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Write by lpbk
Zoé, adossée à la porte de la chambre, observait Elsa
rassembler ses dernières affaires. Voilà, une semaine que sa sœur s’était
mariée. La cadette empaqueta le concentré de vingt-trois ans de vie dans deux
énormes valises. Elle y avait rangé quelques vêtements, ceux-là même qu’elle
avait piqués à sa grande sœur des années auparavant. Elle y avait également
glissé quelques photos. Elsa eût du mal à comprendre comment tant de souvenirs
pouvaient tenir dans ces valises qui lui parurent ridicules à côté de tout ce
qu’elle avait vécu entre ces quatre murs.
Ce soir en rentrant de chez le coiffeur, Elsa ne serait plus
là. Elles ne se retrouveraient plus dans sa chambre à papoter pendant des
heures allongées l’une contre l’autre, rêvant de changer le monde, de changer
de vie…ou tout simplement s’échangeant les derniers ragots. Zoé regardait Elsa
en silence, se débattre contre ses longues tresses qui tombaient sur ses fesses
et qui lui obstruaient la vue. Elle avait peur que le nœud qui lui nouait la
gorge déforme ses paroles et la rende bien trop émotive. Alors, elle se tut.
Zoé avait pourtant déjà vécu une séparation avec sa sœur, dix ans plus tôt
lorsqu’elle était partie vivre sur Paris pour poursuivre ses études. Mais la
déchirure est bien plus profonde quand on est du côté de celle qui reste.
Elsa boucla sa valise. Elle jeta un regard empli de
tristesse en direction de sa sœur. Puis, elle resta un bon moment à contempler
la chambre où elle avait grandi. Les souvenirs se bousculaient dans sa tête.
Elle posa ses yeux sur sa lampe de chevet qui l’avait veillée des années car
elle avait trop peur du noir. Elle s’assit un instant sur le lit superposé du
bas où bien des mystères de ce monde lui avaient été révélé par Zoé. Elle prit
dans ses mains le traversin qu’elle balançait allègrement dans le visage de sa
petite sœur Dorcas pour la punir. Elle lut un vieux cahier dans lequel Zoé et
elle avaient noté les lois qu’elles appliqueraient une fois présidentes.
Elsa avait éclaté d’un rire franc quand elle en découvrit les absurdités.
Elle le referma avec nostalgie et se dirigea vers la fenêtre. Elle l’ouvrit et
glissa sa tête dans l’entrebâillement pour admirer une dernière fois la vue sur
les immenses barres bétonnées qui s’étendaient à perte de vue. Elle avait mille
fois souhaité quitter les entrailles de la cité, à présent que ce moment était
arrivé, elle s’étonna de la trouver plus belle que jamais.
Elle quitta enfin la chambre et se rendit dans le salon où
le reste de la famille l’attendait. Zoé lui emboîta le pas.
— Bon bah voilà…, conclut Elsa comme pour marquer le début
d’une nouvelle vie qui l’effrayait quelque peu mais à laquelle il lui tardait
de goûter.
— Oh ma fille, lança sa mère en tendant les bras pour
l’embrasser. « Te voilà une femme maintenant et quelle belle femme, je
suis fière de toi ma fille » continua-t-elle en la couvrant de baisers.
Zoé eut un pincement au cœur en entendant tout l’amour et la
fierté que sa mère ressentait pour sa petite sœur. Aussi loin qu’elle se
souvienne, elle n’avait jamais eu droit à un tel élan de tendresse de la part
de sa mater. Elle préféra détourner les yeux.
Après avoir embrassé son père, Mari, son mari et Dorcas vint
enfin le tour de Zoé.
— Ma Chérie, tu vas tellement me manquer, se lamenta Zoé en
la pressant fort contre sa poitrine.
— Toi aussi grande sœur, murmura Elsa à son oreille. « Zoé’
t’es en train de m’étouffer là » gémit-elle.
— Oui je sais mon amour est étouffant. Prends bien soin de
toi, ajoute-t-elle en relâchant son étreinte.
— Vous allez tous tellement me manquer, mais bon je ne suis
pas loin hein, vous pourrez toujours passer me voir à la maison.
— Compte sur moi ! On se fera des soirées ciné ou des
soirées débat comme au bon vieux temps, se réjouit Zoé.
— Ne raconte pas n’importe quoi. Elle est mariée à présent.
Tu penses qu’elle aura le temps pour des bêtises de vieille fille ? S’indigna
sa mère.
La remarque de la matriarche rendu hilare Marie qui amplifia
légèrement son rire pour ridiculiser davantage sa petite sœur.
— Ah je ne savais pas qu’être mariée ça empêchait de
regarder un film avec sa sœur de temps en temps, rétorqua Zoé à voix basse.
Malheureusement, le volume était assez élevé pour parvenir
aux oreilles de sa fouine de sœur.
— Tu sais il y a tellement de choses qui changent dans ta
vie quand tu te maries mais bon tu ne peux pas comprendre, répondit sèchement Marie en soutien de sa mère qui acquiesça en arrière-plan.
— Ok je serai ravie de faire des soirées ciné avec Eze, Zoé
aussi et même avec toi Maman, trancha Elsa pour mettre fin à la guéguerre
stupide qui était en train d’éclater entre ses deux sœurs.
Elsa refit un petit tour de baisers et s’arrêta longuement
sur Zoé.
— Courage avec maman, ça lui passera.
— Ouais ça va aller ne t’inquiète pas va, répondit Zoé ne
sachant plus très bien si elle cherchait à rassurer Elsa ou à se rassurer
elle-même.
Elsa se dégagea.
— Bon la famille, il faut que j’y aille, Eze est en train de
s’impatienter, dit Elsa en jetant un coup d’œil à son smartphone qui venait une
nouvelle fois de vibrer.
La jeune femme tenta de prendre ses deux énormes valises
pour déserter la maison. Voyant qu’elle peinait à se mouvoir, chargée comme un
âne, le mari de Marie se lança à sa rescousse. Elsa accepta volontiers son aide
et se déchargea aussitôt d’une des encombrantes valises. Elle rejeta pour la
énième fois la chevelure de tresses qui lui couvrait le visage. Elle posa un
dernier regard sur sa maison et disparut.
Zoé regarda sa montre et fila se préparer. Le salon de
coiffure dans lequel elle se rendait habituellement ne tolérait pas les
retardataires. Elle se pressa aussi vite qu’elle put mais arriva, en trombe
avec cinq minutes de retard. Elle passa le pas de la porte, essoufflée, après
avoir tapé un sprint digne d’Usain Bolt. Les gémissements incessants pour
reprendre son souffle avaient dirigé tous les regards des clientes
confortablement installées du salon vers elle. Il faut dire que sa dyspnée
tranchait avec l’ambiance bien-être. Sa respiration saccadée couvrait la
musique toute droite sortie d’une playlist méditation. Thierry, s’avança alors
vers elle et prit de pitié, il accepta de la prendre.
— T’as de la chance Zoé, je suis de bonne humeur
aujourd’hui, lança le jeune homme.
Thierry était son coiffeur attitré, un brin extravagant, qui
avait une coupe différente à chaque fois qu’elle se rendait dans le salon.
Cette fois, il avait opté pour une bi-coloration rouge et noire sur sa
chevelure qu’il avait texturisée. Il délesta Zoé de son sac et de sa veste
qu’il rangea dans le dressing de blanc immaculé des clientes et lui enfila la
blouse. Il la fit asseoir à son poste habituel. Zoé s’enfonça alors dans le
fauteuil de velours rouge. Il était si confortable qu’elle aurait pu y dormir
des heures. Elle examina son reflet à travers la glace aux bordures dorées.
Elle se trouvait d’une banalité. Toujours la même coiffure, le même maquillage,
le même visage sans aucune touche de folie.
— Alors comme d’habitude ? Lui demanda Thierry les mains
posées sur ses épaules.
Il enfonça ses doigts dans son épaisse chevelure et la
félicita de leur bonne santé. Zoé regarda un instant autour d’elle. On posait
une lace wig aux reflets acajou à une cliente. On avait couvert de bandes
d’aluminium la tête d’une autre pour une décoloration. Une femme dans le fond
du salon se délectait de sa coupe effilée sur cheveux naturels d’un blond
cendré. Zoé su à cet instant qu’elle voulait quelque chose de nouveau, de
différent, qui sorte de l’ordinaire. Elle ne voulait plus apercevoir dans son
reflet la routine et la banalité de son existence. Elle avait envie de
changement.
— Ouh ouh Zoé, tu reviens parmi nous ? Je te fais comme
d’habitude ? S’impatienta Thierry.
— Non, coupe tout.
Thierry écarquilla si grand les yeux que Zoé cru qu’ils
allaient quitter leurs orbites.
— Tu es sûre de toi ? Tu ne veux pas que je te coupe juste
les pointes ?
— Non coupe tout, je veux une coupe courte.
Il se pencha vers elle et la regarda droit dans les yeux
comme si son reflet dans le miroir déformait la réalité.
— Tu es sûre de toi Zoé ?
— Certaine, coupe tout s’il te plaît
— Genre coco taillé ?
— Oui
— Non non Zoé, je ne peux pas te laisser faire ça. Si t’as
besoin de changement je peux te mettre une lace wig de couleur. Il parait que le rose, le vert ou encore le jaune sont très tendance du côté des states. Mais couper
tous tes beaux cheveux comme ça… Et puis la forme de ton crâne… T’es une très
belle femme mais…
— Thierry pardon…
— Hum ok pour te couper les cheveux mais pas de coco taillé.
Thierry se pencha et saisit la poignée dorée du tiroir et en
sortit un catalogue défraîchi de coiffure. Il tourna les pages et craignait à
chaque mouvement que les feuilles ne s’envolent. Quand il tomba sur une coupe
qui lui convint, il la montra à Zoé à travers le miroir. La jeune femme,
pommettes rehaussées, arborait fièrement un tout petit afro court dont les
bouclettes étaient définies.
— Ça te va ? demanda Thierry qui au fond de lui priait pour
qu'elle accepte cette coupe.
— Oui parfait !
Thierry fut soulagé. Il saisit sa paire de ciseaux et se mit
à lui couper les longueurs. Le coiffeur semblait bien plus ému que la
jeune femme qui regardait, impassible, ses cheveux mourir au sol. Elle avait
envie de changement. Chaque coup de ciseau ciselait une partie de son passé. Le
départ d’Elsa, les moqueries, le boulot et lui.