Chapitre 55

Write by WumiRa

S'il ne se trouvait pas assis, les jambes de Saïd se seraient sans doute mises à trembler. Il ajusta d'abord ses lunettes, puis en fin de compte, il les ôta.


- Pardon ?


La jeune femme s'assit et lui tendit une chemise dossier qu'elle avait en main.


- J'ai réagit de la même manière que vous, quand j'ai appris que mon père était toujours en vie. Et pour vous prouver qui je suis vraiment, j'ai apporté mon acte de naissance en plus d'une photo de ma mère.


D'une main fébrile, Saïd ouvrit la chemise dossier et en sortit effectivement un acte de naissance qu'il parcourut du regard. Seulement lorsque ses yeux se posèrent sur le nom de la mère, son cœur manqua de s'arrêter.


-  Qu'est-ce que...


Il remarqua ensuite la photo et la prit.


- Tu es... la fille de Mireille ?


- Et la votre. Je ne l'ai appris que tout récemment, parce que maman m'a toujours dit que vous étiez décédé. Même sur son lit de mort, elle n'a rien voulu me dire.


- Mon Dieu, j'ignorais qu'elle était...


- Il y a à peine deux mois.


Ne sachant que répondre, il se contenta de lui présenter ses condoléances.


- Dès que j'ai appris votre existence, je suis directement rentrée de Bruxelles. C'est là bas que ma mère et moi avons vécu. Je voulais à tout prix vous rencontrer, quoiqu'il se soit passé avant ma naissance ou après, mais à vous voir, j'ai l'impression que vous aussi vous ignoriez que j'existais.


- C'est le cas.


- Vraiment ? 


- Je ne l'aurais jamais su de toute façon.


- Qu'est-ce qui me dit que ce n'est pas tout le contraire ? Que vous ne l'avez pas abandonnée ?


Sa question entraîna un silence, qu'elle même finit par rompre.


- Dommage que les morts ne parlent pas.


- Si elle n'a rien dit de son vivant, c'est qu'elle tenait à garder tout cela secret.


- Pourquoi ?


- Je n'en sais pas plus que toi. Mais si c'est mon nom qui figure malgré tout sur ton acte de naissance, je dois être en effet...


- Mon père.


- Un test d'ADN sera quand même nécessaire.


Une lueur de surprise passa dans le regard d'Oumou.


- Ma parole n'est-elle pas suffisante ?


- Si comme tu le dis, tu as vécu en Occident, tu dois savoir qu'on ne blague pas avec ces choses là. Il y a à peine une heure, j'ignorais que j'avais une fille.


Non, c'était faux. Il le savait. Il ignorait juste qu'au lieu d'une seule, il avait deux filles perdues. L'une qu'il ne connaîtrait peut-être jamais à cause de la méchanceté d'une femme et l'autre qui lui rappelait un amour mort avant d'avoir pu voir le jour. La vie et ses mystères.


- Quel âge as-tu ?


- Vingt-neuf ans.


- Comment l'as-tu découvert ?


- C'est personnel. Puisque vous tenez à ce qu'on fasse un test, c'est d'accord, mais je ne suis pas ici pour vous escroquer de l'argent ou quoi que ce soit. Je ne sais même pas si vous êtes quelqu'un de bien. Je tenais seulement à connaître l'homme que ma mère a sûrement dû aimer à un moment de sa vie.


Elle se leva.


- Je repars dans deux semaines. Quand dois-je revenir pour le test ?


S'emparant de ses lunettes, Saïd déclara :


- Demain.



***


Assis dans son fauteuil, les bras croisés, Malik écoutait patiemment l'inventaire que lui faisait sa secrétaire, même si son esprit lui, était pratiquement ailleurs. Pour prouver qu'il était attentif à ce qu'elle disait, il hochait la tête de temps en temps.


- Je vous ai réservé un vol pour Rabat, comme prévu, donc dans trois jours...


Son front se plissa.


- Quoi... Un vol ?


- Oui, monsieur. Il y a une semaine, vous me l'avez demandé.


Elle lui montra ses notes.


- Vérifiez.


- Je ne m'en souviens plus. De quoi s'agit-il ?


- Vous ne m'avez rien dit à propos.


- Bien, annulez donc.


- Pardon ?


- Annulez le vol.


- Mais monsieur, j'ai déjà acheté votre billet et réservé un hôtel.


- Humm.


Il parut réfléchir. 


- Bon très bien, ce n'est pas grave. Mais à présent, il va falloir que vous achetiez un autre billet.


La jeune femme haussa les sourcils.


- Pour qui ?


Elle s'attendit à tout, mais sûrement pas à ce qu'il affiche un sourire. Il ne souriait jamais !


- Pour quelqu'un de très spécial.


***


Après avoir préparé le dîner et dressé la table à manger, Maya s'attendit à voir rentrer son mari, mais une autre heure passa sans qu'il n'apparaisse. Aussi décida t-elle de l'appeler.


Il décrocha à la première sonnerie.


- Ma petite femme.


- Je suis vraiment sérieuse quand je dis que tu vas dormir sur le canapé.


Elle l'entendit rire.


- Je te manque déjà ?


- ...


- Je n'ai pas prévu que ça prendrait du temps, je suis désolé.


- Tu es le patron, pourquoi n'abandonnes-tu pas tout aux mains de ta secrétaire ?


- Pour ne pas faire faillite, mon amour. Elle ne peut pas toujours me remplacer.


- Uhum.


- Alors il a quand même un bon goût notre yassa ?


- Je ne sais pas, viens faire le constat toi-même.


- Tu es fâchée ?


- Ne te plainds pas si je suis endormie à ton retour. À tout à l'heure.


- Attends, dit-il, lorsqu'elle fut sur le point de raccrocher. 


- J'ai sommeil.


Elle entendit le bruit d'une chaise que l'on poussait.


- Je suis sur le point de partir. Ne t'endors pas, s'il te plaît. Je te ferai un massage à mon retour et tu pourras t'endormir dans mes bras. Par contre si tu vas te coucher maintenant...


- Tu sais faire de bons massages toi ?


- Tu n'en sais rien, alors c'est l'occasion de découvrir mes talents cachés, lui susurra t-il. Ils sont incroyables. En plus, je vais acheter ta glace préférée en rentrant.


- Tu essaies de me corrompre ?


Il était maintenant dans sa voiture, car elle l'entendit refermer la portière.


- J'essaie de te retenir éveillée. Mais franchement, je sais que tu n'as pas sommeil.


- Ah bon ? D'accord on verra. À tout à l'heure.


Elle raccrocha.



***



Maya était déjà endormie, lorsqu'il rentra. Elle avait encore passé une trentaine de minutes à l'attendre, puis ensuite le sommeil avait eu raison d'elle. Dieu sait où il était allé.


Dans son sommeil, le bruit lointain d'une voiture lui parvint, puis ensuite ce fut les mains baladeuses de son mari, qui vinrent la réveiller.


Elle ouvrit les yeux.


- Traîtresse.


- Laisse moi dormir, Malik.


- Tu voulais que je rentre et maintenant que je suis là, tu vas me faire la tête ?


Elle se redressa, ajusta les taies d'oreillers, puis se recoucha.


- Si j'ai encore duré, c'est parce qu'il y avait trop de monde dans le supermarché. J'ai dû faire la queue à la caisse.


Puisqu'elle avait à nouveau fermés les yeux, il rapprocha son visage du tien, et se mit à déposer de petits baisers sur son nez.


- Qu'est-ce que tu fais ?


- Je me fais pardonner autrement, puisque la glace ne t'intéresse pas.


Elle rouvrit les yeux.


- Je n'ai pas jamais dit que je n'allais pas la manger, je n'ai même rien dit.


- Justement, je n'aime pas quand tu es silencieuse. Parle moi.


- Je suis toujours fâchée en tout cas, déclara t-elle, tandis qu'il l'embrassait cette fois sur la bouche.


Il se retrouva collée à lui.


- Laisse moi parler.


- Parle.


- Nous étions censés passer le reste de la soirée ensemble, et je suis énervée parce que je sais qu'il y aura d'autres moments comme ça. 


- Comme ça ?


- Je passe avant ou après ton travail ?


Il s'interrompit.


- Je ne comprends pas.


- Ou plutôt tu ne le sais pas toi-même. Tu ne sais pas exactement quelle place je dois occuper dans ta vie, tu ne sais pas encore où me mettre.


- Et donc tu penses que mon travail compte plus que toi, pour moi ?


- Je sais seulement qu'il occupe la première place dans ta vie, tu me l'as toi-même dit.


- Ce n'était pas faux.


Elle s'écarta de lui.


- Mais c'était bien avant tout ça. Comment peux-tu croire que... 


- Rassure-moi donc, Malik, rassure-moi. Tu es obsédé par ton travail et les choses demeureront toujours telles qu'elles sont.


- Je peux changer.


- Pour qui, pourquoi ? Je n'essaie pas de te changer, je t'aime tel que tu es, mais j'ai besoin d'avoir la certitude que tu me feras toujours passer avant tout le reste.


Il demeura silencieux.


Elle posa une main sur sa joue.


- Tu as besoin de réfléchir, c'est ça ?


- Pourquoi aurai-je besoin de réfléchir ? Tu penses que c'est nécessaire ?


- Je ne sais pas. Peut-être que tu as besoin de temps pour te remettre en question. 


- Si tu n'as pas totalement confiance en moi, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, n'est-ce pas ?


Sentant l'orage à l'horizon, Maya retira sa main.


- Nous reparlerons de tout ça demain. Ton dîner est dans le micro-ondes.


Après avoir ramené les draps sur elle, elle se tourna vers l'autre côté du lit. La chambre à coucher devint automatiquement silencieuse. 


Sans qu'elle ne sache pourquoi, une larme s'échappa du coin de l'œil de Maya, et roula sur l'oreiller. Elle l'essuya discrètement puis au même moment, se sentit enlacée par derrière.


- Ne me rejette pas.


Elle s'éclairçit la gorge, pour ne pas se trahir.


- Je ne le ferai jamais.


- Dans ce cas parle moi, dis-moi quelque chose. Tu en as peut-être marre de moi ?


- Si c'est ce que tu penses, je...


- Je ne sais pas quoi penser, franchement. 


Elle haussa les épaules.


- Retourne toi. 


Elle n'en fit rien.


- S'il te plaît.


- Je ne peux pas bouger, si tu me tiens comme ça.


Il réalisa qu'effectivement, il la retenait fermement dans ses bras.


- Je ne sais pas ce qui peut te faire croire que j'en ai marre de toi. 



- Mon passé par exemple. Ou le fait que je ne porte pas ton père dans mon cœur.


- Tu as renoncé à lui nuire, cela me suffit. 


- J'ai beaucoup d'autres vices. Je sais que je finirai par te décevoir, d'une quelconque manière et... ça me ronge tu comprends ? J'y pense constamment et c'est peut-être parce que c'est la première fois que j'aime quelqu'un d'autre que moi-même. S'il arrivait quoi que ce soit ou si tu décidais qu'on a aucune chance ?


- Je ne te quitterai pas.


- Et quand tu auras des doutes, comme aujourd'hui ?


- Je ne sais pas Malik, tout ce que je sais c'est que je veux être avec toi. C'est ce que nous voulons tous les deux, alors pourquoi est-ce si compliqué ? 


Il l'obligea à lui faire face cette fois.


- Si seulement je pouvais te répondre. C'est pour cela que nous devons partir d'ici et aller vivre ailleurs.


- Où ?


- Accepte d'abord et ensuite on verra. Tu pourras choisir l'endroit qu'il te plaira.


- L'Alaska ? plaisanta t-elle, malgré ses larmes.


- Pourquoi pas ? 


Il les essuya à l'aide de son pouce.


- Je te ferai une vraie demande en mariage, et tu pourras toujours dire non, tu sais. Je n'aurai plus aucune raison de te retenir contre ton gré. Enfin oui, peut-être. Je te retiendrai toujours parce que je t'aime.


Elle sourit.


- Je n'en doute pas, contrairement à ce que tu penses.


- Ah non ?


- Et puis tu n'auras pas besoin de me retenir, puisque je ne compte aller nul part. J'espère que tu pourras toujours me supporter même à soixante-dix ans ?


- Même à quatre-vingt-dix ans.


- À cent ?


- À cent. Jusqu'à ce que la mort nous sépare.


Il déposa un baiser chaste sur ses lèvres.


- Ton dîner, fit-elle.


- Je n'ai plus faim.


- Tu as mangé en rentrant ?


- Pas du tout.


- Alors notre petite discussion t'a coupé l'appétit.


Il se leva, pour se débarrasser de la chemise et du pantalon qu'il avait sur lui. Il les troqua contre un bas de pyjama et revint se coucher à côté d'elle.


- Je t'ai coupé l'appétit ? insista-t-elle.


- Non. À la base, c'est toi qui avait faim.


- Oui, mais tu n'as rien mangé depuis que je suis partie. À part le petit déjeuner.


- Ne t'inquiètes pas pour moi. Une fois que tu seras endormie, j'irai rendre hommage à ton poulet yassa.


Il se pencha vers elle et reprit ce qu'il avait dû interrompre quelques instants plus tôt. 


- Tu veux vraiment que je dorme ? s'enquit-elle, alors qu'il l'embrassait partout à la fois.


- Tu veux dormir ?


- Hum.


- Je m'en doutais.


Il fit glisser les bretelles de sa nuisette sur ses épaules.


- J'espère que je ne vais pas recevoir une convocation de ton docteur.


Elle pouffa.

 

- J'ai ma part de responsabilités. Mais... Peut-être qu'on devrait attendre encore un peu ?


Malik retira la main qu'il avait posée sur sa poitrine et se laissa tomber sur le dos.


- Tu as raison. Je ne veux pas te faire mal.


- Je suis désolée. Tu es sûr que ça va aller ? Je pourrais...


Il se tourna vers elle et elle se blottit contre lui.


- Ça va, répondit-il. Mais il faut que tu dormes à présent, on doit assister à un mariage demain.


Automatiquement, la conversation qu'elle avait eu dans la matinée avec Sonya, revint à Maya. Elle espérait vivement que celle ci prendrait la bonne décision et assumerait ses actes, pour le bonheur de tous.


- À demain, chéri.


- À demain, mon amour.


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