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Ecrit par Les petits papiers de M
Lina
DANDJI
La
nuit a été incroyablement longue. Pour la première fois depuis longtemps ce
n’est qu’à la fermeture du boulot à sept heures que je suis rentrée chez moi.
Je n’avais jamais imaginé que Rachelle travaillait aussi tard. Pour le harem,
nos horaires sont habituellement de vingt heures à quatre ou cinq heures du
matin. Et c’est lorsqu’on est de permanence au club. Sinon tu viens juste
lorsqu’on t’appelle pour un client et tu rentres chez toi quand tu finis avec
lui. Pour les escortes, cela fonctionne uniquement sur rendez-vous, du coup
elles sont beaucoup plus libres mais se font également moins d’argent.
Mais
là je découvre que Rachelle travaille tous les jours, sauf lundi de seize à
sept heures. Je ne sais pas comment elle fait pour avoir une vie en dehors de
là. Ça fait une semaine que je gère le harem en plus des escortes et que je
dois me taper la mauvaise humeur du Padre entre cinq heures et sept heures
pendant que Serges et moi lui faisons le point. Serges m’a soufflé qu’il n’est
pas toujours comme ça, qu’il est en fait contrarié par le mariage de Rachelle.
Je
pense plutôt que c’est avec moi qu’il a un problème même si je ne sais pas
lequel. Depuis toutes ces années, je suis la seule du harem avec laquelle il
n’a pas couché. Lors de l’essai, il m’a juste embrassée et s’est arrêté aux
préliminaires avant de me renvoyer chez moi. J’ai bien cru que je n’allais pas
être retenue. Mais à ma grande surprise cela n’a pas été le cas. Je suis
aujourd’hui la plus ancienne du harem mais contrairement à Rachelle et Serges,
je ne connais toujours pas son visage. Ni son vrai nom. C’est le secret le
mieux gardé de tout le pays, j’ai l’impression.
Je
suis toujours autant surprise qu’il parvienne à garder le secret après tant
d’années. La plupart des abonnés pensent que Serges et Rachelle sont les
propriétaires. Pour ceux qui le connaissent, il est juste le Padre. Il me sort
par les pores ce monsieur. Durant toutes ces années nous avons fait les paris
les plus fous pour découvrir son identité mais tout le monde a échoué. Même ses
préférées parmi les filles, il les baise masqué. Il reçoit toujours en étant
masqué. Et ce ne sont pas les stupides masques de bal qui découvrent le bas du
visage hein, non. Il a toute une collection de masques intégraux qu’il change
selon ses humeurs.
J’avais
espéré qu’en remplaçant Rachelle, j’aurai enfin la chance de le voir, mais bon.
Peut-être lorsqu’il aura enfin digéré son mariage. En attendant je vais juste
faire mon travail pour m’éviter les foudres de monsieur le boss. Ce n’est pas
le moment de se faire renvoyer et de trahir la confiance de Rachelle à qui je
dois beaucoup.
Je
gare mon véhicule à ma place de parking avant de rejoindre mon appartement en
saluant les quelques voisins que je rencontre. J’habite une petite cour commune
avec gardien à Fidjrossè. C’est un immeuble de huit appartements de deux
chambres avec salon et une immense cour où chacun à son emplacement de parking.
La majorité de mes voisins s’occupe de ses oignons même si nous avons deux
chefs commères dans la maison. L’ambiance reste cependant très bonne.
Il est
déjà huit heures quand je rentre. Tout ça parce que je me suis arrêtée pour
prendre des pâtisseries dans la haie vive alors que nous sommes lundi et que la
circulation est toujours épouvantable. Au moins je pourrai me reposer vu que je
ne dois retourner au boulot que demain. En un clin d’œil, je me déshabille et
me jette dans mon lit trois places avant de me laisser emporter par un doux et
profond sommeil. J’ai l’impression de ne dormir que depuis cinq minutes quand
la sonnerie de mon téléphone perce mes tympans.
-
Seigneur ! comment j’ai pu oublier de le
mettre sur silencieux
C’est
en maudissant l’appelant que je vais le tirer de mon sac pour découvrir que
c’est ma mère qui m’appelle. Le sommeil a aussitôt disparu de mes yeux
-
Allo maman, tu vas bien ?
-
Oui chérie, ça va
-
Tu es sûre ?
-
Je te promets. Je voulais juste savoir si tu
pourrais m’accompagner à l’hôpital. Je suis désolée de t’avoir réveillée
-
Ce n’est pas grave. C’est à quelle heure ton
rendez-vous ?
-
16 heures. Tu pourras ? si tu ne peux pas ce
n’est pas grave, je
-
Tu sais bien que je pourrai. Je passerai te
chercher à quinze heures
-
Tu peux venir plus tôt ? je vais te faire
de l’agbéli avec un bon crincrin
-
Tu sais vraiment me corrompre. Je vais me laver
et j’arrive
-
N’oublies pas de ramener mes Tupperware
-
A vos ordres
Il est
déjà onze heures. J’ai à peine le temps de dormir deux heures et il faudra que
je me lève encore. J’ai intérêt à me mettre au lit tôt ce soir, sinon c’en est
fait de moi. Je me dépêche de me préparer après mon petit somme et à quatorze
moins quinze je sonne au portail de madame ma mère. Elle est retournée depuis
quelques années dans la maison de son père. Elle occupe un petit appartement de
deux chambres séparé du reste de la maison qui a été mis en location par un
portillon. Et ce déménagement fait partie des raisons qui nous conduisent une
fois par mois chez un psychologue. Je l’emmène à son rendez-vous d’où nous
sortons une heure et demie plus tard après que je me sois entretenue avec le
psy pour m’assurer que tout va bien et récupérer son ordonnance. Une fois ses
médicaments achetés, je la ramène chez elle.
Elle
préfère rester seule lorsque nous rentrons de chez le médecin. Je remets donc
ses médicaments à la domestique qui vit avec elle. Etant donné qu’elle avait
déjà tenté de se suicider, on évite de laisser des médicaments à sa portée.
Même si je n’ai pas grand espoir, je prie pour qu’un jour, elle puisse dépasser
toute cette douleur dans son cœur et revivre pleinement. Parce que c’est ce que
fait l’homme pour lequel elle se morfond. Il jouit de sa vie à des millions de
kilomètres avec sa femme.
(Sms)
La mère, tu ne viens plus ?
-
Quoi, je te manque ?
-
Lol ! tu es mon mari pour me
manquer ?
-
Dis donc, tu as poussé les ailes hein. J’arrive
pour que tu me dises ça en face que j’appuie ta petite bouche là
-
Avec ton petit corps là ? c’est moi qui
vais t’appuyer oui
Je
pose mon téléphone sans répondre. Avec sa longue bouche là on sera encore ici à
tirer sur qui a le plus petit corps. Bella, c’est une vraie petite folle et je
l’adore. C’est la seule amie que j’ai. La seule à qui j’ai pu m’ouvrir depuis
le drame qui a frappé ma famille. Nous avions toutes les deux besoin d’une
sœur, d’une amie et nous nous sommes trouvées. Je l’ai rencontrée il y a un peu
plus d’un an au centre des Lys où elle finissait sa formation en massage. Je
fréquente ce centre depuis des lustres mais je pense qu’elle est de loin l’une
de leurs meilleures masseuses. Dès la première fois ça a pris entre nous. Donc
à chaque fois que je prenais rendez-vous, je demandais que ce soit elle. Elle
me faisait tellement de bien que je lui ai demandé si elle serait d’accord pour
me masser à domicile. Et c’est là que j’ai été frappée par son honnêteté. Elle
m’a dit que je devrais prendre rendez-vous avec le centre qui l’enverrait chez moi.
J’adore
tout ce qui est soins du corps. J’y dépense une fortune chaque mois. Alors j’ai
pris un abonnement pour qu’elle vienne trois fois par semaine chez moi. Et
c’est ainsi qu’est née notre amitié. Elle a encore été plus renforcée quand
nous nous sommes raconté nos vies. J’ai été touchée qu’elle ne juge pas mes
choix. J’imagine qu’un jour où l’autre elle essaiera de me faire changer. On
verra bien.
-
Enfin tu t’amènes ! tu sais que j’ai
horreur de patienter sur le portail
-
Arrêtes un peu de bouder toi aussi. Tu as avalé
une épine ou quoi ?
-
C’est toi qui me rends grincheuse. Un
rendez-vous est un rendez-vous. Tu sais que chez moi, on ne rentre pas à des
heures bizarres. Je ne cherche pas les histoires avec l’empereur
-
Est-ce qu’il y a quelqu’un que vous ne surnommez
pas dans votre famille ?
-
Hahaha ! ce n’est pas ma faute. C’est Ya
Philo et ses jumeaux
-
Bref ! je n’ai pas fait exprès d’être en
retard. J’étais avec maman pour son rendez-vous mensuel
-
Ah ! je n’y avais pas pensé. Comment elle
va ?
-
Très bien d’après son médecin. Sauf que comme
après chaque consultation elle va être morose quelques jours. Et si tu appelais
l’impératrice pour lui signaler que tu rentres tard à cause du boulot. Je
m’engage à te déposer après.
-
Tu as intérêt. Qui va se taper le zem jusqu’à
akpakpa alors que ma co conduit les vraies voitures
-
Toi, tu es vraiment irrécupérable.
Elle
me suit dans la cuisine en appelant Philo pendant que je range les Tupperware
que j’ai ramenés de chez maman. Cuisiner pour moi étant son passe-temps favori,
je ne manque jamais de nourriture chez moi. Ce qui est très commode vu mes
horaires. Du coup je ravitaille sa maison plutôt que la mienne où il n’y a que
boissons et amuse-bouche essentiellement.
-
C’est réglé. Elle dit que de toute façon
l’empereur rentrera tard
-
Il est quand même extraordinaire ton tuteur. C’est
son cabinet d’architecture qui l’occupe à ce point ?
-
Je suppose que oui vu qu’il est toujours rentré
tard depuis que je vis là et vu notre train de vie, je crois que son travail
paie vraiment
-
Au moins lui, sa famille voit où passe son
argent. Si seulement je pouvais dire autant de la mienne
-
Arrête de ressasser cette histoire. Aujourd’hui
tu gagnes bien ta vie, tu n’as plus besoin de lui
-
Je sais. C’est le fait de voir ma mère déprimer
pour un homme qui n’en vaut pas la peine qui me fend le cœur. Tu t’imagines
qu’en pratiquement une décennie, il n’a jamais composé une seule fois son
numéro ? après plus de vingt ans de vie commune ?
-
Son autre femme l’a peut-être envoûté ?
-
Même si c’est le cas, il reste pour moi le seul
coupable. S’il n’était pas allé fouiner entre ses cuisses, elle ne serait pas
venue le trouver sur le pas de son portail pour l’envoûter
-
Des nouvelles de tes frères ?
-
Frères ? moi ? je suis fille unique
et orpheline de père
-
Lina…
-
Je n’ai qu’une sœur de cœur et c’est toi. Et je
vais mettre fin à ta vie si tu n’arrêtes pas de me parler de ces gens qui sont
morts pour moi depuis fort longtemps
-
C’est bon, je me tais. Passe devant moi que
j’aille détendre tes nerfs. Tu risques d’exploser sur moi ici
-
Toi là, je jure qu’un jour…
-
Tu vas appuyer ma bouche. Je suis au courant
-
Tu sais au moins que je suis ta grande sœur de
loin quand tu me parles mal là ?
-
Hum…hum avant que j’oublie, la boss te demande
de livrer la lingerie cette semaine. Et tu peux me remettre les paquets si tu
es occupée
-
Elle s’est enfin décidée pour son atelier
coquin ?
-
Ahoooo ! vos histoires de sexe là, je ne
suis pas là-bas
-
Lol ! parole de vierge oui. On en reparle
quand tu auras goûté le plantain. En tout cas je vais récupérer sa commande à
la boutique demain
Bella Bakwo
Il n’est même pas encore 22
heures quand Lina me dépose devant le portail de la maison. J’ai le cœur léger
quand le gardien me dit que l’empereur n’est pas encore là. Autant ya Philo est
douce et lente à la colère, autant son mari c’est le dictateur de la maison. Il
est gentil avec nous et nous ne manquons de rien. Mais lorsque ses règles ne
sont pas respectées, tu auras l’impression que le monsieur n’est plus seul dans
sa tête. Il gueule au point où on a l’impression que les murs tremblent. Du
coup je l’évite autant que je peux. La seule personne qui le fait plier c’est
sa femme, raison pour laquelle nous préférons tous traiter avec elle. Je vais
la rejoindre dans la cuisine pour lui signaler que je suis rentrée. Bien qu’il
rentre souvent tard, elle l’attend toujours avec son dîner prêt à être chauffé.
Et quand on lui demande pourquoi elle dit que c’est la moindre des choses
qu’elle puisse faire vu que c’est pour notre bien-être qu’il rentre aussi tard
et repart aussi tôt tous les jours.
-
Ça a été ta journée ?
-
Oui. Et toi ?
-
Mes camions sont enfin arrivés cet après-midi.
Donc demain ce sera journée livraisons
-
Super. Les jumeaux sont déjà couchés ?
-
Oui. Mais Daisy voudrait que tu rentres plus
tôt demain. Pour ses cheveux
-
Tout ça c’est moi-même et mes promesses. Elle
ne va pas me lâcher tant que je ne lui aurai pas fait la coiffure promise
-
En tout cas faites ça le mercredi. Je ne veux
pas d’histoires avec l’empereur parce que vous faites les belles au lieu
d’étudier
-
A vos ordres ! si je puis me permettre tu
aurais bien besoin d’une nouvelle coupe de cheveux. Tu te négliges trop ces
jours-ci
-
Je suis une vieille femme mariée, je n’ai pas
besoin de perdre mon temps dans les chichis
-
En tout cas Lina a dit de te dire qu’elle te
fera de super réductions si jamais tu changes d’avis. Elle a des arrivages de
mèches et très beaux dessous
-
Donc vous deux-là vous congossez sur moi
hein ?
-
Oh yaya ! on n’oserait jamais faire ça. Bon,
je vais me coucher si tu n’as plus besoin de moi
-
Tu ne dînes pas ?
-
J’ai mangé chez Lina
-
Ok
J’ai
rejoint le petit appartement derrière la maison où je vis depuis un an
maintenant. Il est situé à côté de la boyerie qui est constituée de trois
chambres où il y avait le gardien, l’autre domestique et moi. Maintenant j’ai
un petit séjour avec un coin bar, ma chambre et la salle de bains. Ya Romain
l’avait construit pour les invités de passage mais au final la plupart restent
dans la grande maison. C’est le cadeau que m’ont fait mes tuteurs lorsque j’ai
eu mon diplôme et été aussitôt embauchée par le centre des Lys après ma
formation. Ya Philo était tellement heureuse que j’ai fermé la bouche de la
Dragonne. Elle se fait vieille mais a la bouche toujours aussi tranchante. Elle
râle constamment mais est la première à me demander de la masser tous les jours
lorsqu’elle séjourne ici.
Pour
Ya Philo, j’ai démontré que j’étais grande, mature et digne de confiance.
Depuis ma deuxième année, ils ont embauché une autre domestique. Je participe
donc aux tâches de la maison en fonction de mon emploi du temps au centre. Et
je m’occupe de tout lorsque yaya part en voyage pour ses achats. J’ai voulu
déménager en ville, mais ils s’y sont opposés. Je ne bougerai d’ici que quand
ils pourront me confier à un homme digne de confiance pour reprendre leurs
mots. Je ne manque de rien ici. J’épargne mon salaire une fois que j’ai enlevé
le nécessaire pour mes besoins. Ya Philo me pousse à faire des tontines pour
acheter des pagnes et des bols. Elle dit que c’est indispensable pour une
femme. Mais avec un petit salaire de cinquante mille, j’ai encore du chemin à
faire pour constituer ma réserve.
J’ai à
peine fini de me laver que mon portable se met à sonner. J’ai passé une heure à
rigoler avec Lina avant de l’obliger à se déconnecter pour dormir. Depuis
qu’elle remplace sa patronne, elle a des journées de dingue entre son travail
et sa boutique. J’ai déjà dû lui récupérer deux commandes cette semaine parce
qu’elle ne veut pas que sa gérante soit en contact avec ses fournisseurs. Elle
m’a déjà demandé à maintes reprises de travailler avec elle parce que je mérite
bien plus que ce que je gagne. Mais j’hésite encore.
Lorsque
je l’ai connue, je n’aurais jamais imaginé que nous deviendrons si proches. La
plupart des masseuses au centre la détestaient parce qu’elle ne rigolait jamais
avec personne d’autre que la patronne et ne pipait jamais un mot après le
bonjour. Du coup, bien que je sois nouvelle, elles me laissaient volontiers la
masser. Dès le début elle a commencé à me laisser des pourboires et une chose
en entrainant une autre, nous en sommes là aujourd’hui. Lina est la preuve
qu’il faut éviter de juger les gens selon les apparences. Elle semble belle,
riche et hautaine. Mais elle trimballe juste beaucoup de haine, de solitude et
de problèmes. Le jour où elle m’a dit que sa boutique n’était qu’une façade et
qu’elle était pute de luxe, j’avais failli m’étouffer. C’était il y a à peine
quelques mois. Et le fait que je ne l’avais pas jugée ou dédaignée avait juste
encore plus resserré nos liens. Ça semblait tellement invraisemblable pour moi
qui pensait que je connaissais le comble de la souffrance, d’être une bâtarde
sans famille.
Flash
back
-
Tu es bien innocente toi. Crois-moi, il y a
pire que ta vie
-
Tu crois ? même si mes tuteurs me traitent
aujourd’hui comme leur enfant, je suis arrivée dans cette famille comme
domestique
-
Mais l’important c’est le présent chérie. Tu as
aujourd’hui des parents qui valent mille fois mieux que tes géniteurs. Je ne
peux pas en dire autant
-
Ah bon ? avec tout le luxe dans lequel tu
vis et ta mère qui est aux petits oignons avec toi malgré ton âge. Il te manque
juste un mari et ta vie sera juste parfaite
Elle
était restée silencieuse un long moment avant de me raconter sa vie les larmes
aux yeux
-
Ma vie n’a rien d’un conte de fées Bella. Ma
mère cuisine tout le temps parce que c’est la seule chose qui l’empêche de
sombrer dans la dépression et la folie. Elle me fait à manger parce que ça lui
donne le sentiment d’être encore utile et de compter pour quelqu’un. Il y a
environ quinze ans je vivais dans une famille parfaite un peu comme celle de
tes tuteurs. Mais mon père a été affecté à Cotonou alors que nous vivions à
Parakou. Ma mère est venue ici lui rendre une visite surprise et l’a
trouvé avec sa maîtresse. Oh ne soit pas
surprise, c’est la normale pour la plupart des hommes.
Il y a eu tout un scandale et
mon père a fait amende honorable. Il venait de terminer la construction de
notre maison ici et a donc proposé à ma mère de le rejoindre ici avec toute la
famille. Croyant sauver son couple, elle a démissionné de son boulot et a
débarqué à Cotonou corps et biens. Sauf que mon père n’avait jamais rompu avec
la maîtresse qui au passage n’a que quelques années de plus que moi.
Ils ont commencé à enchaîner les disputes à la
maison, la tension devenait invivable. Et pendant ce temps, alors que leur
attention à notre égard baissait, je découvrais à l’école, le sexe, l’alcool et
les garçons. Un beau jour ma mère croyant bien faire posa un ultimatum à mon
père. La maîtresse ou elle. Mais oh surprise ! Il choisit la maîtresse.
Sans hésiter. Il lui a juste dit, ou tu l’acceptes comme ta coépouse où nous
divorçons et je l’épouse. Elle je l’aime mais je veux bien te garder en
souvenir de tout ce que nous avons pu vivre ensemble. Et ça tu vois, ma mère ne
l’a pas supporté. Elle a juste disjoncté et l’a chassé de la maison. Il est
parti sans hésiter rejoindre sa maîtresse.
A nos yeux d’adolescents elle
passait pour la méchante parce qu’elle était tout le temps tendue, acariâtre et
insupportable. A l’inverse les weekends avec notre père et sa maîtresse toute
douce et gentille étaient une oasis dans le désert. Quelque temps après il a eu
un poste à l’ONU. En allant prendre service au Sénégal, il nous a demandé de
faire un choix entre notre mère et lui. Je peux t’avouer que comme mes frères
j’avais choisi de le suivre. L’idée du voyage, de la belle vie, et sa sorcière
de femme qui était tellement douce avec nous. Mais quand j’ai vu l’état de ma
mère lorsqu’il lui a annoncé qu’il lui enlevait ses enfants et qu’ils l’avaient
choisi lui plutôt que la loque hystérique qu’elle était devenue, je n’ai juste
pas pu partir. Comment un homme peut parler à la femme qui lui a tout donné et
avec laquelle il a tout construit avec autant de mépris ?
Et même quand elle s’est écroulée
sous ses yeux ce soir-là il a juste tourné les talons en lui disant d’arrêter
sa comédie car cela ne le retiendrait pas. Cette nuit-là ma mère a été
paralysée. Il a fallu que je courre appeler les voisins pour l’emmener à
l’hôpital. Quand j’ai appelé mon père, il est passé laisser de l’argent aux
frères de ma mère et a pris ses enfants parce qu’ils avaient un voyage à
préparer. Et ils sont partis sans se retourner. Mes frères sont revenus
peut-être une fois ou deux en vacances la voir. Mais pour le reste ils ne
connaissent plus que leur père et sa nouvelle femme. Et ça, elle ne l’a pas
supporté. Elle a essayé de se suicider. C’est peut-être qu’à la dernière minute
elle a pensé à moi. Je l’ignore. Mais elle m’a appelé et m’a dit ce qu’elle
avait fait. C’est ainsi qu’on l’a sauvée in extremis.
Ce
jour-là lorsqu’elle a repris ses esprits à l’hôpital, elle m’a dit tant de
choses. Elle m’a dit des choses qu’un
enfant ne devrait jamais entendre sa mère lui dire. C’est un poids trop lourd. Aujourd’hui je suis habituée parce que ça
fait tant d’années que je vis ça. Mais ce jour-là j’ai eu l’impression que le
monde me tombait sur la tête. Je venais
d’avoir le bac et de laisser échapper l’opportunité que me donnait mon père
d’aller poursuivre mes études à l’extérieur pour devenir la baby-sitter de ma
mère.
Tu
sais quand un malheur te frappe, malgré
toute la gentillesse de ton entourage, à un moment leur quotidien reprend le
dessus et ils t’oublient. Très vite nous nous sommes retrouvées seules. J’ai dû contre mon gré appeler mon père pour
le supplier de nous envoyer de l’argent. A la troisième demande il m’a juste
dit que j’avais fait mon choix en restant à Cotonou et qu’il était temps de
l’assumer.
-
Tu es
sûre qu’il n’était victime d’aucune manipulation ? Parce que je veux bien croire qu’il abandonne
et rejette sa femme parce qu’il ne l’aime plus.
Mais sa fille ?
-
Je
pense que c’était sa manière à lui de me punir pour avoir choisi ma mère. Mais je ne pense pas qu’on l’ait
manipulé. A un moment maman était allée
voir le curé puisqu’il était président du conseil paroissial. Même lui n’a pas
pu le raisonner. Il a préféré quitter le
conseil et la paroisse en les taxant d’intolérants
-
Ah ça
! Il devait être très amoureux hein.
-
Lui
seul le sait
-
Je
peux te poser une question ?
-
Comment
t’en es-tu sortie pour être là aujourd’hui ?
-
Hum…
je crains que tu ne sois trop jeune pour entendre la réponse
-
Oh
? Pourquoi ? Tu es gayman ?
-
Hahahaha
! Tu as vraiment de l’imagination Bella.
Non je ne suis pas gayman. Je suis juste une prostituée
-
Oh je
suis au sérieux là
-
Mais
moi aussi. Tu crois que je peux me payer
un tel appartement et conduire cette Lexus comment ?
-
Tu
travailles donc ce n’est pas impossible. Ta boutique a beaucoup de succès. Même
la boss au boulot en parle. Elle ne jure
que par tes produits
-
Tu es
bien naïve toi. Je suis une pute pour dire les choses simplement.
Personnellement je ne me décrirais pas comme ça parce que j’adore mon travail.
J’ai appris à l’aimer. Mais je sais que c’est comme ça que la société dans
laquelle nous vivons nous décrirait. Tu
es choquée ?
-
Pas
vraiment. Mais plutôt surprise et curieuse.
Tu ne ressembles pas beaucoup à ce que je sais des putes.
-
Anyway
j’en suis une. Peu de temps après son départ, il a littéralement vendu la
maison sur nos têtes. Nous y étions un beau matin quand des huissiers sont
venus nous informer que nous devions libérer les lieux. Ma mère retrouvait péniblement
l’usage de ses membres grâce à des séances de rééducation qui entamaient sérieusement
nos finances. Je me faisais draguer à l’époque par l’un de mes professeurs à
qui j’avais raconté toute cette histoire et qui m’a promis de prendre soin de
moi si je le laissais faire. Pour ça je devais être discrète et consentante
parce qu’il était marié. Je n’arrivais déjà pas à payer l’université où j’étais
demi-boursière alors je ne me suis pas faite prier.
Au début je le voyais juste comme les conséquences
normales de notre relation. Il payait ma contribution, mon argent de poche et le loyer. Il me
traitait relativement bien et par-dessus tout il adorait ma discrétion. Durant
tout le temps qu’a duré notre relation, personne n’en a jamais rien su. Mais
j’ai découvert qu’avec mon corps je pouvais aller bien plus loin quand je me
suis fait draguer par un homme bien plus riche en sortant du campus. Il était
le propriétaire d’un club très sélect dans le temps à Cotonou. C’est comme ça
que j’ai commencé à coucher avec les hommes pour de l’argent. Quand mon prof a
découvert qu’il n’était plus seul, il a
mis fin à la relation. Avec ces sous,
j’ai pu réfectionner l’appartement où elle vit aujourd’hui avec l’accord
de sa famille. J’ai vraiment bien vécu, je ne te le cache pas. Et cela rendait
ma vie plus supportable.
-
Ta
mère sait le travail que tu fais ?
-
Non.
Elle ne s’en remettrait pas. Elle m’a attrapé une fois avec un client. Je lui
ai dit que c’était l’homme marié avec lequel je sortais pour que nous puissions
survivre. Elle en a pleuré des jours accusant son incapacité à travailler de
m’avoir poussée sur la mauvaise voie. C’est la principale raison pour laquelle
j’ai commencé à faire du commerce. Et
aussi parce que la beauté fane et que je ne pourrai pas toujours avoir des
hommes pour m’entretenir
-
Tu
n’es pas gênée par cette vie ? Le fait
d’être celle avec qui ils trompent leurs femmes alors que ta mère a subi le
même sort ?
-
Ce
n’est pas pareil Bella. Avant je pensais ça et je me martyrisais pour rien.
Mais la vérité c’est que je ne briserai jamais aucun foyer comme le nôtre l’a
été. Ces hommes viennent juste s’évader quelques heures avec moi et c’est tout.
Nous n'avons absolument aucun lien. Ils ne connaissent ni mon numéro de
téléphone ni même mon visage ou encore mon nom. Dans cette maison par exemple,
personne ne sait ma double vie. Pour eux je vends des produits pour femmes et
c’est tout.
-
J’ai
l’impression que tu me racontes un film. Je n’aurais strictement jamais pensé
ça de toi en te voyant au centre
-
C’est
la preuve que je suis un as du camouflage alors
-
Tu ne
te sens pas seule ? tu ne peux raconter ta vie à personne, tu es toujours
toute seule. Je trouve ça vraiment bizarre.
-
Maintenant
que tu es là, nous allons y remédier.
(Fin du flash-back)
Avec Lina, j’ai vraiment découvert la vie. J’ai
réalisé à quel point j’avais tout le temps vécu dans un cocon. Elle m’emmenait
partout avec elle dès que nos emplois du temps le permettaient. Entre Ya Philo
et elle, je devenais un vrai enfant gâté. En seulement quelques mois, mon
apparence avait changé totalement, ainsi que mon look. J’ai commencé à
davantage prendre soin de moi en profitant des avantages du centre en soins du
corps et du visage. Pour les mèches et les vêtements, Lina s’en chargeait. Si
mes camarades avec qui j’avais été emmenée chez ma Jeannette avaient pu me
voir, elles n’auraient jamais reconnu la petite illettrée craintive que
j’étais. Mais le plus extraordinaire, c’est la façon incroyable dont elle
séparait son travail de sa vie privée. Nous en parlions très peu en dehors des
anecdotes qu’elle ramenait parfois sur ses clients.