Chapitre 18 : Relooking
Write by Chrime Kouemo
Denise, appuyée sur un coude, observait Simon qui s’habillait. Progressivement, il recouvrait son magnifique corps d’athlète de ses vêtements qu’elle ne savait plus comment qualifier.
Où était-il allé dénicher ce pantalon à la coupe vague ? Et cette chemise qui ne soulignait rien de sa carrure ? Quant à cette veste aux épaulettes tombantes, elle s’était retenue à plusieurs reprises de la planquer loin de sa vue.
Il s’empara d’une cravate dans le tiroir de sa commode et se débattit pour la nouer. Elle repoussa les couvertures sur le côté, se leva et s’approcha de lui.
— Attends, je vais t’aider, dit-elle en lui prenant la cravate des mains.
Elle souleva complètement le col de sa chemise et lui glissa le bout de tissu autour du cou. Deux noeuds plus tard, elle avait terminé.
— Voilà !
— Merci ma chérie.
Il se pencha pour l’embrasser tendrement. Elle se hissa sur la pointe des pieds et croisa les mains à l’arrière de son cou pour prolonger le baiser.
— Tu peux sortir plus tôt du boulot cet après-midi ? Demanda t-elle quelques instants plus tard.
— Oui, pourquoi ? Fit-il après une seconde de réflexion.
— C’est une surprise. Rejoins-moi juste à Avenue Kennedy vers 15h.
Une lueur intriguée brilla dans le regard sombre de Simon.
— Ok...
— Allez, va bosser. On se retrouve tout à l’heure.
Après son départ, Denise inspecta les placards. Il y avait deux ou trois vêtements intéressants, mais tout le reste laissait à désirer tant par leur couleur que leur coupe. Un relooking complet s’imposait. Elle espérait qu’il ne lui opposerait pas de résistance, il pouvait être buté parfois.
— Qu’est-ce qu’on fait ici ? Demanda Simon avant d’entrer dans la première boutique que Denise lui désignait de la main.
— On va essayer quelques vêtements.
— Pourquoi ? Tu as quelque chose contre mes vêtements ?
Elle se contenta de poursuivre son chemin à l’intérieur de la boutique, et salua la vendeuse.
Parvenue au rayon chemises, elle en sélectionna quelques unes qu’elle lui tendit, puis se dirigea vers une cabine d’essayage.
— Tiens, essaye ça.
— Tu n’as pas répondu à ma question tout à l’heure, insista Simon en la suivant dans la cabine exiguë. Ils ont quoi mes vêtements ? Il y a une cérémonie spéciale ?
— Non, pas de cérémonie. Essaye juste ça.
Elle défit les boutons de sa chemise en essayant de ne pas se laisser troubler par la vue de son torse dénudé.
Docile, Simon enfila la chemise et elle l’aida à refermer les boutons puis arrangea son col. La coupe ajustée du vêtement mettait en valeur sa carrure athlétique et sa ligne abdominale. Il était renversant.
Elle ouvrit le rideau de la cabine pour lui permettre d’avoir du recul face au miroir.
— Alors, comment tu trouves ?
Il s’observa d’un œil critique.
— Ça me va bien et j’aime le motif aussi.
Elle croisa son regard dans le miroir et lui sourit. S’approchant de lui, elle lui murmura à l’oreille.
— Tu es à croquer.
L’étincelle de désir qui s’alluma dans le regard de Simon faillit la liquéfier sur place. Si elle n’y prenait garde, elle lui sauterait dessus en plein magasin.
Elle lui adressa un clin d’œil coquin puis lui tendit rapidement une autre chemise à essayer.
Simon apprécia le moment. Ils ressortirent du magasin une heure plus tard, les bras chargés de sacs en papier.
— Tu aurais pu me dire que tu n’aimais pas ma façon de m’habiller, dit-il en se tournant vers elle une fois installés dans la voiture.
— Je pense surtout que ce beau corps mérite d’être plus souvent mis en valeur, répliqua t-elle d’une voix suave en passant son index le long de la boutonnière de sa chemise.
Il secoua la tête, puis se pencha vers elle pour l’embrasser.
— Merci.
— De rien. Maintenant, on va à la Brique acheter quelques tissus et voir un tailleur.
-- Ok, chef ! fit-il en souriant.
***
Armelle marqua une pause en sortant de l’ascenseur qui donnait sur le couloir où se trouvait la chambre de la mère de Ralph. Justine Njitoyap était internée depuis une semaine maintenant à l’hôpital général après l’accident de voiture qui avait failli lui coûter la vie. Son état bien que stationnaire, restait préoccupant. Elle n’avait toujours pas repris connaissance.
Devant la porte chambre, se trouvaient Ralph et Stella. Elle les salua doucement.
— Comment sont les nouvelles ?
Un sourire las se dessina sur les lèvres de son ex future belle sœur.
— Elle a dit quelques mots dans son sommeil aujourd’hui. Son médecin pense qu’elle ne tardera plus à se réveiller.
— Oh ! C’est une excellente nouvelle.
— Oui. Il faut continuer à prier, dit Stella.
Armelle hocha la tête.
— Bon, je vais vous laisser, poursuivit la sœur de Ralph. Tenez-moi au courant s’il y’a du changement.
Stella tapota l’épaule de son frère puis lui fit la bise en guise d’au revoir.
Armelle se tourna vers Ralph. La chemise mal repassée aux pans sortis de son pantalon, et les cheveux mal coiffés, il faisait peine à voir. L’accident de sa mère l’avait sérieusement ébranlé.
— Ça va ? Tu tiens le coup ? Demanda t-elle d’un ton plein de sollicitude.
Il haussa les épaules, puis se passa une main incertaine dans les cheveux.
— Ça va mieux, merci. J’ai repris espoir après ce que le médecin a dit ce matin. J’espère qu’il n’y aura pas de séquelles.
— Moi aussi.
Un silence pesant s’installa entre eux. À croire qu’ils n’avaient plus rien à se dire après presque dix années de vie commune.
Dans le grand couloir, médecins et infirmières déambulaient. Cette aile du bâtiment réservé aux soins intensifs était calme. Un calme qui pouvait se transformer en angoisse car les malades internes se battaient pour leur vie. Deux ans plus tôt, Ralph s’était retrouvé lui aussi ici, après ses démêlés avec le prêteur sur gages. Elle se rappelait que pendant des jours, elle avait veillé en priant à son chevet, demandant à Dieu de ne pas lui enlever le père de son enfant, l’homme qu’elle aimait, l’homme de sa vie. Dieu avait exaucé ses prières, mais Ralph n’était plus son homme. Elle avait espéré que ce mauvais épisode remette leur relation sur les bons rails et s’était accrochée de toutes ses forces, mais rien n’y avait fait. Il fallait être deux pour la réussite d’une relation.
La rencontre avec Bobby était venue lui retirer les œillères qu’elle maintenait désespérément face à son histoire avec le père de Stan. Et même si tout était fini entre le producteur et elle, elle chérissait chaque moment passé en sa compagnie et la maturité qu’elle y avait gagnée. Elle serra son sac plus fort contre son cœur, comme pour empêcher celui-ci de tomber. Il en était ainsi à chaque fois qu’elle pensait à Bobby — ce qui arrivait trop souvent à son goût. Une douleur sourde lui vrillait la poitrine et elle était tentée de débloquer son numéro.
Sa sœur, Érika, trouvait qu’elle avait été radicale, mais elle lui avait répondu qu’elle ne répéterait pas les mêmes erreurs qu’avec Ralph. Un menteur restait un menteur. À trente deux ans, il était plus que temps qu’elle soit exigeante. Elle ne se laisserait plus traiter comme une serpillère.
— Je vais la voir, annonça t-elle à Ralph en se dirigeant vers la porte.
Justine Njitoyap, allongée sur le lit d’hôpital, était reliée à plusieurs machines. Son visage qui portait encore les marques de l’accident semblait serein. Stella lui avait rapporté que sa voiture avait été à moitié écrasée par un camion qui avait perdu ses freins en plein marché central. C’était un miracle qu’elle ait pu s’en sortir vivante.
Elle tira la chaise et s’installa près du lit. Elle posa doucement la main sur celle de la patiente et ferma les yeux pour prier.
Quand elle ressortit quelques minutes plus tard, Ralph était toujours devant la porte.
— Je vais y aller. Tiens-moi au courant s’il y a du nouveau.
Il tendit la main vers elle.
— Armelle, attends.
— Oui ?
— Est-ce qu’on peut parler s’il te plaît ?
— Oui, pas de problème.
— Pas ici, allons dehors prendre un peu d’air.
Elle lui emboîta le pas en silence. Dehors, l’air était chaud. Une légère brise tiède secouait les branches des arbres. Malgré les allées carrossées et les parterres de fleurs bien délimités de l’hôpital, une fine couche de poussière recouvrait les pavés.
Repérant un banc libre non loin de la porte de l’aile des soins intensifs, elle lui indiqua de la main.
— On peut s’asseoir là bas, si tu veux.
Il la suivit.
— Je t’écoute.
— Voilà... L’accident de maman m’a fait réaliser pas mal de choses. Je me suis rendu compte que j’avais été odieux avec toi alors que tu ne voulais que mon bien. Je voulais te demander pardon pour tout le mal que je t’ai fait.
Interdite, Armelle fixa Ralph, bouche bée. En près d’une décennie de vie commune, il ne s’était jamais excusé de quoique ce soit.
— J’ai honte de moi quand je pense à la façon dont je me suis comporté avec toi. Je ... J’espère que tu pourras me pardonner et qu’il n’est pas trop tard pour...
Il s’interrompit pour racler la gorge. Dans ses prunelles foncées brillait une lueur qu’elle n’avait plus vue depuis des lustres. Elle ouvrit les yeux grands comme des soucoupes. Il n’allait quand même pas...
— J’espère que tu pourras me pardonner et que tu nous accorderas une seconde chance. J’espère qu’il n’est pas trop tard pour que tu acceptes de m’épouser.
— Quoi ?? Coassa t-elle.
***
Denise s’affairait dans la cuisine de Simon en compagnie d’ Amandine. Son amant possédait une impressionnante batterie de cuisine pour un homme qui n’avait jamais été marié. Sa petite sœur lui avait expliqué que c’était lui qui s’était chargé de faire leur repas à ses frères et elle depuis la mort de leur mère.
De jour en jour, elle était impressionnée par les qualités de son homme, et ne pouvait s’empêcher d’être de plus en plus sous son charme. Elle ne voulait même plus lutter.
Il lui arrivait encore de temps à autre de culpabiliser à cause d’Esther, mais elle se tranquillisait en se disant que la situation était différente. Simon avait été clair dès le début et avait rompu avec Esther avant d’entamer une relation avec elle Il n’y avait donc pas de jeu sur deux tableaux comme cela avait été le cas avec Oswald. De plus, son histoire avec Simon n’avait rien à voir avec la passion destructrice et aveugle qui avait animé ses rapports avec le chorégraphe. Avec Simon, tout était fluide, simple, semblant comme couler de source. Leurs différences qu’elle avait considérées comme des obstacles au début, ne faisaient que magnifier leur relation et lui montraient à quel point ils étaient aussi compatibles qu’un embout mâle l’était d’un embout femelle. Pour elle qui avait toujours cru ne pouvoir s’épanouir que dans une relation tumultueuse avec un partenaire au tempérament volcanique, elle découvrait tout le bien et la sérénité que lui apportait sa romance avec un homme tel que Simon, bien loin de la fadeur que cela lui inspirait avant. Elle comprenait qu’avoir du caractère n’était pas toujours synonyme d’impétuosité et de fougue.
—Tu peux me passer le petit couteau à ta droite, s’il te plaît ? Demanda Amandine, la tirant de ses pensées.
Elle lui tendit l’ustensile.
— J’ai le droit de te demander ce qui te fait sourire comme ça ou alors je suis encore trop jeune pour comprendre, reprit-elle en fixant sur elle son regard espiègle.
Denise éclata de rire.
— Oui, tu as le droit, mais ai-je vraiment besoin de répondre à ta question ?
— Non, effectivement. J’ai d’ailleurs oublié de te dire que tu dois quand même me remercier. Si je ne l’avais pas un peu secoué, il serait peut-être encore là à se demander s’il tentait sa chance avec toi ou pas.
— Merci alors, dit Denise en lui adressant un clin d’œil complice.
— De rien. Avant que j’oublie, j’ai relancé mon camarade geek au sujet du signalement de tes vidéos. Il pense avoir retrouvé le faux-profil responsable et va mettre en place un stratagème pour le piéger. C’est une affaire de deux ou trois semaines.
— Ah ! Merci ! Je n’y pensais même plus depuis tout ce temps.
— Je sais, il a pris un peu de temps, mais c’est le meilleur du campus et le gars croule sous les demandes de toutes sortes. Je vais lui mettre la pression.
— OK. Merci beaucoup.
Amandine prit un air pensif, semblant hésiter à lui dire quelque chose.
— Quoi ? Demanda Denise.
— Euh... rien rien. Ça ne va même pas t’intéresser.
— Dis-toujours.
La sœur de Simon se gratta l’arrière du crâne, puis tritura une mèche de ses tresses à deux brins.
— C’est à propos de Willy. Il a eu son visa pour la France la semaine dernière.
— Oh... Ça va aller ?
Willy était le petit ami d’Amandine depuis deux mois, et elle en était visiblement folle amoureuse. La nouvelle devait être dure pour elle.
— Je suis contente pour lui parce qu’il attendait ça depuis deux ans, répondit-elle en haussant les épaules un peu tristement, mais j’ai un peu peur de ce qu’on va devenir tous les deux.
— C’est vrai que la distance n’est pas ce qu’il y a de plus simple à gérer dans une relation amoureuse. Prends juste les choses comme elles viennent sans trop te prendre la tête.
La jeune femme opina du chef, la mine un peu triste.
— Je vais essayer. Euh... j’aimerais aussi avoir ton avis sur un problème que j’ai avec lui.
— Je t’écoute ...
— Depuis qu’il a eu son visa, il me met encore plus la pression pour qu’on couche ensemble.
— Quoi ?!
— Je ne sais plus comment lui dire que je ne suis pas prête, poursuivit Amandine d’une voix morne. Au début, il comprenait mais maintenant, il me dit qu’il ne s’imagine pas s’en aller sans que nous ayons franchi cette étape. Je ne sais pas quoi faire… j’ai peur de le perdre.
Elle se cacha le visage dans ses mains.
Denise se rapprocha d’elle et entoura son épaule de son bras..
— Hé ! C’est ton corps et c’est toi qui en es la propriétaire. Personne n’a le droit de t’imposer quelque chose que tu ne souhaites pas.
— Et s'il me quitte à cause de ça ? Qu'il va voir ailleurs ?
— C’est qu’alors, il ne te méritait pas. C’est non négociable, ajouta Denise d’une voix douce mais ferme.
Amandine releva la tête; ses yeux étaient légèrement embués.
— Je ne voudrais pas passer pour une prude. Toutes mes amies sont déjà passées à l’acte et j’ai parfois l’impression d’être une sorte d’extra terrestre.
— Je te rassure, tu n’en es pas une. Tu n’es pas prête, un point un trait. Et tant que tu ne l’es pas, ne te lance pas. Il faut que tu sois en confiance avant de le faire. Chacun va à son rythme, d’accord ?
— D’accord. Merci, je ne savais pas trop à qui me confier. Avec Eve à Douala, c’est difficile d’aborder ce sujet par téléphone, et avec Simon je n’y pense même pas.
Denise esquissa un sourire en coin. Elle non plus n’imaginait pas son amant gérer ce type de situations. Il prendrait la mine renfrognée qu’elle lui connaissait quand un sujet le contrariait.
— Effectivement, je vois mal ton frère gérer ce genre de problèmes, et je peux le comprendre. Quelque part dans son esprit, tu es encore sa toute petite soeur. J’ai eu un peu le cas avec Samy, il s’était battu avec un de ses potes quand il avait appris que je sortais avec lui en cachette. Les grands frères sont comme ça.
— C’est quoi avec les grands frères ? Interrogea Simon qui venait d’apparaître sur le seuil de la porte de la cuisine.
Il revenait de son footing. Leurs regards se croisèrent. Le petit sourire qu’il lui décocha fit tout de suite s’agiter les papillons dans son ventre. Elle réprima une forte envie d’aller vers lui.
La serviette éponge autour du cou, il se dirigea vers le frigo pour prendre une bouteille d’eau et se servit un verre.
— Rien du tout. On disait juste qu’ils étaient barbants, précisa t-elle taquine.
— Ah oui ? Fit-il d’un ton plein de sous entendus.
***
Simon leva la tête en entendant la porte de son bureau s’ouvrir. Pascal était appuyé contre le chambranle de la porte, tiré à quatre épingles comme à son habitude.
— C'est comment, Simon ? Tu es dispo pour qu'on aille déjeuner ensemble ?
Simon jeta un coup d’oeil à sa montre. Il ne pensait pas qu’il était déjà si tard.
— Oui, laisse-moi enregistrer mon travail et après, je suis à toi.
Il sauvegarda son document Excel, puis rabattit son ordinateur.
— C’est bon !
— Dis-donc, beau costume ! dit Pascal quand il se leva de sa chaise.
— Merci.
— C'est mon jour de chance aujourd'hui, commenta son ami en le précédant dans le couloir. Tu te fais rare ces derniers temps.
— Oui, c'est vrai. Pas mal de choses à gérer, dit-il en restant délibérément vague.
Attablés dans leur restaurant habituel, ils attendaient tranquillement leurs commandes quand Pascal revint à la charge.
— Alors, dis-moi, qu’est-ce qui t’occupe comme ça ?
— Quelques affaires urgentes, rien de spécial, mentit Simon avant de prendre une gorgée de son verre d’eau fraîche.
Il n’avait rien dit à son ami de sa rupture avec Esther et de ce qui s’en était suivi.
— C’est ça ! Mens-moi. Tu te tapes la danseuse et la prof, et tu me le caches ! Tu as l’air trop heureux pour quelqu’un qui croule sous le taf.
Il leva les yeux vers Pascal, interceptant son air goguenard. Pour quelqu’un qui clamait haut et fort s’être rangé, il était un peu trop friand d’histoires de tromperie.
— Détrompe-toi. Comme tu le disais si bien l’autre fois, ce n’est pas mon style, mais j’ai finalement rompu avec Esther, avoua t-il.
— Ça alors ! Et quoi ? Tu es avec la danseuse ?
— Oui, et elle s’appelle Denise, je te rappelle.
Son ami le contempla durant de longues secondes avant de lâcher :
— Tu es sûr de ton choix ?
— Certain, confirma t-il d’un hochement de tête.
Et le mot était faible. Il n’avait jamais été aussi sûr de sa vie. Aussi différents que Denise et lui étaient, ils n’auraient pas pu mieux s’accorder. Il se rendait compte à quel point il s’était emprisonné sans le vouloir en choisissant ses compagnes sur la base de critères étriqués et en muselant son ressenti. Ses précédentes histoires, avec des femmes lui ressemblant presque trait pour trait étaient réglées comme du papier à musique. Elles étaient comme la carte d’un menu au restaurant qui n’évoluait jamais ou presque, prévisibles. Pendant longtemps, il avait cru que c’était ce qu’il lui fallait, mais il se trompait.
Avec Denise, il explorait un autre facette des relations amoureuses. Elle le stimulait, le titillait le taquinait. Elle était comme un rayon de soleil dans un ciel gris et froid, diffusant sa lumière chaude et bienveillante. A ses côtés, il avait l’impression d’être un autre homme, plus conscient de sa personne, de sa valeur. Elle avait cette faculté de faire briller les gens. Il en voyait les résultats tous les jours sur sa jeune soeur qui était plus confiante, plus affirmée. Elle avait bien sûr ses défauts comme tout le monde, mais il reconnaissait qu’il l’avait méjugée avec ses stupides à priori sur son métier et son apparence.
— En tout cas, le moins que je puisse dire est qu’elle a fait du bon boulot en réussissant à te faire changer de look, conclut Pascal en levant son verre dans sa direction. Et tu as l’air épanoui.
— Je le suis.
Tard le soir, alors que Denise se blottissait contre lui en prévision de la nuit, il se rappela sa conversation avec Pascal lors du déjeuner. Il l’enveloppa dans ses bras, heureux. Comment avait—il pu passer autant de temps, sans se rendre compte de la perle qu’il avait juste sous son nez ? Et comment faisaient ses parents pour la négliger autant ? Il comprenait encore moins leur attitude envers elle.
— Chérie ?
— Oui, murmura t-elle d’une voix ensommeillée.
— Tu as des nouvelles de tes parents ?
Elle se figea dans ses bras, puis se redressa.
— Non pas depuis quelques semaines, pourquoi ?
— Je me posais la question. Tu ne m'en as pas parlé.
— Eh bien, parce qu'il n'y a rien à dire.
Et elle se recoucha contre lui.
— Tu ne voudrais pas leur rendre visite pour avoir une vraie discussion avec eux ?
— Qui te dit que je ne l’ai pas déjà fait ?
Il glissa sa main sous son menton, et souleva son visage vers lui pour qu’elle ne puisse échapper à son regard.
— Tu l'as fait ?
— Simon... Tu penses vraiment que j'ai envie de parler de ça maintenant ? Et, je te rappelle que si ça ne marche pas entre eux et moi, ce n'est pas que de ma faute.
— Je sais, mais je pense que tu devrais avoir une vraie conversation avec eux, leur dire ce que tu as sur le coeur, ce que tu leur reproches ...
Les yeux de Denise lancèrent des éclairs et elle prit un air d’enfant buté.
— Tu sais quoi ? Bonne nuit, lança t-elle avant de lui tourner le dos.
Il posa une main apaisante sur son épaule dénudée.
— Je sais que ce n’est pas évident de faire le premier pas, mais je sais aussi ce que ça fait de perdre ses parents brutalement et de ne plus pouvoir leur parler du jour au lendemain sans y être préparé. Je donnerais tout pour avoir ne serait que cinq minutes avec mes parents pour leur dire une dernière fois que je les aime avant qu’ils ne s’en aillent.
Elle poussa un profond soupir et la seconde d’après, se retourna pour lui faire face à nouveau, les prunelles humides. Un pincement au coeur le saisit.
— Ecoute, oublie ce que je t'ai dit... Je ne voulais pas...
— Non, tu as raison. Je vais aller les voir et faire tout ce que je peux pour rétablir le dialogue.
Elle semblait tellement vulnérable tout d'un coup. Il l'attira à lui et la serra fort contre son coeur.