Chapitre 19 : Révélations
Write by Chrime Kouemo
— Je vois Ralph tout à l'heure et je ne sais pas quoi lui dire, avoua Armelle d'une voix peu assurée, en triturant sa serviette en papier.
— T'es sérieuse là ?! s’exclama Denise en levant brusquement la tête de son assiette.
Armelle appuya son front contre ses mains. Dire qu’elle se sentait un peu perdue ces derniers temps était un euphémisme. La demande en mariage de Ralph l’avait complètement tourneboulée. Elle ne savait plus où elle en était alors que quelques semaines plus tôt, elle était si sûre d’avoir tiré un trait sur lui.
— Je ne sais pas... Je vois qu’il a changé. Il a limité sa consommation d’alcool, il est plus poli maintenant. Je crois vraiment qu’il a réalisé certaines choses avec l’accident de sa mère, et je ne peux pas faire comme si je n’avais pas rêvé de ce qu’il me propose pendant dix ans.
Denise l’observa pendant un long moment le sourcil haussé.
— Armelle, je pense que tu dois faire une pause avec tout ça. Tu dois peut être réapprendre à être seule pour y voir un peu plus clair sur ce que tu désires réellement. Le simple fait que tu envisages de considérer sérieusement la proposition de Ralph aussi vite prouve que ta décision de le quitter n’était pas mûrement réfléchie. Que lui aurais-tu dit si ça avait marché avec Bobby ?
Bobby... la douleur qu’elle ressentit à la seule évocation de son nom la détourna un instant de la question posée par son amie. Il avait respecté sa décision et n’avait plus tenté de la joindre après leur entrevue sur le parking de son entreprise. Elle n’en était pas plus sereine. Elle n’avait fait que repousser sa peine dans un coin de son cœur et avait évité d’y aller. Certains soirs, elle se retrouvait à relire leur fil de discussion sur sa messagerie, les yeux embués et se demandait ce qui n’avait pas marché.
Quand Ralph lui avait fait sa demande une semaine plus tôt, elle s’était sentie enfin désirée, valorisée à ses yeux. Ce n’aurait pas du être le cas, cela prouvait ou laissait croire que sa décision de le quitter n’avait été qu’une sorte de chantage déguisé pour le pousser à faire ce qu’elle attendait de lui depuis dix ans. Aurait-elle envisagé une seule seconde de réfléchir à la demande de Ralph si elle avait continué à voir Bobby ?
Elle poussa un profond soupir. Denise n’avait pas tort. Elle n’était pas claire avec elle-même.
— Je ne sais pas ...Tout est peut être arrivé trop vite. C’est grâce à Bobby que j’ai eu le courage de quitter Ralph. Je suis passée d’une relation à une autre sans réelle transition, sans une période pour me retrouver.
— Prends donc le temps de te retrouver, et écoute ton cœur et non ta peur.
Armelle opina de la tête. Elles poursuivirent leur repas en silence quelques instants.
— Et toi alors, c’est comment avec Simon ? S’enquit-elle un moment plus tard.
L’air réjoui de son interlocutrice lui donna la réponse à sa question avant qu’elle n’ouvre la bouche.
— Je me sens tellement bien avec lui. Qui l’eût cru ? Celui que je surnommais le séminariste est un homme merveilleux qui me fait vibrer au plus profond de moi.
— Oooh... s’extasia Armelle, sincèrement ravie pour sa professeure de danse. Quand est-ce que tu me le présentes officiellement ?
— Dès que tu es dispo. Je te rappelle que c’est toi qui as reporté notre dernier rendez-vous.
— Ouais, je sais. En bon amie que je suis, je vais éviter de te rappeler ce que tu me racontais il y a quelques semaines quand tu m’affirmais ne plus vouloir être en couple, dit-elle d’un ton taquin.
Denise lui adressa un sourire, puis lui tira la langue.
— J’en étais convaincue, poursuivit-elle ensuite en reprenant son sérieux. Ma dernière histoire s’est terminée de façon chaotique, je te le raconterai un de ces quatre. Je m’étais promis ne plus m’engager sentimentalement parlant après ça, mais il a réussi à me convaincre d’essayer à nouveau.
— Je suis heureuse pour toi. Ça se voit qu’il te fait du bien, tu rayonnes !
— Merci.
Le regard de Denise s’assombrit un instant.
— Qu’est ce qu’il y a ?
— Il m’a également convaincue d’aller parler à mes parents. Je vais les voir tout à l’heure.
— Oh... Et ça va ?
Son amie tritura ses longues tresses dans ses doigts avant de répondre.
— Je te mentirais si je te disais que je n’appréhende pas. Je ne me rappelle même plus la dernière fois que je me suis retrouvée en tête à tête avec eux.
Armelle posa sa main sur celle de Denise en signe de réconfort.
— Ça ira... Vous trouverez forcément un terrain d’entente. Ma mère ne m’a pas parlé pendant plusieurs semaines après ma rupture avec Ralph, mais maintenant, elle est bien obligée d’accepter, et je sais qu’elle m’aime malgré nos différends.
Leur repas terminé, elle proposa à Denise de la déposer chez ses parents à Biyem Assi. C’était à l’opposé de sa destination, mais ça ne la dérangeait pas de faire un détour pour son amie. Elle appréciait sa compagnie et se réjouissait chaque jour des liens qui se tissaient entre elles. Denise était une personne vraie, sincère et honnête. Là où d’autres amies lui avaient conseillé comme sa mère de s’accrocher à Ralph pour son argent et le confort de sa maison, elle s’était intéressée à son bien être et son épanouissement.
— J’espère que tout va bien se passer, dit-elle en coupant le moteur après s’être garée devant la maison des parents de Denise.
— Moi aussi, renchérit Denise, le regard un peu perdu.
— Tiens-moi au courant.
— Ça marche.
***
Denise prit une grande inspiration pour calmer les battements sourds de son cœur et appuya sur la sonnette du portillon d’entrée. Pourquoi était-elle si stressée à l’idée de rencontrer ses parents ? Elle ne se reprochait pourtant rien.
L’étrange sensation d’estomac noué qui ne la quittait plus depuis qu’elle avait décidé de suivre le conseil de Simon s’amplifia à mesure que les secondes s’égrenaient.
Elle entendit le pas vif de son père, reconnaissable entre tous, à travers le vantail en fer. Machinalement, elle se redressa.
— Hé Denise ! Quelle surprise !
— Bonjour papa. Comment vas-tu ?
— Ça va.
Son père se tenait un peu raide dans l’encadrement de la porte. De haute stature, avec son visage buriné et ses cheveux devenus complètement gris, il imposait le respect. Sauf bien évidemment quand Madame Rita se trouvait dans les parages. Sa mère avait toujours eu le dernier mot dans les litiges familiaux et Zachary Moyo ne s’était jamais opposé à elle sur quelque sujet que ce soit.
Elle se reprit rapidement et chassa ces pensées inopportunes. Elle n’était pas là pour faire le procès de son père, mais pour essayer de rétablir un dialogue interrompu depuis trop longtemps.
Elle s’avança pour lui faire la bise. Il la serra dans ses bras, et elle se rappela qu’elle adorait se blottir contre lui quand elle était une fillette.
— Maman est là ?
— Oui. Elle est couchée dans sa chambre.
Il la scruta longuement du regard, comme s’il essayait de sonder les raisons de sa venue, puis referma la portail.
Denise, suivie de son père, se dirigea vers la cuisine pour prendre un verre d’eau. Sa gorge était soudain devenue sèche et un mauvais pressentiment lui tordait littéralement les boyaux. Tout dans leur maison semblait pourtant comme à l’accoutumée : pas le moindre grain de poussière ne traînait sur les meubles, les plantes et pots de fleurs fraîches avaient toujours fière allure.
— J’aimerais vous parler à tous les deux, maman et toi, déclara t-elle en se tournant vers son père.
— Je ne sais pas si le moment est indiqué, ta mère est un peu fatiguée, elle se repose..., commença t-il, le regard un peu fuyant.
— Vous allez continuer à m’ignorer pendant combien de temps encore ? Qu’est-ce vous me cachez ? Je ne suis peut-être pas celle que vous voulez que je sois, mais est-ce une raison ? Je...
Elle sentit sa voix se briser et s’interrompit.
Son père ne dit rien non plus. Quelques secondes s’écoulèrent. Il se tenait toujours coi.
Agacée, elle passa devant lui d’un pas vif et emprunta le couloir qui menait aux chambres.
Parvenue devant la porte de ses parents, elle frappa deux petits coups et attendit impatiemment.
— C’est qui ? Entendit-elle sa mère demander d’une voix qu’elle ne lui reconnaissait pas.
— C’est moi, maman.
Silence.
Décidée, elle ouvrit le vantail de bois. Madame Rita était entendue sur le lit, le visage creusé, le teint plus sombre que d’habitude. Elle leva vers elle un regard éteint.
Instinctivement, elle accourut près du lit et s’agenouilla.
— Maman, qu’est ce qui ne va pas ?
— Qu’est ce que tu fais là ? Murmura sa mère d’un ton qui avait perdu de sa fermeté.
Elle sentit ses yeux s’embuer.
— Je suis venue vous voir papa et toi pour qu’on essaie de se parler comme les parents et les enfants le font... Maman, qu’est ce que tu as ? Ne me mens pas, s’il te plaît.
Sa mère ferma les yeux, comme si elle avait déjà fait trop d’efforts, puis les rouvrit un instant plus tard.
— Ta mère a un cancer de l’estomac, répondit son père dans son dos.
— Zachary, protesta faiblement sa mère.
— Quoi ? S’écria Denise au même moment.
Son père se rapprocha lentement du lit.
— On ne peut pas continuer à lui cacher ça, Rita. Elle a le droit de savoir.
— Ça dure depuis combien de temps ? Demanda t-elle la voix enrouée.
— On n’est pas très sûr, mais selon le docteur, les tumeurs se sont développées depuis quelques années. Ta mère a commencé à se plaindre de violentes douleurs abdominales il y a quelques mois. Le gastro entérologue qu’on avait consulté nous a dit que c’était une colopathie, mais les douleurs sont devenues de plus en plus vives et plus régulières. On a fait des examens complémentaires et le verdict est tombé il y a deux mois.
Deux mois... Le cœur de Denise se fit lourd dans sa poitrine.
Elle posa une main tremblante sur le bras frêle de sa mère qui dépassait du drap. Des larmes roulaient librement sur ses joues tandis qu’elle la contemplait.
— Comment te sens-tu ? Tu as mal ?
Sa mère hocha doucement la tête. Le foulard de travers, les lèvres sèches, Madame Rita était méconnaissable.
— Est-ce qu'il y a des chances pour que tu guérisses ? Il y a certainement quelque chose à faire...
— Je ne veux pas de leur saleté de chimio, articula t-elle péniblement.
— Le docteur a dit qu'au stade où était le cancer, il n'y avait quasiment pas de chance de guérison.
Un sanglot s’échappa de la gorge de Denise. Elle l’étouffa du mieux qu’elle put. Deux douleurs se disputaient en elle : celle de savoir que celle qui l’avait mise au monde et élevée était condamnée, et celle de se voir considérée comme une laissée pour compte à ses yeux au point qu’une nouvelle aussi grave lui ait été cachée.
— Pourquoi ? demanda t-elle finalement d’une voix sourde. Pourquoi me l’avoir caché ? Qu’est-ce que j’ai fait de si répréhensible au point que vous en arriviez là ?
— Tes autres frères ne sont pas non plus vraiment au courant, se justifia son père. Ils croient que ta mère souffre d’une colopathie chronique.
« Mais pourquoi ? » voulait-elle hurler. Elle ne comprenait pas leur logique de ne rien dire à leurs enfants.
— Il faut laisser ta mère se reposer maintenant, dit Zachary Moyo quelques minutes plus tard. Ses antidouleurs la fatiguent énormément.
Dévastée, elle pressa la main de sa mère et se pencha pour embrasser sa joue à la pommette désormais affreusement saillante.
Dehors, le ciel lui sembla d’une autre teinte, plus grise, presque menaçant, triste. Elle ne voyait plus la beauté du jardin de leur maison. Le silence des lieux était devenu angoissant, comme un prélude à une catastrophe.
— C'était une décision de ta mère... J'ai tout fait pour l'en dissuader, avoua son père, alors qu'ils s'installaient dans les chaises en rotin de la véranda attenante au salon.
Elle voulut lui répondre méchamment qu’il en avait toujours ainsi, qu’il n’avait fait que suivre ses directives toute sa vie, mais se retint. Cela ne servirait à rien, et surtout, cela ne lui permettrait pas de mieux comprendre la logique de sa mère.
— De tous nos enfants, tu es celle qui n’en a toujours fait qu’à sa tête, comme bon lui semble, et je crois que ta mère t’en veut pour ça.
Denise fixa son père, essayant de comprendre.
— Ta mère rêvait d'être une claudette, lâcha t-il au bout de quelques secondes. Elle faisait partie de des majorettes de l’université et avait obtenu une bourse pour poursuivre son cursus en France. Elle avait espoir de se consacrer à la danse une fois arrivée sur place. Ton grand-père n’a rien voulu savoir. Il estimait qu’elle en avait déjà assez fait pour les études et qu’il était temps qu’elle se marie.
Interdite, elle ne quittait pas son père des yeux. Elle n’avait jamais soupçonné la passion de sa mère pour la danse. Elle avait toujours trouvé que Madame Rita avait une certaine grâce quand elle dansait, mais elle ne le faisait qu’en de très rares occasions.
Zachary se gratta l’arrière du crâne, passa une main lasse sur son cou avant de poursuivre.
— À l’époque, une femme ne pouvait voyager sans l’autorisation de ses parents ou celle de son mari. Ton grand-père ayant décidé qu’il fallait qu’elle se marie, elle ne pouvait donc pas faire grand chose. Nos parents étaient tous deux des commerçants bamileke reconnus à Yaoundé. Ta mère m’a été présentée. J’ai été tout de suite sous le charme. Nous nous sommes donc mariés. Elle m’a confié son rêve. Je m’y suis farouchement opposé. C’était inimaginable, impensable que je laisse ma femme aller danser en France. Qu’allait-on penser de moi ? Elle s’est finalement rangée et est entrée à l’école normale, mais je savais que quelque chose lui manquait. Je m’en suis voulu d’être celui qui mettait un frein à son rêve, c’est pour ça que je la laissais diriger tout, pour compenser. J’étais aussi très amoureux d’elle.
Denise secoua la tête, incrédule. Elle avait l’impression d’entendre conter l’histoire de quelqu’un d’autre et non celle de sa mère, celle qui n’avait jamais cessé de combattre sa passion. Elle ne se souvenait que trop bien du nombre de fois où elle avait été privée de sortie juste parce qu’elle savait que c’était pour rejoindre son groupe de danse.
— Tu es celle qui lui ressemble le plus. Tu as sa grâce, la même élégance qu’elle dans ta démarche. Quand tu as quitté le pays pour poursuivre ton rêve, ça a rouvert toutes les plaies que j’espérais vainement fermées. Ta mère est devenue de plus en plus irascible, presque amère. Pour compenser une fois de plus, j’ai encore plus fait profil bas et l’ai laissée mener encore plus la barque à la maison. J’avais espoir que ça apaiserait un peu son amertume mais je m’étais trompé. Après, il était trop tard pour revenir en arrière. Je te demande pardon de ne pas avoir été là comme un père pour toi et je te demande aussi pardon à sa place. Maintenant qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre, je voudrais lui rendre la vie plus facile au possible. C’est tout ce que je peux faire pour elle.
Le visage dans ses mains, Denise laissa librement sa peine s’exprimer. Elle pleura longtemps, en silence. Elle n’avait pas la possibilité de refouler le flot d’émotions qui se déversait en elle : la colère, la douleur, la tristesse, l’incompréhension.
Apprendre la mort prochaine de sa mère et découvrir dans le même intervalle qu’elle lui en voulait d’avoir été celle qu’elle rêvait d’être était un sacré coup dur. Elle avait enfin un explication sur l’acharnement dont sa mère avait fait preuve pour lui faire abandonner la danse, mais pour autant, elle n’était pas plus apaisée.
La vie de Madame Rita lui apparaissait désormais pour ce qu’elle était : une succession d’années de frustration que rien n’était venu atténuer, ni sa vie de famille, ni sa vie professionnelle remplie, et surtout, plutôt que de vivre sa passion par procuration à travers sa fille, elle avait usé de tout son pouvoir pour lui faire connaître les mêmes tourments, et la détourner de son essentiel. Quel parent agissait ainsi ? Sa mère l’avait-elle jamais vraiment aimée ? Ou était-ce toujours les conséquences de son aigreur ?
Avec le recul, elle se dit qu’elle préférait encore la période où elle attribuait l’aversion de sa mère pour son métier, à une éducation religieuse stricte. Elle préférait encore toutes les autres explications, mais pas celle-là.
Elle aurait aimé ne plus rien ressentir pour cette mère qui avait œuvré pour tuer son rêve. Elle avait toujours pensé qu’un parent s’efforçait de ne pas faire traverser les mêmes épreuves à ses enfants, mais cette logique ne s’appliquait pas à sa mère. Savoir cela n’adoucissait cependant pas sa peine de la savoir mourante. L’amour ne disparaissait pas du jour au lendemain. Il restait là accroché aux parois de votre coeur, parfois bien au-delà des coups durs que vous pouviez recevoir de l’être aimé.
Oui, il aurait été beaucoup plus simple pour elle de détester sa mère en ce moment, et de tourner cette page de sa vie, mais elle n’y arrivait pas, même sachant que l’espoir qu’elle avait nourri secrètement d’avoir des rapports harmonieux avec Madame Rita s’évaporait tel un nuage. Tout à l’heure, elle avait encore cherché désespérément dans son regard, une lueur d’affection. Elle n’avait croisé qu’un regard vide, dénué d’expression.
— J'ai voulu te le dire plein de fois, mais j'avais peur que tu te détournes d'elle définitivement, reprit son père, la tirant de ses moroses pensées. J'avais espoir qu'avec ta jovialité naturelle, tu parviendrais un jour à briser la glace autour de son coeur.
C'en était trop pour Denise. Entendre une nouvelle fois son père, celui-là même qui avait été complice de l’attitude déplorable de sa mère envers elle, faire autant aveu de faiblesse, l’horripila tout d’un coup. Elle ne pouvait rester une seconde de plus à l’écouter étaler son incompétence en tant que parent; c’était au dessus de ses forces.
Elle se leva prestement de sa chaise et accrocha son sac à son épaule.
— Il faut que je te laisse, papa.
— Pardon, reviens-nous voir quand tu peux. Même si elle ne le montre pas, je pense que ça lui fait plaisir, et à moi aussi.
Il se leva à son tour.
— Quand est-ce que tu comptes dire la vérité aux autres ? interrogea t-elle. Vous ne pouvez pas continuer à les laisser dans l’ignorance. Si tu ne le fais pas, je le ferai.
— Je les informerai dès ce soir.
Elle tendait la main vers la poignée du portillon, quand elle entendit :
— Pardon, encore, ma fille. Nous n’avons pas été à la hauteur, mais je te promets de faire du mieux que je peux pour changer ça.
Denise ne répondit rien. Elle se retourna, salua son père d’une accolade, puis sortit.
***
Simon fut accueilli par un silence inhabituel en ouvrant la porte de son appartement. Denise n’était visiblement pas encore rentrée. Elle devait encore être chez ses parents, il espérait que tout se passait bien et qu’ils parviendraient enfin à se parler comme des membres d’une seule et même famille.
Après un tour rapide dans la chambre pour changer de vêtements, il s’installa à la cuisine, ouvrit les placards et observa leurs contenus, comme pour trouver une inspiration à ce qu’il allait préparer.
Deux heures plus tard, Denise n’était toujours pas rentrée. Légèrement inquiet, il composa son numéro de téléphone. Aucune réponse. Il réitéra l’appel deux fois de suite. Toujours rien.
Il éteignit le feu sous sa marmite, et sortit de son appartement.
Au bout de deux sonneries, Denise ouvrit la porte, le visage défait, les yeux rougis et les larmes séchées maculant ses joues.
— Denise, qu’est-ce qu’il y a ? S’alarma t-il aussitôt.
Il referma la porte derrière lui et la prit dans ses bras.
— Ma mère va mourir, Simon. Elle ne m’a jamais aimée. Je ne sais pas ce qui des deux me fait le plus mal…
Impuissant, il la serra dans ses bras, tandis que son corps était secoué de sanglots. Plusieurs minutes plus tard, elle commença à lui conter d’une voix atone l’entrevue avec ses parents.