Prologue 10: Dèlomè Kpassassi
Ecrit par Owali
***Dèlomè Kpassassi***
Je suis en route pour Cotonou.
Je réalise à quel point le temps passe vite.
Je vis recluse dans ma villa sur l’une des plages d’Ouidah depuis bientôt un an. Il était temps que ça s’arrête.
De toute façon, je commence à en avoir marre de cette vie.
Au début, tout ce mystère autour de ma personne était bienvenu, mais surtout très utile pour cacher au monde la supercherie.
Supercherie parce qu’une grande partie de mon histoire n’est que mensonge. De la pure invention. Le monde aime le sensationnel, l’inédit, l’horreur, le surnaturel. Moi j’aime le luxe, la gloire, le confort. Ce n’était qu’un échange de bons procédés.
Au départ, je voulais sincèrement écrire mon histoire dans toute sa simple vérité pour me libérer de mon fardeau et de ma souffrance. Mais à l’instant où mon manuscrit avait atterri sur la table de Félix, il avait flairé la bonne affaire.
- Tout ça c’est bien beau! Mais tu gagnerais beaucoup à apporter quelques détails plus juteux, m'avait-il balancé au visage.
- Dans quel genre ?
- Des détails disons... plus... sanglants!
- Mais! ça déformerait toute mon histoire !
- Ecoute chérie, les histoires de petite fille pauvre rejetée par sa famille pullulent en librairie. Pour vendre, il faut faire la différence. Déjà tu es sans le sou même si tu as une très belle plume. Je te publierai à compte d’éditeurs. Mais il faut que tu me retapes ton histoire.
Excédée, j’avais claqué la porte et renvoyé mon manuscrit à d’autres. En vain.
J’avais été alors contrainte de revenir vers Félix.
- Je ne veux pas discréditer les gens qui m’ont vraiment aidée, avais-je exigée. Mon séjour dans ce couvent a été réellement salvateur
- C’est toi qui a la plume ma chère. Tu voulais te libérer en écrivant. C’est fait. Maintenant je veux que tu écrives pour vendre. Choisis ce que tu veux raconter. Je ne publierai que si le résultat me convient
En quelques mois à ses côtés, Eunice AHO avait disparue pour laisser place à KPASSASSI Dèlomè.
Jeune femme devenue princesse vaudou pour échapper à la sorcellerie de sa famille paternelle. Ces derniers auraient tué tous mes frères pour s’emparer de l’héritage laissé par mon père. Ce qui est vrai et qui n’a rien d’original tant cela est courant.
Par-contre mon évasion la nuit où je devais être sacrifiée à mon tour, mon refuge et mon initiation dans ce couvent et pour finir, ma vengeance ont achevé de conquérir plus d’un lecteur. J’ai pris le soin de rendre tous les lieux et personnages fictifs pour qu’on ne puisse jamais vraiment relier Eunice et Dèlomè. Pour le reste du monde, je devais me cacher après avoir révélé des secrets aussi importants du couvent.
J’apparaissais donc très peu en public et mon livre s’était vendu comme des petits pains. Dèlomè n’était qu’un personnage monté de toutes pièces par Félix. Derrière les murs de ma villa, je redevenais presque Eunice. J’avais effectivement adhéré au Vodoun. En remerciement à mes sauveurs, je leur avais même construit un couvent. Mais je n’étais pas aussi pratiquante que semblaient le croire les autres. Fadaises ! Mais la vérité ne regardait que moi.
Le bon côté des choses, c’est que je pouvais profiter de mon argent à loisir à travers mes voyages et mes petites affaires. Mais mon ‘’guide spirituel’’ Félix me mettait la pression. Il était plus que temps que j’écrive à nouveau un chef-d’œuvre. Mes comptes avaient grand besoin de nouvelles rentrées d’argent. Et la mystérieuse princesse Dèlomè de rappeler au monde qu’elle existait.
J’avais droit à seulement quelques jours de congés avant de revenir me plonger dans le travail. J’espère trouver l’inspiration sur cette île. Ce que Felix ignore c’est que je ne reviendrai peut-être pas. J’en ai assez d’être son toutou publicitaire. Il faut que je réussisse par moi-même et que je me débarrasse enfin de lui. Mais ça, il a tout le temps pour s’en rendre compte.
Je souris en relisant le message de RACH qu’il m’a transmis hier. J’ai été tirée au sort pour un séjour paradisiaque de deux semaines à Zanzibar. Pour une fois que je voyage avec la bénédiction de Félix, je ne vais pas me faire prier. Et pour la première fois depuis bien longtemps, je serai sans ma suite de servantes.
Merci à ce RACH d’avoir précisé que je devais y être seule.
Zanzibar, j’arrive !
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Auteur: Page Facebook Les petits papiers de M