CHAPITRE 11 : Le train en marche

Write by delali


Au même moment au domicile des DJARASSOUBA, plus précisément dans les appartements d’Assita, Kady est seule dans la chambre, sa mère n’est pas encore rentrée du marché. Après qu’elle se soit affairée à cuire le repas du soir, elle n’a pas eu le courage de remettre le pied dans la cours depuis qu’elle est revenue de sa commission. Elle est à peine remise du choc que lui a produit la confirmation du fait qu’elle soit enceinte. Elle pose ses mains sur son ventre tout doucement, d’abord elle a peur de ce qui l’attend, puis elle ressent une sorte de douce chaleur qui gagne tout son corps. Les paroles réconfortantes de Christopher résonnent encore dans sa tête et c’est comme si elle berce leur enfant dans ses bras. Mais, elle sent une ombre planer sur eux, sur elle plus précisément. Elle repense encore à l’attitude bizarre qu’a eue cet homme, Abdoul, celui qu’elle est allée voir aujourd’hui sous la demande de son père, elle reconsidère encore ses paroles :
- C’est mon père qui m’envoie. Il a dit de vous demander si tout se passe bien.
- Ah ma chère Kady, tout va aller bien, maintenant que tu es là. Viens voir toi-même, la boutique marche bien, mais j’ai un peu de difficulté avec les comptes. Et les gens des impôts là, me fatiguent. Donc, tu vas prendre ton temps et mettre de l’ordre dedans.
- Mais y’a pas de problème pour ça tonton, il suffit que je vous montre comment ça se passe et c’est tout.
- Tonton ? non, ne m’appelle pas comme ça ! je suis pas si vieux, j’ai seulement une femme, ta grande sœur d’ailleurs, donc quand tu seras là, on va tous bien s’entendre.
- …ok. Répond-t-elle, n’ayant pas compris grand-chose.
C’est étrange, son père ne l’envoie jamais auprès de la gente masculine, pourquoi ce soudain changement ? Aussi, la gestion de la boutique, ce n’est pas l’affaire des femmes dans leur tradition, ce sont les hommes qui s’en occupent. Mais voilà qu’elle, son père l’envoie mettre son nez dans les affaires de l’un de ses associés de travail. Elle ne les sait pas si proches, parce qu’Abdoul est beaucoup plus jeune que son père, et a assez modernisé son commerce. Mais toutefois, il reste respectueux envers la tradition.
Elle est tirée de ses pensées par les salutations adressées à sa mère par les autres membres de la famille qui sont dans la cours. Sa mère vient la trouver dans la chambre, la regarde pendant un moment :
- Tu as mangé ?
- Non maman, j’ai pas faim.
- Et puis quoi encore !? on manger entre nous ici ce soir.
Ils se servent à manger, elle, son petit frère, le benjamin Cissé, ses deux petites sœurs Mariam et Abiba ainsi que sa mère. Ils mangent en silence en regardant les infos à la télévision. Puis, tout un chacun regagne la chambre à coucher. Kady n’a pas le courage de se lever et de prendre congé. Comme elle s’en doute bien, sa mère lui remet un test de grossesse. Elle sait déjà le résultat, mais n’ose pas le dire à sa mère, comment celle-ci réagirait elle ? Elle s’exécute, fait le test et l’apporte à sa mère après avoir passé une éternité dans les toilettes à retarder le moment fatidique. Une fois le test en main, Assita fixe le tube pendant de longues minutes sans laisser paraître le moindre sentiment. Kady est debout là sans bouger d’un pouce :
- Disparais de ma vue Kady, disparais avant que je tue !
Kady ne se fait pas prier une seconde de plus avant de disparaitre dans la chambre comme le veut sa mère.
***
Christopher essaye tant bien que mal de rassembler tout le courage qu’il a pour discuter avec son père. Une fois dans son bureau, son père parait encore plus calme que jamais et ne laisse paraître rien de ce qui se passe à l’intérieur de lui. Il demande :
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire Chris ? Dis-moi !
- Je ne voulais pas que tu l’apprennes comme ça papa. Commence-t-il
- C’est donc vrai ?!!!
- Oui.
- Une histoire pareille venant de Tristan ne m’aurait pas surpris, mais toi Christopher ? Non ! je dois rêver, c’est sûr ! Comment t’as pu faire un truc pareil ! je comptais sur toi Chris. Tu es… tu étais ma fierté … Pourquoi tu fiches tout en l’air comme ça ?!
- Non papa, maintenant plus que jamais, je vais redoubler d’effort pour y arriver, je te le promets. Dit-il pour essayer de palier à la déception qu’il lit dans les yeux de son père.
- Mais tu ne comprends pas donc ! Ce n’est pas le moment pour toi d’avoir des attaches, encore moins des charges, tu dois te construire, tu as un avenir brillant devant toi enfin.
- Je ne l’ai pas … prémédité papa, j’ai été … surpris. Admet-il en déglutinant péniblement.
Son père après un instant de silence, pousse un soupir et demande :
- Qui est cette fille ? D’où sort-elle ? depuis combien de temps ça dure ? enfin est ce que je la connais ???
- Non papa, tu ne l’as jamais rencontrée ici, à chaque fois qu’elle venait, tu étais soit au travail, soit en déplacement toujours pour le travail…
- Qui est son père ? Il fait quoi ?
- … c’est … c’est un commerçant.
- Du quartier Dioulabougou ???
- Oui.
- Oh mon Dieu Chris ! Chris ! Chris ! tu es tombé sur la tête ! Je pensais que tu avais réglé ton PROBLEME avec la boisson et les filles ?! Apparemment tu n’y es arrivé qu’avec la boisson ma parole ! De toutes les filles qu’il y a dans cette ville, il a fallu que tu mettes enceinte une de ces paysannes, une commerçante !
- Non, elle est instruite elle, elle vient d’obtenir son baccalauréat.
- Et quoi d’autre encore ?! Cela n’enlève rien au fait qu’elle vient d’une famille aux valeurs complètement différentes à la nôtre.
Gabriel tourne sur lui-même et fais des allers et retours interminables dans la pièce. Il s’arrête tout d’un coup et demande à son fils :
- A combien de mois de grossesse est-elle ?
- Deux mois.
- Ok, ce n’est pas encore tard, on peut encore l’interrompre, je vais contacter les meilleurs médecins …
Christopher réunit son courage à deux mains pour rétorquer à son père :
- N… non papa…
- Quoi ??? Tu peux répéter ?
- Je … je l’aime.
- Qu’est-ce que tu sais de l’amour toi ?! J’aimerais bien voir si tu tiendras le même discours quand tu crouleras sous les charges que cela engendre ! Mais sache que je ne te laisserai pas foutre ta vie en l’air.
- S’il te plait papa… je travaille déjà dur et je compte redoubler d’effort pour pouvoir y arriver comme tu le souhaites d’ailleurs. J’admets que je ne suis pas encore près, mais avec ton soutien papa, je pourrai y arriver. Tu me connais bien papa, si cette fille ne signifiait rien pour moi, tu n’aurais même pas eu échos de ce genre de chose, j’aurais pris mes précautions. Si au jour d’aujourd’hui j’ai arrêté les sorties nocturnes, les virées entre copains où il n’y a qu’alcool et filles, c’est à elle que je le dois. C’est comme … c’est comme si elle m’avait fait grandir papa… Et elle … elle est très intelligente, si elle a la chance de continuer ses études, elle pourra travailler et m’être une aide.
Gabriel écoute attentivement son fils, et semble le méconnaitre. Il redécouvre une autre facette de lui. En le voyant parler avec tant d’émotion, il a comme l’impression d’être devant un homme qui a trouvé la perle rare :
- Eh ben dis donc mon garçon, on dirait que tu as tout tracé dans ta tête ! Qu’est-ce que tu veux à présent ?
- Que tu m’aides à rassurer sa famille …du fait que je prendrai mes responsabilités.
- Ces gens-là ne collaborent pas avec des étrangers ! Crois en mon expérience !
- Elle attend mon enfant papa, ils n’auront pas le choix…
- Il est hors de question que tu aies quoi que ce soit, encore moins un enfant avec ce genre de fille Chris, je te l’interdis. Intervient Béatrice SAMBS SANDOL-ROY qui vient de faire irruption dans la pièce.
Un silence retombe sur la pièce après cette déclaration. Béatrice, la mère de Christopher, est une dame de fort caractère qui a eu la chance de faire de grandes et longues études. D’une cinquantaine d’année, elle est originaire tant de la Côte d’Ivoire du côté de son père, que du Sénégal du côté de sa mère mais est née et a passé une partie de son enfance au Ghana. Le brassage de ces différentes cultures lui donne le malin plaisir de dire qu’elle est de nationalité « ouest africaine ». C’est une dame qui a su conserver son charme et cultiver la forme vue son âge. Peu de femme de sa génération ont pu concilier aussi aisément vie professionnelle accomplie comme la sienne, et vie de famille. Elle aime tellement ses deux garçons, qu’elle a tendance par moment à les surprotéger :
- Tu m’entends Chris ? continue-t-elle
- Tu ne la connais même pas maman.
- Je n’en ai pas besoin ! je viens d’apprendre que c’est l’une des filles de gens peu civilisés.
- Mais qui t’a parlé d’elle ? Tristan je parie ?! Il ne sait rien apprécier celui-là, il n’aime que sa petite personne !
- Silence ! Tu parles de ton frère après tout ! Et si cette fille a tout fait pour tomber enceinte de toi, c’est parce qu’elle a vu que tu es un bon parti !
- Elle ne l’a pas cherché maman. Pourquoi tu la juges sans même la connaitre ?!
- Tais-toi ! je vois que tu n’y connais rien encore aux femmes !
- Mais maman …
- Chris, laisse-moi seul avec ta mère.
Gabriel interrompt ainsi le dialogue entre mère et fils. Gabriel SANDOL-ROY est un homme très calme, doté d’une grande sagesse, qui sait lire et voir au-delà des choses. Agé également d’une cinquantaine d’années, il a rencontré son épouse Béatrice lors de l’un de ses nombreux voyages professionnels. Etant elle aussi fonctionnaire internationale comme lui, ils se sont tout de suite trouver une complicité et ont décidé de construire leur vie ensemble. Béatrice, il la connait mieux que quiconque, mieux qu’elle-même. Elle est très stricte, impulsive comme presque toutes les femmes et revient rarement sur ses décisions. Toutefois, elle sait faire la part des choses, et c’est ce pan de son caractère qui lui a toujours permit de construire quelque chose et de discuter avec elle :
- On dirait que ton fils s’est entiché de cette fille. Reprit Gabriel lorsque Chris est sorti de la pièce.
- Je ne vais pas permettre qu’il se mette avec une profiteuse !
- Il a raison, on ne la connait pas. N’affirmons pas de façon hâtive.
- Tu ne connais pas ces filles Gabriel ! Elles sont à la recherche de la moindre occasion pour sortir de leur condition. Et tu t’imagines la honte Gabriel ! Si nos amis, TA famille, apprennent que notre Christopher s’est entiché d’une vulgaire fille de commerçant, qui plus est, fanatique ?! Nooon ! je n’ose même pas imaginer ! j’ai pas investi dans l’éducation de mon fils pour qu’une je ne sais quoi vienne lui gâcher la vie.
Gabriel sourit en coin et reprend :
- Tu sembles oublier que c’est « notre » fils et que moi aussi j’ai investi et continue d’investir sur lui, alors je peux aussi avoir mon mot à dire. Et en plus, il est majeur ton fils, et vacciné je te signale.
- Il est peut-être majeur, mais c’est nous qui le prenons encore en charge !
Gabriel pousse un soupir et essaie d’apaiser l’atmosphère :
- Qu’allons-nous faire Trice ? Il faut qu’on prenne une décision.
- Pour moi, c’est clair. Faisons avorter cette fille le plus vite possible, et ensuite on la dédommagera, je me chargerai moi-même de trouver le bon médecin pour ça.
- Je le lui ai déjà proposé, il a refusé. Il aime cette fille je te dis.
- Ça va lui passer. Ça passe toujours. Sinon…
***
Pendant ce temps, une fois qu’il a été hors du bureau Christopher s’est empressé d’aller s’expliquer avec son frère. Au détour de la discussion, il s’est rendu compte que c’est en l’espionnant que Tristan a su pour la grossesse de Kady. Et qu’il est allé jusqu'à fouiller sa chambre pour trouver les résultats d’analyse :
- Je t’avais t’interdis de fouiner dans mes affaires je crois ? Mais quand est-ce tu vas me foutre la paix ?
- S’il te plait frérot, mais tu ne te rends pas compte que cette fille est en train de nous séparer ?! Mais souviens toi, toi et moi, nous étions comme deux doigts de la main, inséparables…
- Et c’est pour ça que tu t’es permis de m’épier et d’essayer de mettre papa en colère contre moi ?
- Il fallait que je te mette sous les yeux devant tout le monde ce qu’elle arrive à te faire faire.
- Non, mais c’est pas croyable !!! Elle n’y est pour rien Tristan, c’est juste toi qui refuse de grandir ! Grandis un peu ou oublie-moi.
Christopher n’arrive pas à croire que son frère ait été jusqu'au point de lui faire un coup aussi bas sous prétexte qu’il veut se rapprocher à nouveau de lui. Christopher est lui se demande s’il ne l’a pas fait tout simplement par simple jalousie ? De quoi d’autres sera-t-il encore capable ?


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