Nouveau public

Ecrit par Kossilate

CHAPITRE SEIZE : Un nouveau public


Les rayons du soleil couchant filtrent à travers les fins rideaux de la porte-fenêtre et éclairent ainsi mon chambre d'une faible lueur orangée. J’ai toujours adoré ce genre d'atmosphère tamisée, plus que toutes les autres. Je trouve qu'elle porte à la réflexion ou du moins à la méditation, un exercice auquel je me suis attelée dès l'instant où je me suis retirée dans ma petite chambre. Initialement, je voulais dormir mais on peut dire que les questions de la petite Shadé ont eu pour effet de me réveiller. Faisant fi de la douceur du matelas, de la brise légère qui me vient du rivage, et de l’harmonieuse berceuse du reflux des vagues, je me suis replongée dans mes pensées afin de remémorer les souvenirs liés à la question de Shadé. Je dois m'avouer que j'ai tiré un trait sur cette période de ma vie dès que je l'ai pu. À tel point que je me demande même si mon cerveau en à garder des archives, à tel point que je me demande si j'ai bien fait de me décider à faire cette biographie. Pourtant c'est bien elle qui m’a poussé à franchir le pas de cet interview, pour que de jeunes personnes dans cette situation que j'ai vécu sachent qu'on a toujours le moyen de se battre pour ceux qu'on aime, pour nous même. Nous sommes les seuls maîtres de nos destins.


- Toc, toc, toc.


Je me demande bien qui cela peut être. Je ne m'attendais pas à une visite, et à ce que je sache Shadé s'est retirée dans sa chambre et ne peut venir ici si je ne l'y invite pas. Lentement, je me lève de mon fauteuil et me dirige dans le petit salon entre ma chambre et la porte d'entrée. Chaque fois que je traverse ce salon je ne peux m'empêcher de noter le goût et la subtilité dans la décoration. Je pense d'ailleurs que c'est la première chose qui m'a plus dans ce bungalow en particulier. Pris individuellement, les objets de la décoration semblent banals et sans réel intérêt. Ils peuvent aller du coquillage peint à de petite pierre d'eau ou encore de faux vase en osier. Pourtant, mis ensemble et agencer comme ils le sont, ils forment un merveilleux ensemble où la moindre petite poussière compte. J'exagère sûrement mais c'est le message que ce bungalow ne fait passer : chaque détail compte. Et il en va de même dans la vie.


- Qui est ce ?? Demandai-je une fois devant la porte.


- Room service, répondit une voix rauque.



- Je n'ai pas fait appel à vous, dis je sans ouvrir la porte et en me retenant de rire.


- Nous avons pourtant reçu une commande de moule pour la chambre de Madame AMARACHI-M’BENG.



- Ah oui ! Effectivement j'ai fait une commande pareille mais de n'était pas pour moi mais pour la jeune femme que je vous ai demandé d'installer.


- ……



- Vous savez…la jeune femme svelte avec de belles courbes, des cheveux mi-frisés mi-bouclés qui vont dans tous les sens, ajoutai-je en retenant de plus en plus mal mon rire.


- ……

- Ne me dites pas que vous ne l'avez pas remarqué avec ses beaux de biches et sa bouche…..


- Bon Nani, j'ai compris tu m'as démasqué. Ouvre moi la porte qu'on parle un peu plus de cette jeune fille si…..extraordinaire, répondis mon visiteur.



Ne pouvant plus me retenir, j’éclate de rire en ouvrant la porte. Je suis vite rejoins par le jeune homme que je prenais un malin plaisir à faire poireauter. Ça lui apprendra à venir déranger la retraite de sa grand-mère sans être invité et même sans prévenir. 


- Si tu passes ton temps à rire ainsi, c'est normal que à soixante dix ans tu en paraisses quarante, lança Adjilé en plaquant deux grosses bises bruyantes sur mes joues. 


- Venant de la part d'un jeune homme aussi courtisé, je prends cela pour un compliment, répondis je en regardant mon petit fils s'installer dans le canapé du salon.



Adjilé est le fils aîné de Yelen. Il est âgé de vingt-sept ans et célibataire, ce qui à la fois me laisse perplexe sans pour autant m'étonner. Mon petit prince était de ces hommes élancés que la nature et la salle de gym avaient pourvus d'un corps à en faire baver Apollon. Son regard brun volontaire, sa bouche voluptueuse mis en valeur par sa barbe, son style recherché mais fin et son air de perpétuelle joie en avait fait craquer plus d'une. Mais puisqu'il faut qu’une fille pour détruire un homme, mon petit fils a très vite basculé du côté obscur de la force…..ou du moins de la séduction. Depuis, il enchaîne les conquêtes sans lendemain mais je ne désespère pas encore et je compte bien l'amener à se ranger et voir mes arrières petits enfants avant que ma bonne vieille amie la mort ne vienne me chercher.


- Ce n'est pas un compliment Nani c'est une réalité, lança Adjilé en me faisant son regard de chat.


- Hey pardon ! Ton regard là garde ça pour tes copines de dehors, je suis bien trop vieille pour y succomber.



- Donc tu penses que mes « copines de dehors » peuvent succomber à ce regard ? Questionna Adjilé lorsqu'il finit de hurlée de rire.


- Est-ce que je sais même ??? Va demander ça à la centaine de fille que j'ai vu défiler dans ma maison. 



- Et je ne parle même pas de toutes celles que tu n'as pas vues ou qui ne sont pas venues dans ta maison.


- Vade retro satana, dis-je en lançant un regard outré à mon petit-fils.



- Toujours dans l'abus Nani.


- Tu gaspilles les enfants des autres cadeau.



- Moi-même, j'étais « enfant des autres » à une période. 


- …….



- Et puis c'est un partenariat gagnant-gagnant…….qu'est-ce que tu as dans le frigo Nani, lança Adjilé en allant fouiller dans le mini frigo de ma chambre, me laissant seule dans le canapé.


Je sais que c'est pour changer de sujet qu'il fait cela et même si ce n'est pas subtil je préfère respecter sa demande…..pour le moment. Les dernières phrases qu'il a dites, étaient des phrases simples, formulées avec un énorme sourire sur les lèvres et une humeur décontractée. Assez pour berner quiconque….sauf une vieille femme de soixante dix ans qui plus est, est votre grand-mère. Je connais ce garçon comme si je l'avais fait, ce qui n'est pas totalement faux d’ailleurs, et j'ai ressenti la douleur dans sa phrase. Je sais à quel point son histoire avec une certaine jeune fille l’a amoché et même si cela ne justifie son comportement de Casanova, cela l'explique au moins. Pourtant, il allait mieux ces derniers temps et parlait de cette expérience avec plus de détachements. Je me demande d'où lui est revenue cette douleur.


- Nani, dit Adjilé en revenant s'asseoir près de moi au salon.


- Hmmmm



- J'ai ouvert ton frigo et tu sais ce que j'y ai trouvé ???


- Quoi ??


- De l'eau……tu as de l'eau dans ton frigo. Pas de sucrerie, ni de bière, rien sauf de l'eau…tu t'en rends compte ? 



- Adjilé…..


- Hmmm



- J'ai regardé dans ton crâne et tu sais ce que je n'y ai pas trouvé ???


- Quoi ?? Demanda l'intéressé en se mettant à sourire.



- Tu as de l'alcool  et même des filles dans ton crâne mais tu n'as pas de cerveau….tu t'en rends compte ?? Demandai-je en prenant un faux air scandalisé.


- Ahahaha t'es trop drôle Nani….je suis bien content d'être venu.



- En parlant de ça, depuis quand on débarque déranger la retraite des gens sans les prévenir ??


- Aie….aie…aie Nani tu me fais mal, cria Adjilé dont je faisais rouler l’oreille entre mes doigts. 



- Tu n'as pas encore eu mal, dis je en attrapant la seconde oreille.


- Non.aie….aie…aie Nani, s'il te plait, supplia Adjilé qui était tombé à genoux devant moi.



Je jouais à fond mon rôle de grand-mère fâchée mais à l'intérieur je me tordais de rire. J'ai toujours aimé pincé les oreilles de mes petits enfants. C'était ma punition discrète préférée. Lorsque l'un d'eux ne se tenait pas bien publique, une petite pince sur les membres ou sur l'oreille, appuyée d'un regard meurtrier du genre « à la maison tu es mort », suffisait à remettre tout dans l'ordre et à les faire redevenir les petits anges de perfection que tout le monde croit qu'ils sont. 


Malheureusement ceci, remonte à une époque bien lointaine, à une époque où je n'avais pas besoin d'un tabouret pour être à la même hauteur que mes petits fils. Maintenant, c'est plus un jeu pour nous, sinon comment expliquer vous que du haut de mes un mètres soixante-cinq je puisse attraper les oreilles de lapin de Adjilé qui trente centimètres de plus que moi. D'ailleurs, je me suis toujours demandé si Yelen ne mettait pas de la provende dans la nourriture des enfants.


- Je me rends Nani. Je t'explique tout mais pour l'amour du ciel laisse mes oreilles.


- Tu as dix secondes pour commencer ton explication, dis je en lâchant ses oreilles.



- Hein !! Dix secondes……


- Neuf….



- Non. Je te jure que c'est à toi ta fille ressemble avec vos ultimatum bizarres la, réponds Adjilé en se massant les oreilles.


- Sept secondes.

- J'ai compris….


- Six secondes.



- Nani, c'est seulement dans ton village que les secondes passent aussi vite


- Trois secondes.



- Ah pardon !! Je pars déjà, s'écria monsieur an allant se mettre à une bonne distance de moi et de mes mains.


- ......



- Je devais régler une affaire pour papa à Lomé au Togo et sur le chemin du retour, maman m’a appris que tu étais à Grand Popo. J'ai donc décidé de venir te voir et de passer quelques jours avec toi……


- Quelques jours ?? Demandai je en levant un sourcil.



- Ok. Je voulais passer le reste de ton séjour avec toi ????


- Pourquoi ???


- Comment ça pourquoi ?? Dis Adjilé en revenant s'asseoir près de moi.



- Je connais chacun de vous et je sais que toi et tes frères ne venez me chercher aussi loin que quand vous avez des petits problèmes qui sont quand même assez énormes pour ne pas être dit au téléphone.


- Nooooonnnnn Nani. Je suis outré que tu penses cela de nous.


-

- La comédie ne te sied pas petit prince, dis-je en affichant un air réprobateur.


Je suis très proche de mes petits enfants. Plus proche encore que leur mère et par conséquent lorsqu'il s'agit de choses très importantes de leur vie qu'ils ne savent pas comment expliquer à leur parents, ils viennent me voir et se confier à moi. Et même s’ils adorent ma compagnie, ils ne viendraient jamais jusqu'à Grand Popo pour juste passer le temps comme l'insinue mon petit fils, à moins que quelque chose ne les y pousse.


- j'attends toujours hein !! 


- Ok ! Capitula Adjilé en baissant la tête.



- ….


- Ce n'est pas uniquement pour te voir que je suis là….



« Comme c'est étonnant » pensai-je ironiquement sans pour autant le dire à haute voix. J'ai appris à mes dépends que les hommes en général et mes petits fils en particulier, font parfois montre d'une susceptibilité à tout égard quand ils décident de se confier.

- Je suis venue faire comme toi…..


- C’est-à-dire ???



- Hey bien ! Je suis venu réfléchir, me ressourcer et voler un peu de ta sagesse, répondit il en me faisant un sourire timide.


- ……



- Certaines choses ont changé dernièrement  et j'ai besoin de redéfinir mes priorités et de remettre de l'autre dans mes affaires. Je me suis donc dit pourquoi ne pas le faire loin de toute l'agitation de la ville et près de ma deuxième maman.


Je brûlais d'envie de lui demander ce qui avait changé car mon instinct s'est activé à cette phrase et me soufflai que cela avait un rapport avec la douleur que j'avais ressentie dans sa voix toute à l'heure. Toutefois, je savais que je ne devais pas céder à ma curiosité maintenant. La bouille lasse et confuse de Adjilé me suppliait de ne pas lui poser d'autres questions……pas pour l'instant.


- Et tu ne pouvais pas juste me le dire pour que je prépare une chambre pour toi ?.


- Désolée Nani.



- Bon ce n'est pas grave mon chéri. Tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux…….et me parler quand tu te sentiras prêt…..mais ne tarde pas trop non plus je me fais vieille, dis je en lui lançant un clin d'œil.

- Ah bon ?? Je n'avais pas remarqué. Tu parais si jeune, belle…..et vigoureuse.


- Vigoureuse……quand un garçon veut quelque chose….



- Si tu es vigoureuse Nani, mes oreilles peuvent en témoigner, déclara Adjilé en faisant mine de souffrir, ce qui eut pour don de détendre l'atmosphère et de nous dérider.


- Ah !? J'oubliais. Je ne sais pas si ta mère t’a prévenu mais je suis ici aussi pour travailler. 



- Hein ??


- Je prépare une biographie et je me fais donc interviewer par une jeune fille qui va se charger de la rédaction.



- Tu étais sérieuse toute à l'heure en parlant d'une jeune fille ….


- Évidemment…..


- Oh !! J'espère ne pas te déranger, demanda Adjilé en affichant une petite mine.



- Non pas du tout. L'hôtel est assez vaste pour que tu ne traînes pas dans mes pattes mais si tu tiens à entendre de vieilles histoires de grand-mère, Shadé et moi nous ferions un plaisir de te recevoir à notre table.

- Dans ce cas…..ne dit on pas que les meilleures leçons viennent des histoires, demanda Adjilé en se levant du fauteuil.


- Effectivement. Bon je suis allé demander à ce qu'on modifie le diner, déclarais-je en faisant de même. 



- Ne te gêne pas pour moi. J'ai assez de provisions dans mes affaires….du moins pour ce soir. Je ne voudrais pas m'incruster, m'arrêta mon petits fils en me souriant.


- Ça ne me gêne pas petit prince, on est en Afrique ici. Quand il y a pour deux, il y en a pour trois…..



- Il y en a pour mille tu veux dire, façon ici une personne équivaut à un village la, répliqua t il en ouvrant la porte.


- Chose comme ça. Va chercher ta valise, change toi et arrête de dire des bêtises. Un costume de travail c'est trop strict pour un diner avec sa grand-mère.



- Ok chef, répondit l'intéressé avant de sortir en claquant la porte.

-

Je souris en pensant à la blague de Adjilé comme quoi une personne correspond à un village entier. Il est bien gonflé de dire cela sachant qu'il mange comme trois femmes enceintes, c’est-à-dire, énormément. Je me dirige vers le téléphone fixe dans ma chambre et appelle la réception. 


- Allo Madame AMA….Phoebe.

Le rattrapage du réceptionniste m’a fait sourire à nouveau. J'en avais marre qu'à cause de mon nom de famille hyper longue, une conversation d’une minute s'éternise sur une éternité. J'avais donc demander à tous les employés à qui j'avais affaire de m'appeler Madame Phoebe pour faire plus simple. Si certains ont vite pris le pli, d'autres comme le réceptionniste avait encore du mal à suivre. Mais dès qu'ils se retrouvent confronter à la longueur du nom et à la  difficulté de prononciation, ils optent tous pour le Madame Phœbe.


- Madame ?!


- Oui…excusez-moi. Je suis là. Pourriez vous me passez la chambre de mademoiselle BALOGUN s'il vous plaît ??



- Bien sûr Madame.


Le temps que la connexion s'établisse, je me laissai tomber sur mon lit. Les compliments d’Adjilé avaient tellement trouvé écho dans mon cœur que j'en avais oublié que j'étais une vieille femme de soixante dix avec quelques problèmes d'articulations. Problèmes que j'oubliai dès que mes fesses touchent le matelas. Je suis prête à parier qu'il est fait en plumes tant il est moelleux. À peine, y est-on assit qu'il se modèle à votre corps vous donnant l'impression d'être sur un nuage.


- Allo ? Phoebe.


- Allo Shadé, comment allez-vous ?



- Bien Madame et vous ?? Avez-vous pu vous reposer ? Demanda la petite voix fluette de  Shadé 

- On peut dire ça comme cela. Mais ce n'est pas pour cela je vous appelle, dis je en prenant mes aises sur le matelas.


- …..



- Comme il se fait tard, je ne pense pas qu'on puisse continuer l'histoire ce soir. Alors j'ai demandé à ce qu'on nous prépare un diner, on mangera sur la terrasse près de la piscine.


- Oh !! Merci Madame je ne sais pas quoi dire…..



- Contentez vous de réfléchir à la couverture du livre, répondis-je le rire dans la voix.


- Hahaha. C'est comme si c'était fait. 



- Parfait…ah j'oubliais. J'ai reçu la visite impromptue d'un de mes petits enfants. Cela ne vous dérange pas qu'il assiste à nos séances j'espère ??? 


- Pas du tout. Je pourrai peut être lui poser certaines questions…..si vous le permettez.



- Oh ! Comme je le connais il se fera un plaisir de répondre à toutes vos questions


« Et il fera même plus si affinité » finis je dans ma tête pour moi.


- Alors c'est parfait. À quelle heure à lieu le diner. 

- À 21heures.


- Soit dans deux heures….ok j'y serai.



- À toute à l'heure Shadé.


- À toute à l'heure.


Cher destin