Chapitre 7

Write by Meritamon


Diarri, Fouta-Djalon. Jour 2.

 

         -         Qu’est-ce qui se passe? Elle n’est pas encore levée? Demanda Tahaa à la servante qu’il avait envoyée réveiller sa nouvelle pensionnaire, après qu’il fit sa prière de l’aube.

         -         Elle ne veut pas sortir de sa chambre, répondit la femme. Elle n’est pas du tout commode, votre invitée.  Je m’excuse mais je n’y retourne plus…

Tahaa laissa échapper un soupir de découragement. Il devait intervenir. Voilà deux jours que cette fille boudait comme une gamine dans sa chambre et refusait d’en sortir; une façon de protester qu’il trouvait très immature.

Il fallait qu’elle se nourrisse.  Le moment était mal choisi pour qu’elle se laisse mourir de faim sous son toit! Alors que l’entente avec son père, Malick Hann, venait à peine d’être conclue.

Une raie de lumière filtrait à travers la porte. Elle ne dormait pas. L’homme hésita un moment avant d’entrer, se voyant obligé de mettre toute sa bonne éducation de côté pour faire respecter ses règles.

 

           -         Allez, debout! On se lève, ordonna Tahaa.

C’était très inapproprié de s’introduire de cette façon cavalière, mais avait-il vraiment le choix? Cette fille le mettait au pied du mur, elle et sa façon de l’ignorer avec suffisance.

Il remarqua qu’elle n’avait pas complètement défait ses valises, comme si elle s’apprêtait de repartir d’où elle venait.

Pauvre fille, elle n’a pas encore compris… elle espérait sans doute qu’il s’agissait d’une mauvaise plaisanterie? que son père reviendrait la chercher?

La jeune femme bougea paresseusement dans le grand lit en acajou. Elle était si fatiguée qu’elle eut l’impression d’être écrasée par des sacs de pierres. Elle avait encore le voyage dans le corps. Et puisqu’elle avait refusé de se nourrir, par excès d’orgueil, elle mourrait aussi de faim, sans compter l’anxiété d’affronter une nouvelle vie qui l’habitait.

Les adieux avec son père avaient été brefs et difficiles. Malick avait choisi de retourner à ses affaires dans le monde aussitôt qu’il l’avait déposée dans cette maison; comme un vulgaire paquet qu’on abandonne, sans regrets ni grande émotion. Ils étaient à présent des étrangers l’un pour l’autre. Pourtant Serena aurait aimé lui demander pardon, lorsqu’elle le vit s’éclipser dans l’auto qui le ramenait, du haut de la fenêtre de sa chambre; mais elle ne savait plus comment faire.

Et il y avait cet Tahaa avec qui elle devait apprendre à composer dorénavant.

         -         Leave me alone! …  Marmonna-t-elle en anglais à l’intention de Tahaa, en s’emmitouflant sous les couvertures en laine. Elle avait mis ses écouteurs d’où s’échappait de la musique.

Puis Tahaa de soupirer, la patience mise à rude épreuve.

             -         Arrêtons ces enfantillages, voulez-vous? Je dois vous parler.

Un silence éloquent lui répondit. Comprenait-elle ce qu’il disait ou faisait-elle exprès de l’ignorer?

Tahaa, impatient, fit ce qu’il lui restait à faire. Il ôta la moustiquaire, puis sans façons, tira sur un pan de la couverture qui glissa. Le spectacle de la jeune femme, en simple chemise de nuit et en petit short de satin, eut l’effet de le figer sur place.

Il essaya de regarder ailleurs. Trop tard. Ses yeux avaient effleuré les longues jambes nues et galbées, sa taille fine, ses jolis bras nus, puis son fessier rebondi... Ses longs cheveux en désordre s’éparpillaient sur le lit. Elle avait les traits d’une délicatesse de poupée en porcelaine, une bouche aux lèvres gourmandes. Et ces fossettes à damner… L'homme fit un effort sur lui-même pour ne pas fixer sa poitrine aux mamelons arrogants qu'on devinait sous le satin de la chemise de nuit.

  Ressaisis-toi mon Tahaa...


La jeune femme s’était relevée à demi. Elle avait détaillé l’homme avec étonnement de ses yeux rougis et ses paupières gonflées par les larmes qu’elle avait versées toute la nuit. Elle ressemblait à une rose chiffonnée au milieu des draps. Une rose prête à être effeuiller…

Avec son foutu caractère, il fallait qu’elle ait aussi ce corps désirable, maugréa Tahaa en pulaar. Il lui lança sa robe de chambre afin qu’elle recouvre ses formes. Se rendait-elle seulement compte de l’effet qu’elle pouvait produire sur les hommes?

 

              -         What do you want from me? Go away! Lui lança-t-elle, sur la défensive, à la limite de l’agressivité.

Tahaa eut à son égard un sourire de pitié. Son anglais n’allait pas servir ici. Ni son swahili d’ailleurs. Il va falloir qu’elle s’intègre.

           -         Nous devons discuter. Il y a une ou deux choses que je dois vous expliquer. Parlez-vous français?

         -         Je parle plusieurs langues, se décida-t-elle de répondre avec hauteur en français, comme s’il s’agissait d’un détail. Il est quelle heure?

Elle se mit debout, tira furieusement sur les volets et découvrit un ciel d’encre, d’où pâlissaient quelques étoiles.

         -         Comment osez-vous entrer dans ma chambre au beau milieu de la nuit? On ne vous a pas enseigné les règles de bienséance? Je vous ordonne de sortir immédiatement!

L’homme la toisa, les bras croisés sur sa poitrine.

          -         Il est 5h00 le matin, répondit Tahaa calmement.

 Il lui fallait garder son calme.

         -         Et après? je ne suis pas une lève-tôt….

        -         Ça devra changer. Vous apprendrez à vivre au rythme de cette maison, par exemple, être debout au chant du coq, exécuter les tâches qui vous seront assignées jusqu’au coucher du soleil. Vous vous reposerez seulement lorsque je vous l’autoriserai. Aujourd’hui, vous aiderez au travail du potager, ensuite vous vous rendrez à l’étable avec le bétail… et puis on verra plus tard, dépendamment de vos compétences…

Serena le fixa, ahurie. C’était une énorme plaisanterie. Cet homme se foutait d’elle. Avait-il seulement idée de qui elle était?

             -         Vous plaisantez? Je ne suis pas venue faire la servante sur vos terres!

 

             -         Vous n’êtes pas en colonie de vacances, non plus, répliqua l’homme.

 

             -         Vous ne pouvez pas m’obliger à exécuter vos quatre volontés!

 

            -         Je veillerais à ce que vous respectiez les règles de cette maison. Bien entendu, la première règle est de m’obéir. Vous allez vous mettre au travail comme tout le monde ici, surtout ne pas broncher un seul mot désagréable ou bien je serais obligé de vous traiter sans ménagements.


           -         Vous n’oserez pas… le défia-t-elle, en faisant fi de la dureté de son regard à lui.

Elle hallucinait! Pour qui se prenait-il? Jamais personne ne lui avait parlé de cette façon. Tahaa demeura imperturbable.

            -          Vous êtes loin de votre ancienne vie, mademoiselle Hann. Votre père n’est plus à vos côtés et il ne vous aidera pas, lui répondit-il posément.

 

       -         Vous savez ce que je pense de vous? Fit-elle en le jaugeant insolemment du regard, nullement impressionnée par ses menaces.

« À mes yeux vous n’êtes qu’un pion que mon père utilise pour me contrarier!  Un individu servile qu’il paie parce que son argent achète tout… ».

C’est alors que sans prévenir, Tahaa se saisit de l’impertinente comme un petit paquet et l’entraîna de force dans la salle de bain. Elle laissa échapper un cri de surprise et se débattit alors qu’il la plongeait, sans façons, dans un baquet d’eau froide. Trempée, humiliée et grelottante, elle se mit à le traiter de tous les noms.

Impassible, Tahaa lui lança tout simplement.

           -         Quand vous aurez fini de crier, rhabillez-vous. Je vous attends en bas. Dorénavant, vous ferez attention lorsque vous ouvrirez la bouche.

Les présentations étaient faites. La table était à présent mise.

Le pied de Tahaa buta sur une valise qui s’ouvrit et dévoila une partie de la garde-robe de la fille. Une garde-robe composée de vêtements en soie, de blouses délicates, une ou deux robes froufroutantes en organza qui auraient été parfaites dans une soirée mondaine, et des escarpins de designers, qui n’allaient lui être d’aucun usage sur le domaine. Ce qui prouvait que Serena Hann était vraiment déconnectée des réalités et ignorait ce qui l’attendait.

          -         Et puis, trouvez-vous aussi quelque chose d’adéquat à enfiler, mademoiselle Hann, ajouta Tahaa avec dédain.

Sale gosse de riches. Elle allait vraiment se ridiculiser dans la brousse si elle comptait enfiler ses tenues de princesse.

Puis, sans lui jeter un autre regard, Tahaa sortit.

          -         Espèce de tyran! Fulmina-t-elle en tremblant d’humiliation.

Quel rustre, quel homme des bois…

Toute frissonnante, Serena réussit à enfiler un jean’s moulant et un pull noir puisque les températures matinales étaient très fraîches dans la région.

Ensuite, elle descendit, en pestant, les escaliers. Tous les résidents étaient déjà sur pied dans la grande bâtisse. Il y régnait une atmosphère de grande agitation. Des portes claquaient, les femmes de ménage s’activaient dans les chambres en plaisantant. Quelques personnes la détaillèrent avec curiosité et lui dirent bonjour dans une langue qu’elle ne connaissait pas. La maison silencieuse de la nuit se transformait, le jour venu, en un joyeux nid.

Elle tuerait pour un café latté et peut-être un scone de sa boulangerie préférée à Londres. Londres dont elle se plaignait jusqu’à récemment et qui semblait si lointaine, si désirable et civilisée. Elle donnerait tout ce qu’elle possédait pour y retourner.

Sur la véranda, elle aperçut la haute silhouette de son geôlier surgir d’un entrepôt. Il s’avança vers elle et lui lança un panier en osier.

            -         Allez chercher des œufs frais dans le poulailler! ordonna-t-il de son ton cassant.

Cet homme était capable de la hisser sur le point le plus culminant d’une colère incommensurable. Serena tremblait de rage en entendant toute cette prétention. Quel culot! Jamais personne ne lui avait parlé de la sorte.

           -          Mon père vous paie combien pour me garder ici? Je dois connaître les clauses du contrat, ce que je vais devenir!

Tahaa eut un sourire narquois.

         -         Pourquoi? Vous vous inquiétez déjà de votre sort?

Il s’avança plus près d’elle et elle jugea sa proximité un peu trop inappropriée. Puis, sans qu’il la touche, elle sentit l’électricité qui émanait de lui, la tension à couper au couteau, alors que sa mer intérieure à elle, entrait en ébullition.

         -         Je suis le maître de toute chose ici. Et vous ne faites pas exception à la règle aussi longtemps que vous vivrez sous mon toit. Je veux le respect, l’obéissance, la politesse et le travail. Est-ce que je me suis fait bien comprendre?

Elle lui adressa son regard le plus haineux alors que sans se départir de son sourire plein de suffisance, il ajouta :

        -         Bienvenue en enfer.

        -         C’est moi qui vous pourrirai l’existence. Comptez sur moi. Répliqua-t-elle.

        -         Parfait! Comme les présentations sont faites à présent, allez chercher mes œufs.

Il l’abandonna là et partit rejoindre le groupe d’ouvriers qui l’attendaient. La guerre était à présent déclarée entre eux. La nature combative de Serena se réveilla et elle pensa qu’il était temps de mettre une stratégie en place.

D’abord, étudier l’ennemi, c’est-à-dire ce Tahaa Badr, connaître ses forces et surtout ses faiblesses et au moment opportun, elle l’attaquera. Pour l’instant, l’homme était en position de force puisqu’elle se trouvait en terrain inconnu et dépourvue de ressources. Pas pour longtemps, se promit-elle.

En attendant, où pouvait bien se trouver ce maudit poulailler?

Le regard de la jeune femme balaya l’espace. Aucune civilisation aux alentours, rien que la campagne à perte de vue. Le ciel commençait à s’éclaircir, l’aube se teintait de couleurs chatoyantes des premiers rayons du soleil.

Elle finit par demander son chemin, en français, à un paysan qu’elle croisa.

Après avoir traversé un bouquet d’arbres, Serena arriva enfin devant un grand grillage qu’elle ouvrit. À l’intérieur, se trouvaient une cour et un bâtiment qu’elle devina être le poulailler. Une odeur chaude et âcre l’accueillit et lui prit à la gorge.

Le poulailler était immense avec des volailles par centaines.

Peut-être par milliers… pensa-t-elle avec appréhension.

Elle commença alors le ramassage des œufs au beau milieu du vacarme. Les pondeuses lui rendirent la tâche difficile, elle reçut quelques coups de becs des poules récalcitrantes.

Serena ragea, maudissant et les poules, et la ferme, surtout Tahaa Badr. Recouverte de plumes, ayant malencontreusement cassé quelques œufs, elle parvint à retrouver la sortie. Les quelques villageois qui la croisèrent sur le chemin du retour ne purent s’empêcher d’ouvrir de grands yeux étonnés et de rire, moqueurs.

           -         Et voilà, je deviens la risée de la brousse, pesta-t-elle, l’humeur exécrable.

Serena se perdit ensuite dans les méandres des petits sentiers qui surgissaient de partout et qui ne menaient à nulle part. Heureusement, elle retrouva son chemin après s’être rafraîchie avec joie dans un petit ruisseau.

C’est au milieu de tout ça, que le soleil surgit brusquement de l’horizon et chassa d’un coup le spectre de la nuit. Sa vivifiante lumière illumina la vallée. Les filets de brumes s’évaporèrent, les oiseaux commencèrent leurs jeux en chantant. Le spectacle de la nature qui s’éveillait ravit Serena. C’était tout simplement magnifique.

Une étrange impression d’avoir déjà vécu dans cet endroit, tellement improbable l’habitat, comme une sorte de déjà-vu ou une prémonition. Son âme se trouvait en phase avec le moment présent et l’endroit. C’était une chose qu’elle ne pouvait expliquer avec la simple logique. Avait-elle habité ici dans une vie antérieure?

 

Un énorme arbre attira son attention. Un noble jacaranda qui déployait ses branches chargées de fleurs mauves au ciel. Serena eut la vision de deux petites tombes blanches sous l’arbre. Soudain, une tristesse et une désolation sans pareille s’empara de son âme. C’est comme si le désespoir avait étalé ses ailes sur elle. Ce qui l’empêcha de respirer un moment. Elle ferma les yeux et les rouvrit. Non, il n’y avait pas de tombes sous le jacaranda. Elle se convainquit qu’il s’agissait là du fruit de son imagination.

Son ventre gronda sous le coup de la faim, lui confirmant cela.

C’est seulement la faim qui me joue des tours, se rassura-t-elle. Cet endroit lui était inconnu.

Elle se dépêcha de reprendre le chemin de la grande bâtisse blanche avec sa véranda, ses colonnes, encore plus belle sous la lumière du jour… Une véritable féérie au milieu d’une nature luxuriante, malgré quelques ardoises qui se détachaient du toit à plusieurs endroits, les murs un peu décrépis, le temps qui avait pesé et faisait son œuvre.


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Coucou chers lecteurs! ce fut une longue semaine et je suis contente de vous retrouver. À très vite! portez-vous bien. 

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