Chapitre 20 - Du bout des lèvres

Write by NafissaVonTeese

 Précédemment

Elle pensait qu’elle allait enfin avoir un moment de répit, en rejoignant son appartement, mais elle tomba sur Salah qui l’attendait sur le pas de la porte. Ils avaient passé la moitié de la nuit à discuter de tout et de rien, jusqu’à arriver à un sujet qui concernait particulièrement Fama. Salah avait reconnu à travers le collier que Fama avait au cou – et qu’elle était certaine d’avoir jeté quelques minutes plus tôt – une pièce en plomb qu’il avait vu dans un musée à Kumasi. Ils étaient tranquilles, profitant du moment présent, quand Ali, qui était pourtant remonté contre la jeune femme, débarqua chez elle sans prévenir. Il avait pris son courage à deux mains pour venir déclarer sa flamme à Fama, avant de se rendre compte que son ami Salah, qui avait lui aussi des yeux sur elle, avait suivi toute la scène.

***


Elle faisait des va-et-vient entre le mur en béton qui servait de comptoir à l’agent d’accueil, et les chaises d’attentes près de la porte d’entrée principale du commissariat, malgré les multiples demandes de l’agent de patienter calmement.

 

Fama avait essayé à plusieurs reprises de s’asseoir et réfléchir posément sur comment est-ce qu’elle allait se débrouiller pour revenir en arrière, juste quelques semaines plus tôt pour évider d’aligner les bourdes les unes après les autres. Elle n’arrivait pas une seule fois réussi à tenir sur sa chaise plus de 30 secondes. Elle était incroyablement nerveuse, et pas seulement parce qu’elle n’avait jamais mis les pieds, de toute sa vie, dans un commissariat. L’histoire entre elle, Salah et Ali était allée beaucoup trop loin, ou du moins, Salah était allé trop loin. Il avait usé de tous les moyens qu’il connaissait pour tourner au ridicule Ali, qui avait fini par perdre le contrôle, et s’était mis, pour la deuxième fois dans la même nuit, à lui cogner dessus. Une bagarre et un raffut insoutenable s’en sont suivis. Seuls deux agents du commissariat qui était à moins de 3 minutes de voiture, avaient pu les séparer. Fama avait pourtant tout essayé, mais elle finit par se sentir obligée d'appeler le 17. Aucun des deux n’avait répondu à sa demande de se calmer ou de sortir de chez elle. Elle pensait que c’était la meilleure chose à faire, mais elle comprit qu’elle avait fait une grosse bêtise quand les deux jeunes hommes furent menottés et embarqués dans le 4x4 bleu marine avec « Police » inscrit dessus.

 

Elle avait hésité quelques instants, regardant la voiture avec les quatre hommes, quitter sa rue, avant de monter dans son appart pour prendre la pochette de sortie qu’elle avait quelques heures plus tôt, et les suivit avec un taxi. C’était de sa faute alors il valait bien qu’elle arrange ça, ou au moins, qu’elle ne les laisse pas se débrouiller seuls.

 

Elle était, pour une centaine de fois, retournée s’asseoir après une demande appuyée de l’agent, quand Monsieur SYLLA père, entra à pas pressés dans les lieux, le visage crispé, et marmonnant peut-être des injures. Il avait remarqué la présence de Fama, mais ne lui prêta aucune attention particulière.

D’une voix qui ne masquait pas sa colère, il s’était présenté avant de jurer qu’il n’avait jamais éduqué son fils pour qu’il se comporte comme une brute.

 

« Au fond de moi, j’ai toujours su qu’il n’allait jamais changer. C’est une honte pour toute la famille. ».

 

C’était la derrière chose que Fama avait entendue de son discours tâché de colère, avant qu’il ne disparaisse dans un couloir accompagné d’une femme en tenue de policier.

Elle se figea. Il n’avait pas l’air très content le vieux, et les conséquences n’allaient certainement pas être en la faveur de Ali, ni d’elle-même d’ailleurs.

D’après ce que son père venait de dire, Ali avait des antécédents de mauvaise conduite. Cette fois-là, on aurait dit que ça en était de trop, même pour un père très patient.

 

Aussi ridicule que cela pouvait lui paraître, elle eut de la peine pour Ali. Elle réfléchit quelques instants puis, prit la décision qui lui semblait la plus mature. Elle allait attendre que Monsieur SYLLA revienne, pour lui dire que tout était de sa faute et lui présenter ses excuser.

 

A peine 5 minutes plus tard, elle se leva, respira un grand coup et se sentit prête à affronter le big boss qui s’avançait en grognant sur son fils. Quand leurs regards se croisèrent, toute sa détermination des secondes précédentes s’éclipsa. Les trois restèrent là à se regarder 4 ou 5 secondes qui semblèrent interminables, quand Sylla grand modèle décida de briser le silence.

 

-         Toi ; dit-il à l’égard de Fama en la pointant du doigt ; je te veux lundi, à la première heure, dans mon bureau. C’est clair ?

 

Avant même qu’elle ne réponde, il tira son fils par le bras et ils quittèrent tous les deux les lieux sans regarder en arrière.

 

L’agent qui avait suivi toute la scène avec un grand intérêt, fit Fama signe de l’index, pour qu’elle s’approche. Elle s’exécuta.

 

-         Et l’autre ? demanda-t-il. Quand est-ce que papa vient le chercher, pour que tu évacues le plancher ? Ce n’est pas que ta tête me déplaît, mais si tu ne tiens pas tranquillement sur ta chaise, je me sentirai obligé de te mettre derrière la grille.

 

« L’autre !

Ali !

Pourquoi le vieux ne l’a pas aussi sorti de là ? »

 

-         Son père… ? Je crains qu’il ne puisse venir le tirer de là !

 

-         Pourquoi ? Lui n’a pas des amis hauts placés qui peuvent passer un coup de fil en pleine nuit pour faire sortir n’importe quel criminel de prison ?

  

-         Ali n’est pas un criminel ; affirma-t-elle avant de se rendre compte qu’elle avait crié sur un homme qui venait tout juste de la menacer indirectement de la mettre derrière une grille.

 

-         Vraiment ? S’il vous plaît, rentrez chez vous ! ça ne sert à rien d’attendre. Il ne sortira pas d’ici avant lundi !

  

-         Lundi ? Vous êtes sérieux ?

 

-         Oui Lundi, Lunes, Monday ! Vous voulez que je vous fasse un dessin peut-être ?

 

Et voilà, elle se retrouvait  encore une fois devant une situation compliquée à gérer. Elle ne pouvait pas le laisser derrière les barreaux d’un commissariat jusqu’au "lundi". Après ça, il allait certainement la détester et le contrat qu’ils allaient signer tomberait à l’eau (s’il ne l’était pas déjà). Il était hors de question qu’il reste là.

 

-         Ecoutez monsieur. C’est moi qui ai appelée la police et c’était une erreur. Maintenant je regrette alors vous pouvez le laisser sortir.

-

 

L’agent l’avait regardé quelques instants, faisant mine de réfléchir, avant d’éclater de rire.

 

-         Vous avez du toupet vous ! Vous pensez qu’ici c’est un cirque où on entre pour un spectacle et sort quand on veut ? Ha bah non ! Ici c’est un commissariat madame ! Vous comprenez ?

 

-         Oui monsieur. Je comprends très bien. Je vous jure que je comprends ; affirma-t-elle presque en le suppliant. Je voulais juste qu’ils arrêtent de se bagarrer comme des gamins. Je ne voulais pas qu’ils se retrouvent en prison.

-         Eh bien, je ne voulais pas vivre dans ce pays, mais je suis bien ici. Je ne voulais pas non plus épouser ma cousine du village, cette charge de plus dans ma vie, qui ne fait que me demander du pognon encore et encore, mais elle est collée à moi comme une sangsue ! Je ne voulais pas passer ma soirée ici à vous écouter pleurnicher pour un homme mais c’est le cas. Alors c’est bon. Vous les gosses de riches, on devrait vous imposer de retourner à l’école pour apprendre que dans la vie, on n’a pas toujours ce que l’on veut.

 

L’homme était considérablement remonté en se rappelant pour la énième fois depuis qu’il avait quitté son lit, la veille, à quel point il avait raté sa vie. Il vit que Fama fronçait les sourcils, témoignant ainsi d’une fausse peine pour lui.

 

-         Je suis vraiment désolée pour vous mais Lundi, ce n’est pas possible.

 

-         Vous voulez quoi ? Que je le laisse sortir tout de suite ?

  

-         Oui ! S’il vous plait.

 

-         Ça, ce n’est pas de mon ressort alors rentrez chez vous et revenez lundi !

 

-         Je peux lui parler ?

 

Il réfléchit puis demanda : « vous voulez aussi que je vous amène un sofa bien confortable, un bon film, du popcorn et un coca ? ».

La question n’était pas vraiment une question mais elle garda son calme et répondit.

 

-         Non monsieur, je veux juste le voir.

 

-         Négatif !

  

Fama comprit qu’elle n’avait aucune chance de convaincre cet homme, avec la manière douce, alors elle sortit son joker.

Elle recommença à faire des va-et-vient, jusqu’à ce que l’agent, visiblement en colère, lui lance un « STOP » sec.

 

-         Vous êtes sourde ou quoi ? Arrêtez bon sang ! On dirait ma femme quand elle attend que je lui file du fric.

 

-         Je compte rester ici jusqu’à Lundi. Je ne partirai pas sans avoir vu mon ami.

 

-         Si je vous laisse le voir, vous rentrez chez vous ?

  

-         Promis, je rentre chez moi et je ne reviendrai que lorsque vous terminerez votre service.

 

Il hésita puis capitula. « 5 minutes, pas plus ! Ok ? »

 

-         Parfait ! Merci beaucoup !

 

-         Vous êtes insupportable. Je ne sais pas ce qu’ils vous trouvent jusqu’à se battre et se retrouver ici, pendant que les jeunes de votre âge prennent tranquillement un verre dans un restaurant ; dit-il avait d’appeler sa collègue pour lui demander d’accompagner Fama, pour qu’elle voie Ali.

  

Elles n’avaient eu qu’à prolonger un couloir sombre avant de tourner à droite pour pénétrer dans une pièce embaumée d’une odeur qui donna aussitôt la nausée à Fama. Elle la connaissait. C’était celle de l’alcool. Elle avait passé toute sa vie sur une île réputée pour ses boîtes de nuit.

Il n’y avait qu’un petit espace de quelques mètres carrés et une grille, derrière laquelle se trouvaient une bonne vingtaine d’hommes, peut-être plus. Fama ne voyait pas très bien, tellement il faisait sombre dans la pièce. Elle n’avait quand même eu aucun mal à distinguer Salah des autres. Il était le seul avec une peau aussi claire. Le pauvre était assis à même le sol, le dos contre le mur. Cela pinça le cœur de Fama. C’était de sa faute et en voyant son corps las amassé dernière cette grille, elle comprit que c’était le moment de dire adieu au contact.

 

-         Salah El Houda ; dit l’agent, refusant d’aller plus loin.

 

Il se leva et vint se tenir contre la grille. En voyant la jeune femme, il força un sourire.

Fama se lança dans des excuses incessantes, ne laissant Salah placer la moindre phrase. Seul un des colocataires des lieux avait réussi à l’arrêter, en lui lançant sèchement un « Ta gueule ! Y’en a qui dorment par ici ! ».

 

Salah en profita pour en placer enfin une !

 

-         C’est plutôt moi qui devrais m’excuser ! C’est à cause de moi si tu es là, dans cet endroit immonde, à une heure pareille !

 

-         Ça change des hôtels 5 étoiles ; dit-elle pour détendre t’atmosphère.

  

-         Ouais, je crois que là, on est nettement en dessous de 0 étoile ! En plus ils sont tous bourrés.

 

Ils rirent tous les deux avant qu’un lourd et long silence s’installe.

 

« Au moins, il n’est pas fâché » se consola Fama. Elle aurait pu rester là encore des heures à rire avec lui mais la situation ne s’y apprêtait pas. De plus, elle n’avait que 5 minutes. Ce n’était pas beaucoup, surtout en compagnie d’un homme qu’elle trouvait désormais « incroyablement passionnant », mais c’était suffisant pour rattraper le coup côté boulot.

 

-         J’espère que cet incident ne change en rien nos projets.

 

-         Bien-sûr que non ! Le resto tient toujours !

  

-         Le resto ? Quel resto ? Je parlais de…

 

Avant qu’elle ne termine sa phrase, le jeune homme l’interrompît en posant son index sur la bouche de Fama.

 

-         Ne me pousse pas à en dire plus. C’est une surprise ! Demain vers 17h, j’enverrai quelqu’un te chercher chez toi.

 

-         Demain ? J’ai peur qu’il n’y ait un petit souci à ce sujet. Tu ne peux pas sortir d’ici avant Lundi matin.

 

Le doux visage de Salah laissa place à des sourcils crispés.

Il ne pouvait pas rester là autant de temps, non parce que le confort de sa suite lui manquait, mais parce qu’il devait être chez lui, au Maroc, au plus tard le Lundi matin. Il approcha son visage de celui de Fama et lui dit en chuchotant :

 

-         J’ai un avion à prendre demain soir à minuit trente. Il faut que je sorte d’ici au plus vite.

Du bout des lèvres