Chapitre 20 : Prière exaucée
Write by Chrime Kouemo
Denise fit un grand signe de la main à Shana qui sortait de l’espace douanier de l’aéroport de Nsimalen. Son amie la repéra et lui fit une grande mimique comme à son habitude. Elle éclata de rire, et surexcitée, elle fendit la foule compacte de voyageurs et de leurs accompagnateurs.
— Shana ! s'écria t-elle avant de se jeter dans ses bras.
Toujours enlacées, elles se mirent à sautiller telles deux gamines. Pendant les longues secondes que dura leur accolade, Denise ferma les yeux, faisant abstraction de tout ce qui les entourait pour apprécier ce moment de retrouvailles. Shana, était une sorte d’alter égo. Elles se ressemblaient aussi bien physiquement que psychiquement. Elles avaient la même taille, la même corpulence, la même morphologie. Elles riaient des mêmes blagues et avaient les mêmes goûts sur pratiquement tout.
Leur amitié avait flambé comme une mèche sous un chalumeau. Très vite, elles étaient devenues inséparables, et avaient emménagé ensemble jusqu’à son départ pour Londres, pour lequel elle l’avait d’ailleurs mise en garde.
L’arrivée de Shana mettrait assurément du baume à son coeur meurtri après les révélations de son père et la découverte de la mort imminente de sa mère. La présence de son amie tombait à point nommé pour la détourner de la mélancolie qui menaçait de l’engloutir par moment. Simon avait bien sûr été merveilleux, l’entourant de ses attentions; Armelle et Eloïse aussi avaient joué leur partition. Mais la venue de Shana marquait le début de la préparation intense pour leur spectacle prévu dans deux semaines. Avec sa partenaire de danse, elle allait vraiment pouvoir fermer momentanément la boîte de ses pensées pour sa famille, se mettre en totale immersion pour ne vibrer que pour leur future représentation.
— Dis-donc ! Le soleil te va bien ! Tu es rayonnante, s’extasia Shana en la tenant à bout de bras.
— Merci, ma belle. Tu es magnifique, toi aussi, comme d’habitude.
Du haut de son mètre soixante-cinq, la jolie guadeloupéenne Shana attirait tous les regards avec sa peau couleur caramel, son épaisse chevelure aux boucles brunes et ses superbes yeux en amande.
Denise héla un des jeunes qui traînaient à l’aéroport et réquisitionnaient de façon totalement illégale les chariots mis à disposition des voyageurs. Elle aida Shana à déposer ses valises sur le chariot, puis bras dessus bras dessous, elles prirent la direction la sortie où un taxi les attendait.
Durant tout le trajet jusqu’au Golf, elles échangèrent leurs dernières nouvelles. Son amie s’enquit des nouvelles de ses parents.
— J'ai eu mon père au téléphone hier, répondit-elle. C'était très dur. Les antidouleurs ont des effets de plus en plus courts. Je retournerai les voir la semaine prochaine.
— Oh ma pauvre... J'aimerais tellement pouvoir faire quelque chose pour te soulager.
— Je sais, mais tu n'y peux rien.
Elle poussa un soupir, puis reprit en pressant la main de Shana :
— Parlons d’autre chose s’il te plaît.
— Avec plaisir ! Je vais voir Simon ce soir ? demanda son amie avec une pointe d’impatience dans la voix.
Denise sourit.
— Bien sûr ! Il était supposé être avec moi pour te récupérer, mais il a eu un empêchement de dernière minute au boulot.
— Ah ! Fit-elle en se frottant les mains, comme une gamine qui attendait une récompense. J’ai hâte de voir le gars qui a réussi l’exploit de te sortir du célibat que tu t’imposais malgré toute l’énergie que j’ai mis pour combattre ça.
— On va dire qu’il avait des arguments imparables, répliqua Denise énigmatique.
— Ooooh…. Je fonds d’avance. Tout ce qui s’est passé à Londres est donc derrière toi ?
— Oui, véritablement.
C’était la première fois qu’elle le disait à haute voix, et cela revêtait une sorte de puissance salvatrice.
Elle avait souvent repensé à Misty et Oswald ces derniers temps, surtout après le choc de la découverte de la maladie de sa mère, mais ses souvenirs ne la conduisaient plus vers la même conclusion. Elle avait suffisamment expié ses fautes, s’était suffisamment flagellé pour cette histoire. S’interdire de vivre une relation harmonieuse, ne changerait pas le cours des choses. Simon l’acceptait telle qu’elle était, avec ses meurtrissures, son passé qu’elle-même qualifiait de lourd. Un soir, alors que ses pensées sombres menaçaient une fois de plus de l’engloutir, elle s’était confiée à lui. La compassion qu’elle avait lue dans son regard, avait allégé son fardeau. Il l’avait enlacée en lui disant qu’elle n’était pas responsable, que chacun était responsable de la vie que Dieu lui avait donnée.
Oui, les épisodes sombres de sa vie à Londres étaient derrière elle à présent.
— Je suis trop heureuse d'entendre ça. Il était temps ...
— Oui, il était temps.
Un silence complice s’installa entre elles. La tête l’une contre l’autre, elles se laissèrent bercer par le mouvement de la voiture, et les bruits de la circulation dense en cette fin de journée à l’approche des fêtes de fin d’année.
— Les filles arrivent quand ? Demanda Shana en se redressant.
— Demain en fin de journée. Elles avaient un dernier spectacle aujourd'hui.
— Cool ! J'ai hâte qu'on s'y mette tous les quatre. Ca va être génial, je le sens !
— Ah ça !!! Je le sens moi aussi.
***
Simon vérifia la cuisson du poulet qui rôtissait dans le four. Encore un petit quart d’heure et il serait prêt. Denise et ses amies n’allaient pas tarder à rentrer de leur entraînement intensif et il voulait que tout soit prêt. Ils pourraient ensuite passer une soirée tous les deux au calme. Cela lui manquait un peu. Avec les clôtures des exercices comptables en fin d’année, il avait du boulot à en revendre et les longues journées de travail étaient éreintantes.
Amandine apparut sur le seuil de la porte. Elle avait troqué son jean contre un mini kaba. Il lui trouva l’air ailleurs.
— Je peux faire quoi pour t’aider ? Proposa t-elle en le rejoignant près du plan de travail.
— Pas grand chose, tout est presque prêt. Ça va ? S’enquit-il en cherchant son regard.
Elle haussa nonchalamment les épaules.
— Oui, ça va. Un peu fatiguée après la période d’examens.
— Ça s’est bien passé ?
— Oui dans l’ensemble. Je ne pense pas avoir de souci à me faire.
— C’est bien. Je suis fier de toi, la félicita t-il en lui donnant un petit coup d’épaule.
Elle marmonna quelque chose dans sa barbe, puis se dirigea vers le frigo. Quelque chose clochait définitivement. Il posa la spatule de bois qu’il tenait dans la main.
— Amandine, il y a quoi ?
Elle se retourna, les yeux baissés.
— J’aimerais poursuivre mes études en France.
Son annonce tomba dans la pièce tel un couperet.
— Pourquoi ?
— Parce que je sais que j’y aurais plus d’opportunités en comparaison de Soa. Je vois tous les jours des jeunes diplômés de l’université au chômage. Je n’ai pas envie de me retrouver comme eux, amer et aigrie avant trente ans.
Simon réprima un mouvement d’humeur.
— Il faut éviter de généraliser à tout va. Il me semble que tu as devant toi la preuve que c’est tout à fait possible de réussir ses études au Cameroun et de travailler. Et je ne te parle même pas de Christian et Eve qui n’ont jamais chômé non plus.
— Oui, mais vous êtes des exceptions…
— Ca en fait beaucoup, reconnais-le.
Amandine garda le silence, puis croisa les bras sur sa poitrine, les lèvres serrées en une mine boudeuse.
— Je m’y oppose ! crut-il bon de préciser.
— Simon, je vais bientôt avoir vingt et un ans. Tu ne pourras plus m’imposer d’elle à Soa. Avec l’argent que les parents ont laissé, je pourrai faire mes papiers et vivre en France au moins la première année de ma scolarité. L’année d’après, je travaillerai pour gagner ma vie comme le font les autres étudiants.
— Ah ! On dirait que tu as déjà tout calculé, répliqua t-il piqué au vif.
— Bien sûr que j’ai tout calculé. Tu crois que j’allais t’en parler sans me renseigner un minimum ?
Son coeur se serra devant la détermination de sa soeur cadette. Qu’avaient donc tous ces jeunes à vouloir systématiquement déserter le pays de la sorte ?
— J’ai déjà introduit mon dossier à Campus France. Avec les notes que j’ai obtenues l’année précédente, le conseiller d’orientation m’a assuré que je n’aurai aucun mal à trouver une inscription. Tu ne pourras pas me retenir contre mon gré.
Sur un regard plein de défi, Amandine sortit de la cuisine. La porte se referma avec un bruit sec sur la décision sans appel de sa cadette.
Perdu dans ses pensées, Simon écoutait d’une oreille distraite la discussion entre Denise et ses amies après le dîner. Sa petite soeur n’avait pipé durant le repas, ou plutôt, elle avait parlé à tout le monde sauf à lui. Elle avait ensuite filé à la cuisine pour faire la vaisselle avant de s’enfermer dans sa chambre. Denise lui avait jeté un regard interrogateur qu’il avait fait semblant de ne pas voir.
— C’est finalement une excellente idée d’avoir intégré une scène avec Jamal. Il a vraiment un truc, dit Shana en appuyant sur une touche de l’ordinateur.
Simon jeta discrètement un oeil à l’écran. Le dénommé Jamal, le torse nu aux abdominaux parfaitement dessinés, effectuait une série de mouvements tantôt comme un serpent, tantôt comme un robot. Il se mouvait sur le parquait avec une agilité et une souplesse qui lui rappelaient Michael Jackson.
— Tu doutais ? C’est quand même le meilleur danseur de hip hop d’Afrique Centrale, intervint Elsie. On craignait même qu’il n’accepte pas notre proposition tellement il est demandé.
— Un duo d’une minute avec chacune de nous à l’intro, hum…. Ça promet ! confirma Shana, le regard émerveillé.
Une douce brise pénétrait par la fenêtre ouverte, faisant voleter les rideaux en voilage blanc de la chambre. Simon se leva du lit et marcha jusqu’au balcon. Ce petit souffle d’air en fin de soirée était bienvenu après la chaleur à la limite du supportable qui avait sévi toute la journée. S’appuyant à la rambarde, il huma l’air chargé des senteurs de la végétation avoisinante.
Le corps chaud de Denise vint se coller à son dos. Elle encercla sa taille de ses bras. Il ne l’avait pas entendue arriver, avec sa démarche féline.
— Tu as fini avec ton rituel ? Demanda t-il en lui jetant un coup d’oeil par dessus son épaule.
Sa compagne ne consacrait pas moins d’un quart d’heure tous les soirs pour les soins de sa peau.
— Hum...oui. Tu viens te coucher ?
Il se retourna, la serra contre lui et chercha ses lèvres. Elle accueillit son baiser avec ferveur.
— Qu’est ce qu’il y a ? Un truc te tracasse depuis tout à l’heure.
— C’est Amandine. Elle veut aller en France pour finir ses études.
— Ah... fit-elle d'un drôle d'air. Et ça te pose un problème ?
Simon fronça les sourcils.
— Tu étais au courant ?
— Oui. Elle m’en a parlé il y a quelques jours. Elle ne savait visiblement pas comment te l’annoncer. Je lui ai dit que je ne voyais pas pourquoi tu ferais des problèmes; elle est une fille sérieuse et réfléchie.
Il se détacha d’elle et se passa les mains sur le visage.
— Chéri ? Tu n'as pas répondu à ma question. Ca te pose un problème ?
— Bien sûr que ça m'en pose un. Je ne vois pas pourquoi elle ne finirait pas ses études ici. Elle est brillante, elle a de bons résultats, et avec les contacts que j’ai, elle ne pourra jamais manquer de travail.
— Peut-être qu’elle a tout simplement envie de changer d’air, de voyager, voir autre chose…
— Je ne comprends pas cette obsession qu’ont les jeunes de ce pays à tous vouloir aller à l’étranger. Il ne fait pas si mal vivre ici quand même ?
Denise haussa un sourcil, un léger sourire flottant sur ses lèvres.
— Non, mais tu ne peux pas empêcher ta soeur de vouloir découvrir autre chose juste parce que tu n’en vois pas l’intérêt et que tu ne te vois pas vivre ailleurs qu’au Cameroun.
Elle avait raison, mais il avait du mal à l’admettre. Amandine était celle qui était restée auprès de lui durant toutes ces années et il avait fini par croire qu’il en serait toujours ainsi.
— Je crois qu’il est temps de la laisser voler de ses propres ailes, chéri. Elle en a besoin.
Il tendit la main et l’attira à nouveau contre lui. Il colla son front contre le sien et prit une grande inspiration, s’imprégnant de son odeur qu’il aimait tant.
— Hum... Tu as raison. Je reconnais que je l’ai un peu trop couvée et c’est difficile pour moi de l’imaginer loin d’ici à affronter toute seule les épreuves de la vie.
— Et c’est pour ça que tu es le meilleur grand frère qu’elle puisse avoir. Tu seras toujours là pour elle, mais différemment.
— Merci...
— De rien. C’est tout ce qui te tracassait ?
Il se redressa et la scruta du regard, avisant la lueur espiègle dans ses prunelles sombres.
— À quoi fais-tu allusion ?
— À l’introduction de notre spectacle avec Jamal. J’ai vu la tête que tu as fait.
Simon détourna la tête. Il pensait pourtant avoir réussi à masquer ses émotions.
Il savait que c’était un show et que Denise et ce Jamal étaient des professionnels, mais il se mentirait en disant qu’il n’avait pas ressenti un gros pincement de jalousie à l’idée de leur duo dansant.
— Je crois que ça ira, dit-il néanmoins, essayant de sauver la face.
— C’est normal, tu sais. Le contraire serait plutôt curieux.
— Vraiment ?
Denise se hissa sur la pointe des pieds et posa ses mains en coupe sur son visage.
— Oui, vraiment.
Il l’embrassa et d’une pression du bassin, il la fit reculer à l’intérieur. Sans cesser de dévorer ses lèvres, il tendit une main derrière lui pour refermer le vantail coulissant de la baie vitrée.
Ils basculèrent sur le lit....
***
Denise accueillit le poids de Simon sur son corps dans un soupir. Elle aimait le sentir près d’elle, sur elle, en elle.
Ils étaient nus à présent et chaque centimètre carré de sa peau en contact avec la sienne chantait son bonheur. Il avait une façon de faire vrombir le désir en elle d’un simple regard, d’une simple caresse. Sous ses airs d’homme sage, il savait l’enflammer comme personne d’autre avant lui.
Dans ses bras, son corps devenait un instrument dont il maîtrisait parfaitement le mécanisme. Chaque cellule obéissant à chacun de ses stimuli.
Elle écarta les jambes. Il s’enfouit en elle, totalement, profondément, lui arrachant un cri rauque. Les paupières closes, elle se laissa porter par le rythme de ses assauts. Leurs souffles se mêlèrent tandis qu’ils s’embrassaient à en perdre haleine, faisant danser leurs langues au même rythme que leurs corps imbriqués.
Une vague de plaisir enfla au cœur de son être. Elle planta ses ongles dans le dos de son amant, s’arrimant à lui en vue de la déferlante de sensations qui ne tarderait plus à s’abattre sur eux. Elle lutta encore quelques secondes, ferma plus fort les paupières, se mordilla les lèvres pour retenir les cris qui se bousculaient dans sa gorge. La jouissance les engloutit tel un tsunami, puissante, balayant tout sur son passage. Elle hurla son plaisir tandis qu’il donnait un ultime coup de reins les paumes plaquées sur ses fesses.
***
Le Boucarou Lounge était bondé en ce samedi soir. C’était l’adresse incontournable de tous les jeunes à la recherche d’un endroit où passer une soirée authentique avec de la bonne musique jouée par un orchestre de qualité. Le restaurant attirait également tous les camerounais de la diaspora en séjour au pays pour les fêtes de fin d’année.
Armelle avisa un véhicule à une cinquantaine de mètres qui sortait de son stationnement. Rapidement, elle mit son clignotant et avança jusqu’à la place.
À la réception du restaurant, plusieurs personnes faisaient la queue, attendant d’être installées par les serveurs. Elle sortit son téléphone de son sac. Un message de Ralph lui indiquait qu’il l’attendait déjà à l’intérieur. Machinalement, elle lissa les plis de sa robe. Alors qu’elle enfouissait la main à la recherche de son miroir de poche, elle hésita un instant. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Elle voulait juste paraître à son avantage, se répondit-elle à elle même. Ça ne voulait aucunement dire qu’elle accepterait la demande en mariage de Ralph...
Elle secoua la tête. Elle ne savait vraiment plus où elle en était. Denise lui ferait des gros yeux si elle apprenait qu’elle avait accepté un autre rendez-vous avec Ralph alors qu’elle se sentait encore si confuse. Mais, que faire quand ses multiples réflexions nocturnes ne lui permettaient pas d’y voir plus clair ? Seigneur, envoie-moi une réponse, pria t-elle silencieusement.
Une hôtesse coiffée d’un afro puff imposant s’avança vers elle tout sourire, coupant court au flot de ses pensées. Elle lui donna le nom de la réservation et la jeune femme lui fit signe de la suivre.
Ralph se leva galamment à son approche pour lui tirer sa chaise. Il avait apparement décidé de lui sortir le grand jeu. Elle le remercia d’un sourire et s’assit.
— Alors, comment va ? Demanda t-il d’un ton aimable.
— Bien et toi ?
— Très bien aussi. Content que tu sois là. Tu es magnifique !
— Oh ! Merci.
Un grand sourire barrait son visage rasé de près. La couleur sable de son costume lui allait bien au teint. Il rajusta sa cravate d’un geste élégant, puis héla un serveur qui passait par là pour commander leur apéritif.
— Alors, à quoi buvons-nous ? Demanda t-il en levant son verre quelques instants plus tard.
— Je ne sais pas trop.
— À nous et à notre adorable fils ?
— À notre fils, dit-elle simplement.
Il fit une petite moue, puis choqua son verre contre le sien.
Aussi indécise qu’elle était, il était encore trop prématuré de parler d’un « nous ».
Armelle dépose sa fourchette sur son assiette vide en étouffant un soupir d’ennui. Elle ne pourrait plus s’occuper à boire ou manger quelque chose tandis que Ralph étalait ses récents succès en affaires sans pudeur. Non pas qu’elle ne se réjouît pas du fait qu’il fut sorti de l’impasse dans laquelle il se trouvait deux ans plus tôt. Elle aurait cru, cependant, qu’il serait un peu plus humble et ce d’autant plus qu’il devait tout cela au retour de son père aux hauts sommets du gouvernement.
— Tu fais quoi pour les fêtes ? demanda t-elle, essayant de changer de sujet
— Je suis chez les parents à Noël et pour le nouvel an, j'aimerais qu'on fasse un petit voyage tous les deux à Limbé.
Elle écarquilla les yeux. Ralph, un petit sourire relevant le coin de ses lèvres, la contemplait d’un regard qu’elle ne lui connaissait plus. Il tendit la main par dessus la table et entrelaça ses doigts aux siens.
— J’attends toujours ta réponse à ma demande en mariage, tu sais, fit-il d’une voix grave. Je pense qu’on a besoin de se retrouver tous les deux, loin de l’agitation du quotidien, pour se rappeler un peu comment c’était entre nous au début.
Le regard d’Armelle s’abaissa sur leurs mains liées. Les belles phalanges brunes de Ralph au duvet soyeux, s’intercalaient avec les siennes, légèrement plus claires. Elle s’étonna de ne rien ressentir, aucun frisson, pas le plus petit émoi, rien. En était-elle vraiment étonnée d’ailleurs ? Le déroulement du dîner lui avait mis la puce à l’oreille, mais elle avait voulu jouer les sourdes. Ralph était certes revenu à de meilleurs sentiments envers elle, mais la flamme qu’il avait allumée dans son coeur bien des années plus tôt était définitivement éteinte. Elle n’aurait pas vibré dans les bras de Bobby si elle avait encore eu des sentiments amoureux pour lui. Elle s’était laissée embrouiller par sa peur du célibat et quand il l’avait demandée en mariage, elle avait cru y voir l’accomplissement de ses prières.
— Alors ? Qu’en penses-tu de ce voyage ? Insista t-il, la tirant de ses pensées.
Elle releva la tête et se racla la gorge.
— Ce ne serait pas une bonne idée.
— Comment ça ?
— Ce serait commode et Stan serait heureux de nous revoir ensemble, mais je ne ressens plus rien et ce serait une erreur de nous remettre ensemble.
Deux plis verticaux se formèrent entre les sourcils de Ralph, et ses traits se déformèrent petit à petit sous l’effet de la colère.
— Et le fait que je suis entrain de changer ? répliqua t-il d’un ton un peu sec. Ça ne compte pas ? J’ai abandonné les salles de jeux, j’ai diminué ma consommation d’alcool.
— Et je t’y encourage, mais là, il s’agit de moi et de mes sentiments qui ont changé
-- Ah ! Je vois. Tu as goûté à un bad boy du show bizz et du coup, un fonctionnaire comme moi, ça ne fait plus assez sexy ?
Interloquée, elle l’observa un instant sans rien dire. Comment était-il au courant pour Bobby et elle ?
— Et tu penses que toutes ces années où tu m’as traitée comme une moins que rien n’ont pas contribué à m’éloigner de toi ? Rétorqua t-elle piquée au vif.
— Traitée comme une moins que rien ? Laisse-moi rire ! Tu sais combien de femmes rêveraient d'être à ta place ? Logée dans une belle maison avec piscine, avec tout le confort possible ?
— Tu as donc la preuve devant toi que ça ne fait pas tout. J’ai besoin d’autre chose pour m’épanouir.
Il éclata d’un rire méprisant.
— Foutaises ! Maintenant que tu as attrapé un autre gros morceau, tu veux jouer les femmes fières alors que pendant plusieurs années tu mourais derrière moi pour que je t’épouse.
Ses doigts se crispèrent sur la nappe de table. Ses belles manières de ces dernières semaines n’étaient qu’une façade pour la faire revenir avec lui. Maintenant qu’elle contrariait ses plans, il n’hésitait pas à la rabaisser et l’humilier comme par le passé.
— Oui, je mourais derrière toi parce que je t’aimais et que j’étais tellement aveuglée par cet amour que je ne voyais pas l’évidence. Mais tout ça c’est fini à présent !
— C’est ça ! Tu parles de quel amour ? Espèce de profiteuse !
Le bruit de sa chaise raclant le sol alors qu’elle se levait avec brusquerie fit tourner plusieurs têtes dans leur direction. D’une main tremblante, elle saisit son portefeuille dans son sac et s’empara de que quelques billets qu’elle jeta sur la table.
— Sache donc que la profiteuse ne veut plus rien de toi.
Sans lui laisser le temps de l’insulter à nouveau, elle tourna les talons et se dirigea d’un pas pressé vers la sortie. Le restaurant était de plus en plus bondé et elle eut du mal à rejoindre l’extérieur. La rage qui bouillonnait en elle lui brouillait la vue. Une rage dirigée contre elle meme. Comment avait-elle pu être assez sotte pour se laisser attendrir par quelques petits changements bien calculés ?
Elle ouvrit la porte du restaurant à la volée et entra en collision avec quelqu’un.
— Oh ! Désolée, je ... commença t-elle avant de s’interrompre tout à coup.
Bobby se tenait devant elle, majestueux de virilité dans sa chemise noire cintrée et son jean ajusté. Une fine chaîne en or dont le pendentif disparaissait sous le décolleté brillait sur son cou puissant.
Pendant de longues secondes, ils de dévisagèrent. Le monde autour d’eux sembla s’évanouir en même temps que la colère qu’elle ressentait quelques instants plus tôt.
De petits frissons remontèrent le long de son échine comme leur examen oculaire se poursuivait. Elle ne l’avait pas revu depuis leur discussion sur le parking de son entreprise et avait espéré que sa déception l’avait immunisée contre son charme. Erreur monumentale.
— Eyenga, murmura t-il finalement d’une voix de basse. Tu vas bien ?
— Euh... Oui, bredouilla t-elle. Et toi ?
Il se contenta de hocher la tête, une expression indéchiffrable sur le visage.
— Bon, je te souhaite une bonne soirée, dit-elle finalement après plusieurs autres secondes à se contempler.
— Merci.
Il avança d’un pas et ce n’est qu’alors qu’elle remarqua la splendide jeune femme qui se tenait un peu en retrait et les observait d’un œil intrigué.
Moulée dans une robe fourreau noir qui soulignait ses formes épanouies, le turban couleur orangé savamment noué sur sa tête lui conférait un port de reine. Elle posa une main sur le coude de Bobby et lui demanda :
— Shall we go then ? I am hungry.
— Yeah yeah !
Il lui fit un dernier et bref signe de tête, puis se retourna pour pousser la porte du restaurant.
Armelle sentit l’aiguillon de la jalousie transpercer son cœur. Bobby n’avait visiblement pas tardé à passer à autre chose contrairement à elle qui avait dû rassembler toute son énergie pour maîtriser son émoi.
Elle s’installa dans sa voiture et resta assise dans le noir, les yeux fermés, luttant pour ne pas pleurer. Il fallait qu’elle s’efforce de voir le bon côté des choses. La situation était maintenant claire avec Ralph. Dieu avait au moins exaucé cette prière là.