Partie 24
Ecrit par Ornelia de SOUZA
Je pressai le pas en entendant les cris d'une femme non loin de la chambre de ma patronne. En me rapprochant, je m'aperçus qu'il s'agissait d'une jeune femme métisse qui frappait contre la porte. Elle semblait paniquée et je compris rapidement pourquoi.
-Pourquoi crie t-elle? demandai-je
-Je ne sais pas; me répondit la jeune femme totalement perdue. Elle est sûrement en danger. Mélaine, OUVRE CETTE PORTE!
-Madame ; appelai-je à mon tour mais je n'eus qu'un cri étouffé en guise de réponse.
-Il se passe quelque chose; dit la jeune dame. Elle est peut-être en danger.
Elle avança dans le couloir et fit mine de descendre les escaliers pour appeler la gouvernante.
-Dame Esther, donnez moi la clé de cette chambre je vous prie ! dit-elle
-Je ne l'ai pas avec moi Irina; répondit la gouvernante par la négative. Les doubles des clés se trouvent chez votre mère et elle vient à peine de sortir. Pourquoi?
-Mélaine est peut-être en danger; avança Irina dont je venais de découvrir le prénom et l'identité.
-Non, elle est avec Carin. Elle n'est pas en danger.
-QUOI? cria Irina en se dirigeant à nouveau vers la porte. Carin, ouvre cette porte je t'en supplie.
Mais rien n'y fit. Les cris de Mélaine étaient de plus en plus forts. Il se passait quelque chose et je ne supporterais pas d'entendre les hurlements de cette femme quelques minutes de plus.
-Je vais défoncer la porte; dis-je déterminé
-Que se passe t-il? Pourquoi vous faites tout ce vacarme? lança Ashley qui venait d'apparaître dans le couloir.
Je connaissais cette femme là et je ne la sentais pas. À notre première rencontre, elle avait semblé assez ravie que Mélaine, ma patronne soit mise sous surveillance alors que sa mère n'était pas à l'aise avec cette idée. Je n'étais pas idiot. Le terme chauffeur n'était qu'une couverture. Je l'avais compris et elle aussi. Ce sourire qu'elle avait affiché ce jour-là témoignait de l'antipathie qu'elle ressentait envers Mélaine.
-Carin et son épouse sont à l'intérieur et le chauffeur veut défoncer la porte; lui récapitula rapidement la gouvernante.
-Laissez ce couple tranquille! ordonna t-elle
-Ash; s'indigna Irina. Tu n'entends pas ses cris?
-Je les entends mais on peut aussi crier dans d'autres circonstances alors je vous interdit formellement de défoncer cette porte. Je suis ton aînée alors respecte moi.
-Non; répondit Irina. Défoncez cette porte s'il vous plaît.
Heureusement qu'elle s'était opposé à l'autre harpie car le seul ordre que je pouvais respecter était celui qu'elle venait de me donner. Je ne pouvais pas juste tourner les talons et ignorer les cris de Mélaine. Je pris de l'élan pendant qu'Ashley nous dépassait énervée par le fait qu'on n'exécute pas son ordre. Au moment où je m'élançai sur la porte, la serrure tourna et elle s'ouvrit sur mon patron qui affichait une mine surprise de circonstance. Je jetai mon regard au dessus de son épaule et ce que je vis me terrifia. Mélaine était par terre, recroquevillée sur elle-même en sang dans sa robe en lambeaux. Je n'étais pas le seul à l'avoir remarqué. Irina entra dans la pièce malgré le fait que son frère tentait de faire barrage. J'avançai à mon tour mais le patron me retint par le col et me repoussa contre le mur du couloir.
-Ne violer pas l'intimité de mon épouse! gronda t-il alors que je l'écoutais à peine mon regard étant rivé sur une Mélaine tremblante dans les bras d'Irina. Ce qui se passe ici ne vous regarde pas. Retournez-vous!
-Non; fis-je en me débattant. Que lui avez-vous fait ? Que lui avez-vous fait?
-Dame Esther, entrez vous occuper de ma femme et refermez la porte derrière vous.
La gouvernante s'exécuta dérobant de ma vue ma patronne agressée. Je n'eus d'autres choix que de me concentrer sur les narines dilatées de mon patron qui se trouvaient à quelques centimètres de mon visage.
-C'est bon... C'est bon! dis-je pour qu'il me lâche.
-Dites moi voulez-vous perdre ma confiance? menaça mon patron. À quoi jouez-vous?
-Il s'est passé quelque chose dans cette chambre...
-Ce ne sont pas vos affaires ; m'interrompit t-il. Ce qui se passe entre un époux et sa femme ne regarde personne d'autre. Contrôlez-vous ! Vous avez failli voir la nudité de ma femme. Êtes-vous un enfant? Dois-je vous expliquer que certains couples ont une définition du plaisir autre que la normale?
Je n'étais certainement pas convaincu mais je me calmai. Après tout, il disait vrai. Certains couples étaient porté sur le sadomasochisme mais je ne pouvais pas oublier le regard de Mélaine. Je l'avais vu si fragile et si effrayé. Si mal en point que je ne pouvais facilement croire mon boss.
-Je doute fortement de vous; continua le patron alors que mes pensées me torturaient. Vous m'avez caché des choses...
-Je n'ai rien caché ; me défendis-je par réflexe.
-Oh que si! Ma femme m'a tout confié avec son honnêteté habituel. Elle m'a confié qu'elle avait tenté de vous échapper au déjeuner. Pourquoi ne m'avez-vous pas informé ?
-Je n'ai pas eu le temps; m'excusai-je.
-Très bien ! Vous êtes pardonné cette fois-ci. Je vous donne le reste de la journée. Rentrez chez vous pour voir votre famille.
-Ce n'est pas la peine Monsieur; dis-je sans le moindre désir de m'éloigner de ma patronne.
-C'est un ordre Yves! Prenez le reste de votre journée.
Il me donna une petite tape sur l'épaule, signe que je devais disposer. J'avançai d'un pas hésitant et je retrouvai le confort de ma chambre. Je m'assis sur le lit puis les cris de Mélaine résonnèrent à nouveau dans ma tête. Je ne devais plus trainer ici sinon j'allais sûrement faire une bêtise. Je ramassai donc quelques affaires dans une petite sacoche et je sortis de cette luxueuse demeure qui devait cacher bien de saleté. Sur le chemin qui menait au quartier qui m'avait vu grandir, je n'avais qu'une seule image en tête. Celle de cette femme odieuse que j'avais découvert si fragile l'instant de quelques secondes. J'avais beau tenté de penser à autres choses, je n'arrivais pas à effacer cette image de ma tête. Ce qui eut pour effet de raccourcir le trajet car je retrouvai rapidement la cour de la seule maison que je connaissais. Découvrir ma sœur Désirée assise face à mon ami Kevin me réchauffa étrangement le cœur. Elle au-moins se portait bien. Du moins aussi bien qu'une femme malade pouvait se porter. À ma vue, elle se leva pour venir m'accueillir mais un vertige manqua de la faire s'effondrer. Je courus vers elle et je la pris dans mes bras.
-Désirée comment te portes-tu? lui murmurai-je à l'oreille
-Bien ma raison de vivre; me répondit-elle en me serrant fortement. Je ne pensais pas te revoir aussi rapidement.
-Mon patron m'a donné ma soirée; dis-je en me détachant d'elle pour saluer mon pote d'enfance. Je suis heureux de te voir ici Kevin.
-Laisse moi te donner un siège ; fit Désirée en se retirant dans notre modeste appartement
-Comment se porte t-elle? demandai-je à Kevin
-Frère je préfère que l'on en parle quand tu seras reposé. Pour l'instant, tu ne sembles pas dans ton assiette. Ce boulot est-il une bon boulot?
Désirée réapparut avec mon siège au moment où j'allais donner une réponse à Kevin. Elle le posa près du siège de mon ami en face de son propre siège.
-Tu veux de l'eau? demanda t-elle alors que je m'installais
-Non ma sœur !
-Alors? continua Kevin
-Je ne sais pas Kevin; repondis-je. Il y a des avantages et des inconvénients. Le salaire est énorme mais je ne supporte pas d'etre loin de ma sœur.
-Oh moi non plus je ne supporte pas d'être loin de toi mais nous n'avons pas vraiment le choix.
-Comment te portes-tu? dis-je en m'adressant à elle
-Assez mal! répondit Kevin alors que Désirée baissait la tête. Je reste ici avec elle comme je n'ai pas encore trouvé l'infirmière dont tu m'as parlé mais ne t'inquiète pas mon frère. Je m'occupe d'elle comme si j'avais été toi. Désirée est notre sœur à tous dans ce quartier alors tu n'as pas de soucis à te faire.
-Merci mon frère ; dis-je tout de même triste de constater qu'elle avait encore perdu du poids.
-Raconte nous donc pour le boulot; lança Désirée pour changer de sujet.
-Mon patron n'est pas très net vous savez?murmurai-je
-Quoi? Il te demande de faire des trucs louches? s'inquiéta ma sœur
-Non loin de là ; repris-je. L'intitulé du poste était garde du corps de sa femme mais il m'a présenté comme étant son chauffeur. Et le problème ne se trouve pas là. Il m'a ordonné de toujours surveillé son épouse où qu'elle aille et quoi qu'elle fasse.
-C'est normal ; commenta immédiatement Kevin. C'est ça le travail d'un garde du corps.
-Non, ce n'est pas normal parce que cette femme est gardé comme une prisonnière et elle a d'ailleurs déjà tenté de s'échapper.
-Ce n'est pas normal ; commenta Désirée à son tour.
-Il m'a donné un emploi du temps contenant les sorties de cette dame et elle n'a le droit d'aller nulle part d'autre.
-Tu es sûr ?
-Oui ma sœur, cette femme ne peut pas sortir sans moi.
-Oh ce sont des histoires de couple Yves; fit Kevin. Tu ne connais pas ses hommes riches. Ils ont des manières propres à eux de gérer leurs soucis. Je pense qu'il n'y a rien d'anormal.
-Et cette femme, je l'avais déjà rencontré avant ce boulot. À mon avis, leur mariage est très récent car ce jour là elle ne portait pas d'alliance et ne semblait pas aussi nanti que cela. Elle m'avait d'ailleurs laissé une très mauvaise impression.
-Puisque tu le dis toi même ; m'interrompit Kevin. Cette femme t'a laissé une mauvaise impression. Son époux a sûrement une raison de la traiter comme il l'a traite. Elle lui est peut-être infidèle et raison pour laquelle il veut l'avoir à l'œil.
-J'ai pensé comme toi tu sais mais lorsque cet homme m'a présenté cette femme comme étant son épouse, elle était recouverte de bleus et d'ecchymoses. Il m'avait fait croire qu'elle s'était fait agressée mais aujourd'hui je ne pense plus qu'il m'ait dit la vérité.
-Quoi? Tu penses qu'il la bat? interrogea ma sœur en se redressant sur son siège.
-Ce matin, il l'avait enfermé et tout ce qu'on entendait, c'était ses cris. J'ai même voulu défoncé la porte et quand il est sorti, j'ai vu la pauvre femme à terre, en sang et vêtements déchirés. Il m'a bien entendu dit qu'il s'agissait de jeux entre adultes mais je n'y crois pas une seule seconde.
-Quelle est ta préoccupation mon frère? lança Kevin. Cet homme t'a dit la vérité et je pense que tu dois t'en tenir à ça.
-Je ne peux pas empêcher une femme battue de s'échapper mon frère ; rencheris-je.
-Tu te trompes sur ce genre de femme Yves. Occupe toi de ton travail sinon tu t'en mordras les doigts. Propose lui de l'aider et tu verras de tes propres yeux ce qui se passera. Elle ne laissera jamais tout l'argent de cet homme et moi je suis sûr que tu as mal compris. Comme il t'a dit, ce sont des jeux entre adultes alors occupe toi de ton emploi. Ta sœur a besoin de toi.
Kevin venait de me jeter une vérité en pleine face. Ma sœur avait besoin de moi et si Mélaine avait besoin d'aide, elle l'aurait demandé à un moment ou à un autre. La logique ne m'empêchait pas cependant d'avoir le cœur serré face à la détresse de cette femme dans cette chambre. Il fallait que je me contrôle.
-Bon moi je profite du fait que tu sois là pour aller faire quelques courses ; dit Kevin en se levant.
-Bien mon frère ; répondis-je l'esprit au loin
-Que se passe t-il? m'interrogea ma soeur après le départ de Kevin. Je sens que tu n'es pas dans ton assiette.
-Rien ma sœur; dis-je en souriant timidement.
-Je te connais mon frère; dit-elle en se penchant pour me prendre la main. Ton cœur te parle et tu dois l'écouter. Si cette femme est en danger, tu dois l'aider peu importe le salaire et notre situation. Si tu ressens la détresse de cette femme, viens lui en aide d'accord. Nos parents nous ont inculqué une meilleure éducation que celle-là et je pense aussi t'avoir inculqué un peu de bonté d'âme.
Je souris et je serai fortement les mains de ma sœur dans les miennes. Cette femme était un modèle d'altruisme incroyable. Comment faisait-elle donc pour toujours penser aux autres en premier ? Elle ne méritait pas ce qui lui arrivait.
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(Mélaine)
Je n'en pouvais plus de ce qu'il m'infligeait. La douleur était tel que mes propres hurlements semblaient être des bruits de fond à mes oreilles.
-Mélaine! criait Irina derrière la porte alors que son frère n'en avait cure.
Il me violait une fois de plus de la manière la plus violente qu'il soit. Cet instant me fit regretter les assauts des amants de ma mère. Heureusement pour moi, il finit vite sa sale besogne sûrement pressée par les voix devant la porte de ma chambre. Alors qu'il se rhabillait, je me laissai glisser à terre près du lit. J'étais sur le point de m'évanouir lorsque Carin ouvrit la porte. Un regard et j'aperçus Yves retenu par Carin qui essayait de rentrer dans la pièce. Des bras m'entourèrent et une voix que je pris peine à reconnaitre s'enquit de mon état.
-Comment tu vas ? Réponds moi Mélaine. Que s'est-il passée?
Quelques secondes après, une autre voix rejoint celle qui était déjà présente.
-Mon Dieu, il l'a encore battu! lança Dame Esther en redressant ma robe pour voir l'étendu de la blessure sur ma cuisse.
-Encore? s'exclama Irina. Ce n'est donc pas la première fois que cela se passe?
-Non, la fois passée il l'a blessé avec un couteau de table au même endroit. Il se passe des choses mademoiselle.
-Qu'est-ce qu'il se passe? Et pourquoi vous laissez faire? Merde! Aidez moi à la mettre sur le lit.
Les deux femmes m'aidèrent à monter sur le lit sur lequel je m'allongeai vidée de toutes mes forces. Dame Esther m'ôta mes vêtements alors qu'Irina marchait d'un pas furieux le long de la pièce.
-Comment pouvez-vous permettre ça ? Ashley et maman sont-elles au courant?
-Je ne sais pas mais je pense que oui. J'ai voulu me renseigner le jour où Carin l'a conduit ici mais...
-Mais quoi? l'interrompit Carin qui rentra dans la pièce. Dame Esther, ne vous mêlez pas de cette histoire. Allez chercher la trousse de secours s'il vous plaît. Mon épouse a besoin d'aide.
Je vis l'ombre de la gouvernante se dépêcher de sortir de la pièce alors qu'Irina s'attaqua à son frère.
-Qu'est-ce que tu as bien pu lui faire?
-Comme j'ai dit à Dame Esther, ce ne sont pas tes affaires Irina. Il s'agit de mon épouse...
-Et donc? le coupa Irina. Être son époux te donne t-il le droit de vie et de mort sur sa personne?
-Tu es beaucoup trop jeune pour comprendre Irina; tenta Carin
-Non, tu n'es pas sérieux là ? Il faut avoir quel âge pour le comprendre? 30? 40? Sache que je suis tout de même assez vieille pour savoir qu'en aucun cas, un homme n'a le droit de lever la main sur une femme.
-Attention à ce que tu dis Irina!
-Carin; murmura sa sœur en l'approchant pour prendre son visage entre ses mains; tu n'as pas le droit de t'en prendre à elle. Si tu as un problème, il faut que tu te soignes.
-Ça suffit ! hurla subitement Carin en empoignant sa sœur. Sors d'ici.
Il la conduisit de force dehors et il ferma la porte derrière eux. Pourquoi Irina lui avait-elle suggérer de se soigner? Ce n'était pas la première fois que quelqu'un insinuait que Carin était malade. Je tournai ma tête fatiguée et mon regard fut attiré par un petit agenda posé sur le sol à l'endroit même où Carin avait laissé tombé son pantalon un peu plus tôt. Je rassemblai mes dernières forces et je me redressai pour ramasser le carnet. Je l'ouvris d'une main fébrile. Comme je m'y attendais, il appartenait bien entendu à Carin. Aux premières pages étaient notés des rendez-vous datant de plusieurs mois. Des rendez-vous médicaux et d'autres personnels. Alors que je tournais les pages une à une, un prénom revenait inlassablement : Amélie. Qui cela pouvait-il bien être? Alors qu'à un moment les rendez-vous médicaux s'étaient arrêtés, les rendez-vous avec le dénommée Amélie continuèrent et s'arrêtèrent à quelques semaines plus tôt. Carin avait arrêté de renseigner l'agenda depuis quelques semaines mais cette fameuse Amélie qui demeurait le dernier rendez-vous noté avait piqué ma curiosité. Je refermai nerveusement l'agenda mais une écriture à la dernière page m'obligea à le réouvrir. Je pus lire quelques adresses et bingo, celle de cette Amélie y était notée. Cette femme était peut-être la raison pour laquelle Carin ne tentait pas d'améliorer notre relation. Un bruit dans le couloir et je rangeai immédiatement l'agenda sous mon oreiller. Je m'allongeai rapidement avant que la porte ne s'ouvre sur Dame Esther qui portait la trousse de secours. Je soupirai de soulagement avant de fermer mes paupières. Ce n'était pas Carin.