Chapitre 12: Ami ?
Write by Lalie308
Aux pays des pleurs,
des cœurs sont des fleurs... fanés.
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Michelle
« Ginger, je suis rentré. Bonne nuit James bondette. »
Mes lèvres s'étirent en un sourire, mon cœur bondit dans ma poitrine. C'est bien la première fois qu'Harry m'écrit et qu'il ne s'agit pas de travail. C'est bien la première fois qu'il ne m'écrit que pour me donner des nouvelles et me souhaiter bonne nuit. Et pourtant, il est avec elle, ou il l'était. La joie minime qui avait animé mon cœur se noie de nouveau et mon cœur se serre, de la même manière que quand j'ai entendu sa voix tout à l'heure.
Dès qu'il m'a quittée, il est allé la retrouver. J'ai parfois envie de crier quand je vois Harry « Bordel, regarde-moi ». Son indifférence me fait mal, atrocement mal. Parce que je ne gère déjà pas bien ce que je ressens, je n'ai d'ailleurs aucunement connaissance d'où vient tout ce flux de sentiments qui cogne mon cœur, mon pauvre petit coeur de cire. Je ne comprends pas cette attraction qui m'anime, cette attraction qui me broie les tripes, cette attraction qui me fout le tournis et me fait perdre la raison.
Je ferme les yeux pour ravaler la vague d'émotions qui me submerge. Après avoir inhalé une grosse bouffée d'air que je relâche lentement, j'éteins les lumières, jette un coup d'œil à la chambre où est couché Andrew puis va me coucher. Andrew passe la nuit ici parce que j'ai obligé Ashley et Liam a passé la soirée ensemble, s'entraîner à faire des petits frères à Andrew et surtout se détendre. Ces deux-là ont l'air de porter une énorme tension sur les épaules, ils ont besoin de respirer.
Allongée, je me mords les lèvres si fortement que je sens le goût métallique du sang sur le bout de ma langue. Ce flot de tension, d'émotions et de désirs est plus fort que moi, je dois le dompter. Ce ne sera certainement pas tâche facile et me demandera sûrement autant de force qu'il en a fallu à Naruto pour dompter le démon renard, mais je dois le faire. Sinon Harry me fuira, me quittera, m'enterra.
Je soupire une énième fois avant de m'étirer pour déposer mon téléphone sur la table de nuit. Je fais violence sur moi pour ne pas répondre, au risque de passer pour une personne sans vie sociale, au risque de passer pour celle qui l'a dans la peau. Je noie alors mon regard dans le noir parfait de la chambre, l'obscurité qui attise mes désirs les plus sombres.
Le lendemain, je me rends chez le coach. L'avoir revu à réveiller des souvenirs en moi : certains bien trop extraordinaires, d'autres bien trop douloureux. Il a été un père pour moi à une époque où je n'avais plus de repères, à une époque où je ne savais plus qui j'étais. Une époque où mon père ne m'acceptait pas encore telle que j'étais. Plus jeune j'étais vraiment attardée parfois, dans l'extrême de toutes mes émotions, trop joyeuse, trop triste, trop volcanique, trop timide, trop Michelle. Puis j'ai perdu ma mère alors que j'étais malade, trop brisée.
Parce qu'elle m'avait abandonnée, parce que je me sentais vide, je m'étais réfugiée dans un monde à moi et le coach avait été le seul à vouloir le découvrir. J'ai perdu le coach de vue lorsque je suis rentrée au Bénin comme avec la plupart de mes connaissances américaines. Le coach est aussi béninois, mais n'y a jamais vécu. Il a été l'épaule qui a soutenu ma tête-fontaine, la voix qui m'a chantée que tout irait bien, les mains dans lesquelles j'ai glissé les miennes pour ne pas m'effondrer, le pilier du bâtiment instable que je représente.
Abdou s'est proposé pour me conduire, le trajet s'est fait en un silence qu'il n'a pas osé briser. Sans doute à cause de l'ombre qui plane sur mes traits, crispés et vagues. Mes idées étaient replongées dans le passé. Il m'avait de nouveau engouffrée.
Dès que nous arrivons devant la demeure, je secoue ma tête pour remettre mes idées en place « Le passé reste le passé. J'ai une belle vie. Je n'ai pas à me plaindre, m'intimé-je ». Parfaite optimiste. Et si l'optimisme n'était qu'une illusion que se créent les êtres envoutés par l'ataraxie, peureux de la réalité ? Alors, je l'assume.
Je pénètre dans la grande salle de sport, n'ayant vu personne à la réception. Coach Jimmy est là, entrain de ranger le matériel. Dès que son regard se pose sur moi, il arbore un sourire lumineux. A ce moment précis, je revois la petite Michelle orpheline de mère, brisée et recroquevillée dans un coin de sa chambre, puis ce même sourire lumineux qui lui a réchauffé le coeur et donné espoir.
— Amazone ! Suis-moi, déclare-t-il.
Je me contente de le suivre, ma gorge légèrement nouée. Calme-toi, Michelle, tout va bien. Nous sortons par la porte de derrière et débarquons dans un autre jardin qui donne sur une maison assez spacieuse. Il m'invite dans le salon, April me sert en boire avec son éternel sourire et nous nous installons tous ensemble.
— Que fais-tu à Londres ? me demande le coach.
Je lui explique rapidement l'objet de ma présence, mon contrat chez Homel.
— J'ai toujours su que tu glisserais ton étoile dans le ciel, m'avoue-t-il fièrement.
J'arbore un sourire timide. Le savoir fier me procure un plaisir immense.
— J'ai hâte de l'ajouter à ma bibliothèque, ajoute April en tapant facétieusement les mains. Et Harry ? m'interroge-t-elle ensuite.
Son prénom me déclenche une réaction en chaîne : mains moites, frissons, bonds du cœur, influx sanguin rapide, court-circuit nerveux, baume au cœur, espoir. Je laisse un sourire feint garnir mes lèvres, pose mes mains en plat sur mes cuisses et navigue visuellement entre April et le coach.
— C'est mon éditeur, il va bien, me contenté-je de souffler.
— Et papa et Luc ? continue le coach.
— Ils vont bien.
Le coach a eu beaucoup de différents avec mon père, le premier ne supportant pas le comportement qu'a eu mon père dans le passé et le second ne supportant pas l'appropriation de sa fille que veut se faire le coach. Nous devisons encore pendant quelques minutes, avec notre complicité éternelle. Le coach me propose de travailler avec lui, pour passer mon temps. J'accepte avec plaisir.
Je suis aussi amatrice de sport surtout des arts martiaux, j'en raffole. Quelques heures après, je quitte la demeure du coach, sourire aux lèvres et le cœur beaucoup plus léger. Il a toujours eu ce pouvoir : me rendre heureuse, légère. Dès que nous prenons la route, j'entame la conversation.
— Ça ne t'ennuie pas de rester là à m'attendre ?
— Pas du tout, c'est mon boulot, me répond Abdou.
J'esquisse un sourire. A force de discuter avec lui, j'ai compris qu'il était assez intello. Il fait ce travail parce qu'il l'aime. Il est doué en sciences, très intelligent, mais a préféré suivre son cœur mais en gardant son amour pour les sciences. Il n'est pas aussi trouillard que moi. Tout plaquer du jour au lendemain pour vivre le grand rêve, une aventure périlleuse mais excitante.
Il me reconduit à l'appartement, Harry ne m'a pas recontactée. J'espérais secrètement qu'il le fasse, qu'il insiste, pour au moins me conforter dans l'idée que mes sentiments ne sont pas vains, une bataille perdue d'avance, mais c'est le cas. S'il l'apprenait, il me fuirait, me laisserait seule, toute seule. Je déteste être seule, j'ai toujours besoin de m'accrocher à ne serait-ce qu'un atome d'attention.
Je me glisse dans mon appartement, me saisis de mon mac et écris. J'écris toutes mes frustrations, toutes mes peurs et mes doutes, j'écris ma vie, mon cœur et mon âme, j'écris Michelle, la fille trop joyeuse, trop triste, j'écris mes larmes et mes rires.
Si seulement, de la même manière que je détache ma tristesse de mon être en la fourrant dans mes écrits, je pouvais me détacher de cette attraction malsaine pour Harry, le fruit défendu, le seul qui ne devait pas faire révulser mon cœur. Pathétique, Michelle, tu es pathétique, me souffle une conscience ennemie. La sonnerie retentit et je m'empresse d'aller ouvrir. Mon regard croise celui d'Harry, le seul que je n'attendais pas.
— Tu n'as pas répondu à mon message, me glisse-t-il en remuant son téléphone dans sa main.
— Tu es venu jusqu'ici pour ça ? m'étonné-je, ma voix rendue aiguë par la surprise.
Il se gratte nerveusement la nuque en me scrutant d'un air absent. Un soulagement se saisit de mon cœur, je ne suis pas si quelconque pour lui que je le pensais. Il a attendu ma réponse. Un sourire involontaire remplace la surprise sur mon visage. Je m'efface pour le laisser entrer.
— Comment va Audrey ? lui demandé-je soudainement.
Je me gifle mentalement. Pourquoi je lui demande ça moi ? Il se retourne vers moi, quelque peu éberlué par mon interrogation, sourcils froncés.
— A part quelques problèmes avec sa mère, elle va bien. Elle loge dans un hôtel pour le moment et je pense qu'elle se portera bien mieux là qu'ailleurs.
Je fais le lien, Harry était avec elle à l'hôtel, mais il est rentré chez lui, il n'est pas resté avec elle, mais au moins il était avec elle. Elle était là avant moi, elle est plus importante que moi. Je balaie mentalement ces pensées obscures de ma tête, arbore un sourire et me dirige vers la cuisine suivie d'Harry.
— J'espère que tout s'arrangera, réponds-je en nous servant à chacun un jus de pomme. Je n'aurais jamais pensé rencontrer une autre personne aussi obnubilée par le jus de pomme que moi, ajouté-je en gloussant.
Il esquisse un sourire franc en haussant les épaules. Harry a fait un pas vers moi, l'idée d'en profiter pour en apprendre plus sur lui m'attire.
— Ta famille vit ici ? demandé-je avant de porter le verre à mes lèvres un peu sèches.
Son visage se ferme si brutalement que la peur d'avoir tout gâcher se déverse en moi.
— Je n'ai pas de famille, se contente-t-il de révéler, la mâchoire contractée.
— Je... hum, bégayé-je en sentant une chaleur trop intense dominer le climat de la pièce.
Il relève pourtant son visage vers moi, un sourire remplaçant son air sombre.
— Parle-moi de la tienne, me demande-t-il d'une voix quelque peu gutturale, comme si le son lui entaillant la gorge.
Pour la première fois, je n'arrive pas à discerner les émotions de Harry. Un bloc impassible forme une barrière entre son regard, ses expressions et son âme. Ses états d'âme se cachent sous un masque, un masque vide et insensible. Je n'arrive pas à faire la différence entre le jeu et le vrai, son visage est à la fois le mirage et la réalité, son expression se détache de tout fait explicable. Je me racle la gorge.
— Ma mère est morte quand j'étais petite, j'ai vécu dès lors avec mon père et mon frère, lui annoncé-je doucement.
Le regret fait surface dans son regard.
— Désolé pour ta mère, dit-il d'une voix basse.
Je secoue maladroitement ma tête et lui souris sincèrement. La plaie infectée qu'a causée la mort de ma mère ne guérit pas, j'ai perdu un repère trop tôt, trop brusquement, alors même que je n'avais pas la force de l'aider dans sa lutte. Alors même que j'étais aussi une patiente dans cet hôpital.
— Ne t'inquiète pas, et puis mon père et Luc, ainsi que le coach ont été une famille extraordinaire pour moi.
— Je n'en doute pas, ajoute-t-il. Parle moi de ta relation avec le coach.
La joie de savoir qu'il cherche à en apprendre plus sur moi me colle à la peau. Encore plus lorsque je sais qu'il ne cherche généralement pas à connaître les autres. Je l'ai compris, dans ses conversations, il n'évoque que les sujets superficiels. Malgré ça, tout le monde le voit comme l'homme le plus sociable de la terre, avec un peu de réserve. N'est aveugle que qui veut l'être.
Je me triture nerveusement les doigts, l'idée de me replonger dans ce passé là ne me plait pas. Je me revois tellement instable, tellement invivable, tellement faible, trop anormale pour eux. « Michelle arrête tes bêtises et essaye de faire comme les autres. » « Tu es timbrée ma petite, folle à lier, la réalité est différente de ce monde de bisounours que tu t'es inventé ». Depuis, j'ai renforcé mon armure, je ne veux pas laisser tomber ma folie, mes déviances. Ce passé a brisé une part de moi, parce qu'ils ont tous voulu me changer, me rendre dans les normes. Sauf le coach.
— Je...
Je me racle la gorge, le regard figé sur mes mains avant de continuer:
— Quand j'étais plus jeune, j'étais un peu malade, dans tous les sens du terme. Le coach a juste été le plus grand soutien de ma vie. En plus d'être mon coach de sport. Il...
Un sanglot inopportun s'échappe de ma gorge. Non, je ne veux pas avoir mal. Je ne veux pas me rappeler. J'ébroue avant de bafouiller:
— Bref, il a été un second père.
Harry me dévisage, il semble avoir compris que cette partie-là de mon histoire me fait souffrir. L'éclipse lunaire de ma vie. L'atmosphère est étrangement lourde, je ne supporte pas ça.
— Trop de sérieux pour moi, soupiré-je avant de me lever.
Je ne sais pas par quelle magie noire, mais je trébuche et m'affale sur le sol en poussant un cri. Mes fesses cognent si fort contre le sol que je les entends gémir de douleur. Harry ne bouge pas d'un poil pour m'aider, il se contente de me regarder en biais, sirote une longue gorgée de jus de pomme, sous mon regard blasé, alors que je suis toujours assise sur le sol.
Il dépose son verre sur la table avec une nonchalance exagérée puis se tourne vers moi, l'amusement qui emplit son regard trahit son calme. Il éclate d'un rire sonore et entraînant, un rire vrai et beau. Chaque rire d'Harry est si mélodieux, est un son si délicieux que je ne fais plus attention au fait qu'il se moque de moi. Il s'arrête après une longue tirade, tente de reprendre sa respiration puis se dirige vers moi.
— Pourquoi aimes-tu autant le sol Michelle ? m'interroge-t-il de sa voix moqueuse.
Je roule des yeux. Il me tend sa main, mais je lui fais un croche pied et il tombe sur moi, mais amorti son poids avec ses coudes. J'éclate à mon tour de rire.
— Pourquoi dragues-tu le sol Harry ?
Il se laisse tomber près de moi en riant avec moi, aux éclats. Notre proximité m'entaille la peau et embrase mon âme. Nous restons ainsi, pendant des minutes, à rigoler et parler de choses insensées, comme deux amis, rien de plus. Mais pourtant je me sens bien, parce que la seule pésence de Harry efface tout.
*
— Allez dépêche-toi, empressé-je Harry qui marche derrière moi. Je dois souhaiter bonne chance à Liam d'abord.
Je suis habillée d'une combinaison large dos croisé et d'une paire d'escarpins noirs, mes cheveux sont libérés sur ma tête et mon visage est maquillée d'une fine couche de mascara accompagné d'eye liner et de gloss. Harry me talonne, dans un jean bleu et une chemise qui le rendent à croquer. Nous marchons très vite dans l'allée privée avec nos badges d'accès. Je me suis démerdée pour avoir une entrée pour lui, parce que je me suis démerdée pour le convaincre de venir. Les deux dernières semaines ont été géniales.
Harry s'est énormément ouvert à moi, nous nous sommes rapprochés, à Homel on nous appelle le duo de choc. J'alterne mon temps chez Homel avec celui à la salle du coach où je travaille en tant qu'assistante. Je suis plongée dans deux univers que j'adore, le sport et l'écriture.
Ce soir, c'est la grande finale du concours de danse auquel participe Liam, pour déterminer le meilleur crew du pays. Je suis excitée à l'idée de le revoir danser en live. Je repère la loge du groupe et ouvre brusquement la porte, essouflée. Ils se tournent tous vers moi. Tous les autres sont déjà habillés, sauf Elton le clown qui est à moitié nu, son boxer moulant son petit cul.
— Une hippie dans les loges, hurle-t-il en feignant d'être outré, les yeux gros comme deux planètes.
Je lève les yeux au ciel en souriant.
— Salut les mecs, bonne chance, vous êtes les meilleurs, fanfaronné-je.
— Michelle, alias la coach, se moque Dereck.
Ils me remercient tous, mais leurs regards dévient rapidement sur Harry, effacé dans un coin de la pièce.
— Les gars, voici Harry, mon éditeur et ami.
Le visage de Liam s'obscurcit alors que tous les autres le saluent.
— Bon je vous laisse vous concentrer, terminé-je en déposant un baiser sur la joue de Liam.
— Et le mien ? s'indigne Elton.
Je m'approche de lui, feignant de l'embrasser aussi, mais le gratifie d'une tape tonique sur l'épaule, lui arrachant un petit cri. Je souris une dernière fois puis sors de la pièce.
— Ton ami ne m'apprécie pas je pense, m'intime Harry pendant que nous marchons.
— Il est juste un peu compliqué parfois, mens-je.
Nous entrons enfin dans la grande salle destinée à l'évènement, nous nous installons en VIP. Un hourvari règne à chaque fois que le présentateur s'exprime, le public est déchaîné.
— Hello Londres. Ce soir, c'est la totale. Des groupes plus ouf les uns que les autres viendront sur cette scène nous éblouir avec leur flows. Tenez vous bien assis, au risque d'avoir des vertiges. Parce que ce sera un tourbillon de styles.
Le public répond avec des cris, l'excitation est à son paroxysme. Je me joins au groupe, exprimant tout mon enchantement d'être présente. Les groupes s'enchaînent, des performances à couper le souffle. Le premier groupe fait de la danse contemporaine, ils esquissent des mouvements renversant qui hérissent les poils, leur souplesse est incroyable. Un autre fait du hip hop, parfaitement synchronisés à la musique, ils nous donnent envie de les rejoindre sur scène pour nous déchaîner.
J'arrose Harry de longs commentaires. « Le saut de ce mec me rappelle mon enfance, quand je me croyais dans inazuma eleven et que je tentais de faire des sauts de dingue en jouant au foot avec Luc. Luc c'est mon frère, tu le sais non ? Ah oui si, tu le sais. Pourquoi je te raconte ça moi ? Et puis tu t'en fou, non ? » ou encore « J'ai cru qu'il allait se briser la nuque. Imagine un peu la une des journaux. Nuque brisée, danse danger. Le pauvre, sa famille risquerait de souffrir. Qu'est-ce que je raconte ? Et puis je ne sais même pas s'il a une famille. De quoi je parlais déjà ? » Harry n'a pas l'air ennuyé, au contraire, il semble des plus amusés. L'homme à ma gauche, par contre, m'observe apeuré et il a de quoi.
The dark light, le groupe de Liam fait vite son apparition. Ils se donnent à fond, leurs mouvements sont précis, cohérents et extraordinaires. Ils nous font voyager, rêver, frissonner. Fluidité, précision, talent. Après les passages des divers groupes, le moment du verdict sonne. Je sais que le groupe de Liam gagnera, ils sont trop performants, parfaits.
— Et les grands gagnants sont... The warriors, annonce le présentateur.
Mon sourire s'évanouit. Je vois le visage de Liam se décomposer, ses heures de travail acharnées le frapper en plein visage, son monde s'effondrer. Quelque chose se brise dans son regard. Le public contexte en appelant incessamment le nom de The dark light. Les sourires prétentieux sur les visages de l'équipe gagnante qui n'a pourtant rien fait d'extraordinaire me poussent à l'évidence, le concours est truqué. Le principal sponsor est parenté au capitaine de l'équipe, Liam me l'avait dit. Je lui avais affirmé que les talents ne peuvent pas être malmenés par la corruption, et pourtant.
Je me sens terriblement mal pour lui. Injustice. Des heures de sueurs, de courbatures, de travail qui perdent contre des billets et de la prétention. Harry serre doucement ma main pour me soutenir alors que les équipes libèrent la pièce. Les parents de Liam sont influents, ils pouvaient en user, mais ne l'ont jamais fait.
Liam est parti de rien, il a construit ce qu'il a aujourd'hui, et je vois ce mur de compétences trembler sous le poids d'une maison malsaine. Je me lève brusquement et marche jusqu'aux loge pour le retrouver. Par chance, je tombe sur lui dans les couloirs, avec les autres membres et quelques équipes malheureuses. Je le retiens par le bras. Son visage est fermé, triste. La colère domine ses gestes et son regard.
— Je suis désolée Liam, déploré-je en cherchant son regard.
Il arrache violemment sa main de la mienne en hurlant :
— Fous moi la paix.
Il s'enfonce ensuite dans la loge, me laissant seule dans un brouillard. C'est bien le défaut de Liam, quand il est en colère, il ne discerne plus rien, perd sa répartie et devient blessant, aussi tranchant qu'une lame aiguisée. Pourtant, je ne veux pas l'abandonner, le laisser penser que son travail a été vain. La main de Harry sur mon épaule me ramène à la réalité, je fais volte face.
Il a l'air réellement désolé. Je lui demande de me ramener à l'immeuble, j'aimerais parler à Liam avant qu'il ne fasse une bêtise. Je l'attends alors comme une conne devant sa porte jusqu'à ce qu'il ne montre le bout de son nez. Dès qu'il me voit, il soupire d'agacement puis se retourne.
— N'ose pas, le préviens-je.
Je marche rapidement jusqu'à lui.
— Vous avez été super Liam! Un jour, tu verras que l'injustice tombera, tout le monde a vu que vous étiez les meilleurs. Tout va s'arranger, lui dis-je tendrement.
Il pose un regard glacé sur moi.
— Tout va s'arranger ? Tu te fous de moi ? Ce monde est une jungle, une putain de connerie. Tout est faux, presque. Je comptais sur la somme du concours pour financer l'école, maintenant que vais-je faire ? Attendre que le petit papa Noel vienne ? Grandis Michelle, le monde n'est pas une sucette. Tout est fichu, tous les concours sont pareils, faux. J'en ai ma claque.
Ces paroles prononcées à voix mordante me frappent de plein fouet, il me blesse mais je ne cille pas. J'ai toujours naïvement pensé qu'avec des mots on peut soigner des déceptions, les blessures.
— Ils ne sont pas tous pareils Liam, votre talent est trop immense pour que ça continue ainsi. Je crois en vous. Je sais que vous le pouvez. Il y a de la lumière au bout du chemin.
Pourtant, il prononce les paroles qui m'achèvent et me détruisent:
— Toujours à parler de cette foutue lumière, bordel réveille-toi, bon sang. Toujours à penser que tout va bien dans le meilleur des mondes, ce n'est pas le cas. Et puis arrête de faire semblant, tu t'es ramené avec ton nouvel ami pour te moquer de ma défaite, alors tant mieux. Il est maintenant tout ce qui t'importe, de toute façon. Maintenant dégage.
Je le regarde, incrédule, mon cœur brûle si fort dans ma poitrine qu'il se consume et se transforme en cendre. Liam ne m'a pas dit ça ? Liam n'oserait pas. Il me dépasse et s'engouffre dans son appartement, me laissant seule devant la porte de l'ascenseur, le cœur en miette. Il me rappelle des fantômes enterrés.
Jamais je n'aurais pensé que Liam pensait pareil que les autres, il me défendait pourtant au collège. Il prônait que j'avais le droit d'être qui je voulais, que personne n'avait le droit de me retirer mon optimisme, mon bien, mon dû. Je pensais qu'il m'acceptait, éternelle optimiste, mais en réalité ça l'agaçait. J'ai mal, je l'avoue. Tout est faux, réellement faux.
Je me berce d'illusions, me faisant passer pour une optimiste, alors qu'au fond je m'effondre à chaque difficulté, à chaque problème, je me dis que ma vie n'est que misère. Je titube en marchant jusqu'à mon appartement et m'écroule dans le sofa. Les autres m'ont toujours reproché ça, faire trop semblant, comme je le reproche à Harry. Faire comme si tout allait toujours mieux. Peut-être ont-ils raison, je me suis tant leurrée que je n'ai pas vu cette grosse tache de souffrance qui encercle mon âme.
Au fil du temps, tout s'aggrave et ne s'arrange jamais. Ma maladie, celle de maman, sa mort, ma maladie, ma solitude, l'abandon. Le cycle infernal qui a effrité mon âme. Peut-être même que Tania pense pareil, que je ne suis pas réaliste, que je n'ai pas les pieds sur terre, que je rêve trop. Mes idées s'embrouillent tandis qu'une bile acide traverse mon œsophage, lentement et douloureusement. Pourtant, aucune larme ne coule. Liam va m'abandonner lui aussi. Je me saisis maladroitement de mon téléphone et appelle Harry. Les sanglots secouent ma voix quand il décroche instantanément.
— Ginger ?
— Ha... Harry, bégayé-je. Il va m'abandonner aussi.
— Qui ? m'interroge-t-il, paniqué.
Je raccroche subitement, me reprochant de l'avoir appelé. Il n'a pas à écouter mes problèmes, mes problèmes de fille détraquée. Harry n'en a pas besoin. Déjà qu'il veut bien être mon ami, il ne supporterait pas ma face sombre. Je suis le soleil, maman me l'a toujours chantée. Si le soleil devenait subitement noir, aussi sombre que les ténèbres, du jour au lendemain, personne ne l'assumerait. Après tout, il n'y aurait plus rien pour illuminer le monde.
Harry ne me rappelle pas, me laissant seule. Toujours seule, je suis condamnée à la solitude, à l'abandon. Je me relève, la pièce tangue sous mes pieds, mais je tente de maintenir mon équilibre, je saisis ma carte-clef avec hargne et me glisse hors de l'appartement que je referme. Je dois quitter cet endroit, faire ce que j'ai toujours su faire.
Fuir, toujours et encore, fuir l'obscurité. Poursuivre la lumière. Je traverse le hall à pas de course, n'accordant pas un regard au personnel habitué à mes sourires. Adrian tente de me parler, mais des acouphènes entourent mes oreilles, je n'entends plus rien. Je débarque à la hâte dehors, un flash m'éblouit.
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Lalie