Chapitre 4

Write by Mady Remanda

 

                                                     IV/

                                                                                          11 DECEMBRE

 

                    MALIK

 

Sous le charme !

Complètement subjugué !

Et dire que je me jurais de ne plus succomber à son charme.

Cela m’était irrésistible.

 

Une semaine que nous parcourions Dakar ensemble.

Quand je lui avais proposé cette idée, je pensais améliorer le plan de mariage, mais au fond je tenais à lui faire découvrir Dakar, à l’emmener à apprécier ma ville natale, mon pays.

Je devais avouer aussi que je mourrais d’envie de passer du temps avec elle.

Revoir Liz m’avait fait un choc, je n’en revenais toujours pas. J’avais été à deux doigts de baisser la garde tant elle était délicieuse.

Par le passé, j’avais aimé la jeune fille rêveuse et un peu asociale, mai Liz était devenue une femme épanouie, sûre d’elle et tellement séduisante.

Son pays lui réussissait bien apparemment.

Je n’avais pas pu m’empêcher de me demander si elle avait un homme dans sa vie, malgré l’absence d’une alliance, il m’était difficile de croire qu’elle était seule.

Après tout, elle était vraiment ravissante et ne devait pas laisser beaucoup d’hommes indifférents.

J’en avais conçu une vive jalousie dont l’intensité m’étonnait.

Liz avait encore un terrible effet sur moi.

Je l’avais compris ce jour-là au Terrou-Bi, mais nos escapades de ces derniers jours avaient achevé de m’ouvrir les yeux.

Je la désirais encore. Pire, je la voulais encore.

Comment après ce qu’elle m’avait fait, j’arrivais encore à éprouver de tels sentiments à son égard

 

Je me plaisais à imaginer qu’elle avait changé et mûri, pourtant si j’en croyais ce qu’elle m’avait dit, elle accordait toujours autant d’importance à l’argent.

Ne m’avait-elle pas avoué qu’elle était devenue Wedding Planner parce que c’était plus lucratif qu’enseigner la sociologie ?

La femme que j’avais aimée avait à cœur d’aider les autres, d’où le choix d’étudier la sociologie et de l’enseigner, pour me disait-elle,  mieux comprendre les autres et le monde

Liz m’avait-elle vraiment joué la comédie durant les deux années qu’avait duré notre relation ?

Pour la première fois en dix ans, le doute s’infiltra en moi

Après tout, nous n’en avions jamais discuté.

Je m’étais contenté de ce que mes amis m’avaient dit sur elle.

Et si tout cela avait une autre explication ?

Toutes ces pensées m’avaient agité alors que Liz et moi visitions Dakar.

Nous avions commencé dès le lendemain par visiter La Corniche, le célèbre front de mer dakarois. Le lendemain, nous avions mangé au restaurant « Le Lobby » en ville, Seck m’avait expliqué que c’est là qu’il avait emmené Belinda pour leur premier rendez-vous.

Le jour suivant, nous avions fait honneur au restaurant « La Gondole » au sortir duquel le couple avait échangé son premier baiser.

Nous avions visité la plage de Fann, où ils avaient fêté leur première Saint Valentin.

Voir Liz s’émerveiller en découvrant Dakar, le mode de vie dans mon pays, les habitudes, les lieux les plus fréquentés, la voir petit à petit apprécier mon pays, m’avait vraiment touché et je me félicitais d’avoir eu cette merveilleuse idée.

D’autant que Liz avait effectivement eu plusieurs pistes pour améliorer son « plan mariage ».

C’est en visitant le Monument de la Renaissance Africaine, que j’avais commencé à douter de mes convictions sur notre histoire.

Si dix ans plus tôt, je n’étais retourné la voir après notre dispute, c’est parce qu’on m’avait plus ou moins prouvé qu’elle n’était qu’une snob matérialiste.

Face à son émerveillement devant le monument je n’en étais plus aussi sûr. Une femme matérialiste ne pouvait s’émouvoir de ce genre de choses simples.

Il nous restait deux sorties principales à faire.

Visiter l’île aux serpents et l’île de Gorée.

Nous nous rendîmes sur l’île aux serpents.

J’avais réservé Gorée pour la fin.

Le départ fut pris pour 8 heures du matin.

Je récupérai Liz dans le hall de son hôtel.

Vêtue d’une longue robe paysanne couleur menthe à l’eau, elle avait chaussé des sandales dorées à lanières et avait coiffé sa tête d’une capeline jaune.

Elle était resplendissante.

Une fois de plus, mon désir d’elle s’éveilla au premier regard.

Aurais-je seulement la force de tenir jusqu’au mariage sans lui sauter dessus ?

Je la désirais tellement que la seule force de cette envie d’elle balayait les questions et les incertitudes sur notre passé. Je rêvais de la tenir de nouveau dans mes bras, de l’embrasser, de la caresser et de…

-      On y va ? Lança-t-elle enthousiaste

-      Allons-y !

 L’île aux serpents est la plus grande des îles de la Madeleine, situées au sud-ouest au large de Dakar.

-      Pourquoi ce nom ? Cette île est-elle infestée de serpents ? Me demanda-t-elle en frissonnant légèrement comme si elle craignait  vraiment d’en rencontrer.

Je ne pus m’empêcher de rire, c’était tellement touchant.

-      Pas du tout. C’est la déformation d’un nom, en fait l’île repose sur les ruines de la case d’un rebelle nommé Sarpan…

-      Ah je vois…

La visite de l’île se fit dans une ambiance détendue.

Sans en avoir parlé, Liz et moi semblions avoir décidé à ne pas évoquer le passé et de se comporter comme des amis, investis de la mission d’organiser le mariage de leurs proches.

Sur l’île, nous avions déjeuné, rigolé et échangé des blagues.

A la fin de la journée quand nous reprîmes le bateau pour regagner Dakar, Liz me regarda intensément et quand mon regard accrocha le sien, elle détourna ses yeux.

Mais ce simple échange muet, me fit comprendre que le trouble que je ressentais était réciproque. Liz aussi ressentait cette tension entre nous, cette attraction qui renaissait de ses cendres dix ans après.

Je mourrais d’envie de me rapprocher d’elle à nouveau, de tendre ma main vers sa joue pour la caresser doucement.

Mais je me retins.

-      Malik… dit-elle dans un souffle

J’eus l’impression qu’elle voulait  me dire quelque chose, peut-être m’avouer qu’elle ressentait encore entre nous ce désir.

Mais Liz soupira et dit simplement :

-      Je te remercie pour ta brillante idée. Visiter Dakar m’a permis d’améliorer ce que j’avais prévu au départ, et je t’en remercie du fond du cœur !

Un vague sentiment de déception s’immisça en moi.

J’avais espéré autre chose, mais je n’avais pas envie de la brusquer ou de m’imposer à elle, j’aurais voulu que cela vienne d’elle.

-      Oh ! Mais y’a pas de quoi. Je l’ai fait avec les meilleures intentions, Seck n’est pas que mon frère, c’est mon meilleur ami, et je tiens à ce que ce jour soit mémorable pour lui à tout point de vue.

Elle hocha la tête et me gratifia d’un petit sourire.

Arrivés à Dakar, nous montâmes dans ma voiture, et je la déposai à son hôtel.

-      Demain, même heure et cap sur Gorée ! Lui rappelai-je

-      Bien mon Capitaine ! Répondit-elle avec humour

Refoulant la frustration qui me taraudait, je démarrai en trombe et regagnai mon domicile, vide.

Ah Liz !

Cette femme avait un effet sur moi qui me déstabilisait complètement.

Tout comme dix ans auparavant, il lui avait suffi de quelques jours, pour bouleverser ma vie, mon quotidien.

Las,  je jetai les clés sur la console à l’entrée de chez moi et extirpai de la poche de mon jean, mon portable que j’avais délibérément mis en mode silence pour ne pas être dérangé, notamment par Aïssatou.

Mon ex-femme avait recommencé à me harceler en me faisant chanter.

Il y avait dix-huit appels en absence, tous d’elle, et deux messages.

« Il faut qu’on parle, j’ai quelque chose à te proposer »

Tel était le premier message.

Un deuxième était arrivé quasiment deux heures plus tard :

« Sache que je suis prête à raconter des choses à la presse, si tu ne m’accordes  pas ce que je veux »

Du chantage !

Encore du chantage !

Qu’est-ce que cette femme me voulait donc bon sang !

Je me dirigeai vers la cuisine pour me servir un verre de citronnade.

Elevé dans la pure tradition musulmane, je ne buvais pas d’alcool.

La journée avait été riche en émotion. Pour être exact, ces dix derniers jours l’avaient été.

Côtoyer de nouveau Liz avait complètement bouleversé mon quotidien. Et puis comme si la seule présence de Liz à Dakar avait le don de faire ressurgir les problèmes, Aïssatou qui m’avait laissé tranquille ces derniers mois avait recommencé à m’appeler pour souhaiter qu’on se voie.

Je savais que mon ex-femme n’attendait qu’un mot de moi, un seul pour accourir et revenir dans ma vie, elle me l’avait si souvent dit, parfois en me suppliant.

Il m’était arrivé de considérer cette éventualité, mais pas plus de deux minutes à la fois.

La trahison dont elle s’était rendue coupable à mon égard était bien trop grave et bien trop lourde de conséquences.

J’avais essayé de vivre avec ça pendant quelques mois, mais il m’était clairement apparu que ce ne pouvait plus être possible de poursuivre ce mariage, puisqu’il reposait sur un mensonge.

Mariage, mensonge…

Soudain, ces deux mots se mirent à tourbillonner dans ma tête, comme pour remettre en place des pièces de puzzle.

Aïssatou m’avait menti sur bien de choses, si elle avait pu se rendre coupable de telles horreurs, elle avait tout aussi bien pu…

Enfer et damnation !

Mais c’était évident !

C’était évident depuis le début ! Et j’avais été…

Je me levai promptement de mon fauteuil, déposai brutalement le verre de de citronnade sur la table basse, récupérai mes clés sur la console de l’entrée et sortis de la maison.

Tel un automate, je montai dans ma voiture et démarrai en trombe.

Huit minutes plus tard, je garai dans le parking de l’hôtel Lagon 2.

 

                                             

 

 

                                            LIZ

 

L’eau fraîche ruisselait sur ma peau, me revigorant complètement. C’est tout ce dont j’avais besoin.

La journée avait été agréable, mais ces derniers jours, mes émotions jouaient aux montagnes russes.

Malik.

Dix jours maintenant que je l’avais revu, et…je me sentais perdue.

Et dire qu’un mois auparavant je le haïssais de toutes mes forces, lui et son maudit pays, aujourd’hui, j’adorais Dakar et comptait y revenir souvent, mais surtout je me prenais à souhaiter qu’il y’avait une autre explication à notre rupture.

Je me sentais si bien auprès de Malik, il était si vif, si agréable, si délicat… ces escapades avec lui à travers Dakar m’avaient rappelé notre histoire.

Malik, l’homme que j’avais tant aimé, et que je devais l’avouer, je continuais de chérir.

M’avait-il vraiment trahi depuis le départ comme le prétendait Aïssatou ?

Alors que je n’avais jamais souhaité le revoir ni lui demander d’explications, je me prenais à espérer qu’il m’en donne aujourd’hui, dix ans après.

Mais qu’est-ce que cela aurait donc changé ?

Il avait bien épousé Aïssatou, pour cela, cette dernière n’avait pas menti. Même si l’absence d’une alliance à son doigt aujourd’hui et le fait qu’il ne faisait jamais allusion à sa femme, m’intriguaient.

C’était sans doute par pudeur, ou tout simplement par honte de son inqualifiable comportement envers moi.

Pffff !

Je devais arrêter de me faire des idées.

Il n’y avait pas deux versions à l’histoire, Malik m’avait trahi, il s’était servi d’une dispute, certes violente, entre nous, pour rentrer définitivement dans son pays et épouser une femme de chez lui, une femme « comme il faut » selon les codes de la société sénégalaise.

En tant qu’étrangère, je n’étais pas assez bien pour lui.

S’il y avait eu autre chose, il me l’aurait dit dès le jour où nous nous étions retrouvés, s’il ne l’avait pas fait c’est parce qu’au fond, il n’y avait rien à redire.

Je soupirai en arrêtant le jet d’eau.

J’attrapai un drap de bain sur le pommeau de douche et m’enveloppai dedans.

Je sortis ensuite de la salle de bain pour regagner la chambre où j’enfilai le peignoir éponge blanc de l’hôtel que j’avais laissé sur le lit.

Il était presque 19 heures et je ne comptais aller nulle part.

Je n’avais pas faim.

Je comptais juste regarder un film et m’endormir.

Oui, m’endormir.

J’en avais marre de cette agitation en moi, de ces sentiments mitigés qui désormais sourdaient mon cœur.

J’avais hâte de reprendre ma vie.

Vivement le 23 décembre et la fin du mariage, je pourrais m’envoler pour le Gabon et oublier de nouveau Malik.

Mais pourquoi ? Pourquoi avait-il donc fallu que le destin nous réunisse de nouveau maintenant, alors même que j’étais parvenue à retrouver un certain  équilibre ?

Toute à mes interrogations, je ne perçus pas tout de suite le léger coup frappé à ma porte.

C’est lorsqu’un deuxième retentit que je sursautai, me demandant qui cela pouvait bien être.

Je me levai, resserrant autour de moi les pans du peignoir, je me dirigeai vers la porte de la chambre :

-      Qui-est-ce ? Demandai-je

-      Liz, c’est Malik…

Malik ?

Bon sang que faisait-il devant ma chambre ?

Mince j’étais en peignoir, et nue en dessous !

-      Liz ? Demanda la voix de Malik de l’autre côté

Je ne pouvais pas le laisser là à attendre devant ma porte, je décidai d’ouvrir, après tout, Malik était sans doute seulement de passage, peut-être avais-je oublié quelque chose dans sa voiture !

J’ouvris légèrement la porte et passai ma tête par l’ouverture.

-      Bonsoir Malik…

Visiblement, il ne s’était pas changé.

Cela ne faisait qu’une heure à peine que nous nous étions séparés.

Malik ne disait rien, une expression intense se lisait sur son visage, j’eus du mal à la déchiffrer.

-      Y-a-t-il un problème ? Lui demandai-je donc

Il parut se reprendre et me répondit simplement :

-      Je…je souhaiterais te parler…

-      Tu veux dire euh…là maintenant ?

Il hocha la tête en signe d’acquiescement.

Prise de court, je ne sus quoi lui répondre sur le moment.

-      C’est important…puis-je entrer un moment ?

Malik dans ma chambre d’hôtel ?

Mon cœur se mit à battre la chamade, je ne devais surtout pas recommencer à fantasmer sur lui, surtout pas !

Mais son air grave m’alerta, il avait apparemment quelque chose de sérieux à me dire, je m’effaçai donc pour le laisser entrer, ne faisant plus cas de ma tenue.

Il avança dans la pièce puis se tint debout, les mains dans les poches, le regard lointain.

Que se passait-il ?

Que lui prenait-il ?

Depuis que nous nous étions retrouvés, Malik et moi avions de façon tacite mis de côté notre passé commun, comme si chacun évitait soigneusement de se rappeler ce que nous avions vécu.

Nous étions juste là pour le mariage de Seck et Belinda, rien de plus.

Mais à cet instant, mon instinct me soufflait que Malik n’était pas là pour me parler du mariage de son cousin.

-      Tu es bien étrange ? J’espère qu’il n’y a aucun problème…

-      Liz, j’aimerais qu’on parle de nous…

Non !

Il n’y avait plus rien à dire sur nous, j’avais assez souffert comme ça, Malik n’avait pas le droit de faire ça.

-      … c’est vrai qu’on ne l’a pas fait depuis mais j’aimerais comprendre…

-      Malik, je t’arrête tout de suite, pour moi, le passé est le passé…je ne trouve pas utile de revenir là-dessus !

Je le disais comme ça, mais je n’en menais pas large.

Au fond de moi l’espoir insensé qu’il y avait une autre explication à notre rupture, que Malik apporterait des éléments nouveaux qui permettraient d’établir qu’il ne s’était pas délibérément moqué de moi, qu’il m’avait aimée…

 Stop !

-      Pour toi peut-être, mais…pas pour moi. Il y’a des choses que j’ai compris ces dernières années, qui remettent en cause ce qui s’est passé il y a dix ans.

Comme il prononçait ces mots, je sentis la colère et la frustration que j’avais nourries toutes ces années refluer en moi et remonter à la surface.

-      J’ai besoin de comprendre certaines choses…Continuait-il

Ce fut plus que je ne pouvais supporter, je laissai éclater mon ressentiment.

-      Non mais tu as perdu la tête ou quoi Malik ? Parce que tu as décidé que tu avais besoin de comprendre des choses juste comme ça dix ans après, je dois me plier à ta volonté ? Je te signale que c’est toi qui es parti sans un regard en arrière, sans jamais plus donner  signe de vie, après notre première et seule dispute de couple…et aujourd’hui tu veux m’obliger à revenir sur une histoire que j’ai certes difficilement, mais que j’ai quand même réussi à dépasser ? Je dis non ! Et d’ailleurs sors d’ici !

Il accusa le coup et parut étonné sur le moment avant de se reprendre et de dire :

-      Liz, je suis fermement décidé à comprendre ce qui s’est passé il y a dix ans.

UN NOEL A DAKAR