Plus rien !
Ecrit par Rre Byzza
C'est drôle comme image, cette immensité infinie à quoi l'on fait face lorsqu'on sort de la prison de Rebeuss, on imagine mal lorsqu'on est derrière ses hauts murs que le monde commence juste derrière ses portes. Mactar marchait lentement vers le petit monticule qui surplombait la mer, il marcha jusqu'au bord, devant lui un vide de dix mètres. Les vagues en furie prenaient leurs élans au loin pour finir leur course sur les rochers qui jonchaient tout le lit de la plage. Au loin, quelques pirogues, au delà un horizon étouffé par une brume blanche qui en masquait les confins.
Il s'approcha lentement et s'assis à même le sol sur le monticule, le regard plongé vers l'infini. Personne n'était venu le chercher, ça ne le surprenais pas. cinq ans de solitude entre les murs de cette prison ont fini de lui ouvrir les yeux, il avait tout perdu, il n'avait plus rien. Le bruit des voitures derrière lui sur la route contrastaient avec le bruit des vagues en dessous. Au delà, la ville vivait, elle gargouillait de milles bruits, allant des sirènes des voitures à tout va aux cris des enfants dans les rues étroites de Rebeuss, sans oublier le commerce omniprésent, à tout coin de rue, les vendeurs ambulants, les femmes vendeuses d'aliments de toute sorte. On aurait dit que tout Dakar ne vivait que du commerce.
Penda la garce, elle ne mesurait même pas tout le mal qu'elle m'a fait! La vie est bizarre, en l'espace de quelques secondes, on peut tout perdre! J'avais tout, une maison, un travail que j'aimais, la seule femme que j'aie jamais aimé, mieux une famille heureuse qui s'agrandissait. Combien de fois me suis je surpris dans cette geôle à surprendre dans mes pensées et dans mon coeur cette haine grandissante, ces envies de meurtre, oh mon Dieu! Toutes mes douleurs entres ces murs avaient un nom et si j'ai survécu à autant d'années de privation, justement c'était pour sortir un jour et lui rendre au centuple tout le mal. Mais en serais-je capable? J'ai passé une vie simple, sans vouloir de mal à aucune créature de Dieu, mon coeur n'a jamais hébergé le mal. Mon fils était né, je n'étais pas la, d'ailleurs je n'ai pas été là pour aucun de ses moments importants, ses premiers pas, ses premiers mots...
Ma femme au tout début de mon incarcération trainait sa grossesse pour venir me voir. Elle me regardait profondément, comme pour rechercher une tierce personne dans mes yeux, puis pleurait jusqu'au moment où les gardes signifiaient l'heure de fin des visites. Elle était retournée à la maison de ses parents, et sachant les frais qui l'attendaient à la fin de sa grossesse, je lui avait fait une procuration pour qu'elle vende la villa et la voiture, ainsi, elle pourrait tenir avec le bébé.
Quand elle a accouché, je suis resté quelques temps sans la voir, je me disais que c'était sa nouvelle maternité. Plus j'espérais sa venue, plus le temps semblait plus long en prison. Elle était revenue juste à la fin de ma première année, j'étais heureux comme un enfant à qui l'on apporte son cadeau désiré! Je la regardais tout joyeux, souriant à tout va, passant de temps en temps, fébrilement ma main sur mon visage, tentant de redonner vie à cette chair qui collait désormais aux os, le cratère de cernes faisant orbiter mes yeux.
Elle me présenta les papiers du divorce, elle avait tellement repoussé, attendant tout ce temps de se réveiller de ce cauchemar qu'elle vivait. Elle m’expliqua que ses parents ne lui adressait presque plus la parole parce que s'attendant à ce qu'elle divorçât sans attendre. De mon fils, elle m'aura quand même laissé une photo de son sixième mois m'expliquant qu'elle allait demander la garde exclusive.
Et quid de ma famille à moi? Cette famille que je nourrissais? J'ai eu la visite de mes deux frères deux ou trois fois, et c'était surtout pour des séances de reproche pour la honte que j'avais fais peser sur toute la famille, maman et papa eux n'osant point sortir dans la rue, de peur d'être indexés.
Me voilà libre, certes, mais sans aucune attache, que vais je faire? Que vais je devenir?