Une famille...

Ecrit par Nadia.K

Paul était maintenant un homme influent. Ambitieux, il visait les plus hautes sphères de son pays et de l’Afrique. Il avait à présent la position qu’il voulait et son avenir était radieux, il lui manquait toutefois une chose : il n’avait pas de descendance. Personne à qui léguer l’empire qu’il bâtissait doucement.

Les années dans son mariage passaient et ne se ressemblaient pas sauf un fait constant : le ventre de Bénédicte restait inexorablement plat. Elle était réglée comme une horloge. Aucun retard depuis l’avortement. Tout allait pourtant bien d’après les médecins : elle n’avait aucun problème et était à même de porter des enfants mais rien.

Il avait 32 ans et Bénédicte 26 ans lorsque l’attente commença à se faire sentir. Rien ne pressait à priori; elle était encore jeune mais 5 ans de mariage sans enfant et sans même un retard commençait à l’inquiéter malgré tout ce que la médecine moderne pouvait dire.

Il aurait bien pu faire l’enfant désiré avec une de ses nombreuses maitresses mais c’était là l’une des limites qu’il s’était fixé à lui-même. Il ne voulait pas se retrouver avec une descendance dont il ne contrôlerait plus le nombre et qui serait éparpillée dans Abidjan sans repère masculin permanent. Il n’avait pas connu son père et avait perdu sa mère à son retour de France. Il souhaitait être présent pour son enfant, le façonner à son image, en faire un leader digne de porter son nom et pour cela il fallait que cet enfant vive dans un environnement familial. Aucune de ses maitresses ne pouvait l’épauler dans cette vision. Elles étaient toutes du même genre : il les aimait très jeunes, la majorité à peine, svelte et avec des formes bien placées et surtout au teint cacao. S’il les récupérait « au berceau » comme on dit, c’était parce qu’il voulait les manipuler, les dominer et les transformer comme il voulait. A cet âge, derrière les airs de femmes fatales qu’elles se sentaient obligées d’arborer, ce n’était que des gamines faciles et malléables. Dans sa position, la dernière chose qu’il voulait c’était une femme en âge de se marier qui essayerait de le piéger et de lui imposer une union sérieuse.

Il se résolu à attendre malgré son inquiétude « le temps de DIEU » comme lui disait sa femme. Lorsque 2 ans plus tard, il n’y avait toujours aucun enfant, Paul décida de faire fi de sa limite. Il était plus dur avec Bénédicte, ses réflexions concernant une éventuelle stérilité de sa femme se faisait plus nombreuses. Il la couvrait de cadeau et la traitait comme une reine en public alors qu’en privé, par ses paroles et ses coups parfois, il la rabaissait toujours un peu plus. Il n’hésitait pas à lui dire qu’une femme incapable de faire des enfants n’était rien et n’avait aucune valeur. La société n’allait pas lui en vouloir de la remplacer si cette situation perdurait. Personne n’aimait les ventres vides ! lui disait-il. D’ailleurs, même son père ne pourrait pas l’empêcher de divorcer : c’était lui le responsable de cette situation. Il avait tué leur premier enfant et le ciel se refusait à leur accorder un second. Certains jours, c’était la faute de Bénédicte plutôt : elle n’avait pas assez lutté pour empêcher cet avortement, elle était une mauvaise mère et la nature refusait de punir un enfant en lui accordant une maternité.

Bref Bénédicte était acculée, stressée et désorientée. Le pire, était qu’elle aimait profondément son mari et était sûre que si leur relation s’était détériorée c’était de sa faute à elle. Elle était aveuglée par l’amour et ne voyait pas les défauts de son mari. Chaque mois, elle priait autant qu’elle pouvait pour avoir un enfant ; elle allait de veillée en veillée, de prière en prière, fréquentait les tradipraticiens et même les féticheurs. Son vœu ne s’exauçait pas et elle sentait son mari se détacher d’elle. Leur complicité n’existait qu’en public, il continuait de lui acheter régulièrement des bijoux mais accompagnait chaque cadeau d’une parole acerbe. Elle était désespérée malgré son sourire et l’air épanouie qu’elle affichait.

Elle ne parlait plus à son père l’accusant d’avoir tué son premier enfant et peut-être le seul qu’elle aurait. Elle s’éloignait de sa famille et de ses amies à cause des murmures derrière son dos qui se voulaient discrets mais qu’elle entendait malgré tout. Elle vivait seule son calvaire.

Vint ensuite la fin de l’année, en pleine fête de St Sylvestre son mari lui lâcha une véritable bombe. Alors que le décompte était fait dans toute la maisonnée de monsieur ADIKO, Paul lui annonça qu’il lui donnait cette nouvelle année et pas une de plus pour tomber enceinte. Il l’aimait et ne souhaitait pas la quitter mais passé ce délai, il ferait son héritier hors des liens sacrés du mariage.

C’est sur cette déclaration qu’il l’embrassa en lui souhaitant le traditionnel « Bonne année » aux douze coups de minuit.

Il y a quelques heures, elle avait dû répondre avec le sourire aux questions ou affirmations dérangeantes de son entourage : « à quand le bébé ? dis-donc tu devrais te dépêcher de lui faire un enfant avant qu’une autre s’en charge ! cesse de faire ta blanche et assure-lui une descendance, si tu veux, tu useras de chirurgie après si c’est maintenir ton beau corps qui te retient ! Tu as grossi, est-ce enfin une bonne nouvelle ? ». Elle avait dû ensuite écouter ses amies, nièces et cousines parler couches, nounou et écoles des enfants. La cerise sur le gâteau a été quand elle avait surpris la conversation de jeunes serveuses sur les avortements qu’elles avaient déjà fait et celui que l’une d’entre elle s’apprêtait à pratiquer pour disait-elle profiter de la vie.

Elle avait cru à ce moment que sa situation ne pouvait être pire. Optimiste, elle s’était répétée que dans ces conditions elle ne pouvait que remonter la pente, elle était déjà au fonds du puit et ne pouvait aller plus bas. Cette certitude a volé en éclat aux paroles de son mari.

Il lui brisait le cœur et le pire c’était que la société lui en donnait le droit, même sa conscience à elle ne pouvait se résoudre à dire qu’il avait tort. En Afrique, les enfants sont considérés comme une richesse et un homme avec la position de son mari ne pouvait pas se permette de ne pas en avoir. L’absence d’enfant allait finir par entacher la réputation de son mari et pour certains il aurait moins de valeur.

De retour chez eux, Bénédicte réfléchit. Avait-elle mal fait quelque chose ? Non elle avait tout essayer sans exception, s’était tournée vers tous ceux qui pouvaient l’aider. Elle avait même eu des doutes sur la fertilité de son mari et avait tenter de tomber enceinte en couchant avec son gynécologue mais toujours rien. Pouvait-elle feindre une grossesse et voler un enfant dans une maternité ? Pouvait-elle faire accepter l’adoption à son mari ? Pouvait-elle signer un pacte avec des forces occultes pour un enfant ? La réponse à toutes ces questions était non.

Son mari se leva pour « aller faire un tour » mais elle resta dans le lit à réfléchir. Il n’y avait aucune solution à son problème. Elle se fit une raison et décida qu’elle devait accepter sa stérilité et profiter de cette dernière année de calme dans son foyer. Dans un an, elle allait devoir élever l’enfant d’une autre et de son mari. Elle était consciente qu’à partir de cet instant son ménage allait se composer de 3 personnes et qu’elle allait devoir lutter continuellement avec une autre pour se maintenir auprès de l’homme qu’elle aimait.

De son côté, Paul était en tournée pour souhaiter la bonne année à « ses parrains ». Il était détendu car il avait la certitude que dans 2 ans tout au plus il aurait un enfant avec ou sans sa femme.

Les mois de cette année-ultimatum passèrent lentement sans qu’il ne voit de changement sur le corps de sa femme. Pourtant, il s’attelait à respecter son devoir conjugal tous les jours où il était à Abidjan et non plus uniquement dans sa période de fertilité. A 4 mois de la fin de l’année, il commença à faire la cour aux 3 femmes qui serait potentiellement mère de son héritier. Contrairement à ses habitudes, elles étaient plus vieilles (25-28 ans), étaient éduquées et avaient de l’ambition. C’était toutes des femmes qui savait ce qu’elles voulaient. Il ne leur avait rien caché : il voulait une mère pour son enfant, n’avait pas encore choisi qui aurait cet honneur, ne comptait pas quitter sa femme qui allait élever cet enfant. L’heureuse élue allait devenir sa maitresse attitrée et ne devra ne fréquenter que lui. Il allait lui assurer en échange plein succès dans ses entreprises et une richesse inimaginée.  Toutes les 3 étaient partantes lui laissant la tâche de faire son choix et usant de tous leurs atouts pour que la balance penche en leur faveur. Paul décida de passer chacun des trois mois de mission qu’il devait faire en France avec l’une d’elles. La proximité allait l’aider à faire son choix.  

Aussi, lorsqu’il revint à fin Septembre à Abidjan parce que sa femme était malade il était sérieusement irrité. Il n’avait pas encore fait son choix et ce ventre vide lui mettait des bâtons dans les roues.

C’est furieux qu’il rentra dans sa maison en allant droit vers sa chambre, décidé à lui dire ses quatre vérités. Lorsqu’il ouvrit la porte, Bénédicte sortait de douche et était nue. Il s’apprêtait à lui sortir une de ses réflexions dont lui seul avait le secret lorsque son cerveau attira son attention sur certains points : le corps de sa femme avait changé. Une poitrine plus imposante, son ventre plat avait très légèrement pris du volume vers le bas, elle était pale :

« - Tu es enceinte ?

-      Bonsoir Chéri. Moi aussi je vais bien. Toi aussi tu m’as manqué !

-      Je suis sérieux Béné tu es enceinte ?

-      Ne racontes pas de bêtises, depuis 8 ans qu’on est marié je ne l’ai jamais été et ce n’est pas maintenant que je le serais. Fais donc ton enfant dehors comme ça on passe à autre chose: je l’éduquerais.

-      De quoi tu souffres ?

-      Je ne sais pas mais j’ai probablement une indigestion. Je n’arrête pas de vomir depuis 2 jours. Je ne sais pas pourquoi mon père t’a alerté. Je n’avais pas envie de le voir quand il est passé et j’ai fait dire que j’étais malade et endormie.

-      Des vomissements ! A quand remontent tes dernières règles ?

-      Encore ta paranoïa

-      Réponds-moi !

-     

-      Bénédicte !

-      Ce n’est pas que je ne veux pas te répondre, dit-elle en balbutiant.

-     

-      Je ne me souviens pas. Je ne les ai pas vu ce mois, le mois d’avant non plus et je ne sais plus si je les ai eues avant, compléta-t-elle d’une petite voix consciente des implications de ces paroles.

-      On part à l’hôpital tout de suite. »

Dans l’habitacle de la voiture qui les conduisait à la clinique, personne ne parlait. Ils se refusaient chacun à se parler même intérieurement de peur de se faire des illusions.

Une fois, dans le bureau du médecin ils allèrent droit au but et celui-ci proposa une prise de sang. Les résultats allaient être disponibles l’après-midi à 14 heures.

Ils passèrent la matinée la plus longue de leur vie, se parlant à peine, appréhendant juste. Lorsqu’il fut 13h30, Paul se rendit seul chez le médecin récupérer les résultats. Béné avait refuser de l’accompagner persuadée que tout cela n’était qu’un mirage.

Paul ouvrit, l’enveloppe tendue par le médecin et vit entourer en rouge « Positif » au haut du test. Il crut son cœur exploser de joie pendant quelques secondes. Pendant ces quelques secondes, il n’écoutait plus le médecin qui le félicitait. Bénédicte était enceinte de 2 mois à peu près. Il allait être papa. Il allait avoir une descendance, il allait enfin avoir une famille !

Au delà des apparenc...