CHAPITRE 10
Write by Flore LETISSIA
CHAPITRE 10
- comme elle est mignonne, c'est un véritable chérubin ! Constata Dorlande en caressant sa joue. Et son frère ? Je ne l'ai pas encore vu !
- il est parti a l'école.
- déjà ?
- ma chère, il a trois ans, je l'ai mis à la maternelle ; il est devenu trop turbulent.
- le temps passe vraiment vite et ça ne nous rajeunit pas...
- je ne te le fais pas dis, ma chère ! Mais et toi, toujours pas prête ?
- avec Ibra ? Je ne sais même plus si c'est l'homme de ma vie, tellement il m'en fait voir de toutes les couleurs... Quand je te disais que je n'avais pas fermé les yeux de la nuit, eh bien, c'est pour tout ça...
- que t'a-t-il fait de si grave ?
- il me rend dingue
- mais c'est donc une excellente chose, si tu es amoureuse de lui au point d'en perdre le sommeil !
A peine Corcher acheva-t-elle sa phrase qu'elles éclatèrent toutes deux de rire. La profonde complicité leur permettait de se comprendre à demi-mots et de plaisanter de tout. Elle en arrivait à banaliser les situations les plus dramatiques, les sujets les plus pénibles, les analysant avec moins de passion, pour mieux les affronter.
- ton ancien collègue me fatigue, repris Dorlande quand elles se furent calmées.
- allez, vas-y, raconte-moi tout !
- ils sort toujours autant et rentre à des heures de plus en plus impossible. Aujourd'hui, il me compte quasiment au nombre des meubles qui ornent sa maison. Il continue de coucher avec ses maîtresses, et naturellement il me néglige ! Figure-toi que pas plus tard qu'hier il est rentré après minuit et à laver son slip alors qu'il ne l'avait porté que le matin-même. Et il a eu le culot de me demander si pour trouver le sommeil, j'avais besoin qu'il me fasse l'amour.
- Yako, ma sœur, ce n'est pas facile d'encaisser ce genre de choses ! Tu sais , a plusieurs reprises j'en ai parlé avec lui . Il m'a toujours dit que tu n'avais pas la moindre preuve matérielle de ce que tu lui reprochais...
- mais il cache tout ce qui pourrait en témoigner comme de la crotte de chat, le salaud ! D'ailleurs, est-ce parce qu'on ne voit pas l'air qu'il n'existe pas, hein ? On en ressent bien les effets, tu es d'accord avec moi, n'est-ce pas ?
- il ne s'agit pas d'être d'accord avec toi ou non ! Si tu n'as rien de concret, c'est qu'il ne fait rien non plus, c'est comme ça ! Surtout que tu sais toi-même à quel point il est futé. Mais il a également ajouté, et cela m'a semblé très significatif, que quoi qu'il pourrait faire dehors, cela ne comptait pas. Suite à cela, je lui ai dit que c'était déjà bien, mais qu'il se devait également de mettre sa compagne à l'aise. Il m'a assuré, la main sur le cœur qui le faisait !
- Corcher, tu le connais, et c'est là ma plus grosse peine il a réponse à tout !
- mais peut-être que tu lui en demande trop ! Je ne mets pas ta parole en doute, mais Ibra se défend avec un tel accent de sincérité que j'ai du mal à penser que ses propos sont mensongers...
- je vois bien que vous avez parlé ensemble ; on sort toujours d'une discussion avec lui les idées chamboulées et la conviction antérieure en lambeaux ! C'est sa spécialité, il excelle dans l'art de semer la confusion la plus totale dans les esprits...
- à ce point ?
- à 1 degré que tu n'imagines même pas !
Elles firent une pause, se rendirent dans la cuisine et s'attelèrent à la préparation du déjeuner. Quelques minutes après, Dorlande reprit le récit de son calvaire aux côtés de son homme.
- pourquoi diantre, ne suis-je pas tomber sur un homme laid, malingre et n'ayant pas inventé la poudre, qui serait uniquement à moi, parce qu'il n'intéressait aucune femme ? Je dormirais tranquille, avec l'assurance que mon homme m'appartient, corps et âme... Se lamenta Dorlande.
- mais à peine acheva-t-elle son monologue que Corcher éclata de rire. Son amie l'imita et elles rirent de bon cœur.
- mais tu sais parfaitement que cela pouvait arriver à toutes les autres filles sauf à nous deux ! Tu nous imaginais avec ce qu'on appelle "un vilain garçon" ? Tu ne te souviens pas de nos prières au lycée dans lesquelles on demandait à Dieu de nous réserver les mecs les plus beaux ? En poussette les alcations jusqu'à décrit avec force détails nos princes charmant... Les B-J-R, comme on disait...
- oui, beau, jeune et riche, je ne m'en souviens que trop bien ! Mais ces derniers mois, j'ai découvert combien un B-J-R est source d'insomnie !
- dieu courage, ma chérie !
- j'en ai besoin, pour continuer de le supporter ! Il fait des conneries dont je ressens les effets dans notre couple, mais je ne peux pas lui en parler parce qu'il a la capacité de tout retourner contre moi ! C'est le comble, n'est-ce pas ? Qu'un homme fasse des bêtises et qu'il réussisse à faire passer sa campagne pour une idiote dès qu'elle ouvre la bouche... J'espère que tu as une idée de la chance que tu as, de vivre peinarde et sans stress aux côtés d'Innocent ?
- lui aussi a eu ces moments de folie.
- certainement pas de la même intensité qu'Ibra !
- non, c'est vraiment le jour et la nuit... Depuis que nous sommes ensemble, il m'a trompé à deux reprises. A chaque fois, je l'ai immédiatement su et quand je lui en ai parlé, il n'a pas nier les faits. Il m'a tout avoué en se confondant en excuse. Il faut reconnaître qu'il n'est pas très doué pour inventer des histoires...
- comme je t'envie ! Et c'était a quelles occasions ?
- la première fois, c'était quand j'ai pris ma première grossesse. Je n'ai plus voulu faire l'amour avec lui quand j'ai atteint les 6 mois... Et après mon accouchement, j'ai attendu 6 autres mois. Ça a fait un peu long pour lui... La seconde fois, il était en mission pour un mois à l'étranger, et ça c'est passé là-bas, avec une métisse eurasienne. C'était, selon lui un vieux fantasme. Mais depuis, ça ne s'est plus reproduit.
- comme tu as de la chance ! Peut-être que j'irai voir un marabout pour me procurer un philtre que je ferai boire à Ibra pour avoir la paix.
- tu veux le gbasser, c'est ça ?
- pourquoi pas, si c'est le tribu à mon bonheur ? Je ne serais ni la première ni la dernière...
- tu n'y penses pas sérieusement, j'espère ? En tout cas, je te le déconseille vivement !
- pourquoi donc ?
- mais parce que tu n'as aucune idée du calvaire que vivent les femmes qui ont recours à ce genre de pratiques, dès l'instant où les effets de la potion s'estompent. En tout cas, le peu de sentiments qu'il y avait dans le couple disparaît immédiatement et définitivement. Sans compter les autres risques qu'elle courent.
- quels autres risques ?
- je vais te le dire, ne soit pas pressé mais avant, il faut trouver à manger à ta filleule .
- où est-elle ?
- derrière toi !
Annick s'était réveillée et venait d'entrer dans la cuisine ou sa mère et sa marraine s'occupait à cuisiner le repas.
- comme tu as grandi, ma puce ! s'écria sa marraine en la prenant dans ses bras.
Et la câlina longuement, puis lui donna son déjeuner. Quand la petite fut rassasiée, elle partit jouer dans le salon. Cependant, sa mère et sa marraine gardait un œil sur elle depuis la cuisine.
- tu palais des risques du philtre rappella Dorlande pour amener Corcher à réprendre le cours de leur discussion.
- oui... Moi-même, ça me fait froid dans le dos d'en parler, tellement c'est horrible ! Tu n'as aucune idée des choses occurrentes et abominable qui hante dans la composition de ces fameuses potions d'amour.
- quoi, par exemple ?
- du sang des menstrues, des limaces fumées, des poils de pubis calciner... de la matière fécale séchée...
- hum, toi aussi ! Qu'est-ce que tu me racontes là ? L'interrompit Dorlande, a la fois stupéfaite et incrédule.
- ça dépasse l'entendement, n'est-ce pas ? Mais le plus macabre, c'est la salive de cadavre ! Il paraît d'ailleurs que c'est l'ingrédient suprême dans lequel le philtre n'aurait aucune efficacité !
Dorlande eut un hoquet d'honneur.
- c'est vraiment effroyable ! Mais pourquoi de la salive de cadavre ?
- je pense que pour comprendre, il faudra remonter à l'objectif premier du philtre qui est de rendre son homme doux, obéissant ou de pouvoir le retenir à la maison peux-tu me dire ce qu'il y a de plus patient, de plus docile et casanier qu'un cadavre ? Demanda Corcher avec une pointe d'ironie.
Son ami la regarde a longuement comme si elle fouillait dans sa mémoire pour trouver la réponse.
- je n'envoie pas effectivement...
- non, il n'y en a pas ! Mais vois-tu, la conséquence la plus dramatique à cette pratique est que l'homme devient idiot ou impuissant, lorsque la potion magique se transforme en poison maléfique. Ce qui n'est pas si rare que cela, vu tout ce qui entre dans sa composition.
- c'est assurément tragique ! Un remède pire que le mal !
- je ne te le fais pas dire ! Maintenant que tu sais à quoi t'en tenir au sujet des gbasses, ne penses-tu pas qu'il vaut mieux avoir un compagnon ayant tous ses sens, qui sort certes, mais de temps en temps te fais l'amour, plutôt qu'un qui soit perpétuellement à la maison, mais impuissant et timbré ?
- présenter comme ça, sans doute tu as raison ! Mais tout de même, Ibra mérite une leçon... Fit Dorlande
Le repas était prêt. Il s'agissait d'un riz sauté avec des gambas, des aubergines violettes et du soumbala. C'était une spécialité personnelle de Corcher dans laquelle elle excellait.
Elle dressait la table puis se rappelèrent qu'Innocent, qui travaillait à l'autre bout de la ville, ne rentrait pas souvent les midis. Cédric également déjeunait à la cantine de son école. Elle abandonnait l'idée de la table et se servir dans une large assiette en terre cuite et s'installèrent à même la moquette du salon, devant la télévision qui diffusait un feuilleton brésilien très prisé de la gent féminine.
Elle se régalèrent comme du temps de leurs années lycée et fac, avec toute une carafe de bissap coupé de vin. Cette invention était de Dorlande qui disait que le rouge du bissap mêlé au rouge du vin donnait un hectare rouge exquis.
Annick c'était blottie entre les jambes de sa marraine qui mangeait en même temps qu'elle lui donnait à manger. Corcher les observait tout à fait ravie. Son ami adorait sa fille et cette dernière le lui rendait bien. Elles formaient toutes deux un tableau charmant.
- tu sais que tu seras une mère poule ? attentionné, aimante... Si tu oubliais tous tes griefs contre Ibra et que tu le faisais un enfant cela le retiendrait peut-être à la maison, à vos côtés, ça le changera !
- ce serait, en effet très beau et très emouvant ! Une panacée a ses vadrouilles. Mais tu as fait usage dans ton propos d'une expression essentielle ; tu as dit « peut-être ». Ce n'est donc enfin de compte qu'une hypothèse, une simple supposition qui a des chances de ne jamais se réaliser. Et faire un enfant, ce n'est pas comme tenter une recette culinaire ou toute autre expérience dont on peut rattraper à posteriori les imperfections ou les effets pervers !
- pertinente analyse de ta part, j'en convient ! Mais il faudrait y réfléchit à tête reposée .
- je le ferai en son temps ! Promis Dorlande.
Elles discutèrent encore longtemps en abordant divers sujets. Après le déjeuner, elles firent ensemble la vaisselle et rangèrent la cuisine. Corcher alla coucher Annick qui s'était endormi à nouveau dans un fauteuil.
Vers 16h, Dorlande prit congé de son ami. Elle avait donné des instructions à sa fille de ménage pour le dîner. Elle s'y consacrait elle-même de moins en moins. C'était d'ailleurs une perte de temps dans la mesure où Ibra mangeait à la maison une fois sur quatre, et que Alex était à l'internat.
Cette journée chez Corcher fit énormément de bien à Dorlande. Elle n'avait certes pas trouvé de miraculeuses solutions à ces problèmes, mais le fait de les avoir évoqué avec une oreille attentive et conseillère allégeait son lourd fardeau. Elle se sentait requinquée et pouvait remonter au front avec une énergie renouvelée. Sa vie de couple avec Ibra était effectivement un champ de bataille d'où elle sortait le plus souvent battue, laminée.
Elle en éprouvait désormais une lassitude quasi permanente. Plus grave elle sentait des choses mourir en elle, des bribes d'amour et d'affection qui s'effritait, s'en allait pas petit bout au gré de leurs disputes, des mensonges d'Ibra, de ces défections et manquement.
L'unique facteur qui pouvait encore lui éviter de le détester véritablement était d'accepter totalement la situation, de le prendre tel qu'il était, faire son deuil de tout ce dont elle avait rêvé, fais un trait sur son idéal de vie de couple.
Peut-être, Ibra était-il incorrigible et son inconstance était-elle l'expression la plus achevée de sa nature intrinsèque ? Ne lui en demandait-elle pas trop, comme le disait Corcher ? Vouloir coûte que coûte le changer ne serait-ce pas le corrompre dans son essence, les différencier de lui-même ? Qu'en résulterait-il? Certainement pas autant de bonheur et de joie qu'elle l'espérait...
À bien y réfléchi, elle n'était pas la plus malheureuse des femmes, loin de là ! Beaucoup d'autres lui envient sa situation. Ne ferait-elle pas mieux d'adopter la philosophie de celles qui se contentaient du bien-être matériel et social offert par leur compagnon et fermer les yeux sur ses frasques et ses infidélités ? Pourquoi ne pas se laisser porter au gré des vagues de la vie, ce long fleuve tranquille en surface, mais tumultueux en profondeur ?