
Chapitre 2
Write by Josephine54
Beverly
- Puis-je m'asseoir ? demanda une voix masculine, m'obligeant à lever brusquement la tête.
Mon regard croisa les prunelles noires d'un jeune homme que je n'avais jamais vu auparavant. Je n'avais aucun doute à ce sujet : l’amphithéâtre de l’université était certes vaste, mais après trois semaines de cours, nous nous connaissions pratiquement tous.
Le jeune homme m'indiqua mon sac qui reposait sur la chaise près de moi. En fait, je l'avais laissé là à dessein pour réserver la place à mon amie Amanda. Elle arrivait toujours en retard, et ce, depuis le lycée. Commencer le cycle universitaire n'avait absolument rien changé à ses habitudes. Depuis le début des cours, j'avais pris l'habitude de lui réserver une place.
- Euh, euh, bien sûr, répondis-je d'une voix légèrement embarrassée, en me saisissant néanmoins de mon sac.
Certains étudiants s’éclipsaient dès que je leur faisais savoir que la place était occupée, mais malheureusement, ce n'était pas le cas de tout le monde. J'avais déjà eu une violente dispute il y a quelques jours avec un camarade de classe, et même si la majorité savait que je réservais toujours cette place pour Amanda, certains s'y opposaient fermement. Pour éviter les conflits, je cédais désormais la place sans faire d'histoires. Je m’étais vue répondre à plusieurs reprises : « Où est-elle ? Selon toi, je devrais arriver à l’heure et m’asseoir au fond de la classe, pendant qu’elle arriverait en retard et occuperait une meilleure place ? ». Je devais admettre que ce raisonnement tenait parfaitement la route.
- Merci, répondit l'inconnu en prenant place sur le siège près de moi.
Il avait de longues jambes interminables, et j'avais l'impression qu'il manquait d'espace pour les miennes.
- Arthur Mvogo, se présenta-t-il en me tendant la main.
- Enchantée, Beverly Mbida, répondis-je en prenant sa main.
Je ne saurais expliquer la raison, mais je me sentais vraiment gênée par sa proximité.
- Je suis nouveau en fac. Je viens d'arriver dans la ville.
- Je vois, répondis-je simplement.
Nous avions commencé les cours depuis trois semaines et en se présentant aujourd'hui pour la première fois, il avait carrément du retard.
Amanda arriva quand le cours avait déjà commencé. Elle se faufila rapidement et prit place sur un siège au fond de la salle. Elle me fit ensuite un geste de la main, tandis que dans ses yeux, je pouvais y lire de l’incompréhension.
- N’as-tu pas réservé ma place ? chuchota-t-elle de loin.
Vu la distance, je pus comprendre ce qu’elle me disait en interprétant le mouvement de ses lèvres et sa gestuelle.
Je haussai simplement les épaules et lui fis un bref signe de la tête en direction de mon voisin de banc pour lui signifier que je l’avais certes fait, mais que j’avais malheureusement dû céder la place. Amanda détourna la tête, visiblement excédée.
Arthur s’aperçut apparemment de notre petit jeu, car il tourna un regard désolé vers moi.
- Vous auriez dû me dire que la place était occupée, lança-t-il avec une pointe de reproche dans la voix.
- Ce n’est pas bien grave, lui répondis-je d’une voix embarrassée.
- Votre amie n’est apparemment pas de cet avis, rétorqua Arthur d’un air malicieux.
- Haha, elle n’avait qu’à arriver à l’heure, répliquai-je.
- Pas faux non plus, répondit Arthur d’un air rieur.
Les cours de la matinée se déroulèrent sans encombre. Amanda me rejoignit durant la pause.
- Ça va ? me demanda-t-elle tout en dévisageant ouvertement Arthur.
- Je vais bien et toi ?
- Ouais, ça va, un peu fatiguée.
- Pareil pour moi, mais on tient le coup.
Arthur de son côté semblait ne vouloir perdre aucune miette de notre conversation.
- Bonjour, tu es nouveau ici ? demanda finalement Amanda en s’adressant à Arthur.
- Oui, c’est mon premier cours, répondit-il.
- Je vois, beaucoup de courage, car tu es un peu en retard là, dit Amanda.
- J’en suis bien conscient.
Un petit silence embarrassant s’installa, et heureusement, il fut rompu par l’entrée du prochain professeur. À la pause de midi, je partis manger avec Amanda dans un restaurant bon marché dans les environs.
L'après-midi s'écoula rapidement. Aux environs de 17 h, je sortis discrètement de la salle de classe pour me rendre au boulot. Le cours était censé finir à 18 h, mais malheureusement, je n'avais pas le choix. Je commençais mon service à 18 heures.
J'avais à peine 20 ans, mais je travaillais depuis deux ans dans un bar pour subvenir à mes besoins et aider mes cadets avec leurs frais scolaires. Après avoir vendu des arachides pendant les vacances scolaires une bonne partie de mon enfance, j'avais finalement dû entrer concrètement dans le monde du travail. Si j'avais eu le choix, je me serais licenciée dès la première semaine. Ce n'était décidément pas un endroit pour une jeune fille comme moi. Les mains baladeuses des clients m'irritaient au plus haut point, mais je devais faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je me défilais généralement devant leurs attaques en changeant simplement de trajectoire, mais bien évidemment, je n'y réussissais pas toujours.
Roman écrit par Justine Laure (page Facebook Plume de Justine Laure)
J'étais consciente de ma beauté : teint clair, 1,75 m pour 68 kilos, corps en forme de guitare. Mais je ne pense pas que cela justifiait leurs actes libidineux. Ils étaient simplement des chiens en chaleur à la recherche d'un morceau de viande à mettre sous la main, quel qu'il soit !
J'avais besoin de ce travail, car je venais d'une famille pauvre et comme on le dit si bien : le lit du pauvre est toujours fécond. Nous étions six enfants, dont j'étais l'aînée, et le tout dernier avait à peine sept ans. Nous vivions dans une maison de deux chambres. Mes parents occupaient l'une des chambres, tandis que mes cadets et moi occupions la deuxième. Nous y avions deux lits superposés où mes frères et sœurs dormaient, et un lit simple que j'occupais.
Mon père était un bon à rien qui passait son temps à se soûler la gueule du matin au soir. Ma mère, quant à elle, tenait un comptoir au marché public où elle vendait des vivres. Le peu qu'elle gagnait lui servait pour ses effets personnels, et elle ne se souciait absolument pas de savoir si ses enfants avaient mangé, ni s'ils avaient révisé leurs devoirs. Elle passait d’ailleurs une bonne partie de ses soirées hors de la maison et revenait généralement au petit matin. Je n'osais imaginer ce qu'elle faisait dehors en pleine nuit pendant toutes ces heures.
J'arrivai au travail extrêmement fatiguée. J'avais révisé une bonne partie de la nuit et j'avais dû me lever très tôt pour m'occuper de mes cadets, les déposer à l'école pour ceux qui n'étaient pas indépendants, avant de rejoindre enfin la fac.
- Deux bouteilles de Guinness, ma poulette !" cria cet homme ventru, joufflu, aux lèvres charnues et à la voix crasseuse, tout en essayant de passer son énorme main sur ma fesse.
J'esquivais simplement sa main et me rendis au comptoir prendre sa commande.
- Voilà, monsieur, lui dis-je poliment en déposant les bouteilles et le petit panier contenant sa note devant lui.
- Arrête de faire la précieuse et assieds-toi avec moi, ma biche. Tu sais que je viens ici pour toi," lança-t-il en me tirant un peu violemment.
- Désolée, monsieur, mais je ne suis pas autorisée à m'asseoir avec les clients," lui répondis-je poliment, bien que ma main me démangeât par l'envie de lui asséner une gifle bien appliquée.
Je m'éloignai rapidement et poursuivis mon service. Cet homme répugnant venait effectivement au bar presque tous les soirs et c'était toujours pénible de s'en débarrasser. J'aurais été encore ravie qu'il soit le seul, mais malheureusement ce n'était pas le cas. Beaucoup de ces hommes nous prenaient pour des filles faciles et avaient des approches vraiment dégradantes vis-à-vis de nous.
- Hé, viens ici, m'interpella un client que j'avais servi il y a peu de temps.
- Oui monsieur, répondis-je poliment en me rapprochant.
- Tiens, dit-il en me tendant le panier contenant la note et des billets de banque qu'il y avait déposés. Il y a aussi de l'argent pour toi à l’intérieur.
- Merci monsieur, répondis-je poliment en me saisissant du panier.
- Pas si vite ma belle, pas si vite, lança le client d'un ton vicieux. À condition que tu acceptes de me rencontrer après.
- Désolée monsieur, mais je ne suis pas intéressée, répondis-je poliment.
- Alors, remets-moi mon argent, lança-t-il arrogamment.
- Sans problème, monsieur, lui répondis-je gentiment en essayant d'extraire le pourboire du panier.
- C'est bon, tu peux le garder, rétorqua-t-il d'un air hautain avant de se lever et sortir du bar.
Je le regardai s'éloigner en essayant de masquer mon dégoût. J'avais juste envie de courir après lui et lui jeter ses minables billets à la figure, mais je ne pouvais malheureusement pas, car c'était triste de l'admettre, mais j'en avais besoin, et cela était aussi le moyen le plus rapide de perdre mon emploi.
Je me comportais toujours respectueusement avec les clients, mais je ne recevais en retour que du mépris, du dédain et de l'arrogance.
Je poussai un ouf de soulagement après avoir jeté un bref regard à ma montre. Il était 22 heures. Mon tour de travail était enfin terminé. J’ôtai avec soulagement mon uniforme de service et enfilai mes vêtements de ville.
Je sortis du bar et trouvai Valery à m'attendre. Il était un conducteur de moto-taxi et nous habitions le même quartier. J'avais réquisitionné ses services tous les soirs quand j'étais de tour au bar, surtout que les weekends, il n'était pas rare que je finisse après minuit.
- Salut Val, c'est how ? ("comment vas-tu ? en camfranglais, langage courant du Cameroun, dérivant du français et de l'anglais, les deux langues nationales du pays).
- Je suis là, la go, (Je vais bien, mon amie).
- Nous allons nous arrêter prendre quelque chose à manger avant de rentrer, l'informai-je en montant sur la moto.
- La go, tu sais que tu vas ajouter quelque chose sur mes dos nor ? (mon amie, tu vas devoir ajouter de l'argent pour la course).
- Haha, tu es un escroc Val, pour un petit détour de cinq minutes ? rétorquai-je en le tapotant gaiement.
- Tu es une belle go, tu n'as qu'à faire le geste qui sauve et on n'en parle plus, répliqua-t-il en rigolant.
- Non seulement t'es un escroc, mais en plus, tu es un pervers.
- Haha, on ne sait jamais la poule qui va picorer le grain de maïs.
- Maintenant, je suis une poule, merci pour le respect l'ami.
On continua la course tout en papotant de bonne humeur. On arriva enfin devant la vendeuse de poisson à la braise et j'en pris deux avec du bobolo (bâton de manioc cuit à l'étouffée). Je m'arrêtai ensuite chez le boutiquier du quartier et achetai deux baguettes de pain, cela nous permettrait de remplir nos ventres. Je savais bien que ce n'était pas assez, mais à l'impossible nul n'est tenu. Les jours où je finissais tôt en classe, je rentrais à la maison pour préparer à manger avant de me rendre au boulot en fin d'après-midi. Bien évidemment, maman ne se gênait jamais pour se servir à manger avant de commencer sa virée nocturne. Je ne pouvais me permettre d'acheter de la nourriture tous les soirs
Valéry gara enfin devant notre domicile et je lui remis la somme de 300 francs. J'étais consciente que c'était peu, mais heureusement, il ne s'en plaignait pas. Je pense aussi qu'il le faisait surtout pour me donner un coup de main. Nous habitions un bidonville et nous avions tous de la peine à joindre les deux bouts.
J'entrai à la maison et, étrangement, ma mère était présente. Je la saluai d'un hochement de tête et me rendis à la cuisine pour prendre des plats. Je retournai ensuite au salon et commençai à servir à manger pour mes frères et moi.
- C'est tout ? demanda maman d'un ton dédaigneux en fixant la table. Tu penses peut-être que nous avons besoin de ces bêtises ? Prends exemple sur Déborah, bon sang ! Elle prend vraiment soin de sa famille. Regarde à quel point leur vie a changé depuis son mariage.
- Maman, chacun a son destin, ça ne sert à rien d'envier les autres, et si tu veux que je sois totalement sincère avec toi, je n'aimerais pas du tout être à sa place, se marier à cet âge avec un homme qui pourrait être son grand-père, non merci !
- Haha, que sais-tu de la vie ? Tu sais juste ouvrir ta grande gueule. La maman de Déborah aujourd'hui me prend de haut, pourtant , cette femme n'est absolument rien ni personne.
J'eus envie de lui répondre que, dans ce quartier, nous sommes tous : rien ni personne, mais j'ai préféré l'ignorer et continuer à découper les morceaux de poisson pour les disposer dans chaque plat.
Déborah, notre voisine de 18 ans, était la troisième épouse d'un homme d'une soixantaine d'années. Leur mariage avait été célébré il y a six mois, en grandes pompes, et leur famille était devenue les nouveaux riches du quartier. Leurs conditions de vie avaient drastiquement changé. Leur maison était actuellement en pleine réfection et ses frères et sœurs fréquentaient désormais une école privée. Déborah roulait maintenant dans une grosse voiture 4x4 et arborait uniquement des vêtements haut de gamme.
Après avoir servi tout le monde, je me dirigeai vers la chambre et ouvris la porte.
- Beverly, hurlèrent en cœur les plus petits en s'élançant vers moi tandis que les plus grands me faisait un geste chaleureux de la main.
- Bonsoir les enfants, venez, on va manger, c'est prêt.
- Youpi, hurla Kylian, le petit dernier.
- Oui, mon bébé, m'écriai-je en le tenant dans mes bras.
Nous nous rendîmes tous ensemble au salon, et maman semblait toujours concentrée sur la télé. Nous nous installâmes à table et mangeâmes dans la bonne humeur. Heureusement, mes cadets étaient compréhensifs et ne se plaignaient pas de ce qu'ils trouvaient dans leurs plats.