Partie 6 : déchirante
Ecrit par labigsaphir
[ BLESSING ]
- Ah, c’est bien que tu sois là, maman.
- C’est pourquoi tu n’as pas souri une seule fois depuis que je suis arrivée ?
- …
- Blessing, je ne suis pas venue t’enlever ton enfant. Je sais mieux que quiconque la douleur que l’on ressent à voir son enfant s’éloigner.
- Tu es encore jeune, tu n’as que 21 ans. Tu peux encore refaire ta vie. Ta fille sera toujours là. Tu seras sa mère.
- Merci maman.
- Seulement, je me suis attachée à elle.
- Je sais mais ma fille, il faut savoir aller de l’avant.
- …
- Si tes frères et moi, sommes trop lourds pour toi, il faut le dire.
- Non, maman. Je sais qu’il n’est pas aussi facile pour toi de rester à la maison sans rien faire. Tu es une femme qui était habituée à bouger et tu dois rester à la maison, le temps que cela se tasse.
- Sinon, je vends les beignets le matin et ça nous aide aussi.
- Je sais, maman, je sais que ce que je vous envoie ne peut pas suffire.
Mon seul se met à sonner pour la énième fois. Féfé qui est dans les bras de sa grand-mère, se met à sautiller.
- Blessing, il faut décrocher. Pourquoi as-tu honte ? Je sais que tu n’es plus une enfant.
- Non, ça peut attendre.
- Blessing, tu ne vas pas t’empêcher de vivre à cause de moi.
- …
- Cela fait deux jours que je suis là, tout va bien. Féfé et moi, devons aller nous doucher.
Les larmes coulent sur mon visage, je ne peux me retenir et éclate en sanglots. Ma mère pose Féfé sur le lit et vient s’asseoir près de moi.
- Je sais que la séparation est difficile mais tu vas t’y habituer, commence-t-elle en me prenant dans tes bras.
- Maman, c’est difficile.
- Je sais, je sais.
- J’ai l’impression que tous ceux que j’aime, partent à un moment ou à un autre.
- La vie a des phases, nous évoluons tous.
- Jack et maintenant, féfé…Sniff…j’ai peur de me veiller un matin et constater que tu n’es plus là.
- Tant que je serais en vie, je serai toujours là pour toi.
- Sniff…maman…sniff…maman.
- Tu es partie de la maison très tôt, te souviens-tu ?
- Oui.
- Je suis tombée malade, ton père nous a abandonnés. Tu as fait le choix d’arrêter les études, te sacrifier pour les autres et permettre à tes frères de pousser les leurs.
- Sniff..sniff…
- Tu ne peux pas savoir combien j’étais partagée ce jour-là. Entre la fierté d’avoir une fille comme toi et non, celle qui aurait choisi de se prostituer ou fréquenter des hommes riches pour aider sa famille. Tu as retroussé les manches et as commencé à vendre de l’eau, les prunes. Tu as fait bien des petits boulots, nous ramenant toujours à manger.
- Sniff…sniff…sniff…
- A 16 ans, tu étais parfaitement autonome et émancipée. J’avais l’impression d’abuser de toi mais les souffrances du corps étaient plus grandes que celles du cœur.
- Sniff…Sniff…
- Blessing, je ne souhaite pas que tu connaisses un jour, cette situation. Etre impuissante, incapable d’assumer les enfants que l’on a mis au monde. Il n’y a pas pire torture.
- Sniff…Sniff…
- J’avais honte et en même temps, je ne pouvais refuser la main que tu nous tendais. Tu as assumé sans jamais prendre la grosse tête, sans lever la voix et jamais un mot plus haute que l’autre.
- Ce n’est rien, maman...Sniff…il faut que tu guérisses, c’est le plus important.
- Lorsque tu nous as présentés Jack, je n’étais pas vraiment d’accord mais tu avais prouvé que tu pouvais prendre des décisions depuis des années. Que pouvais-je faire ? Je me suis contentée de te donner des conseils afin que tu ne souffres pas. Je priais tous les jours en secret pour que tu n’ais pas le cœur brisé.
- Snifff…Sniff…
- Puis ce que je craignais est arrivé, il t’a lâchement abandonnée.
- Ça va aller, maman….Sniff… Ça va aller.
- Je suis fière de toi, Blessing. Aujourd’hui, tu fais du call-boxing et prend des cours de secrétariat.
- Maman, ça va aller, j’ai foi en Dieu.
- Voilà, c’est ce que je voulais entendre.
- Huhum.
- Je vais me doucher.
- Je t’ai laissé un seau d’eau dans la salle de bain.
- Ok.
- Je vais laver féfé dehors.
- Ok.
Elle va dans la chambre chercher le nécessaire et va se doucher pendant que je m’occupe de ma fille. Mon cœur de mère saigne, je culpabilise de me séparer ainsi de ma fille. Je l’habille avec soin, lui donne à manger et poses la valises devant la porte.
Un quart d’heure plus tard, je fais appel au taxi, maman a terminé et vient nous rejoindre. Je serre ma fille contre moi et ne peux m’empêcher de verser une larme de temps à autres. Pendant que le chauffeur met les bagages dans la voiture, je tire ma mère à l’intérieur et lui tends une enveloppe de 100 000 fcfa.
- C’est pour tes besoins avec les enfants ; elle ouvre et compte.
- Mais c’est trop ! C’est trop, Blessing.
- Maman, crois-tu que tout ce que tu fais pour moi puisse avoir cette valeur ?
- Non, mais…
- Maman, prends et n’en parlons plus.
- Ok et merci. Ton enfant est entre de bonnes mains.
- J’ai toujours eu confiance en toi, maman.
- Merci.
Nous sortons, je ferme la porte d’entrée et rejoins les autres dans le taxi. Je prends féfé dans mes bras et joue avec elle, durant tout le trajet. Seuls ses cris troublent le silence dans le taxi, j’ai envie de tout annuler mais me raisonne. Je ne sais pas comment font les autres pour supporter mais c’est compliqué. Le chauffeur met « Assimba », une chanson religieuse, elle finit par m’apaiser jusqu’à ce que nous arrivions à destination.
Arrivés à la gare routière, je vais acheter les billets, ma fille dans mes bras. Je reviens prendre place près de ma mère qui fait le plein d’arachide et gâteaux. Elle ne pipe mot, je crois qu’elle a compris que je souhaite jouir de ce me moment avec ma fille. Ma vie passe devant mes yeux, ma vie avec Jack, puis la naissance de féfé.
- C’est le moment ; je sursaute en sentant sa main se poser sur mon épaule.
- Ok.
Les a déjà été chargé et les voyageurs prennent place, j’essuie les larmes sur mon visage et donne ma fille à ma mère. Je pleure en leur faisant signe de la main, c’est difficile. Je vais m’asseoir dans un coin caché, pleure tout mon saoul et sur un coup de tête, décide de me rendre chez Malick.
Je descends du taxi et tends un billet au chauffeur qui ne demande pas son reste et démarre sur des chapeaux de roues. Je rentre dans la concession et pour tout vous dire, je ne sais pas comment j’ai fait pour arriver à la maison centrale. Je me rends juste compte des bras chauds de Malick autour de moi.
- Elle est partie…sniff…Elle est partie, féfé…Sniff…Partie.
Je ne peux en dire plus, tellement, je suis secouée. Il m’entraine à l’intérieur sur le canapé et me prend une fois de plus, dans ses bras. Je pleure durant quelques minutes, sans interruption et finis par m’endormir pour me réveiller quelques heures plus tard.
J’ouvre les yeux, ne reconnais pas le plafond de ma chambre, me mets à paniquer avant de me souvenir que je suis chez Malick. Je me redresse, les fenêtres sont certes ouvertes mais il y a comme un brouillard dans la chambre et cette odeur, cette odeur. Je descends du lit regarde autour de moi et baisse les yeux pour chercher des babouches lorsque je constate qu’à mes pieds tombent des choses ressemblant à de la suie.
Je regarde ma robe, mon corps en est recouvert. Je pose la main sur ma tête et elle revient avec une fine couche de poussière grisâtre. Je secoue ma robe et me décide à quitter la pièce. L’atmosphère dans la maison est saturée, il fait presque sombre dans la maison. En avancant vers le salon, je vois deux petites boules se déplacer dans le noir et sursaute en les voyant s’avancer vers moi, sans un bruit. Je tape un sprint et rentre dans le séjour, Malick est assis sur le canapé et visionne. Je m’assieds près de lui et avant d’ouvrir la bouche, me tourne vers la porte et constate que ce n’était que le chat.
- Ce chat me donne des frissons, je ne l’aime pas du tout. Murmurai-je tout contre Malick.
- Pardon ? J’ai juste entendu « ce chat ».
- Non, rien.
- Ok.
- Comment as-tu dormi ?
- Ça peut aller.
- C’est tant mieux. Le départ de la petite t’a vraiment secouée, je ne t’avais jamais vu dans cet état.
- C’est vrai. C’est la première fois que nous somme séparées ; ma voix se casse.
- Doucement, je peux comprendre ce que tu vis malgré le fait que je ne sois pas père.
- Humm.
- J’ai donc décidé que nous irions visiter un parc Botanique et un zoo, en dehors de Yaoundé.
- Ok.
- As-tu mangé ?
- Non. Et je n’ai, m’malheureusement pas faim.
- Je ne vais pas manger seul, Blessing.
- Je n’ai vraiment pas faim.
- Fais un effort pour moi, juste pour moi, s’il te plait.
- …
- Blessing,
- Je ne sais pas si venir ici était une bonne idée.
- Pourquoi ?
- Je ferais mieux d’aller call-boxer.
- Blessing,
- Oui.
- A ce sujet,
- Je t’écoute.
Il se lève, pose les mains sur les hanches et se met à arpenter la pièce durant quelques minutes.
- Blessing,
- Oui, Malick.
- C’est un mal pour un bien.
- Pardon ?
- Ne te méprends pas, je voulais juste dire que tu auras plus de chance d’avancer, concrétiser, puis récupérer féfé.
- …
- J’aime ta fille, tu le sais parfaitement.
- …
- Blessing, je t’aime mais il fallait que cela arrive. Tes amis n’allaient pas garder la petite toute leur vie, surtout que tu refusais que je paie la garderie.
- …
- Nous allons poser certains actes, mettre en place une certaine dynamique afin d’avancer et construire quelque chose de durable et solide.
- …
- Je t’aime, Blessing ; je détourne le regard.
- …
- Désolé. J’aurais aimé rencontrer ta mère mais tu as refusé, je respecte.
- Merci.
- Tu vois, je ne te force pas la main.
Je sens quelque chose à mes pieds, baisse les yeux et constate que le chat est en train de se frotter contre moi. Je bondis du canapé pour me retrouver dans les bras de Malick en quelques secondes.
- Quoi, qu’y a-t-il ?
- Je n’aime pas les chats.
- Mais la dernière fois…
- C’était la dernière fois ; je suis coupante, je sais.
- Ok.
Il regarde le chat et quelques secondes plus tard, celui-ci quitte la pièce. Nous regagnons le canapé.
- Blessing, ce n’est pas parce qu’un homme t’a quittée que tu devrais te dévaloriser.
- Ce n’était tout simplement pas le bon.
- …
- Je vais aller réchauffer les plats.
- Qui a cuisiné ?
- Moi.
- Quand ?
- Pendant que tu dormais.
- Il fallait me réveiller, Malick.
- Non, tu dormais si bien.
- Dis-moi,
- Oui, je t’écoute.
- En me réveillant tout à l’heure, j’étais recouverte d’une fine poussière grisâtre comme si quelque chose avait été brulé sur moi et l’air était, est saturé.
- Je ne comprends pas.
- C’est comme s’il y a le brouillard dans la maison.
- Oh ! Je t’ai fait visiter la maison la dernière fois, croyant te mettre en confiance mais je me rends compte que non.
- Malick, suis-je une menteuse ?
Je me frotte le corps et lui présente mes mains, couvertes de la poussière grisâtre.
- Et si nous essayions de nous calmer ?
- Blessing, je pratique la Zen attitude et dans ce sens, je brule souvent des encens ou écoute la musique pour calmer mes nerfs. J’ai cru et manifestement à tort, que cela pourrait t’aider et alléger ton sommeil.
- …
- Je suis désolé si cela a prêté à équivoque. Je pensais te faire du bien.
- Malick, je peux encore prendre certaines décisions.
- Je le comprends parfaitement et c’est ce que j’aime chez toi.
- …
- Cependant, Blessing,
- Oui.
- J’ai horreur de femmes qui lèvent la voix sur les hommes. Je n’aimerai pas qu’une femme me manque de respect.
- Désolée si j’ai crié, la journée n’est pas facile.
- Je comprends et ne t’en veux pas.
- Merci.
- Pour le chat, il ne t’embêtera plus et restera à bonne distance de toi. Malheureusement, c’est sa maison.
- …
- Je ne peux le chasser et il permet aussi de garder les souris à distances.
- Ok.
- Je reviens,
- Malick,
- Oui.
- Puis-je t’accompagner ?
- Bien sûr.
Il me tend la main, je prends et nous nous dirigeons en riant vers la cuisine. Cette fois, il a préparé une sauce gombo gluante avec la viande de bœuf et du couscous. Il met le feu sous la marmite et m’invite à chauffer le couscous dans le four micro-onde. Opaloooo’o les choses des blancs, le four micro-onde.
- Ca sent bon, fais-je en me tournant vers lui.
- Merci.
- Combien de kilo de viandes as-tu mis ?
- Deux kilos.
- Je comprends pourquoi j’ai l’impression qu’il n’y a que la viande dans cette marmite.
Je me glisse près de lui et me penche sur la marmite, prends la spatule et me mets à remuer. En la posant et reculant, les effluves si entêtantes de son parfum me rentrent dans les narines. Je ferme les yeux durant quelques secondes et lui prends la main pour ne pas tomber parce que je me sens bizarre.
- Wow !
- A ce point ?
- Malick, ton parfum est assez particulier.
- C’est vrai.
- Quel est son nom ?
- Attention, il faut remuer sinon, la sauce brulera.
- C’est vrai.
Il s’éloigne de moi et va sortir le couscous du four, le pose sur la table au milieu de la cuisine. Je mets une partie de la sauce dans l’assiette prévue à cet effet. Je vais au salon mettre la table et croise le chat, je fais comme si je ne vois pas. Dix minutes plus tard, nous sommes en train de manger en discutant, lorsque son téléphone se met à sonner.
- Je …Je peux ? Demande-t-il en me regardant.
- Oui, vas-y.
- Merci.
Il se lève, prend son portable et va à la terrasse. Pendant que je mange le chat arrive automatiquement et vient se placer devant moi. J’évite de le regarder sinon la peur va m’envahir. Avec lui dans la pièce, j’ai l’impression que mon esprit sortira de mon corps.
- Non…Comment …Ok…Mes condoléances.
Il revient s’asseoir et mange en silence durant quelques secondes.