111: Tears of pain, Tears of joy, one thing nothing can destroy, is our PRIDE
Write by Gioia
***Océane AJAVON***
J’écoute d’une oreille attentive Elikem m’expliquer qui sont les gens assis avec son père pendant que tonton Auxanges prie.
— Donc tous comme ça ils sont des Lare AW ?
— Non, les Lare c’est juste du côté du père à papa. Les AW c’est la grande famille et eux-mêmes sont reliés à une plus grande encore dont les Eboue, Koumah, et d’autres noms que je ne connais pas.
— Yieuuu, et ils vivent tous ici ?
— Tata Ali et son groupe vivent ici, c’est chez elle qu’on est allé il y a trois ans pour les fêtes.
— Oui je m’en souviens, elle je la connais.
— Tata Aissa se promène entre ici et l’Asie. Puis tu as tonton Lenny et tata Lala en Europe. En tout cas normalement c’est là-bas qu’ils sont.
— Donc tu as un gros village de tontons et sûrement des bouquets nerveux comme cousins, mais depuis je suis libre comme l’air ici ? Je t’ai fait quoi dans cette vie ? Je lui demande sérieusement et elle sourit.
— Donc ton affaire là est sérieuse comme ça ?
— Tu pensais que je blaguais depuis là quoi. Mon minou est fatigué du régime.
— Toi aussi, il faut te tenir un peu, on est en public.
— Laisse-moi exprimer ma frustration en chuchotements.
— Je connais ces gens de nom seulement Océane. Comme je passais quasiment toutes mes vacances avec mon papounet, ils ne sont pas habitués à moi comme avec Dara. Et c’est Mally même leur chouchou. Ça ne m’étonnerait pas qu’ils se soient coordonnés pour rentrer quand papa leur a parlé de la dot.
— Tu essaies de me dire en douce que tu rejettes mon dossier hein.
— M’bon, je vais me pencher sérieusement sur ton cas après. Voilà même un bouquet nerveux comme tu les appelles là-bas non, elle dit et me désigne un grand type au teint bien poncé.
— Hum, c’est qui lui ?
— Attends, elle dit et chuchote un truc à Mally.
— Il ne le connaît pas, mais je vais texter Romelio après pour savoir. Peut-être c’est un ami à lui.
— Non pardon. Vu la tête du gars, c’est le genre à appeler le nom de mon père en désordre dès que je lui sortirai une phase.
— Donc tu veux montrer la vie à l’enfant des gens, mais il n’a pas le droit de se plaindre ? Tu es née comment ?
— En position siège il paraît, je réponds et elle rigole, ce qui lui vaut un regard appuyé de sa mère.
On se redresse le dos bien droit comme des princesses qui pratiquent la marche et je prête enfin attention au discours de tonton Magnim qui précède la prière du père de Romelio.
— Petit chef, tu peux un peu m’aider à comprendre ce que tout ce petit monde fait dans mon humble demeure ? demande Tonton Magnim.
— Il joue à quoi ? je murmure à Elikem pendant que Romelio répond à la question que lui a posé Arthur. Je finis par comprendre qu’en l’absence de jeunes du côté des Lare AW, ils ont désigné Romelio comme représentant puisqu’il est aussi proche de ce côté que celui de sa famille. Et c’est Arthur qui représente les Wiyao. D’autres personnes aussi se rajoutent au petit groupe dans la foulée. Je reconnais Laith, le fils perdu des Adamou retrouvé dont Elikem m’a parlé. Il est accompagné d’une femme à la poitrine massive qui tient la main d’une petite fille que j’ai du mal à distinguer, mais même de loin, elle a l’air trop mignonne. Les trois s’installent à côté de Ida qui tend les bras à la petite et cette dernière se laisse porter.
— Nous sommes effectivement venus parce qu’il y a dans cette humble demeure un fruit spécial qui intéresse notre famille.
— Fruit spécial c’est bien beau, mais on n’a rien ici. Est-ce qu’on parle de mandarine ? De mangue ?
— Surtout qu’il y a même les variétés dans la mangue aussi, Ngowe par ci, Julie par là, nous on ne sait pas. Tonton Magnim rajoute après l’intervention d’Arthur et fait rire l’assemblée.
— Vous avez raison. Un fruit spécial ne peut porter un autre nom si ce n’est Snam. C’est la variété qui a captivé notre intérêt et poussé à nous présenter ici.
— Snam hein ? Nous, on ne connaît pas cette catégorie en tout cas.
— Arthur n’a pas froid aux yeux hein, je rigole en douce.
— Je donne ma main à couper que lui et Romelio ont bossé ce petit script pendant des semaines, Elikem dit avec humour.
— Maëlys, Snam Maëlys Wiyao, dit tata Ali.
— Han, autant pour nous. Bon, il se fait que ce matin, non en fait hier soir, c’étaient des péripéties sur péripéties. Là où on se trouve, les avions sont restés bloqués à Nairobi donc la personne que vous cherchez est dans un autre pays à l’heure même. Si vous pouvez attendre, ou même repartir. Quand les avions seront débloqués, on vous fera signe, continue Arthur qui ne lâche rien.
— Impossible. Le pied sur lequel nous nous sommes levés aujourd’hui n’a plus la fonction marche arrière. Nous avions à cet effet envoyé des espions pour disposer le nécessaire afin qu’au jour J, le fruit soit prêt à être cueilli. À l’heure où je parle, un de nos avions spéciaux est prêt à vous prendre pour aller la chercher, Romelio lui renvoie, signe que lui aussi avec un sourire confiant.
— Dire qu’ils avaient parlé de simplicité. Tout ce protocole là c’est pour me faire chier à cause de la grossesse hein, Mally dit tout bas sur un ton agacé qui nous fait mourir de rire.
— Demain on verra si tu le feras encore, se moque sa mère.
Mon téléphone vibre sur mes cuisses à ce moment. C’est maman qui m’écrit et demande si les activités ont commencé.
— Oui, tu étais où ? On est déjà aux discussions familiales.
— C’est ce matin que Bobby a choisi pour me faire un immense caprice. Je peux appeler ou je fais comment ?
— Euh appelle Ida parce qu’on est déjà à trois sur l’appel de groupe ici. Bobby est toujours fâché que vous ne l’ayez pas laissé partir avec les Adamou au pays ?
— Tu ne le connais pas ? C’est toujours ça et il me fait le high level comme son père est en déplacement. Je vais appeler Ida alors, à tout à l’heure ma chérie.
Je la texte pareil et reporte mon attention sur la télé où les adultes continuent à s’amuser.
— On a perdu le groupe de Nairobi ? je murmure à Elikem quand je remarque l’absence des trois sur le sofa où ils étaient il n’y a même pas cinq minutes.
— Je pense que Snam est allée se changer aidée de Dara. C’est Marley qui filme la cérémonie de leur côté alors il a dû les suivre pour ne rien manquer.
— Ouais, vous ne blaguez réellement pas, je dis en étouffant un rire.
— Les plans de maman et sa copine, répond Elikem en secouant la tête.
Ça cause un peu partout le temps qu’Arthur et Romelio s’en vont dans un coin, chacun ayant un bras autour de l’épaule de l’autre. Apparemment ils s’en vont négocier parce que subitement Arthur dit que la famille sera affamée si on leur enlève le fruit spécial. Enfin ils reviennent et c’est aussi le retour de Snam sous un pagne tissé immense.
— Bon, que celui qui cherchait le fruit se manifeste, dit Arthur.
— C’est moi. Dara retourne d’où tu viens.
— Oh. Djut ayors, je penzais que ça allait martcher, on entend Dara depuis la couverture qui retourne sans même se déranger pour l’enlever.
On m’a perdu à ce stade. Je rigole à en avoir des crampes surtout quand on entend Marley qui croit parler tout bas, lui rappeler qu’il lui avait bien dit. Une autre personne revient. Snam sans aucun doute. Le ventre ne pointe pas vraiment à cause de l’épaisseur de la couverture, mais le fiancé lui-même prononce son nom avant qu’elle n’enlève le pagne et elle a un sourire radieux quand elle le fait tomber. On applaudit de chaque côté. Vient ensuite la présentation de la dot. Romelio, sa femme et le fils de tonton Adamou déposent devant la famille Wiyao les différents éléments.
— Comme on dit les bons comptes font les bons amis, alors voici ce que vous nous avez demandé mon frère. Dix bouteilles de Gin, une témoin, les jus de fruits dont on n’a pas précisé le nombre alors nous avons décidé d’en donner vingt. Pareil pour la bière, ainsi que les vins. Les pagnes sont ici. La valise, les perles. Et le montant de la dot, sous cette enveloppe, ainsi que celle-ci, une initiative de votre beau pour vous honorer comme il se doit, explique Romelio.
Maman Ciara et tata Hana inspectent les différents effets avant de parler à tonton Magnim puis ce dernier chuchote un truc à Arthur après avoir pris les enveloppes.
— Bon doyen, la famille vous remercie de votre geste et confirme qu’ils acceptent vos nombreux présents. Ils confirment que la famille éloignée sera informée que vous êtes venus prendre notre fille dès aujourd’hui.
Maman Ciara à son tour entonne un chant que nous reprenons en chœur et avec entrain. Tonton Auxanges reprend la parole à la fin pour non seulement bénir les effets, mais aussi les poches de ceux qui ont dépensé et citent des versets que je ne connais pas, mais trouvent vraiment beaux. Il bénit le mariage de Mally et Snam jusque dans des détails auxquels je ne pensais même pas nécessaire. Des œuvres de leurs mains, jusqu’aux effets de cuisine, véhicules, et les différents lits sur lesquels ils dormiront durant leur mariage puis pour finir bien sûr leurs enfants. C’est sur un amen retentissant accompagné d’applaudissements que se termine la prière qui m’a réchauffé le cœur. Les deux pères se lèvent de concert et s’enlacent, scellant ainsi l’union de leurs enfants. Je jette un coup d’œil à Mally dont le bonheur est si apparent qu’il ne peut s’empêcher de cacher ses dents depuis un moment. Sa mère et sa sœur tiennent chacun une de ses mains, mais son regard reste fixé sur Snam qui rigole et pleure pendant qu’elle se fait enlacer par Dara. À leur âge je n’ai connu que des fuck boys alors je trouve ça touchant de voir un jeune homme si impliqué et sincèrement joyeux d’avoir trouvé sa personne.
La suite fut ponctuée de moments émouvants et drôles commençant par la découverte des différents éléments de fête. Aucune délégation n’a négligé l’événement et nous nous sommes amusés à montrer chacune nos tables bien garnies. Tonton Magnim nous a par la suite gratifiés d’une reprise de « J’irai où tu iras » de Céline Dion et Jean Jacques Goldman. Le plus hilarant c’est qu’il s’est bien préparé avec micro à l’appui et sa femme n’était même pas au courant, du moins si on se fie à ses nombreuses exclamations de surprise. Il n’avait que Romelio comme supporter tandis que Macy le suppliait de ne pas se donner en spectacle. Il n’est pas une diva de la chanson, mais il a pas mal assuré et le plus important c’est qu’il nous a bien amusés. Au final on y a presque passé toute la journée. Entre causeries, blagounettes et célébrations, personne ne semblait pressé de s’en aller. Quelqu’un serait passé devant notre porte qu’il n’aurait pas cru qu’on ne faisait que parler avec des gens à des milliers de kilomètres de nous. Vers 22 h quand je m’apprêtais enfin à regagner mon lit, je suis tombée sur Mally dans un petit coin du salon et rien qu’au ton de sa voix, j’ai conclu qu’il parlait avec sa femme. C’est sur la pointe des pieds que j’ai fait un tour rapide en cuisine pour me servir un dernier verre du jus de gingembre préparé par maman Belle avant d’aller me coucher auprès d’Elikem qui dort avec moi puisque sa mère et son frère occupent sa chambre.
***Ciara WIYAO***
Depuis la fin d’année, je n’ai réellement pas eu une minute à moi, mais en dépit de la fatigue, j’ai adoré chaque instant de ces derniers jours. Selon notre programme, Magnim et moi avions prévu que je rejoigne Snam lorsqu’elle sera à deux semaines de son accouchement, mais comme on dit l’homme propose, Dieu dispose. À sa dernière échographie, son gynéco s’inquiétait du faible volume de liquide amniotique qui entoure le fœtus. Sur les trois semaines suivant cette nouvelle, ma fille a dû se soumettre à une série d’écho de l’ordre d’une par semaine pour surveiller la croissance du fœtus. Ce qui fut décidé c’est qu’il fallait déclencher le travail pour éviter que l’oligohydramnios conduise à des complications sévères. C’est ainsi que j’ai pris l’avion sans tarder pour épauler ma petite chérie qui prend assez mal cette nouvelle.
Mon rôle depuis l’arrivée, c’est de lui occuper autant que possible l’esprit parce qu’elle a peur. Elle ne le verbalise pas, mais je sais de Macy que durant son second trimestre elle s’était amusée à regarder un tas de vidéos d’accouchement et la dernière chose qu’elle voulait c’était de dépasser sa date au point qu’on doive déclencher son accouchement. Alors le scénario actuel la dépasse complètement et quand ma seconde fille est dans cet état, elle vit ses émotions au lieu de les verbaliser. Ce n’est pas du tout Macy qui me parle de tout. Snam a toujours été comme un escargot. Pour avoir accès à ses pensées, il faut la tirer de sa coquille.
Avant de sortir de ma chambre, je fais ma prière puis j’écris à mon mari pour avoir des nouvelles.
— Excuse-moi, je finissais de repasser ma chemise, il me dit de vive voix environ une heure plus tard.
— Pas de soucis, tu vas bien ?
— En vérité je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je l’ai passé à prier que justice soit faite aujourd’hui. Et vous ? L’état de mon bébé ne s’améliore toujours pas ?
— Elle va bien Magnim, ce sont juste les émotions des derniers instants.
— Peut-être que j’aurais dû y aller plutôt….
— Je sais que je ne suis pas aussi bien avec elle que toi, mais j’ai aussi mon utilité, je dis en rigolant.
— Pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire.
— C’est pas grave, on sait de toute façon qu’elle est plus à l’aise avec toi que moi.
— Ne dis pas ça chérie. Tu es sa mère. Elle le sait, t’aime et te fait confiance.
— Je sais, je dis pour clore en réalité ce sujet qui m’a toujours un peu chagriné, mais que puis-je changer dessus. À quelle heure débute le procès ? je le relance.
-10 h 30, mais je vais passer au bureau avant de me rendre au palais de justice.
— OK, n’oublie pas de me tenir au courant.
— Bien sûr, je t’aime et dis à Snam que tout finira dans deux jours.
— Sans faute mon chéri, on se reparle plus tard, je dis en conclusion avant de raccrocher.
Les Adamou n’étaient pas juste rentrés pour la dot de Snam. Ils voulaient montrer à Laith son pays ainsi que nous l’introduire officiellement, en plus une date était enfin arrêtée pour le procès de la vieille sorcière. J’envoie justement des mots d’encouragement à Farida avant de sortir de ma chambre. Parfois je trouve que la vie a un drôle d’humour. Des années plutôt, je n’aurais jamais cru que ma fille vivrait dans cette ville qui m’a en quelque sorte propulsé sur le plan professionnel. Du moins, c’est après un voyage professionnel à Nairobi que les portes se sont ouvertes pour moi. Le directeur de la filiale de mon ancien employeur vivait dans le même quartier que Snam aujourd’hui. Le monsieur n’est plus malheureusement, et le coin est bien différent de ce que j’avais vu des années plus tôt, mais je trouve ça quand même amusant. Je vais toquer à la porte de Lare AW junior qui sans surprise est déjà réveillée, tête devant son ordi.
— Tu as quand même mangé avant de t’installer à ton bureau ?
— Je n’ai pas vraiment faim maman, elle répond tout en pianotant sur son ordi sans me regarder.
Je me rends dans leur cuisine avec l’intention de lui préparer un truc rapide, mais je dois vite abandonner mes plans. Elle a emménagé avec l’aide de ses amis il y a trois semaines de ça du coup, il lui manque encore quelques essentiels. Malgré le départ précipité, je m’étais quand même débrouillée pour emmener autant de nourriture que possible, donc je sors un ziploc (sachet de congélation) de haricots blancs et petits carrés de bœuf, un de ses favoris, puis je le passe aux microondes pour le dégivrer. Je découpe ensuite quelques morceaux de baguette et vais lui porter le tout sur un plateau.
— Ou tu manges, ou j’appelle ton mari.
— On dirait que tu as attendu toute ta vie pour dire ça, elle me dit en me regardant de travers et m’arrache un sourire.
— Tu n’as pas idée. Ce sont vos maris qui nous vengent des « je vais le dire à papa » avec lesquels vous nous fatiguez en grandissant.
— Si tu essaies de me dire indirectement que ce bébé va continuer ton lourd projet sur moi, laisse-moi te dire que vous rêvez en couleur tous les deux. C’est avec le pied aux fesses que je vais le redresser dans cette maison.
— N’est-ce pas, on est là, on verra, je dis amusée. J’étais pareil. Persuadée que je serais le parent sévère parce que Magnim me semblait trop gentil pour être ferme. On sait ce qui s’est passé par la suite. Le cœur toujours tremblant dès qu’il s’agit de mes filles. J’ai même pleuré quand on leur a percé les oreilles. Toujours à chercher la négociation pour leur faire entendre raison. C’est Magnim qui haussait le ton sur elles au besoin. Tu vas adorer être maman, tu verras, ça change la vie, je la rassure, en même temps nostalgique quand je repense à mon expérience.
— J’espère surtout être une bonne maman.
— Mais oui, aie confiance mon ange. Je te laisse finir ton travail. Je serais dans la cuisine si tu me cherches.
— Ne va pas te fatiguer là-bas sous prétexte que tu défais le restant des cartons hein. Tu es là pour te reposer ici.
— J’ai entendu madame Lare AW, je dis et elle me sourit sachant pertinemment que je ne vais pas changer mes plans.
Elle me lance un merci quand je ferme sa porte et en une heure et demie environ, je suis assez ravie du résultat. Les cartons sont vidés. J’ai eu le temps de ranger et noter sur un petit papier les places de tout, puis je l’accroche au frigo. La porte s’ouvre et notre femme enceinte me rejoint avec son plat en main.
— Tu es fatiguée ? elle me demande.
— Non non, j’allais arroser un peu tes fleurs.
— Non, tu sais que tu aimes travailler ? elle dit sur un ton amusé.
— Ton père m’a fatigué avec cette histoire de faire dix mille pas par jour pour maintenir une bonne santé alors je m’efforce.
— Lol, Mally m’a justement agressé par message tout à l’heure que je dois marcher alors je comptais faire le tour de la propriété.
Je m’empresse d’aller me changer et pendant qu’on marche, elle me parle de sa recherche avec beaucoup de frustration.
— Dans mes plans je devais finir la rédaction de la première partie avant d’accoucher comme ça j’allais prendre le mois entier que Mally ferait ici pour qu’on en profite à fond. Au lieu de ça, j’accouche plus tôt et ma gynécologue m’a dit sur un ton emmerdé que « les femmes accouchent tous les jours » quand j’ai simplement demandé si elle était certaine qu’il n’y avait pas une autre option pour moi.
— Elle t’a dit ça quand ? je lui demande étonnée par cette nouvelle.
— C’est…
— Ne te retiens pas ma puce, pleure un bon coup si tu en as besoin avant de m’en parler.
Elle tire sur les manches de son pull et se nettoie à plusieurs reprises le visage avant de poursuivre.
— Durant la dernière écho. Tu sais j’ai tellement la trouille. J’ai lu que ça fait un mal de chien le déclenchement et ça me décourage déjà. J’ai demandé conseil dans le groupe de soutien pour jeunes mamans où je suis inscrite et on m’a dit que tout se passe dans l’esprit donc je dois être forte. Mais ça me saoule que personne ne me dise comment le devenir maman. Je veux l’être, je veux aussi accoucher comme toutes les femmes fortes, sans péridurale, je veux être une femme solide. Je pensais l’être du moins, mais j’ai l’impression que je me fourvoyais. J’ai la sensation d’être une gamine qui a déjà abandonné mentalement surtout quand je lis les expériences des autres qui ont déjà accouché dans le groupe et elles mentionnent avec fierté les longues heures ainsi que l’absence de médication.
— C’est le fait que tu songes à la péridurale qui te fait penser que tu es une gamine ou ce que tu lis dans ton groupe ?
— Je sais pas, un peu des deux ? Je sais pas maman, je suis confuse actuellement.
— Tu aimerais alors que les membres du groupe ne partagent plus leurs expériences ?
— Non bien sûr que non. Chacun a le droit de célébrer son moment. Je suis qui pour dire aux gens de ne pas se réjouir ?
— Tu as entendu ce que tu viens de dire ? Chacun a le droit de célébrer son moment Snam. Chacun y compris toi. Je comprends tout à fait que dernièrement tout soit chamboulé pou toi. Ça saoule, c’est normal. C’est vrai aussi qu’on dit que l’accouchement se déroule aussi bien physiquement que mentalement. Mais personne, même pas moi, personne ne peut te donner une formule exacte pour programmer ton mental. Ça n’aide pas que tu entendes des paroles décourageantes de ton gynéco, je te l’accorde totalement. Mais ce que je ne veux pas, c’est que tu te mettes une pression inutile. Tu sais, lorsque l’enfant est posé dans tes bras, crois-moi, je ne connais aucune femme qui se sent gamine à ce moment. Péridurale, naturelle, déclenchement, césarienne, je ne connais aucune femme qui pense à la méthode d’accouchement. Alors ne te charge pas la conscience pour un détail pareil.
— Je sais bien que ce n’est qu’un détail et je dois même sonner comme une pleurnicheuse….
— C’est faux, tu ne sonnes que comme une femme inquiète et je ne connais pas tout, mais j’essaie de t’expliquer que tu n’as pas à être si dure avec toi pour un détail que tu ne peux contrôler.
— Maman…., elle dit d’une voix lourde d’émotions.
Je passe ma main dans son dos pour le lui câliner.
— La vie de femme est un peu compliquée si tu ne t’efforces pas d’avoir confiance en toi ma chérie. La confiance ce n’est pas seulement en ton apparence ou intellect, mais aussi en tes capacités en tant que mère ainsi que celles de ton bébé. Lorsque l’enfant sera là, tu verras que d’autres situations pointeront le bout de leur nez. Peut-être tu auras des soucis avec l’allaitement, peut-être ton enfant marchera plus tard que les autres, peut-être qu’il aura plus de mal dans certaines matières à l’école comparé aux autres. Les autres mamans ne vont pas taire leurs réjouissances parce que tu as du mal à accepter les réalités que tu vis en tant que mère. C’est de la même façon qu’il se peut que ton enfant soit le plus intelligent, avancé, et naturellement la joie te poussera à partager ses exploits avec ton entourage. Tout ça pour te dire de ne jamais oublier le plus important, le bien-être de l’enfant. Son bien-être n’est pas lié à ce que fait la maman de Sophie et sa fille. La maman de Sophie peut être une femme qui a l’air de tout gérer avec brio. Sa fille peut parler quatre langues à l’âge de trois ans et compter jusqu’à mille. Elle peut en parler au quartier entier. Ça les regarde. Ça ne diminue pas ta capacité de maman si ton bébé ne mange pas un plat fraichement préparé tous les soirs. Tu ne deviens pas une mauvaise mère parce que ton enfant préfère jouer à trois ans que d’apprendre. Efforce-toi de l’aimer, lui donner le meilleur que tu peux, l’éduquer et montre-lui que tu as confiance en ses capacités. En tout cas c’est ce que j’ai appris avec vous deux et sans me vanter, je pense que ce sont de bons conseils si on voit ce que vous êtes devenus.
— La mamie numéro un, elle dit d’une voix enrouée tout en essayant de m’enlacer, mais l’expérience est plutôt amusante à cause de son ventre du coup nous finissons par en rire.
— Sophie c’est qui même en passant ?
— Ah je sais quoi ? C’est le premier nom qui m’est venu en tête, je lui réponds et elle rigole en secouant la tête.
Deux jours plus tard, à six heures du matin, nous quittons d’un pas confiant la maison pour nous rendre à l’hôpital où elle accouchera si Dieu le veut aujourd’hui. Madame a voulu conduire donc je me suis installée à ses côtés. Mally est resté au téléphone avec elle jusqu’à l’arrivée. Je m’assure de questionner de façon extensive la gynécologue pendant qu’on prépare Snam. Elle compte lui insérer un ballonnet dans l’orifice du col afin que celui-ci favorise la dilatation du col. J’ai gardé la main de Snam dans la mienne pendant toute la durée de la procédure. Elle a serré les dents et tremblait, mais nous y sommes arrivés. Il ne nous restait plus qu’à patienter pendant douze heures le temps que le ballonnet fasse son effet. Nous avions le droit de rentrer, mais nous avions confiance que le bébé viendrait aujourd’hui alors nous sommes restés sur place. Entre les différents coups de fils, les petites marches pour aider le travail à évoluer, nous avons facilement écoulé un peu plus de la moitié du temps. L’équipe médicale a voulu vérifier l’avancement du travail, et ce fut le début des mauvaises nouvelles. Ce dernier n’avait pas du tout avancé. La gynéco nous prévient qu’on attendra encore trois heures et si rien ne change, il faudra passer à l’injection d’ocytocine.
— Courage ma chérie, courage, je dis à ma fille dès que je vois la peur dans son regard.
Les trois heures se sont écoulées sans que le résultat change. L’injection fut administrée et les heures suivantes, j’ai vécu les moments les plus difficiles pour un parent. Voir sa fille souffrir en silence, pleurer, geindre et ne pouvoir rien faire sinon nettoyer son visage c’est vraiment difficile. La péridurale fut un véritable soulagement pour elle lorsque ce fut son moment. Et vers 23 h, ce fut le moment de pousser. Naturellement, je respirais et comptais avec elle tout en tenant sa main.
— Tu peux le faire Snam ! Tu peux le faire ! s’encourageait-elle seule durant les poussées.
Dix poussées, c’est ce qu’il a fallu pour que le bourgeois fasse son entrée dans le monde en silence d’abord puis se met à pleurer comme quelqu’un qu’on a osé réveiller sans demander la permission.
— Maman ! dit ma fille d’une voix étranglée et l’air émerveillé quand on vient lui poser le bébé dans ses bras tout en nettoyant ce dernier qui pleure autant que moi.
— Oui chérie, c’est ta fierté, c’est le tien, tu as été une championne.
— Oh my God, maman, elle répète et s’effondre tout en berçant le petit qui se calme petit à petit.
— C’est bien le tien ma grande, bienvenue dans notre monde monsieur le bourgeois, je dis admirative devant l’adorable bouille de notre bébé qui se sent très à l’aise sur la poitrine douillette de maman.
Les événements s’enchaînent très vite par la suite. L’équipe médicale reprend le petit pour la pesée et le reste pendant qu’on finit de s’occuper de Snam. Une heure plus tard, nous sommes dans une chambre de repos. Notre bourgeois tétait déjà très bien avant la visite de la conseillère en allaitement.
— Un vigoureux garçon en parfaite santé, sans maladie, j’annonce fièrement au papi qui faisait la sentinelle au téléphone attendant notre signe.
Je donne le téléphone à sa fille avec qui il parle et cette dernière le HP afin que papi adresse ses premiers mots au bourgeois. Les premiers mots en kabyè, c’est si beau. C’est au tour de Belle d’appeler et ce fut la tournée des appels jusqu’au lever du soleil. La nouvelle maman n’a pas réussi à fermer l’œil, car trop énamourée par son bébé. Le papa qui était en plein vol quand son héritier venait au monde n’a pu appeler que durant sa correspondance. Il a refusé de voir son Rudyard Solim en vidéo et ne voulait pas de photos, préférant que leur première rencontre soit authentique, selon ses mots.
La fatigue eut finalement raison de Snam à un moment. Aïdara nous a rendu visite un peu après que ma fille ait fermé les yeux. Je l’avais rassuré qu’on pouvait s’en sortir pour rentrer à la maison, mais bien évidemment, elle mourrait d’envie de voir son neveu. C’est elle qui est également passée un peu plus tard pour nous ramener à la maison, nous assurant au passage que son fiancé viendrait la chercher plus tard. Ma fille qui a passé son temps à qualifier Mally de garçon pourri gâté pour ses goûts dispendieux, s’est empressée d’aller porter au bébé un pantalon Gucci qu’elle arborait aussi.
— C’est parce que son père arrive et il lui a déjà acheté donc autant qu’il le porte. En plus il a laissé le sien avec moi alors, elle se justifie quand Dara et moi lui lançons un regard inquisiteur.
Nous éclatons de rire tous les deux en secouant chacune la tête. C’est le fiancé qui a ramené Mally deux heures plus tard. Ce dernier nous a lancé des salutations rapides tout en se dirigeant vers Snam qu’il a soulevé dès qu’il l’a vu. Ils se disent en intimité ce qu’ils ont besoin de se partager. Ce n’est qu’après qu’il la dépose et vient nous saluer proprement. J’ai droit à des câlins et remerciements. On est tous attendris quand il porte son fils pour la première fois une heure plus tard et que Snam lui remet le biberon rempli de lait afin qu’il puisse le nourrir. Sa femme avait commencé à tirer son lait depuis l’hôpital, insistant que son homme aurait envie de nourrir son bébé et elle veut le lui permettre. Marley et Mally avaient fait un détour pour acheter de la viande grillée apparemment alors Dara m’a rejoint ou dirai-je plutôt chassé de la cuisine quand je voulais faire frire les bananes plantains. Elle s’en est occupée et pendant qu’on se régalait durant le reste de la soirée, Snam qui pensait être une gamine quelques jours plus tôt nous racontait avec beaucoup de joie son accouchement.
***Elikem AKUESON***
Je ne m’attendais pas à ce que ma grosse tête de petit frère fasse un enfant aussi mignon que Rudyard le bourgeois. Le prénom du petit me fait encore sourire pourtant il est né depuis un mois le boutchou et nous avons du temps pour nous y faire puisque Mally nous l’a annoncé dès qu’il l’a trouvé. C’est un hommage à papi Ruben que mamie Titi avait apparemment surnommé Rudy sans jamais expliquer ses raisons. Le Solim c’est bien évidemment un hommage pour les origines Kabyè de Snam, mais surtout l’amour que les deux partagent. Cet amour dont Rudyard est la représentation. Je ne saurai expliquer mon envie, mais je rêve littéralement de porter ce petit dans mes bras comme si c’était le mien. Je ne sais pas si j’essaie de m’accrocher à lui comme je n’ai pas été fichue de représenter l’amour que j’ai partagé avec Ray. Bref, mon billet pour Nairobi est déjà pris. Je complète ma dernière semaine à l’hôpital dans trois jours et techniquement j’en aurai fini avec les études. Ces études m’ont tant coûté mine de rien. Parfois, c’est con, mais je me demande si ça en valait la peine. Maintenant que j’en vois le bout, je suis éreintée. Tout ce que j’ai fait l’année dernière, c’est par force et non envie. Je ne voulais pas décevoir ma famille alors j’ai forcé tous les jours mon esprit à rester concentré sur une tâche. Un objectif, finir cette sous-spécialité, un peu comme si je devais rembourser une dette.
J’ai l’impression que tout autour de moi bouge. Océane est prête à rentrer à Lomé. La petite délurée que j’aie connu a bien grandi je trouve. Quand on avait 22 ans, Océane c’était une fille à papa qui assumait son statut et ne prévoyait quitter la maison de son père que pour entrer chez son mari. Océane à 33 ans est propriétaire d’une maison de trois chambres qu’elle s’est fait construire avec ses économies pendant quatre ans à Adidoadin, le même quartier où elle tient aussi son Spa qui réellement décollé. Le succès du Spa lui a inspiré l’idée d’une bijouterie qu’elle compte nommer la Pie. Un autre nom qui me fait sourire aussi quand j’y pense. Elle dit que c’est son côté qui adore le brillant qu’elle assume comme ça. Dans la vingtaine, elle me disait souvent n’avoir aucune motivation pour les études et trouvait que j’avais de la chance d’avoir une vraie passion comme la médecine. Je pense qu’elle a fini par assumer et surtout trouver une façon de monétiser sa passion pour les parures. Dernièrement, je l’admire quand elle parle et je suis vraiment heureuse de la voir si épanouie et bien dans ce qu’elle fait.
Il y a bien sûr mon frère qui bouge énormément. Son congé de paternité tire à sa fin et il reprend son vol demain pour revenir ici. Nous avons d’ailleurs prévu d’emménager ensemble un peu plus tard dans l’année. On se cherche des emplois dans les mêmes villes. Rester dans ce pays, si loin de la famille c’est vraiment difficile à la longue, surtout que je n’ai jamais fait d’effort pour avoir des amis. Il y avait toujours Océane, Romelio à distance et surtout Ray qui venait alors, je n’ai jamais ressenti la solitude. Mais là, l’avenir me semble noir. Je me sens vulnérable alors je vais m’accrocher sans honte à ceux qui m’aiment. Je ne veux surtout pas rester seule et que maman repousse à nouveau son départ. Ça me gêne par rapport à papa qui s’est privé de sa femme depuis plus d’un an juste pour ma gueule.
Ma sœur aussi bouge. Elle a décroché une promotion au travail, chose que nous avons célébrée en pompe et en novembre, elle et Marley prévoient de s’unir. Elle m’a touché en me demandant d’être son témoin de mariage. Je ne m’attendais pas à tenir ce rôle puisqu’en grandissant chacun a choisi sa voie. Elle a fait sa vie à Nairobi entourée de Snam, Hilda et d’autres noms que j’ai quelquefois entendu alors je m’attendais à être une invitée ou au trop demoiselle d’honneur. Mais je suis bel et bien témoin. Un rôle que je prends au sérieux même si à l’heure actuelle, ils n’ont encore rien débuté en matière d’organisation.
La vie de Romelio aussi bouge, surtout professionnellement. Je ne fouine pas dans sa vie de couple à moins qu’il m’en parle, ce qu’il fait uniquement quand sa femme ne se porte pas bien. Mais connaissant Romelio, je sais que sur ce point ça doit aller.
Maintenant que Snam a eu son bébé, les Wiyao et Adamou préparent avec joie leur prochaine croisière de l’Afrique. La voleuse d’enfants a été finalement condamnée à 30 ans avec une période de sûreté de 20 ans. Une nouvelle qu’on a accueillie avec un grand soulagement. Je ne l’ai pas vu, mais si je me fie à ce que j’ai entendu, elle doit avoir l’âge de mes parents alors aucune chance qu’elle sorte de là en pleine forme. Si elle arrive déjà à en sortir. L’autre décision judiciaire que j’attends de pied ferme c’est celle du démon qui croupit toujours en cellule à Libreville. Il ne se passe aucune journée sans que je n’y pense. Je n’en parle à personne. Je n’ai pas envie qu’on me fasse de leçon sur le pardon. Ce que j’attends c’est que cet homme finisse chacun de ses jours dans ce trou et n’ait pour compagnon que des rats. Que ses jours s’écoulent aussi lentement qu’un paresseux qui descend de son arbre.
— Perla, tu m’écoutes ? j’entends de maman qui m’interrompt dans mes pensées.
— Hum ? Qu’est-ce que tu dis ?
— Je demande si tu préfères que je porte une robe ou un tailleur pour le grand jour. Sinon je peux faire un mix hein. Veste en haut, jupe en bas ?
— On n’ira nulle part alors tu peux ranger tes effets.
— Hein ? Ce n’est pas ce printemps que vous allez graduer ?
— Je ne compte pas y aller. On m’enverra mon diplôme par la poste.
— Corrige-moi si je me trompe. C’est bien toi qui as commencé tes études à 17 ans et tu t’y trouves encore aujourd’hui, durant ta 33e année.
— Je…
— Pardon je n’ai pas fini, elle dit sur le ton qu’elle emploie quand elle n’est pas loin de taper une crise. Si on retire 17 de 33 ans, tu retrouves à 16 ans ou bien ? 16 ans d’études Elikem, tu es aux études depuis 16 ans ! Et c’est au bout de ce délai kilométrique, après tant d’épreuves, d’implication personnelle, d’efforts que tu décides d’abandonner ?
— ….
— Tu vas me répondre oui !
— Qu’est-ce que j’abandonne ? Je ne viens pas de te dire qu’on va m’envoyer mon diplôme par la poste ?
— C’est par la poste que tu as étudié ? Hurle-t-elle, ce qui m’énerve d’un coup.
— Maintenant ça suffit maman ! Je suis quand même libre de faire ce que je veux non ? C’est quoi cette façon de me forcer ?
— C’est encore quoi Elikem ? Hein ? Tu n’as pas pitié de moi ? Je dois me traîner au sol pour que tu comprennes qu’on partage la douleur ensemble ? Pourquoi tu veux me priver de joie ?
— Arrête ! Je dis le cœur toutefois rongé par la culpabilité. Qui te prive de joie ? Dara ne t’en donne pas ? Voilà Mally qui t’a rendu mamie. Arrête avec le forcing. Je n’ai pas envie d’aller là-bas. Je ne veux pas voir les gens, je n’ai pas envie de parler, sourire ou faire semblant de m’intéresser à la cérémonie. Je veux juste la paix, tu peux comprendre ça ?
— Très bien ! Comme tu veux rester et allonger ton visage jusqu’à la fin, comme ce qui te plaît c’est de me voir triste derrière toi, comme c’est toi qui décides, on va faire comme tu veux. On va tous porter la morosité comme un vêtement, elle m’achève et s’en va.
L’ambiance est lourde à la maison donc je sors courir pour décompresser. Je me suis carrément perdue et au retour les lumières étaient déjà éteintes du coup, je suis restée au salon.
— Hey….
— Punaise, je murmure apeurée, main sur le cœur suite à l’intervention d’Océane.
— Tu étais où ? Il se passe quoi avec la vieille ?
— Rien, je dis tout en me déchaussant.
— Pourtant je l’ai entendu en rentrant aujourd’hui. Elle avait l’air de se plaindre et pleurer au téléphone.
— Il ne s’est rien passé.
— Tête de linotte va. Si tu veux parler, viens me trouver dans la chambre, elle dit et m’ébouriffe les cheveux avant de s’en aller.
Je vais m’installer au salon avec une assiette remplie de deux pointes de pizza que je dévore et sans m’en rendre compte je finis par m’assoupir sans avoir fini ma bouffe. Une petite tape sur l’épaule ainsi qu’un parfum familier me tirent du sommeil. Je m’écrie comme une psychopathe et bondis vers l’arrière quand j’arrive à distinguer les traits de cette personne.
— C’est comme ça que tu es devenue peureuse Elikiki ? Ma grand-mère me demande de son timbre riche et chaleureux.
— Tu es morte, tu es morte, tu es…
— Morte, j’ai compris, elle complète, interrompant mes paroles craintives. Ton salon n’est pas propre hein. C’est quoi ça ? Je t’ai dit qu’une bonne femme garde toujours le salon en état parce que c’est là-bas qu’on reçoit les gens non ? elle continue sur un ton bien normal comme si elle devait être là.
— Je t’ai vu grand-maman, j’ai vu ton cadavre, je dis d’une voix tremblante, accrochée à la partie du sofa où je me suis réfugiée.
— C’est pour ça que le salon est comme ça ? Et puis j’ai dit quoi sur le pain avec fromage ?
— C’est la pizza, je dis d’une voix enrouée.
— Tout ça, c’est pas farine avec fromage au-dessus ?
Sur cette phrase je plonge en avant dans ses bras dans un sanglot tremblant. Je pleure au point d’en avoir mal à la gorge, de trembler de tout mon corps et hoqueter. Elle est bien là, c’est son parfum, je le reconnais et elle porte un vêtement familier. C’est sa voix que j’entends me rassurer, ce sont ses mains qui câlinent mon dos pour m’apaiser.
— Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Je t’ai vu, j’insiste d’une voix entrecoupée.
— Je suis venue te voir, ça fait longtemps.
— Pourquoi tu n’es pas venue avant ? J’avais besoin de toi !
— Tu n’avais pas réglé notre contrat. Tu m’as dit en quittant Lomé qu’un jour on allait se revoir et tu serais docteure.
— Je suis docteure zizèle, bon pas encore, mais je….
— Félicitations ma petite. Moi aussi j’ai eu docteure dans ma famille. Moi fille de cultivateur, tu as emmené notre nom en haut.
— On dit tu nous as élevé, je dis en rigolant malgré mes larmes.
— Hein, tu as fait tout ça. C’est très bien.
— Mais j’ai fait des choses stupides aussi. D’abord je me suis souvent disputée avec mon copain. J’ai fini par me fâcher contre lui et le blesser puis pour finir je l’ai laissé tomber pensant qu’il n’en faisait qu’à sa tête. Et pourquoi c’est même ça que je te raconte maintenant ? Arrghhh ! Je crie frustrée. Je ne m’attendais pas à te revoir un jour, maintenant je ne sais pas quoi faire.
— C’est donc ça qui te fait autant pleurer ma petite ? Il ne faut pas trop pleurer, tu vas te rendre malade si tu continues. Je ne veux pas que tu vives malade. Tu dois être en bonne forme pour soigner les malades dans le monde et faire du bien.
— D’accord. Est-ce que tu as vu Ray là-bas ?
— ….
— Tu n’as pas le droit d’en parler ? C’est une sorte de code secret ?
-…..
— OK, mais tu peux quand même me dire s’il va bien? Est-ce que… est-ce qu’il repose avec sa mère au moins ? je demande la gorge serrée.
-…..
— Ça aussi c’est classé top secret ? je continue déçue et recommence à pleurer de plus belle.
— C’est fini ma jolie, ça va aller. C’est ici que tu as mal ? Regarde, voilà c’est fini. Je suis là, elle me répète comme elle faisait pour me dorloter après un bobo quand j’étais plus jeune.
Petit à petit, son étreinte se fait plus légère, sa voix lointaine. Je comprends qu’elle est en train de m’abandonner. J’ai si mal, mais je sais que sa place n’est pas ici.
— Merci d’être venue me réconforter, je lui dis avant qu’elle disparaisse complètement. Merci d’avoir été une figure si apaisante dans ma vie. Merci d’avoir pris soin de moi quand maman s’est retrouvée dans la mouise. Merci aussi de prendre soin de mon Ray là-bas et dis-lui que je ne l’oub…. je ne vous oublierai jamais tous les deux.
J’ouvre à nouveau les yeux et reconnais les pleurs qui me reviennent aux oreilles. C’est maman qui se tient devant moi avec Océane à ses côtés et les deux me regardent avec peine. Le salon actuel ressemble plus à celui où je me trouvais avant mon premier réveil.
— C’est fini ma petite perle, je suis désolée, on n’ira pas à la graduation, je ne t’embêterai plus, elle me dit d’une voix remplie de détresse.
Je touche mon visage qui est aussi inondé de larmes. Ce n’était qu’un rêve, ou plutôt mon esprit qui me projetait une scène familière de mon enfance, raison pour laquelle, elle ne pouvait me répondre quand je l’interrogeais sur Ray. Je me sens vide, mais étrangement complète. J’ai oublié l’espace d’une seconde que je n’ai pas étudié uniquement pour moi. C’était certes mon rêve de devenir médecin, mais sans mon entourage je peux dire sans aucun doute que j’aurai lâché en chemin. Mon entourage a épousé mon rêve alors je me dois d’aller chercher ce fichu diplôme en main propre. Je me le dois, je le dois à Ray qui me répétait régulièrement qu’il ne souffre pas de mon absence pour que je néglige mes études, pour ma grand-mère, pour mon papounet qui se vante à ses amis depuis que je suis aux études et m’a envoyé une robe toute neuve, pour mon père qui fut mon supporter silencieux, pour Romelio, pour Océane, pour…
— Je vais bien maman, ce n’était qu’un rêve.
— Ça va aller ma chérie. On n’ira plus. Je comprends, tu souffres, elle continue, signe qu’elle ne m’a pas entendu.
— Je vais bien maman, je dis en prenant son visage en coupe. Je vais bien et je vais aller à la graduation. Pour toi, pour tout le monde, je nous dois bien ça.
— Yes, ça c’est mon Elikem, j’entends d’Océane.
— Non non, ce n’est pas forcé, maman continue et je l’interromps à nouveau en prenant un ton plus ferme.
— C’est la force. On s’est tous efforcés pour arriver ici alors on s’efforcera pour célébrer en attendant que la vie se décide à m’accorder un peu de répit.
— Oh ma chérie, tu auras du répit, je te jure que tu en auras. Merci mon Dieu, elle dit en me prenant contre elle.
Le jour J, je m’efforce comme je l’ai promis. Je me mets sur mon 31. J’ai bien travaillé mon sourire à la maison et c’est surprenant qu’une fois sur place, ce ne fut pas aussi pénible que je le pensais. Non, ce ne fut pas pénible, surtout que maman, Océane et tous les autres dans les quatre coins du monde étaient si excités pour moi. Enfin je suis pédiatre spécialisée en hématooncologie.
Le diplôme est en poche. Le vent du printemps m’inspire. J’ai hâte d’entamer mon petit voyage que j’ai pris le temps de me concocter depuis un moment. J’ai certes ce diplôme, mais je ne suis pas pressée d’exercer. Je veux le montrer aux autres. Maman rentre aussi à Lomé tout comme Océane. Pour ma part, je vais passer du temps avec mon papounet et un peu Aurore. Ensuite j’irai à Nairobi pour chouchouter mon neveu le bourgeois, passer du temps avec Dara, profiter un peu de leur ville. Dans la lettre qu’elle m’avait fait parvenir par mon frère, Snam avait insisté que les portes de sa maison me seraient éternellement ouvertes alors je vais saisir son offre. Je finirai à Lomé avec mon père ainsi que Romelio. Je me réserve jusqu’à la fin de l’été avant de retourner aux États-Unis.
Durant mon vol, je décide sur un coup de tête de poser un acte qui n’est pas habituel. Je poste des photos sur mon compte IG de ma graduation ainsi que de chaque personne qui est chère à mon cœur. Je commence par Romelio, mon frère, celui avec qui j’ai découvert la vie, le peu de maturité que j’ai, je lui ai déclaré ma reconnaissance infinie. Tout le monde a eu son tour, ainsi qu’un message sincère. J’ai clos le bal par Ray, le mari à qui la vie a refusé que je prononce mes vœux, mais qui n’en est pas le seul amour que j’ai connu en dehors de mon cercle familial. L’homme que je ne regretterai jamais d’avoir rencontré.
Mon papounet est aux anges à mon arrivée. Il a sorti deux Taittinger (champagne) en guise de célébration. Je m’inquiétais un peu d’étouffer tata Lou puisque je comptais faire trois semaines avec eux, mais elle m’a reçu avec beaucoup de chaleur alors j’ai annulé ma réservation à l’hôtel. Le lendemain, la folle dingue d’Aurore voulait déjà m’entraîner dans tous les clubs.
— Tu sais quand même que demain c’est un jour de travail ? je lui demande quand elle met à fond Cheers (Drink to that).
-People gonna talk whether you’re doing bad or good Yeah, elle me chante en guise de réponse.
Les années passent, mais l’enfant ne se lasse jamais de la fête. En tout cas, c’est le genre de personne que tu dois appeler quand tu as envie de tout lâcher. Elle ne se fatigue qu’à la fermeture des portes. Je pense que pour préserver son équilibre mental, mon papounet s’est convaincu qu’elle joue à la pétanque durant ses sorties. Maintenant que j’ai les cheveux courts, ça ne prend presque plus de temps pour m’apprêter alors je vais regarder des vidéos de Rudyard en attendant qu’Aurore se décide à mettre ce tanga au lieu de bouger ses fesses devant mes yeux. Je ne reçois jamais de DM alors voir la petite icône rouge sur IG me prend un peu par surprise. Curieuse, je vais toutefois l’ouvrir et lis le contenu toujours perplexe.
— Bonjour tata Perla. Ici Hadassah….
— Tata ? Je m’interroge. On n’a pas de Hadassah dans notre famille, pourtant le prénom me dit quelque chose.
-Je t’ai trouvé sur facebook….
— Facebook ? Je dis tout haut.
— Facebook quoi ? Aurore me demande.
— Rien, continue tes choses, je lui dis tout en me rendant sur l’application en soi. Je n’ai pas été là-bas depuis un moment et me rends compte avec surprise que je l’avais même lié à mon compte IG du coup les choses que je mettais en story la dernière fois se sont sûrement retrouvés ici. Un détail qui me déplait sur le coup parce que mon Facebook est plus accessible qu’IG, mais bon, je retourne à la suite du DM.
— Et j’ai pensé à t’écrire pour te demander que tu parles à mon père puisque c’est ton frère. Quand est-ce qu’il compte venir ? J’en ai un peu marre d’être larguée ici.
Mes yeux s’arrondissent tout seuls devant l’écran. Je relis le message à trois fois, et m’empresse d’aller voir le profil de la Hadassah en question.
— Whaaa, elle sort où la meuf avec la bouille de Romelio gamin là ?
— Les yeux de qui quoi que comment ? Que je t’entende encore dire ça ici et tu verras !
— Aïe, pourquoi tu me menaces ? Son long cou de girafe me demande au lieu de s’habiller.
Je me lève, les mains tremblantes et commence à faire des tours sur moi. Je revois le profil de cette petite. C’est la face de Romelio ça. C’est le sourire avec brèche de tata Hana sur certaines photos ça. C’est le sang de Romelio ça. Et tout d’un coup, je sais d’où je l’ai entendu le prénom Hadassah. C’est celui d’une cousine à Tchaa. Une cousine qui ne peut pas être si jeune. Elle ne m’aurait pas appelé tata ? Non ?
— Tchaa c’est urgent ! Rappelle-moi ! je lui envoie en note vocale.
— Ça sent le roussi. La nature de mâle de Romelio se serait-elle enfin réveillée ? La vie est ainsi parfois faite, de contradictions, découvertes, on croit connaître son prochain et il vous échappe. Et ça, ça aussi, ça va se savoir, bonsoir, Aurore se permet encore de commenter.
Si je lui réponds, c’est lui donner de l’importance. On a mieux à faire, notamment savoir qui est cette petite parce qu’une chose est certaine, il doit y avoir une explication logique. Romelio n’est pas un manipulateur. Il ne peut pas nous avoir menés par le bout du nez depuis le début et caché une fille, une ado peut-être même depuis ce temps. Ce n’est pas mon Romelio ça.