Chapitre 27
Write by sokil
-
Non ! Non ! Ce n’est pas ce que je veux dire ! Non ! Ce que je veux
dire c’est qu’à partir du moment où il m’a invitée à dîner, j’ai
commencé à avoir les palpitations !
- Ah ok ! Eh ben ! Et comment est –il ? s’appelle comment ? Il est marié ?
- Pour commencer il n’est pas marié !
- Ouf !
- Pour le reste je te dirai !
- Non t’as promis de me raconter !
- En fait tout part du jour je où débarque ici ! Tu te souviens, je
t’avais dit que j’ai été recrutée depuis la France ! C’est Jamal qui
m’en parle et me demande de tenter ma chance, alors je le fais, je me
lance !
- Oui, je m’en souviens très bien ! Ce jour-là je t’avais même motivée en te disant que c’est une aubaine, c’est pas donné !
- C’est vraiment pas donné ! Je débarque donc ici deux semaines avant
le jour J, juste avant d’aller signer le fameux contrat…. Mais une fois
sur place, on me fait comprendre que mon dossier n’a pas finalement pas
été retenu !
- Ah bon ? Donc…
- Je t’assure !
Imagine ! Moi avec l’enfant ? J’allais faire comment ? Alors qu’en
France on m’avait fait comprendre le contraire, j’avais jubilé pour rien
!
- Mince !
- Je m’y rends plusieurs fois et on
M'explique que mon dossier se trouve au niveau du directeur des
ressources humaines … Que je dois à tout prix rencontrer, il veut
éclaircir certains points relatifs à mon dossier !
- Je vois ! Et Jamal lui non plus ne…
- Jamal ne pouvait rien faire puisque tout dépendait uniquement de ce
DRH ! Juste après mon entretien je finis par être embauchée ; quelques
jours après Jamal vient me voir ici !
- Je comprends… Alors ce DRH ? Tu as finis pas tomber !
- Sous le charme du mec ! Mais sans plus !
- De toutes les façons tu m’as dit que c’est pas réciproque alors !
- Non ! Il ne faut même pas que ça arrive! Je suis folle c’est tout !
- Et comment t’invite – il à dîner ?
- C’était dans un cadre purement professionnel, rien de plus !
- Et c’est là que tu flanches pour de vrai !
- Voilà !
- En tout cas courage ! Si c’est pour toi, c’est pour toi, sinon, laisse tomber !
- Tu as tout compris ! Bon je vais te laisser, je tombe de sommeil ! Tu embrasses tout le monde pour moi!
- D’accord tu embrasses aussi Rick de ma part… Tiens-moi courant ohhhh !!! Des last divers !!!
- T’es folle ! Ça marche !
Cette nuit Rick fait des siennes ; il veut dormir près moi. J’ai cédé !
De toutes les façons je ne peux que remercier le ciel d’avoir fait en
sorte que nous nous retrouvions tous les deux ; c’est mon petit bonheur à
moi. Il Fait vite de s’endormir sous mon aisselle, et quant à moi je
me languis comme d’habitude, en proie à toutes les pensées possibles. Ça
commence toujours par d’où je suis partie, où tout a commencé…
Aujourd’hui, je refais surface, et je confirme que cette lumière qui
commence à briller en moi, dans ma vie, ne s’éteindra peut être plus
jamais.
Il m’arrive quand même de penser à lui, à cet homme
homme, qui me fait parfois me morfondre toute les nuits, je me retrouve
souvent entrain de rêver de lui, entrain de l’idéaliser, …. Pfff mais
tout ça n’est qu’utopie, illusion, … Tout ça me pourrit une partie de
moi ! Mais je n’oublierai jamais comment la maladresse s’est emparée de
moi ce jour-là, la première fois que j’ai débarqué dans les locaux de
la Stanfield corporation studio ici en Caroline du Nord…
Qui
l’eut cru, que j’en arriverai là, avec le cœur en paix et l’âme si
paisible et sensible parfois! Même si elle est fragile et marquée par un
passé des plus douloureux, de par mon enfance surtout qui n’a pas été
des plus tendres, Quand j’y repense ! Je me sens profondément troublée
par le fait que cela ait pu me marquer au fer rouge. N’eut été l’amour
inconditionnel que j’ai toujours voué à ma mère et même à ce « père »,
Richard, et dont ces derniers me manifestent leur amour en retour, je
pense bien que je n’aurai pas pu tenir.
Aujourd’hui j’ai pu
grandir un peu dans la tête, j’ai beaucoup appris à mes dépends surtout!
Oui, j’ai appris que la vie, cette vie de merde n’est qu’un perpétuel
combat; il ne suffit pas de le vouloir, mais de pouvoir se battre contre
vents et marrées, contre ces turpitudes incessantes qu’elle nous offre,
contre ces ténèbres dans lesquels nous sommes parfois plongés en
permanence et dont nous tentons sans cesse de nous relever… C’est aussi
ma redécouverte d’un « moi » que je ne connaissais plus, c’est
l’expression de mes sentiments cachés que je dissimule au quotidien...
C’est facile à dire en théorie, mais la pratique, c’est bien autre
chose.
Quand j’ai débarqué ici, en été, la chaleur était
vraiment torride en Caroline du nord; à peine le printemps se terminait
que la météo affichait des températures allant de 27 à 32 degrés… à
l’ombre! Un vrai record! .Dans la ville de Charlotte où je venais
d’arriver, la chaleur écrasante en ce début du mois de juillet, ne me
déconcentra pas le moins du monde. J’ai fini par trouver une crèche à
Rick dans mon quartier, pas très loin de la maison, et ce matin-là après
l’avoir déposé et embrassé, je hélais rapidement un taxi et je m’y
engouffrai, tout en me ressassant sans cesse ces éternelles et célèbres
maximes à propos des préceptes que nous offre la vie et ses méandres.
Je me remémorais tout, mon passé, mes souffrances au pays, la petite
galère partagée entre ma mère et ma feue tante, à cause de cet abandon
lâche et cruel, Ferdinand ! Sans oublier Steve dont l’abandon n’a fait
que me plonger dans une sorte de nuit noire ! Certes l’apparition de
Richard a illuminé nos vies, surtout la mienne… La France, et
maintenant les Etats – Unis ! Mais la petite désillusion dont j’ai été
victime en posant les pieds ici à Charlotte m’a fait revenir rapidement
sur terre. Mon contrat avait été rejeté ou annulé, je n’en savais rien,
mais on m’offrait quand même une autre chance, de pouvoir me
rattraper...
J’étais très en retard et la sueur qui dégoulinait
sans cesse sur mon front et qui me plaquait la chemise en soie couleur
bleu ciel dans mon dos, démontrait parfaitement le rude climat qui
sévissait en cette période, mais d’une autre part cela démontrait aussi
la grande anxiété qui me gagnait ; il me fallait ce boulot à tout prix !
J’étais très en retard et la ponctualité étant la plupart du temps de
rigueur dans ce pays, j’avais fait aussi vite que j’avais pu, mais peine
perdue. A peine descendue du taxi qui venait de me déposer devant cet
immense et prestigieux building de plusieurs étages, j’ai filai juste la
monnaie au chauffeur tout en lui balançant à la volée de garder le
reste. Je pénétrais en catastrophe dans le hall, bousculant au passage
plusieurs personnes et bafouillant maladroitement des “Désolée… je suis
en retard”. D’un sourire forcé, j’engageai le pas, cette fois ci
timidement, vers l’accueil.
- Bonjour madame, excusez- moi je…je voudrais rencontrer Monsieur…
- Excuse me?
- Oh! I’m sorry! Do you speak French? Oh… Sorry!
Question idiote! Je vis bel et bien aux Etats - Unis! Quelle
maladresse! Mon bilinguisme me jouait parfois des sales tours au début!
Au final je demandai à voir le Directeur des Ressources Humaines; la
réceptionniste en question me scruta de la tête aux pieds d’un air
inquisiteur à travers ses binocles.
- Le Directeur ne reçoit plus pour l’instant… Vous êtes Mademoiselle…Klariza Sama ?
- Oui c’est bien moi, J’ai rendez – vous, il m’attend en principe ! Je sais, je suis très en retard, c’est parce que…
- Un instant, je vais voir s’il est encore disponible!
- Merci madame!
J’étais si impressionnée, ou plutôt très intimidée; je croisais sans
cesse au passage des hommes et des femmes si élégamment vêtues, aux
allures un peu guindées. Certains me lançaient des regards
interrogateurs sans omettre de faire des petits commentaires à mon égard
et d’autres prenaient quand même la peine de me saluer, sans plus, ce
qui me foutait doublement la trouille et une sorte de pression, me
mettant terriblement mal à l’aise. Je me trouvais bien ridicule,
minable et sans valeur auprès de certains d’entre eux qui venaient à
s’attarder devant moi, pendant que je patientais tout bonnement. La
réceptionniste me fit comprendre que j’avais deux options…
-
Soit vous revenez demain matin à la première heure, soit vous patientez
pendant quatre heures de temps, le temps que la réunion se termine, elle
vient juste de commencer !
- Je préfère attendre…
- Dans ce cas, suivez-moi!
Putain! Quatre heures! Je l’avais bien cherché mais je n’avais pas le
choix, je ne saurais remettre ce rendez-vous si important et crucial
pour moi au lendemain. L’on a souvent coutume de dire que quiconque
remet à demain, trouvera malheur en chemin! Les malheurs j’en ai bien
eu dans ma vie, alors pas question de louper cette opportunité, cette
nouvelle occasion de me rattraper et qui me sera peut être favorable.
Dans la salle d’attente où je fus dirigée, je ne pouvais que
m’émerveiller devant une telle splendeur, la déco était parfaite, tout
était fait sur mesure et cela représentait bien l’objectif de la
compagnie, avec ses affiches de films, ses tableaux, et ses spots
publicitaires affichés ça et là.
J’appréhendais quand même un
tout petit peu, me posant sans cesse la question de savoir si j’allais
pouvoir être la hauteur des attentes de la compagnie si j'avais bien sûr
la chance de me faire recruter. Une petite camerounaise comme moi,
partie de rien, pour en arriver jusqu’ici, il fallait le faire, il
fallait que je trouve la motivation. Les souvenir des événements
heureux et malheureux que j’ai vécu sont si ancrés dans ma mémoire et
pour rien au monde je ne devrai en aucun cas me décourager, même s’il
arrive que je perdre confiance en moi comme en ce moment précis, mais je
pense que c’était le trac qui me gagnait.
Interrompue par une envie
subite et pressante qui me gagna à l’instant, il restait encore deux
bonnes heures, sans oublier mon estomac qui commença à faire des
siennes. Il fallait que je file rapidement aux toilettes et que je
trouve quelque chose à me mettre sous la dent. Je marchais d’un pas si
rapide et presque la tête baissée, ne voulant en aucun cas croiser à
nouveau les regards froids et snobs de toutes ces personnes richement et
galamment vêtues. A peine avais je fais quelques pas dans le couloir
que l’un des deux classeurs que je tenais glissa de mes mains, menaçant
de tomber par terre.
Plusieurs d’entre eux me regardèrent et
j’eus l’impression qu’ils eurent de la peine pour moi, sans oublier la
réceptionniste qui s’était mise à m’appeler; la réunion venait de se
terminer, un peu plus tôt que prévu. Il fallait faire vite, ma vessie
ne tenait plus. Me croyant être tirée d’affaire… Un de mes classeurs
finit par tomber par terre tout en laissant s’échapper à la volée toute
la paperasse. J’eus un instant de panique mais, avant que je n’eus le
temps de m’interroger et de commencer à ramasser toutes ses feuilles
maladroitement, une main se referma autour de mon bras…
Vous n’avez rien ? Demanda-t-il de sa belle voix grave.
- Je … je crois que non, ça va! Je... je vais bien!
- Laissez-moi vous soulager du poids de ces classeurs, reprit l’inconnu en joignant le geste à la parole.
- Merci, ça ira! Ne vous gênez pas! Sauf que… ma montre, je crois qu'elle s'est cassée! Et toute cette paperasse par terre…
- La voici votre montre! Dit-il en me la tendant, rien de grave ! Pour
le reste je m’en occupe, ce ne sont que des feuillets, rien du tout!
- Vous êtes bien aimable!
- C’est la moindre des choses!
C’était tout, mais il avait quand même pris la peine de le faire
rapidement, de ramasser toutes mes affaires et de me les rendre avec un
petit sourire.
- Eh bien, passez une agréable journée… Madame? Ou mademoiselle?
- C’est mademoiselle! Mademoiselle Kla…
Il ne me laissa pas terminer ma phrase puisque son téléphone s’était
mis à sonner. Il se décala et me fit un signe de la main avant de
tourner les talons et de s’en aller. Quelques minutes plus tard après
m’être complètement dégagée, je n’eus pas le temps de me rassoir dans la
salle d’attente que la réceptionniste me fit signe d’y aller.
-
Mademoiselle, c’est à vous! Vous voudrez bien aller au secrétariat du
Drh? Vous êtes attendue! C’en était moins une hein! On ne fait que
ça, vous attendre
- Excusez-moi je… j’ étais aux toilettes et mes affaires…
- Allez y sans tarder, il vous attends! Je vous préviens, il n’est pas de très bonne humeur ce matin!
Je savais que j’avais intérêt à cartonner, à donner le meilleur de
moi-même, de me surpasser, s’il fallait que je parvienne à le
convaincre… En entrant dans son bureau, je marquai un temps d’arrêt;
lui par contre avait la tête baissée et ne m’avait pas encore vue. Il
prononça mon nom sans même me regarder et m’invita tout simplement à
prendre place.
- Mlle… Sa…ma ? Veuillez prendre place!
- Merci… Mo… Monsieur!
Encore presque sous le choc, je peinais à réaliser que c’était lui,
celui-là même que je venais de croiser dans les couloirs tout près de la
réception; il avait pris la peine de se courber par terre et de
ramasser mes affaires. Lorsqu’il releva à son tour la tête et lorsque
nos yeux se croisèrent, lui aussi marqua une petite pause avant de
détourner lentement le regard, comme si de rien n’était.
- Alors ... vous êtes originaire du Cameroun!
- Oui… Oui…Tout à fait!
- Je connais un peu le pays et votre … votre nom me semble familier!
- En effet, je suis d’origine camerounaise!
- Eh bien ! Je m’appelle Bill Morisson, Directeur des Ressources
Humaines, nous sommes en effet une entreprise cinématographique comme
vous avez pu le constater, votre dossier est en voie de délibération…
Je l’écoutais tout simplement, tout en étant sur le qui – vive !…Je
réalisais à peine que ce soit lui que je venais de croiser dans les
couloirs et qui venait de ramasser toutes mes affaires; c’est lui le
Drh, et c’est lui qui décidait en quelque sorte de votre sort. Il
s’arrêta de parler et replongea son nez dans mon dossier et prit un air
très sérieux avant de reprendre.
- Vous savez, nous recherchons
des personnes talentueuses et dotées d’un grand sens de l’organisation,
mais surtout des personnes très compétentes, la sélection est très
rigoureuse et les candidats sont triés au volet. Nous ne recrutons pas
pour vos beaux yeux, nous avons besoin de l’excellence, est ce que je me
fais bien comprendre?
- Très… très bien monsieur!
-
Alors je suppose que si vous avez attendu près de trois heures ici dans
le but de vous faire d'espérer vous faire recruter, je vous écoute… Les
circonstances atténuantes ça existe, mais à ce moment-là on n’a pas
droit à l’erreur, sinon c’est pas la peine !
- Euh…Je…
- Mademoiselle, je vais être franc… Votre Cv n’a rien de convainquant;
mais je vous donne l’occasion de me convaincre moi! Dites quelque chose
qui pourrait me faire croire que ce que je lis dans votre dossier ne
sont que des écrits… Vous pouvez le faire? Si oui, je vous écoute… J’ai
pas beaucoup de temps à perdre ! La réunion m’a bouffé toute mon
énergie et j’ai un autre rendez-vous ailleurs… On m’attends, faites
vite!
Je croisai et décroisai sans cesse mes bras, mes mains
devinrent par la suite très moites; j’étais presque au bord de
l’évanouissement. Je ne savais sur quel pied danser. Pendant que je
cherchais les bons mots, il replongea rapidement son nez dans mon
dossier avant de regarder à sa montre et de montrer des signes
d’impatience. Je me suis sentie bien nulle et ridicule; mon temps était
compté, quelle maladresse, quelle idée de m’être attardée ici sachant
que mon dossier ne valait rien; je pris la peine de l’observer à la
dérobée pendant qu’il avait le nez fourré dans ce tas de brouillon. Je
remarquai, hormis sa belle voix suave et rauque, qu’il était aussi très
bel homme et sa carrure athlétique ne pouvait que parfaire le tableau.
Je me sentis de plus en plus nerveuse et juste avant que je n’ouvre la
bouche pour parler, il me dit :
- Vous avez perdu l’usage de la parole on dirait ? Dans ce cas vous n’avez qu’à…
Alors je lâchais comme ça tout de go :
- Croyez... Croyez bien que je suis une fois de plus désolée Monsieur
Morrison, j’imagine que vous n’allez pas me prendre dans votre boîte,
non seulement parce que mon CV est nul mais aussi parce que je suis
venue ici d’un pas décidé; mais j’étais en retard; j’ai couru comme une
folle; cette entreprise, m’a beaucoup fait rêver, depuis la France.
J’ai donné du mien pour parvenir jusqu’à vous, car je sais, qu’avec ma
petite expérience en tant que stagiaire dans des petites sociétés de
production de films indépendants, j’ai pensé que j’avais droit à
beaucoup plus que cela, que j’avais le droit de me propulser en avant,
de chercher à aller plus haut, plus loin que mes espérances. Oui, mon cv
est si minable, mais il ne vaut pas plus que toutes ces personnes qui
se font embaucher sans être pour autant soit peu compétentes! Je ne le
suis peut-être pas, mais au moins je sais une chose, c’est que j’aurai
essayé; je pourrai le dire, que j’ai eu une fois dans ma vie
professionnelle, le privilège d’avoir eu à passer un entretien dans
votre illustre institution, oui, je pourrai dire que j’ai côtoyé dans un
certain sens le monde du cinéma, le vrai…Je vous remercie d’avoir pris
la peine de m’entendre à nouveau et de m’avoir donné l’opportunité de
pouvoir me rattraper même si cela ne compte pas! Veuillez m’excuser…
Je dois m’en aller, merci de m’avoir reçue, ce fut un plaisir Monsieur
Morisson…
Tout ce dont je me rappelle c’est son air si surpris
et la bouche qu’il avait ouverte; il était stupéfait, pantois. Il resta
immobile sans rien dire alors que moi je tentais de prendre mes
affaires avec toute la politesse du monde… C’est alors qu’il retint ma
main et me regarda droit dans les yeux…
- C’est bon! Vous avez le poste!
C'est ainsi que je fus prise, par un coup de petite gueule! Les
premiers jours ont été traumatisants, j’ai pu m’adonner avec beaucoup
d’ardeur et de volonté, personne n’était satisfait. Même en travaillant
comme une forcenée, même en passant la plupart du temps dans les
studios. En tant qu’assistante technique, j’avoue que le quotidien a
été très difficile à gérer. Les remontrances, les critiques, je les
subis encore jusqu’à présent. Il y a des jours où tout le monde est sur
les nerfs et la communication ne passe pas. J’ai été obligée
d’améliorer mon anglais en prenant des cours particuliers. Mon
supérieur, un vrai yankee ne mâche presque jamais ses mots au point de
friser la sauvagerie.
- What the F*** ! Mais où t’as appris
ton boulot toi ! C’est merdique ! Tu parles à peine anglais ! Il faut
revoir ça ! j’peux pas travailler comme ça !
La nouvelle est
non seulement parvenue à la hiérarchie, et il a fallu que ce soit
encore Bill qui m’entende… Etant donné que ce dernier est bilingue, la
communication a été plus facile. Ce jour-là il a débarqué lui-même en
personne au studio d’enregistrement. Il était question qu’on fasse le
montage d’une bande dessinée, mais je ne suis pas parvenue à monter
correctement les plans, étant donné que tout était en anglais. Quand je
l’ai vu apparaître, j’ai tout de suite su que les carottes étaient
cuites, à point ! Bill s’est approché de moi et m’a dit en français.
- Tu veux bien monter me voir dans mon bureau ? Dans 30 minutes !
- Oui… Oui…Monsieur !
Sans me faire prier, et dans le vif espoir de ne pas me faire renvoyer
comme me l’a clamé si haut et fort mon supérieur direct, je suis monté
le voir en étant si mal en point que ça a finit par dépeindre sur tout
mon être.
- Entre et assieds-toi !
- Merci monsieur !
- Alors qu’est ce qui ne va pas ce matin ? Ça fait une semaine que je reçois les mêmes plaintes !
- Monsieur je…Tout… tout va bien !
- Ou alors tout va de travers ! N'est ce pas ?
- C’est… Je connais mon travail, j’ai été formée dans une grande école en France mais je…je…
- Mais quoi ?
- Je ne sais pas… Ils me crient tout le temps dessus ! Ça me déconcentre énormément et en plus…
- Klariza ? Choisis un restaurant ! Tu veux bien le faire pour moi ?
- Vous… Vous dites ?
- On dîne ce soir ! Je te donne la liste de 10 restaurants, tu
choisis, tu me confirmes et on y va juste après le boulot ça te va ?
- Monsieur ? Un… un …restaurant???
- Oui ! Oui ! Un restau ! Aller tu me confirmes ça après le travail,
prends tes dispositions ! Tu as un petit garçon n’est-ce pas ?
- Oui !
- Prends toutes les dispositions pour lui, un retard d’une heure c’est gérable ! Ça ne sera pas long !
- Très bien monsieur !
- C’est bon, tu peux t’en aller !
J’ai eu toutes les idées, les arrières pensées, toutes aussi saugrenues
les unes que les autres…Mon DRH qui m’invite à un dîner. J’ai juste le
temps de me pomponner aux toilettes, d’appeler la directrice de la
crèche et de leur dire que j’aurai un retard d’une heure et pas plus.
Bill ne s’est pas gêné ; il m’a demandé de le rejoindre au parking sous
terrain et m’a ouvert galamment la portière. Assise à côté de lui,
l’odeur de son parfum, le même depuis que je l’ai connu, a envahi tout
l’intérieur en une fraction de seconde. Il ne m’a pas adressé la parole
et n’a fait que recevoir des coups de fil par ci par là. Au
restaurant, préalablement choisi par moi à l’aveuglette, j’avoue que je
n’en connaissais aucun et mon choix à juste porté sur le nom qui m’a
semblé très attrayant, et un peu français, le « Soir lounge… ».
- Très bon choix, tu as du goût !
- Non Monsieur, j’ai choisi au hasard, je n’en connais aucun !
- Justement ! C’est ce que je veux te faire comprendre !
- Je ne vous saisis pas très bien !
- As-tu confiance en toi ?
- Oui… Je crois !
- Tu as du potentiel je le sais ! Tu es créative, je le sens, alors ne
sois pas frustrée ! Tout est encore nouveau pour toi et c’est normal !
Petit à petit tu feras ton bout de chemin ! Je t’ai laissé choisir
exprès, pour savoir… Et tu as choisis le bon endroit, pas parce que tu
as choisis au hasard mais parce que tu as du flair ! Alors je veux qu’à
partir de ce soir tu commences à y réfléchir ! A partir de ce soir tu
te fais la promesse d’arrêter de créer une sorte de blocage tout
simplement parce que tu penses que tu n’as pas ta place ici !
- Je vous suis très bien mais … En tant qu’étrangère, et camerounaise de surcroît je…
- Je suis camerounais moi aussi !
- Pardon ? Vous… vous êtes …camerounais ? Mais votre nom !
- Mon nom n’a aucune importance ! J’espère que tu comprends ce que je
veux dire! Je suis comme toi, je suis passé par là ! Alors fraye-toi
un chemin en ayant à l’esprit que tu peux réussir, que tu dois réussir !
Suis-je bien clair ?
- Très … très clair !
- Ok ! Mon chauffeur va te raccompagner tout à l’heure…j’attends deux ou trois confrères !
De Bill, j’ai retenu plein de leçons, de lui, j’ai appris à me
surpasser, de lui, j’apprends à me frayer mon petit chemin ; bien que ce
ne soit pas si facile, j’apprends tous les jours dans ce métier et
chose curieuse, j’ai commencé à prendre la main, mon anglais s’est
amélioré ; les cris je ne les entendais plus venant de mon boss ; ce
n’est pas tout à fait ça mais, je suis sur la bonne voie. Bill et moi
ne nous sommes plus revus à part ce dîner qui m’a aussi bien édifiée que
marquée. Il nous est arrivé de nous croiser dans les couloirs…
- Bonjour Mlle ! Ça va ?
- Ça va bien merci !
- Parfait !
Et même un jour après, et jour suivant, et ainsi de suite…
- Bonjour Mlle ! Ça va ?
- Ça va bien merci !
- Super !
Je refuse tous les jours de l’admettre, mais je sais que j’en pince
pour ce type ; ça fait des mois que ça dure, ça fait des mois que je me
mine l’esprit avec ça. Il est temps que j’arrête de rêver alors que je
peux trouver chaussure à mon pied si je veux, d’après les dires de
Christelle ; elle est la seule à être au courant jusqu’ici. Personne
d’autre n’est au courant, ni ma famille, ni mes amies de France.
- C’est de la torture pour rien Christelle !
- Tu aimes trop les choses compliquées dis donc ! Passe à autre chose !
- Je t’assure… C’est ce que j’essaie de faire ! Je sors quand je peux
mais avec mon emploi du temps chargé, c’est pas évident ! Je dois
m’occuper de Rick en même temps ! Donc…
- Oui ! Essaie de
passer à autre chose ma belle ! Il y a quand même des hommes là-bas
tout aussi galants et plus mignons que ce Bill machin chouette !
- Je te dis !!!
Cette semaine, un dîner de gala est organisé, en l’honneur des jeunes
artistes des quartiers défavorisés ; il est question de promouvoir leurs
œuvres et de se faire connaître ; c’est dans tous les genres, un
melting pot de jeunes acteurs, de cinéastes en herbes, de romanciers,
poètes et j’en passe… Bill a été désigné de ce fait le maître de la
cérémonie. Assise et tapie dans l’ombre, puisque je ne fais pas partie
des VIPs, j’observe de loin, je le vois en action ; et lorsqu’il monte
sur le podium c’est une pluie d’applaudissements en son honneur. J’ai
été surprise d’apprendre qu’il est aussi est un grand écrivain, célèbre
pour avoir prêté ses œuvres au cinéma, et pas n’importe lesquels, dont
deux films africains ayant de ce fait remportés la palme d’or du
meilleur film africain… Voilà pourquoi on l’applaudit, lui qui fait
partie de la diaspora et s’est fait son bout de chemin dans ce monde…
D’un autre côté, j’ai toujours su que Bill est très adulé par les
femmes, le contraire m’aurait bien étonnée. Plusieurs fois je l’ai
aperçu avec une ou plusieurs conquêtes, certaines poussant le bouchon
très loin en se prenant pour sa fiancée.
- Je suis la fiancée
de Bill … Il m’a fait sa demande hier je t’assure ! Je suis sur un nuage
! Je suis heureuse !!! Oh my Gosh !!!
Elles font toutes
partie de cette caste de femmes aux allures snobinardes et n’arborant
que des tenues chics, classes et de marque. Mais après cette soirée
j’ai vraiment pris la mesure de la chose, et c’est à partir de ce moment
que j’ai décidé de ne plus me focaliser sur lui ; j’ai bien plus à
perdre en me ridiculisant et en rêvant les yeux bien ouverts… Je
fantasme sur lui c’est vrai, je le trouve beau, intelligent et tout,
mais ça s’arrête là. Surtout après avoir vu la scène qui vient de se
produire sous mes yeux lorsque je suis allée au petit coin me refaire
une toilette ; l’événement tire déjà à sa fin ; je n’ai pas su que Bill
s’est éclipsé au même moment. En ressortant des toilettes, j’ai eu
envie de profiter de l’air frais qu’offre le balcon à la terrasse, mais
surtout j’ai été curieuse de voir à quoi ressemble la ville à pareille
heure du haut d’un immeuble de près de 25 étages, alors j’ai pris
l’ascenseur pour un étage plus haut…. Et c’est alors que je tombe sur
lui, du moins sur Bill entrain de l’embrasser cette autre femme, une
inconnue ! Alors que la semaine dernière sa prétendue fiancée se
vantait de s’être fait passer la bague au doigt !
- Oh sorry ! Excusez – moi ! Je ne voulais pas…
- Klariza ??? What are you doing here???
Je me suis confondue en mille excuses avant de retourner comme j’étais
venue ; je m’en suis mordue les lèvres pendant tout le reste de la
soirée.
Presque tous le week –end j’en profite pour passer du
bon temps avec Rick ; entre promenades et mini shopping ; cette fois ci
Ashley, ma voisine d’origine ghanéenne, nous invite ce samedi à aller
visiter le park « Fury325 Carowinds », ce gigantesque parc d’attraction,
un peu comme Disneyland… elle a également un fils, à peu près du même
âge que Rick. Elle possède une bagnole. C’est vraiment exaltant, on
s’amuse si bien, j’en oublie tout le reste, on crie, on ris, on fait des
photos, des selfies, les garçons font les fou ! N’importe quoi !
Ashley insiste vraiment, elle aimerait qu’on monte sur ce truc géant…
- Allez viens !!! C’est trop bien, on va s’éclater ! Come on...
- Quoi ? ce truc qui tourne en l’air là ? Une fois que tu es assis
là-dedans tu te retrouves la tête en l'envers ! Et si la machine
s’arrête ? Jamais ! J’ai juré ne jamais monter là-dedans !
- Non Klariza !!! C’est super je t’assure !
Nous sommes soudain interrompues par cette autre voix, qui surgit derrière mon dos.
- Elle a raison Klariza… Et si on y allait plutôt tous les deux ? N’aies pas peur ! Qu’en dis – tu ?
Me dit-il d’une voix naturelle et arborant un large sourire, Bill !