Chapitre 24 : De Charybde en Scylla
Write by Chrime Kouemo
Denise plia soigneusement la de dernier drap qu’elle venait de décrocher de la corde à linge et le déposa dans son panier. Il lui restait encore une dernière pile de vêtements à laver et elle en aurait terminé avec sa lessive. Elle s’attaquerait ensuite au ménage dans son appartement et dans celui de Simon. Il avait certes une femme de ménage, mais elle avait besoin de s’occuper les mains et surtout l’esprit.
La semaine off à Kribi avec Simon lui avait permis d’oublier les récents événements. Dans ce petit paradis camerounais, elle avait aisément mis de côté toutes ses inquiétudes et réalisé une fois de plus la merveille d’homme qu’il était. Le retour à la réalité avec son lots de questions sans réponse était donc difficile. Tout revenait en vrac, menaçant d’engloutir son équilibre si chèrement acquis: la trahison d’Eloïse, la maladie de sa mère — même si aux dernières nouvelles elle allait mieux—, la révélation de son père. Elle s’était confiée à Samy juste avant son retour à Tcholliré. Son frère lui avait avoué qu’il l’avait soupçonné; quelques années plus tôt, il était tombé par hasard sur un vieil album photo de sa mère à l’université. Quand il l’avait interrogée, elle n’avait répondu à aucune de ses questions.
Eloïse… Sa pensée s’imposa à son esprit alors qu’elle prenait l’ascenseur pour remonter à son étage. Son coeur se broya une fois de plus. Martin l’avait appelée à plusieurs reprises, mais elle avait refusé de décrocher. Elle-même essayait encore d’absorber l’onde de choc de tout ce qui s’était passé le lendemain du spectacle. Pour tout le monde, elle avait ôté avec brio le poignard dans le dos planté par son ex—meilleure amie et était passée à autre chose. Mais en vrai, il en était tout autre. Comment n’avait-elle rien vu venir ? Jusqu’où serait—elle allée pour la détruire ? Toutes ces années passées ensemble, fourrées l’une avec l’autre, n’avaient été qu’une vaste supercherie et rien ne lui avait mis la puce à l’oreille. Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai, quelques rares amies du lycée avaient bien tenté de l’alerter, mais elle avait toujours balayé leurs allusions d’un revers de la main et surtout, elle confiait tout, complètement tout à Eloise. A l’époque de leur adolescence, elles étaient tellement fusionnelles qu’elles finissaient les phrases l’une de l’autre. Ses yeux s’embuèrent. Une fois sa colère retombée, seule restait la désolation d’un coeur brisé telle une ville balayée par un ouragan.
Elle s’étendit sur le canapé, la gorge toujours nouée, essayant de profiter de ses derniers instants de repos. Dès la semaine prochaine, une foule de choses et de décisions l’attendaient. Elle devait préparer trois visuels pour des producteurs qui l’avaient contactée. Sax attendait avec impatience une réponse de sa part pour sa nouvelle proposition. Son associé avait eu vent de son spectacle, et ils souhaitaient à présent qu’elle supervise une partie de la direction artistique de leurs représentations dans le monde. L’offre était inimaginable, inespérée. Elle n’avait jamais eu une telle opportunité de toute sa carrière. Elle n’en avait même plus jamais rêvé depuis son départ précipité de Londres. Accepter la proposition de son ancien mentor revenait à être entre deux avions durant trois ans, à ne vivre, ne respirer, ne penser qu’à la danse. En somme, ce à quoi elle avait toujours aspiré. Elle devrait abandonner ses élèves pour de bon, et surtout accepter cette proposition sonnerait le glas de sa relation avec Simon. Elle ferma les yeux, tourmentée.
Durant tout le séjour à Kribi, elle s’était refusé à y penser. Chaque chose en son temps s’était-elle dit. Elle voulait profiter de ces jours seule à seul avec Simon, de sa tendresse, de son affection. Elle avait vaguement espéré avoir une lueur de réponse à son retour, mais elle était toujours aussi confuse. Simon n’était même pas au courant de cette nouvelle proposition. Elle lui avait uniquement parlé du premier contrat pour Paris. Il avait fait la grimace; deux mois loin d’elle c’était difficile à supporter pour oui —pour elle également—. Que lui dire à présent ? Comment le prendrait-il ? Pouvait-elle renoncer à une telle offre ? Avait-elle envie d’y renoncer ? Après tout, la vie maritale n’avait jamais fait partie de ses projets. Elle s’était toujours vue comme une sorte d’électron libre, allant où le vent la porte, au gré de ses envies.
Sans cette tragédie avec Misty et Oswald, elle ne serait jamais revenue s’installer au Cameroun. Le pays lui était alors apparu à ce moment comme son unique porte de sortie pour ne pas péter les plombs. Et elle s’en était sortie. Une nouvelle relation n’était pas non plus prévue au programme. Elle s’était fait surprendre par ses sentiments.
Que faire de cette proposition ? Qu’allait devenir sa relation avec Simon si elle l’acceptait ? Elle savait qu’il désirait plus que tout une vie de famille posée dans son pays natal. Et elle que voulait-elle ?
La gorge sèche, elle se servit un verre d’eau dans la cuisine. Le liquide s’écoula le long de son gosier le rafraîchissant, il n’en fut pas de même pour ses idées.
— Shana, je ne sais pas quoi faire.
Après avoir tourné dans l’appartement comme une lionne en cage, elle s’était finalement décidé à appeler son amie.
— Je comprends, ma chérie. L’offre de Sax et son partenaire ne se refuse pas. Vous pourrez peut-être trouver un compromis si vous y réfléchissez tous les deux Simon et toi.
— Tu y crois vraiment ? Tu as oublié le rythme infernal pendant les répèt, et nous n’étions que des danseuses pas des D.A…
— Que veux-tu que je te dise dans ce cas alors ?
— Que ferais-tu à ma place ?
— Je ne suis pas à ta place, la reprit doucement Shana. C’est à toi de décider le sacrifice que tu choisis.
Denise hocha la tête silencieusement. Elle n’était pas plus avancée.
De quel compromis parlait Shana ? En prenant une partie de la direction artistique des spectacles de Sax, elle n’aurait presque plus de vie pendant deux ans. Et surtout, elle serait loin du Cameroun, loin de Simon.
***
Elle s’éloignait. Il ne savait pas pourquoi pas et n’aurait pas pu l’expliquer concrètement. Elle répondait toujours avec passion à ses caresses et baisers, et rien dans son attitude ne le disait explicitement, mais elle s’éloignait. C’était comme une sorte de message subliminal qu’elle lui adressait. La rupture avec Eloïse l’avait ébranlée plus que ce qu’elle avait voulu laisser croire et les rapports étranges avec sa mère gravement malade n’arrangeaient pas la situation, il le savait. Mais il sentait confusément que cela n’en n’était pas la raison. Il y avait autre chose.
Il poussa un profond soupir et alla la rejoindre sur le canapé où elle était étendue depuis son arrivée. L’attirant à lui, il déposa un baiser tendre sur son cou. Elle s’abandonna. Il huma l’odeur de ses cheveux et ferma les yeux. Patience… Il devait faire preuve de patience, voilà tout. Les deux prochains mois allaient être difficiles pour eux. Denise devait s’envoler pour la France. Il était heureux pour elle. De même que pour toutes les autres propositions qu’elle avait reçues pour se produire sur d’autres scènes africaines. Il envisageait même déjà d’en assister à quelques-unes. C’était une consécration pour elle et ses partenaires et c’était amplement mérité.
Pascal lui avait demandé s’il ne craignait pas que son couple souffre de toutes ces sollicitations qui impliquaient de multiples déplacements. Il lui avait répondu qu’ils sauraient faire des compromis... Et il le pensait. En se mettant en couple avec Denise, il savait que son métier avait certaines contraintes. Il était prêt à composer avec. La bague de fiançailles qu’il avait commandée chez l’un des artisans bijoutiers les plus réputés de la ville serait bientôt prête. Il espérait lui faire sa demande en mariage avant son départ pour la France.
***
Une foule de parents était agglutinée devant l’esplanade du Bois de Sainte Anastasie, attendant patiemment de récupérer leurs bambins. L’événement « Wiken en contes », à l’initiative d’une jeune entrepreneuse camerounaise qui avait à coeur de proposer des activités culturels de qualité aux enfants , avait été visiblement un franc succès. Armelle s’avança à son tour de l’entrée. Stan l’aperçut et courut vers elle.
— Alors, mon doudou, comment c’était le spectacle ?
— Oh, c’était trop bien ! Je pourrais revenir s’il te plaît ?
Il leva vers elle son visage maquillé à la manière des guerriers Masai.
— Pas de souci. On verra quand se déroulera la prochaine édition.
Elle espérait qu’il n’aurait pas à attendre trop longtemps. Elle se promit de faire un retour sur la page Facebook de l’association. Le Cameroun manquait cruellement de ce genre d’activités pour les enfants.
La main dans celle de Stan, elle traversa le parvis en direction du parking. Un peu plus loin à sa gauche, son oeil fut attiré par des dreadlocks portées par un homme; de dos, il avait la même carrure que celle de Bobby. Elle ralentit un peu le pas, puis se reprit immédiatement. Que ferait-il à ce genre d’évènements ? Il fallait vraiment qu’elle passe à autre chose. Ce n’était pas parce qu’il lui avait dit que la jeune femme au bras de laquelle elle l’avait croisé à deux reprises n’était autre sa soeur qu’elle devait se laisser encore à rêvasser. Rêvasser à quoi même d’ailleurs ? L’une de ses résolutions du nouvel an, était de ne plus se contenter de peu. Les hommes à la vie parfaitement compartimentée, ce n’était plus pour elle.
Elle déverrouilla la voiture et Stan grimpa à l’intérieur.
— Eyenga !
Cette voix. Ce n’était donc pas une hallucination. Elle se retourna. Bobby et une jeune adolescente qu’elle reconnut aussitôt se tenaient devant elle.
— Tu te souviens de ma fille ? Jessica.
— Euh… oui.
— Enchantée ! Mon père m’a beaucoup parlé de vous.
La jeune fille lui tendit une main, un sourire chaleureux sur ses lèvres roses. Elle avait les mêmes yeux enfoncés dans les orbites que son père. Armelle lui sourit à son tour, charmée.
Bobby donna un petit coup sur la vitre de la voiture et fit un petit salut à Stan.
— Ça te dirait qu’on prenne un verre tous ensemble ?
Son regard braqué sur elle la rendit toute chose. Elle s’apprêtait à décliner, mais son coeur s’empressa de répondre à sa place.
— Oui.
Le serveur vint déposer les boissons sur la table.
— Alors, tu as apprécié le spectacle ? demanda Bobby en se tournant vers Stan.
Son jeune garçon acheva de siroter bruyamment son verre d’Ice Tea avant de répondre. Le producteur lui posa plusieurs autres questions sur son école, ses copains, ses loisirs. L’échange était fluide entre eux et Bobby semblait vraiment prêter attentions aux réponses de son fils.
— Et toi, tu fais quoi dans la vie ? s’enquit一il en retour.
— Je suis producteur de musique.
— Ça veut dire quoi ?
— Eh bien, j'accompagne les jeunes chanteurs dans la composition et la promotion de leurs albums, l'organisation de leurs spectacles.
— Et tu chantes toi aussi ?
— Non, plus maintenant.
— Ah ! Tu chantais avant ? Tu chantais quoi ?
— Je faisais du rap quand j'étais plus jeune.
Stan écarquilla les yeux et tourna la tête vers elle.
— Maman, tu connaissais une de ses chansons ?
— Non.
— Tu n'étais pas très connu alors ?
Bobby eut un sourire en coin.
— J’avais ma petite popularité pourtant, mais je crois que ce n’était pas le style de musique de ta mère.
— Tu me feras écouter ? Peut-être que ça me plairait.
— Euh... On va attendre que tu sois un peu grand pour ça. Ce n'est pas vraiment de la musique pour enfants.
— Ah ! Tu dis des gros mots dedans, c'est ça ?
Armelle pouffa de rire dans sa main. Bobby lui adressa un clin d’oeil.
— Oui, un peu, avoua t一il.
— Moi-même, je n’ai pas encore eu le droit d’écouter ses chansons, intervint Jessica à son tour.
— Tu as quel âge ? Lui demanda Stan, sans gêne.
— Treize ans.
— Tu vas dans quelle école ?
— Au collège de la retraite. Ce n’est pas très loin d’ici.
Stan, curieux comme à son habitude, continua de poser des questions à la fille de Bobby. L’adolescente répondait de bon cœur. Elle avait l’air très bien éduquée et plutôt posée.
Une foule de questions lui venait à l’esprit. Apparemment, l’ex de Bobby s’était définitivement installée au Cameroun. Étaient-ils divorcés à présent ou... Qu’est ce que ça pouvait lui faire ? Se tança t-elle aussitôt. Elle n’envisageait plus rien avec lui. Son cœur finirait par l’oublier.
Elle leva les yeux de son cocktail de fruits et tomba sur les iris sombres de Bobby qui la fixaient. Il ne détourna pas le regard et continua de la dévisager sans aucune retenue.
— Les enfants, dit-il toujours sans la quitter des yeux, ça vous dit de prendre une glace au comptoir ?
— Oh oui !
Son fils l’interrogea d’un air suppliant. Elle opina de la tête pour donner son accord. Comme s’ils se connaissaient depuis longtemps, Stan suivit Jessica en poursuivant son bavardage. Bobby et elle se retrouvèrent seuls à table.
Les battements de son cœur qui s’étaient calmés quelques instants plus tôt redoublèrent. Elle détestait le fait qu’après plusieurs mois il ait encore autant le pouvoir de la troubler à ce point.
— Comment va Érika ? S’enquit-il.
Elle fronça les sourcils. Elle ne se rappelait pas lui avoir présenté sa sœur.
— Bien... pourquoi ?
— Je prends de ses nouvelles. C’est elle qui m’a dit que tu seras ici aujourd’hui.
— Quoi ? Comment...
Elle s’interrompit, l’esprit en déroute.
— Nous avons pas mal discuté elle et moi pendant le spectacle et nous avons échangé nos numéros.
Et Érika ne lui avait rien dit ? Qu’est-ce qu’elle manigançait ?
— Je lui ai fait part de mes sentiments pour toi et elle m’a promis de m’aider.
— Que... Quels sentiments ? Articula t-elle faiblement.
Le sang s’était mis à pulser dans ses veines. Elle ne voulait pas flancher, elle devait tenir bon. Le nouvel an n’était vieux que de six semaines.
— Je suis fou amoureux de toi. J’ai essayé de t’oublier comme tu me l’avais conseillé mais je n’y suis pas arrivé. Je sais que j’ai tout foiré entre nous mais j’ai toujours espoir qu’un jour, tu me pardonneras et m’accorderas une seconde chance.
— Je... je
— Le divorce sera prononcé dans un mois. Je suis papa à temps partiel maintenant et j’apprends à connaître ma fille. Voilà, tu sais tout à présent.
Alors qu’elle ne s’y attendait pas du tout, ses yeux devinrent humides. Elle cligna rapidement des paupières pour empêcher les larmes de rouler.
— Tu me manques , Eyenga, ajouta t-il d’une voix profonde.
Elle se couvrit le visage de ses mains pour cacher les larmes qui avaient fini par jaillir de ses yeux. Les paumes chaudes de Bobby se posèrent sur ses avant-bras dénudés. Tendrement, il abaissa ses bras.
— Tu me manques, répéta t-il.
Il glissa son index sur son menton. Elle croisa son regard magnétique et sut que sa raison avait perdu la bataille.
— Tu me manques aussi. Terriblement, lâcha t-elle à son tour avec la sensation que l’étau qui enserrait son cœur se libérait.
Les lèvres de Bobby se posèrent sur les siennes. Dans un soupir, elle les entrouvrit accueillant son baiser tandis qu’un long frisson lui parcourait tout le corps.
— Je suis aussi folle amoureuse de toi, murmura t-elle contre ses lèvres en essayant de reprendre son souffle.
Un brasier s’alluma dans les prunelles noires du jeune homme.
— Oh... C’est la plus belle chose que j’ai entendue depuis très longtemps.
Il captura à nouveau sa bouche. Passionnément, fiévreusement. Le désir flamba entre eux comme des bûches sèches dans une cheminée. Leurs langues s’emmêlèrent affolant leurs rythmes cardiaques.
— Beurk... Maman ! Dit la voix plaintive de Stan au dessus d’elle.
Armelle se figea. Lentement, elle se détacha de Bobby et s’éclaircit la gorge.
Stan, un air dégouté sur le visage et Jessica, un sourire en coin qui rappelait celui de son père, les observaient.
— Tu as fini de manger ta glace, mon doudou ?
— Oui, et...
— Je crois qu’il en veut une autre. Pas vrai ? l’interrompit Jessica.
Son fils fronça les sourcils.
— Oui, j’en veux une autre. Je peux, maman ?
— Oui, pas de souci.
Elle colla son front contre celui de Bobby.
— Elle est géniale, ta fille.
— Oui, je m’en rends compte tous les jours.
***
Simon disposa le plat de légumes sur la table. Il espérait que Denise ne mettrait plus longtemps à sortir de la salle de bains, il avait une faim de loup. Il s’assit et ouvrit sur son smartphone le dossier des rapports d’activité que lui avait envoyé Clément de la coopérative. Il faudrait absolument qu’il se rende à Nkolmetet dans les prochaines semaines. Le contrat avec les représentants de Biofruits lui serait envoyé sous quelques jours et il souhaitait faire une visite des plantations avant la signature. Il faisait bien sûr confiance à son gérant, mais il se devait de jeter un coup d’oeil par lui—même avant.
Le téléphone de Denise qui traînait non loin du vase rempli de fleurs, vibra. Deux bannières vertes de notification de messagerie apparurent sur l’écran. Il baissa la tête et reprit la lecture de son rapport, essayant de faire taire le petit diablotin qui lui conseillait de lire le message. Elle était toujours aussi distante. La veille, il avait fini par lui demander ce qui n’allait pas. Elle avait prétexté son inquiétude au sujet des résultats des derniers examens de sa mère. Ce n’était pas toute la vérité, il le savait, mais il n’avait pas insisté.
Deux nouvelles vibrations. Il lança un nouveau regard à l’appareil électronique, secoua la tête. Non, ce n’était pas une bonne idée. Ça ne se faisait pas... Mais ça lui permettrait peut-être de savoir ce qui la préoccupait depuis quelques semaines. Sans plus réfléchir, il s’empara du téléphone.
« Le nouveau contrat est prêt, je viens de te l’envoyer pour signature »
« Je n’ai pas de doute que tu vas assurer en tant que D.A »
« Hâte de trinquer à nos deux ans de collaboration »
Deux ans de collaboration ? Simon reposa le téléphone sur la table. Le contrat dont Denise lui avait parlé avait une durée de deux mois. Il devait probablement mal interpréter les choses. Voilà ce qui arrivait quand on lisait des messages dont on n’était pas destinataire.
Denise entra dans le séjour, les cheveux enroulés dans un turban. Il croisa son regard. Toujours cette lueur dans ses prunelles qui ne semblait plus la quitter et qu’il ne parvenait pas à déchiffrer.
— J’espère que tu ne m’as pas trop attendue.
— Non...
Elle passa devant lui, s’assit, puis prit son assiette pour le servir.
— C’est quoi ce contrat de deux ans dont parle Sax ?
Elle sursauta. La culpabilité qu’il lut dans son regard lui dit tout ce qu’elle avait tu depuis ces dernières semaines.
— Co... Comment tu es au courant ?
Il désigna le téléphone d’un geste de la tête. Elle resta silencieuse.
— Alors, de quoi parle t-il ?
Il s’étonna du calme de sa voix alors qu’un tumulte pointait à l’horizon.
— Il s’agit d’un contrat pour la direction artistique des spectacles produits par Sax qui auront lieu dans plusieurs pays.
— Durant deux ans ?
— Oui.
Sa voix s’était réduite à un souffle.
— Et qu’est ce que ça implique pour nous ?
La question était superflue. Elle n’avait pas jugé bon de lui en parler. Si comme il en croyait le message, les négociations étaient en cours depuis un certain temps. Ce qui expliquait cette distance qu’elle mettait entre eux.
— Écoute... Je n’ai encore rien signé. Je n’ai pas encore vraiment pris de décision. Je voulais...
Elle se passa une main dans le cou, le regard partout ailleurs sauf sur lui. Son cœur frémit dans sa poitrine. Ses mains tremblèrent légèrement, il les enfonça dans les poches de son pantalon.
— Tu voulais quoi ?
— C’est compliqué, Simon. C’est une proposition dont je n’aurais jamais pu rêver, même quand ma carrière était au top à Londres. Je ne pense pas qu’un jour, une autre occasion de ce genre se présentera à moi.
Traduction : elle ne pouvait pas refuser cette offre. Elle s’en irait en le laissant. Il ne faisait visiblement pas le poids face à cette opportunité de carrière. Il déglutit. La douleur se diffusa en lui comme le sang qui courait dans ses veines. Il avait envie de dire quelque chose, mais quoi ? Supplier ? Tempêter ? De quel droit le ferait-il d’ailleurs ? C’était sa vie, elle en faisait ce qu’elle en voulait. Qui était-il pour lui imposer quoique ce soit ? Il ne l’avait pas interrogée sur son désir de rester au Cameroun; cela lui semblait évident qu’elle y était définitivement installée après sa carrière internationale. La notoriété qu’elle avait acquise avec le succès de son spectacle avait renforcé cette conviction. Il s’était trompé sur toute la ligne. Ça faisait atrocement mal.
— OK. Je comprends.
— Je suis désolée. Je ne sais pas quoi te dire d’autre pour l’instant.
Il eut un sourire désabusé. Elle n’essayait même pas de lui demander s’il pouvait envisager une relation à distance ou même de le suivre comme Judith avait tenté de le faire. Elle entrevoyait déjà de continuer sa vie sans lui, comme si lui et tout ce qu’ils avaient vécu ne comptaient pas.
Le souffle court comme un boxeur se remettant d’un mauvais coup au plexus solaire, il prit la direction de la chambre.
— Tu vas où ?
— Je vais courir. J’ai besoin de prendre de l’air.
À son retour une heure plus tard, Denise n’était plus là. La table était mise pour un seul couvert. Dans la salle de bains, toutes ses affaires de toilettes avaient disparu. Il se glissa sous le jet de la douche. Un son rauque s’échappa de sa gorge tandis que les premières gouttes ruisselaient sur son corps.