Chapitre : 27
Write by MoïchaJones
Nous sommes plongés dans l’obscurité totale, mais ça ne gêne pas notre avancée. Je ne lâche pas la petite main que je serre très fort. Mes enjambées sont grandes, mais il arrive à suivre. Il est conscient de l’enjeu de ce soir. Nous n’avons pas une grande avance, mais le temps qu’ils se rendent comptent de notre disparition, on sera déjà loin.
- Ne ralentit pas. Je lui lance en continuant de courir.
Le bruit de nos pas sur le sol rocailleux est le seul bruit que nous entendons. Le vent siffle dans mes oreilles, et l’adrénaline coure dans mes veines. Je ne réussis à avancer sans être essoufflé. Un coup d’œil en arrière me rassure. Les lumières du hangar s’éloignent au fur et à mesure que nous prenons de la distance, et tout semble toujours aussi calme que quand nous sommes partis. Nous courons en rythme et en silence, la respiration saccadée de Jason fait écho à la mienne. Au bout d’une éternité, nous atteignons enfin la grille. J’ai les poumons en feu, je suppose que Jason aussi. Je me tourne vers lui.
- Ca va toi ? J’arrive à dire d’une traite.
Il se tient le ventre et secoue la tête la bouche ouverte. Je pose mes mains sur mes genoux et ouvre grand la bouche pour prendre le maximum d’air que je peux. Il nous reste encore du chemin jusqu’à la ville. Au moins après l’obstacle du treillage, nous pourrons nous cacher derrière un semblant de forêt. Le coin n’est plus si désertique qu’ici. Encore faut-il que je réussisse à enjamber cette clôture, avec le barbelé qui la recouvre au-dessus.
Je me redresse et fait la courte échelle à Jason qui se rapproche de moi. Il pose son pied dans le creux de mes mains et s’appuie dessus avant de s’accrocher aux grilles, haut les bras. Ce qui suit se passe si vite que je n’ai pas le temps de réaliser ce qui est en train de se passer. Je me sens transpercée par la foudre et je le retrouve assise à même le sol à 10 mètres de là. Je reprends mes esprits pour me rendre compte que Jason est resté cramponné à la balustrade. Il est comme en transe. Son corps entier est parcouru de secousses. Je me précipite vers lui en criant son nom.
Une émission à la télé, un jour que je m’ennuyais, mais les images me reviennent comme si c’était hier. « Ne jamais entrer en contact direct avec quelqu’un qui se fait électrocuter » Je n’ai pas le temps de réfléchir à ce qui peut bien m’arriver. Je dois le sortir de là. C’est tout ce que me dicte mon esprit pendant que je cours vers lui. Je saisi rapidement sa jambe et dire dessus de toutes mes forces. La lumière des étincelles disparait subitement, je sens la poussière de près. Nous sommes couchés par terre, il tremble toujours dans mes bras. J’entends le faible gémissement qui réussit à s’échapper de ses mâchoires crispées.
- Jason ?
Il ne dit rien. Son corps est toujours agité par une dance disharmonieuse.
- S’il te plait dit quelque chose.
Je pleure en le secouant doucement. Ses yeux sont révulsés et une fine mousse blanche s’écoule maintenant de sa bouche.
- Oh mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait. Jason.
Il commence à se calmer et c’est à ce moment-là que je me rends compte de l’éclairage autour de nous. Une sirène retentie au loin et ça commence à s’agiter du côté du hangar. Je suis dans la merde. Je nous ai mis dans la vraie merde. Je me répète en pleurant doucement. Ils viennent nous trouver là, comme dans une mauvaise scène d’un mauvais film. De toute façon je n’ai pas prévu de faire plus, j’en ai déjà trop fait je crois. S’il meurt, je m’en voudrais pour le restant de ma vie.
- On comptait aller où ?
Ils nous arrachent l’un à l’autre sans ménagement et nous jettent plus qu’ils ne nous déposent à l’arrière d’un pick-up sombre.
- Ne lui fait pas de mal s’il vous plait, il n’est pas bien… Je vous en prie. Pour l’amour de Dieu.
Personne ne me regarde. Je me recroqueville sur moi et continue ma litanie qui ne les intéresse pas. On rejoint vite le bâtiment. Nous sommes conduits dans une partie de l’enceinte que je ne suspectais pas. Pas de pièces communes, que des portes closent qui semblent me narguer. Deux gardes ouvrent la première porte et me jette dedans avant de continuer dans le couloir avec le corps devenu immobile de Jason.
- Ne lui fait pas de mal, tout est de ma faute.
Je crie, mais ma voix se brise contre les murs silencieux. Je pousse un cri lourd de toute ma culpabilité avant de m’effondrer sur le sol froid. Quand la porte finit par s’ouvrir des heures plus tard, Jomo se tient devant moi. Le visage aussi froid qu’un glaçon. Je me redresse lentement sur mes jambes. Il fait un pas en avant et moi j’en fais deux en arrière. Je suis très vite dos au mur, et il prend plaisir à se rapprocher lentement. Ses yeux jettent des éclairs. A un centimètre de moi, il s’arrête et j’arrive à percevoir la tension accumulée dans son corps. On s’affronte du regard pendant une seconde, puis il me donne une gifle retentissante qui m’envoie valser à un mètre de lui.
- Alors comme ça tu veux nous fausser compagnie ?
Il l’a dit d’une voix maitrisée, mais c’est surement la forêt qui cache l’arbre. Je respire profondément pour faire passer la douleur, la main sur ma joue. Je pleure en silence.
- Lève-toi !
J’étouffe un sanglot dans mon poing.
- Lève-toi, salope !
Ca claque sèchement dans la pièce silencieuse. Je fais un effort surhumain pour me mettre sur mes jambes. Mais à peine je réussis à trouver un semblant d’équilibre qu’il me donne une deuxième claque qui comme la première me propulse au sol.
- Tu n’as pas encore compris que je suis celui qui décide de qui part ou reste. J’ai toujours tout fait pour te traiter de la meilleure des manières qui soient, mais on dirait qu’il n’y a que ton impétuosité qui te dirige. Ce soir tu vas comprendre qu’il ne faut pas m’énerver. Emmenez là !
Il tourne le dos et deux gardes viennent me prendre dans leur bras. On va dans une salle toute aussi froide que celle dans laquelle j’étais enfermée. Jason est couché sur une table en plein milieu et il flotte dans l’air une odeur de brulé. Sa poitrine se soulève faiblement, mais le reste de son corps ne bouge pas. Je veux m’échapper de l’étreinte qui me retient fermement, mais les bras d’acier ne lâchent pas prise.
- Pauvre petit, s’il avait su dans quoi tu l’entrainais, je doute fort qu’il t’aurait suivi. Tout ce qui lui arrive est de ta faute. J’avais juste besoin d’un rein de sa part et peut-être de ses yeux, ou…
Il s’arrête de parler et se retourne vers moi avec un sourire carnassier aux lèvres.
- Mais grâce à toi, j’aurai peut-être plus d’organe à offrir.
- Tu es vraiment un être sans cœur. Je lui crache entre deux sanglots. Laisse le partir, ce n’est qu’un enfant.
Il rit d’une voix tonitruante, en penchant la tête en arrière.
- Enfant ? La santé n’a pas d’âge. La demande en ce qui concerne les transplantations d’organes est forte et j’ai réussi à me faire un nom dans le domaine.
Il se rapproche de moi, les mains dans les poches de manière condescendante.
- Quand je suis arrivé dans ce pays, j’étais jeune. Tout ce qui m’intéressait c’était jouer la vie. Aller en discothèque, les filles, l’alcool, le luxe. Mais toi-même sait que ce n’est pas la vision que les parents se font de leur enfant qui étudie à l’étranger. Il fallait donc que je me débrouille pour avoir les liquidités. Crois-moi, le rythme était dur à tenir.
Je le regarde avec effrois. Son regard semble perdu. Mais je me doute que la suite de l’histoire ne sera pas la partie la plus agréable à entendre.
- Je me suis tout d’abord mis à dealer pour des caïds du coin.
Il sourit rêveur.
- Mais je ne suis pas fait pour obéir aux ordres. Je suis un leader. Je me suis battu pour avoir ma place. Je suis passé du cannabis à la vente de cocaïne. Mais on en veut toujours plus. Je n’ai pas voulu me salir en dealant du crack, je ne mange pas de ce pain-là. Je suis plutôt du genre humaniste, ça a donc été un choix juste d’offrir une seconde chance à ceux que la vie a condamnés.
Je suis dépitée. Si ça n’avait pas été aussi aberrant, je crois que je me serais écroulé de rire devant tant de stupidité. Il se considère comme un bienfaiteur ?
- Tu es fou à lier.
- Je suis peut-être fou à lier, mais je suis un fou multimilliardaire grâce à ce petit business. Et je ne vais pas laisser une écervelée de ton espèce venir tout faire foirer, pour je ne sais quelle raison. Tu as toujours eu le don de laisser ton joli petit nez là où il ne faut pas. Tes parents ne t’ont pas appris que la curiosité est un vilain défaut ?
Je me ressaisis rapidement après un moment de silence pesant entre nous. Je n’arriverai à rien en me confrontant de la sorte avec lui. Peut-être que je devrais jouer le jeu, au moins pour gagner du temps.
- Je n’ai jamais voulu laisser trainer quoi que ce soit où que ce soit. C’est toi qui es revenu dans nos vies. Après ce que tu as fait, tu aurais dû…
- C’est ma famille, et je ne crois pas avoir été en exile que je sache. Je n’ai rien fait qui ne soit condamnable de bannissement.
Je le regarde divaguer en réfléchissant rapidement à ce qui pourrait changer la donne. Mais je ne trouve rien. Nous sommes dans une pièce avec une seule sortie. Jason est étendu là, inconscient et des armes sont braquées sur nous. Tenter quoi que ce soit serait du suicide.
Il vient vers moi et d’un geste de la tête demande à ses gars de me lâcher. Sa main se pose là où elle s’est abattue quelques instants plus tôt et il m’effleure la peau.
- Depuis la première fois que je t’ai vu, j’ai toujours regretté de ne pas être le bon jumeau. J’enviais Uhu, j’aurai aimé être celui que tu regardes avec tes magnifiques yeux de biche.
J’ouvre la bouche, surprise par la tournure que prend la situation.
- Ne prends pas cet air étonné, je n’ai jamais caché que je te désirai. Et je peux affirmer que c’est réciproque, si je me souviens de tes soupirs quand je te prenais dans tous les sens.
Morte de honte ! Je suis tout simplement déconfite. On ne peut pas faire mieux pour humilier quelqu’un.
Il éclate de rire sans arrêter sa caresse. J’ai un mouvement de recul et ça l’amuse encore plus.
- Belinda… Belinda. Tu finiras par me perdre un jour.
Il s’éloigne après un soupir.
- Revenons à nos moutons. Ce n’est pas parce que je suis amoureux que je vais me laisser marcher dessus. C’est moi le chef et c’est moi qui décide de tout. Tu as été vilaine, tu mérites une punition. Faites venir le toubib.
- Non ! Jomo ne fait pas ça. Pour l’amour de Dieu, je t’en prie, ne lui fait pas ça.
Personne ne m’écoute et tout se passe devant mes yeux comme un mauvais film en couleur. Le médecin entre et comme sa charcuterie. Personne ne se soucie de mes cris ou des gémissements de Jason. Je m’égosille pour deux, le pauvre n’a même pas la force de brailler sa douleur. Je le regarde impuissante se faire dépouiller de ses organes, les uns après les autres. Il se vide de son sang et quand ils en ont fini avec lui, ils m’entrainent à l’extérieur. Je me sens faiblir au fur et à mesure que nous traversons les couloirs. J’ai une boule dans la gorge et je sens que je vais bientôt tourner de l’œil. Je prends des petites bouffés d’air, mais je suis toujours aussi nauséeuse.
Quand on sort de l’entrepôt, je me vide de mes boyaux.
- La chienne, putain mes pompes.
Je reçois un coup de crosse sur la nuque et avant de sombrer dans le néant, j’entends une déflagration.
**
*
Je suis sur le dos et j’ai affreusement mal à la nuque. Je veux me masser le cou, mais je n’arrive pas à mobiliser ma main. Aucune des deux d’ailleurs. J’ouvre lentement les yeux, mais tout es flou. Je gémis douloureusement en essayant de rassembler mes idées. J’arrive à discerner une odeur métallique autour de moi. En fait, on dirait que ça vient de moi. Tout me revient subitement. Jason, Jomo, le coup sur ma nuque, la détonation. Mon Dieu, je suis en vie alors qu’il est mort par ma faute. Pourquoi ?
Je me remets à pleurer. Seigneur qu’est-ce que j’ai donc fait pour que tout ça m’arrive.
La porte s’ouvre sur une femme que je discerne mal. Elle me parle dans une langue je ne comprends pas. Elle s’approche de moi, et pose une main sur mon visage. J’ai un mouvement de recul, et elle s’arrête pour me parler avec douceur. Je ne comprends peut-être pas ce qu’elle dit, mais il ne me faut pas un diplôme pour savoir qu’elle essaie de me rassurer. Je la laisse s’approcher encore plus. Ses gestes sont lents et elle pose un tissu humide sur mon front. La fraîcheur me fait un bien fou. J’ai la tête qui cogne dans tous les sens et la gorge en feu. Elle me fait une rapide toilette et quand elle finit avec mon visage, ma vision est plus ou moins clair. Je n’arrive tout simplement pas à ouvrir complètement mes yeux. Mon front me tire cruellement et je ferme les yeux une seconde. Quand je les ouvre de nouveau, la vielle dame tient un verre qu’elle rapproche de mes lèvres. Elle me fait un sourire rassurant et je me risque à boire à faible gorgée. J’ai une fausse route et je me mets à tousser comme une forcenée.
Elle me dit des mots doux et m’essuie la bouche, sans se départir de son sourire. Elle a l’air gentil, mais ce n’est pas elle qui est attachée à un lit dans un endroit inconnu. Je la regarde silencieusement faire ce qu’elle a à faire, puis elle s’en va. J’observe ce qui m’entoure. Les murs dénué de toute décoration sont d’un immaculé qui rend la pièce lumineuse. De grands rideaux fleurit recouvrent deux fenêtres toutes aussi grandes.je n’aperçois pas l’extérieur, mais je suppose que nous sommes en hauteur. Le mobilier se limite à un lit, une table carré et une chaise en bois. Aucun bruit ne filtre de nulle part.
Un coup d’œil à mes liens et je soupire. Ils m’enserrent bien la peau, le moindre mouvement de résistance se fait ressentir jusque dans ma chair. Mes quatre membres sont attachés de part et d’autre du lit. Un édredon fin me recouvre, mais je sens que je suis nue en dessous. Je ferme les yeux et les ouvre précipitamment quand j’entends la porte s’ouvrir de nouveau.