu entendras parler de moi très bientôt, gamine frustrée et aigrie que tu sois !


Moi : weh, c'est ça, bon débarras.


Elle s’en va en claquant la porte, au même moment Khalil entre.


Khalil : mais qu’est-ce qui se passe ici ? C'est quoi ces cris ?


Moi haussant l’épaule : un licenciement mal digéré.


Khalil simplement : ah ok.


Il vient prendre place sans plus et attend un moment avant de me faire le point de son rendez vous. On passe ensuite à autre chose jusqu’à l’heure du déjeuner où je décide de prendre ma pause. C’est pendant que je remets de l’ordre dans mes documents que mon téléphone sonne, c’est Tina. Je laisse sonner un peu puis finis par décrocher sous le regard inquisiteur de Khalil.


Moi la voix inaudible : allô.


Tina : allô chourie comment tu vas ?


Moi : ça va et vous ?


Tina : nous nous portons bien, même si notre tata préférée nous évite en ce moment.


Moi : je ne vous évite pas, je suis débordée en fait.


Tina : ah oui l’excuse du travail.


Moi : mais c’est vrai.


Tina : en tout cas, je te crois. Ça te dis qu’on déjeune ensemble ? J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer.


Moi (lorgnant Khalil) : tu as vu ta pub sur les chaînes câblées, c’est ça ?


Tina : non (pause) euh, tu as prévu d'envoyer ma pub sur les chaînes internationales ?


Moi : non, enfin oui. Khalil t’a arrangé le coup.


Il me jette un coup d’œil.


Tina criant euphorique : oh mon Dieu ! Cet homme, c’est un ange en personne. Il est à côté ? Passe-le-moi s’il te plaît.


Je passe le téléphone à Khalil qui  échange avec elle puis me le redonne.


Tina d’entrée de jeu : lui, on le garde dans la famille.


Moi agacée : tu peux le donner à Magnime si tu veux.


Tina : la chance te revient parce que Magnime vient d’être prise.


Moi perdue : développe.


Tina : c’est ça la nouvelle que je voulais t’annoncer, Roméo et elle se sont fiancés dans la soirée d’hier.


Moi surprise : pardon ? Le même Roméo ? Le petit métis ?


Tina riant : krkrkr ça nous a fait le même effet. Tu te rappelles qu’ils se sont promis abstinence jusqu’au mariage nan ?


Moi : oui.


Tina avec un rire de gorge : le petit veut préserver sa chose avant que quelqu’un d’autre ne vienne goûter à sa place. 


Moi : il est malin lol, toutes mes félicitations. Enfin, je vais appeler Magnime plus tard pour la féliciter.


Tina : mama écrit lui sur whatsapp pour voir un peu la bague, ce n’est pas on a dit, j’ai vu. Une grosse pierre brillante milles feux, le genre qui te donne envie de…


Moi la coupant : j’ai compris, j’y vais de ce pas.


Tina : et le déjeuner ça tient ?


Moi pas chaude : on remet ça promis.


Tina soupirant : ook.


Moi : j’ai promis Mme Elli.


Tina : how sweet !!


Moi : lol.


Elle raccroche me laissant pensive, c’est le genre de nouvelles qui te donnent encore plus l’impression d’avoir raté ta vie. Bon, ce n’est pas pour autant que je vais m’alarmer, chacun sa chance et son destin et je suis heureuse pour elle.


Je renverse ma tête sur l’accoudoir du fauteuil en gambergeant sur tout ça, c’est la voix de Khalil qui me sort de ma rêverie.


Khalil (me fixant) : qu’est-ce qui se passe avec ta sœur ? Pourquoi l’évites-tu ?


Moi : je…


Je me redresse lorsque je remarque ma voix tremblante et m’éclaircis la voix avant de reprendre.


Moi : je ne l’évite pas.


Khalil : ok, elle me charge de te dire de passer récupérer Nabil chez eux ce soir parce qu'elle ne pourra pas faire le tour pour le déposer chez tes parents.


Moi : ok merci pour l’information.


C’est tout ce que je dis, ensuite je me plonge à nouveau dans mes dossiers jusqu’à l’heure de sortie où on se sépare sur le parking de l’agence. Je roule en direction de la maison des Ducard, fin, c’est la même que lorsqu’ils sont rentrés aux pays il y a deux ans. Ils l’ont juste rénovée en style baijot afin d’avoir plus d’espaces. Ils ont finalement eu raison de le faire, vu le nombre qui vient s’ajouter à l’équation ça n'allait pas être évident pour eux de composer avec trois pièces principales.


Je me gare plus tard sur le bas-côté de la rue en face de la maison et descends du véhicule d’un pas hésitant. Je sais bien que c’est pour m’obliger à venir chez elle qu’elle a usée de ce stratagème. Je me dirige vers l’entrée en concoctant un plan dans mon for intérieur pour me tirer très tôt d’affaire. Par la suite, je passe la grille que l’agent de sécurité a ouverte à mon passage et on se salue brièvement. Je fonce à l’intérieur et me rends directement au salon en suivant des bribes de conversation. En arrivant dans le vestibule, je recule et me planque derrière la porte pour écouter  enfants polémiquer sur ma vie.


Nabil à Laïla : tu penses qu’elle viendra avec lui ?


Naïla qui répond : moi, j’espère qu’ils seront ensemble, ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vu.


Laïla : ils sont fâchés tous les deux.


Nabil : mouais, c’est maman. Elle l’a grondé parce que je suis tombé en faisant du roller.


Laïla : rhoo tata elle gronde tout le monde, on ne gronde pas les grandes personnes.


Naïla : vous aviez remarqué qu’ils avaient commencé à se tutoyer ? 


Nabil : non, je n’ai pas remarqué, je suis sourd et aveugle.


Laïla riant : krkrkr moi, j’ai remarqué et je me disais qu’ils allaient se mettre ensemble et se marier. (se tournant vers les autres) Vous avez vu la façon dont tonton Lil la regarde ?


Nabil hochant la tête : yep ça je l’ai remarqué. J’ai dit ça à maman, mais elle trouve que c’est parce que je regarde les feuilletons avec mamie alors que c’est vrai.


Moi entrant : qu’est-ce qui est vrai ?


Ils sursautent et se lancent des regards attendus.


Laïla : tata ? Tu es là depuis ?


Moi : assez pour entendre votre conversation, je pensais vous avoir interdit de vous mêler des choses qui ne vous regardent pas ?


Nabil : euh, on regardait juste la télé.


Moi le fusillant du regard : tu ferais mieux de ne pas mentir, ça fait cinq minutes que je suis là.


Il baisse la tête penaud.


Moi les réprimandant : je ne veux plus que ça se répète, la prochaine fois que je vous surprendrai en train de vous mêler des histoires de grandes personnes vous aurez la punition de votre vie.


Les filles : d’accord, désolée tata.


Nabil : d’accord.


Moi aux filles : votre mère est où ?


Amou sortant de nulle part : je suis là (aux enfants) qu’est-ce que vous manigancez encore tous les trois ?


Laïla la petite voix : rien maman.


Moi : je les ai surpris en train de parler de mes choses.


Amou : lesquelles ? (au tac) Suis-moi à la cuisine, je dois préparer le dîner.


Moi : euh, je dois rentrer, j’ai des choses à faire à la maison.


Amou : comme quoi ? Tu les feras plus tard, viens par ici.


Moi : pfff.


Je la suis en traînant les pas jusqu’à la cuisine et prends place sur l'une chaise.


Amou : qu'est-ce qu'ils ont encore fait ?


Moi : rien de spécial juste que tu ne devrais plus les laisser suivre des films de -18 ans avec vous.


Amou : dis toujours.


Je soupire et lui raconte la conversation que j’ai surpris toute à l’heure. Elle m’écoute en sortant les ingrédients pour sa sauce avant de se mettre au fourneau.


Amou : ils ont raison sur un point c’est qu’il y a un problème entre Khalil et toi que vous nous cachez.


Moi parlant vite : il n’y a rien.


Elle me regarde fixement un moment avant de claquer la langue.


Amou : en tout cas, si vous avez un différend, vous ferez mieux de le résoudre avant le dîner de départ en l’honneur de mamie. Il est mon invité d'honneur donc je ne veux pas de tensions autour de ma table.


Moi fronçant les sourcils : tu l’as invité ?


Amou (décortiquant les grandes morelles) : mouais.


Moi avec humeur : mais pourquoi ?  Pourquoi tu fais ça ? 


Amou (me fixant le sourcil arqué) : pourquoi je fais quoi ?


Moi : ce que tu fais, je vois tes petits jeux. Arrête de vouloir jouer à l’entremetteuse avec nous.


Amou (grimaçant un sourire espiègle) : beh je te donne un coup de pouce puisque tu ne veux pas te bouger les fesses.


Moi me fâchant : est-ce que je t’ai demandé de le faire ?


Amou : Nahia…


Moi vénère : arrêtez ça, vous me stressez à la fin. Arrêtez de faire comme si c’était le dernier homme sur terre et que ma vie est foutue sans lui. Non mais c’est quoi votre problème à la fin ? Est-ce une obligation de me mettre avec quelqu’un ? 


Amou (l'air interloqué) : mais ? ( soupir) C'est pour ton bien qu'on le fait. Nous ne voulons pas que tu laisses cet homme te filer du doigt, il est ce dont rêve toutes les femmes. Tu sais toi même que son genre ne court pas les rues tous les jours. Déjà, il t’apprécie et non seulement, il aime ton fils, dis moi sincèrement tu as déjà vu ça où ? (me faisant face) Petite sœur, tu as bientôt 29 ans, le temps passe, que ton physique ne te trompe surtout pas. Ce sera peut-être ta dernière chance de te trouver un homme bien, enfin un homme qui puisse accepter ta condition de mère célibataire.


J'ouvre les yeux et la bouche et la regarde choquée.


Moi : tout le monde sauf toi Amou, tout le monde peut me dire ça, sauf toi ma sœur.


Je me lève et me fonce vers la sortie en bousculant mamie Catherine dans la foulée.


Amou hurlant après moi : mais attend ou vas-tu ?


Mamie me suivant : qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi criez-vous ? Amou qu’est-ce que tu as fait à ta sœur ?


Moi traversant le salon : Nabil on rentre.


Il se lève et me suit sans se le faire répéter deux fois. On arrive chez les parents et dès qu’il descend du véhicule, je fonce chez moi les yeux embués de larmes. J’attends de refermer la porte et de mettre le lecteur en marche avant de me laisser plonger dans les affres de la mélancolie.





Le tournant décisif