Chapitre 7

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 7


La chaise d’Idris racle le sol bruyamment attirant notre attention à toutes les deux.  Son visage est calme, mais je sais qu’il est en colère. Ce mec passe son temps à faire passer les sentiments des autres avant les siens. Il n’a pas lâché ma main mais il semble prêt à partir.  


— Bon là je crois que ça suffit, intervient Idris. Qu’elle se convertisse ? Et pourquoi ? Est-ce que je t’ai dit que je voulais absolument épouser une femme musulmane. Je ne suis pas venu te demander TES conditions. Je suis venue te la présenter. Par respect pour elle et pour toi. Je pensais que tu allais agir en femme sage mais je vois que c’est peine perdue. Tu passes ton temps à dire de toutes les femmes non voilée qu’elles sont dévergondées. Toutes les petites nièces de la famille sont terrorisées par toi et tes grands airs … On se convertit et porte le voile en signe de soumission à son Dieu pas en signe de soumission à une belle mère. Tu n’as aucune idée d’à quel point le mot dévergondée est rude et offensant pour une femme… Tu l’utilises à tort et à travers. Si tu ne veux pas faire l’effort d’être aimable maman… je me lèverai et on partira.


Elle lève les mains pour qu’il cesse de parler. Si un léger sourire apparait sur ses lèvres en signe de rédemption, son regard  lui se fait plus dur. 


— Pourquoi tu t’énerves ! Tu penses que je suis la seule à mal parler d’elle. Tout le monde la connait de réputation… Je vais essayer de mieux me faire comprendre. Quand on épouse une personne c’est toute une famille qu’on épouse. Tu ne peux pas faire comme si tu étais seul mon fils. C’est l’erreur que les jeunes font de nos jours. Penser que les choses se passent comme chez les blancs. Que pour qu’un mariage dure, il faut juste de l’amour. On n’a pas besoin de s’aimer pour se marier. Nous sommes sénégalais. La famille c’est tout pour nous, il y a des traditions, des usages à respecter pour protéger la cohésion de la famille et la cohésion de notre famille est basée sur notre religion commune. Mais même si je laisse la religion de côté pour elle… 

— Maman…

— La femme de mon fils n’aura pas besoin de travailler, dit-elle en s’adressant directement à moi. Une femme est faite pour élever ses enfants, aimer et respecter son mari, venir en aide si besoin à sa belle-famille. 

— Tout cela ça s’apprend maman. 

— Ok. Ok. Il parait que tu es mécanicienne. Ce n’est pas digne de nous ça, c’est un travail d’homme. Alors si jamais j’accepte que tu entres dans ma famille, il faudra arrêter tout ça. S’il t’aime comme il semble le penser, il te protégera et te nourrira. Tu n’auras pas besoin de travailler. Tu fermes ton garage ou tu le vends, c’est comme tu veux. Est-ce que ton corps là peut porter des enfants ? Que fait ta famille ? Qui sont tes parents ? Je ne la connais pas cette fille ! 


Je me mets à rire. Rire bêtement à gorge déployé. Rire jusqu’aux larmes, ce qui ne m’était encore jamais arrivée. Elle me regarde comme si j’étais soudain devenue folle. Comment une femme aussi belle peut-elle avoir le cœur aussi noir ? 

Je n’arrive pas à passer outre ce qu’elle a dit avant l’intervention de son fils. Dévergondée ? Je le suis peut-être après tout. Je ne prends pas le soin de compter les hommes avec lesquels j’ai couché. Est-ce que ça fait de moi une mauvaise femme ? Pour moi il ne s’agit que de sexe après tout. Est-ce qu’il lui en a parlé ? Comme il lui a dit que je ne cuisinais pas. 

Je ne peux plus m’arrêter de rire, à en avoir le souffle court puis la nausée. Laisser mon travail ? Celui qui a fait de moi la femme que je suis. C’est comme un déclic, une évidence qui fait remonter des souvenirs. Elle me rappelle ma belle-mère. Une femme qui a décidé au premier regard que je n’étais pas digne d’elle et qui m’a menée la vie dure. J’en suis sortie vivante malgré tout et là, il faut replonger, recommencer ? Choisir de vivre ça au quotidien ! Dévergondée. Comment peut-elle me coller un mot aussi sale sur le corps ? Alors que je connais des cousines de son fils, qui se disent vierges et qui couchent quand même avec des hommes par on sait toutes quel moyen. 


Je ne suis pas digne de son fils ? Lui ai-je déjà causé du tort ? Non. Je fais des bêtises c’est vrai. Mais je les assume mes conneries. Lui ai-je déjà demandé de l’argent ? Non. Ai-je couché avec lui alors que je n’étais pas mariée à lui ? Non. Alors d’où sort-elle cette maudite insulte ?  


Mais dis donc, elle ne se prend pas pour de la merde la rombière. Que j’abandonne mon travail ! Pour un homme ? Avec tout ce que je vois tous les jours au garage ? Ces hommes mariés qui viennent faire réparer leur voiture et qui y oublie des tickets de motel ou des préservatifs usagers !  Qui parfois achète deux fois le même cadeau et les planque dans le coffre de la voiture avec deux prénoms différents écrits sur les cartes.  Ces hommes qui envoient leur chauffeur venir faire réparer la voiture de luxe de leur maitresse tandis que leur femme sont obligées de payer elle-même la réparation de leur Carina. La même Carina qui emmène leurs enfants à l’école. 


A sa manière d’être crispé, je sais qu’Idris se retient de lui parler. C’est peut-être ce trait de caractère qui nous a menés à cette scène surréaliste. Cette manière qu’il a de ne jamais exploser au moment où les choses se passent. Cette manière d’être toujours dans la retenue, la crispation, l’analyse, l’attente, le secret. Mais moi, sa mère n’est pas la mienne. Je ne suis tenue à rien. J’ai la gorge sèche à force d’avoir ri comme une folle à lier. A défaut de respect elle aurait au moins pu m’offrir de l’eau. Je regarde la table vide. Pas un verre d’eau pour étancher ma soif. Qui reçoit-on ainsi ? Même pas ses ennemis.  


— Alors là ma vieille, tu peux toujours courir. Ca ne risque vraiment pas d’arriver. 


Idris ferme les yeux et se frappe le front parce qu’il comprend que je viens de prendre ma décision et qu’il ne pourra rien y faire. Je vais faire une bêtise et l’assumer. Comme je l’ai toujours fait. Sa mère écarquille les yeux, surprise par ma répartie. Je pense que c’est le genre de femme qui se permet de toujours livrer le fond de sa pensée mais qui ne s’attend pas à ce que la même politesse lui soit rendue. 


— Vous travaillez vous. Non ? Mais moi je dois rester à la maison ? Vous croyez qu’on est à quel siècle exactement là ?

— Je n’ai pas eu le choix quand mon mari est mort. Lui en vie je n’aurai jamais eu à le faire. 


Pourquoi voit-elle le travail comme une corvée. Si le travail a été libérateur pour l’homme, il l’est aussi tout autant pour la femme. Pas besoin d’être féministe pour s’en rendre compte. 


— En fait vous faites partie de ces femmes qui n’ont jamais aimé travailler, prendre des décisions. Vous faites partie de ces femmes qui parce qu’elles n’aiment pas travailler, trouve le moyen de culpabiliser celles qui ne sont pas comme elles et aiment le faire. Ce que vous aimez c’est vous faire entretenir par un homme. Garder vos enfants, prendre soins de votre maison et de vos enfants ce qui est surement merveilleux. Mais ça vous saoule que d’autres femmes arrivent à faire avec virtuosité ce que vous n’avez été jamais foutu de faire malgré vos grands airs…

— Manu… intervient Idris. 

— Quoi Manu ! je réplique en le regardant. Elle a le droit de m’insulter et moi je dois me taire.

— Tu parles à ma mère… calme-toi. Tu n’es pas obligée de crier pour t’exprimer.  

— Petite folle va ! peste-t-elle en se levant.


Je regarde Idris.


— Je pensais que le prophète était un homme qui ne jugeait pas, et demandait que tout bon musulman accueille son semblable dans la paix et la miséricorde. Je croyais qu’on n’obligeait personne à se convertir, car l’islam sans la foi ne vaut rien. 

— De quoi parle-t-elle ? 

— La dévergondée a passé 5 ans avec votre fils, je lui réponds en souriant. Toutes les fois où vous l’avez blessé par votre manque d’empathie, j’ai été l’oreille compatissante. La dévergondée en a appris des choses grâce à lui. Il était tellement tolérant envers mes conneries que ça a changé en moi à tout jamais l’idée même que j’avais de la religion. Je ne crois pas en Dieu ou du moins je n’y crois plus. 

— Astagh firou Allah !!! s’exclame –t-elle sans réussir à me couper dans mon élan. Faire écouter à mes oreilles des bêtises pareilles. 

— J’ai trop souffert pour penser qu’un être la haut peut accepter que des enfants soient traités comme des moins que rien sans réagir, sans leur venir en aide. Et votre fils est celui qui m’a fait penser que j’avais peut-être tort et qu’il y avait peut-être quelque chose à sauver en moi.   Et là tout de suite la question que je me pose est : comment une femme comme vous a pu élever un homme aussi tolérant que lui ?  

— Tu manques d’humilité ma fille. 

— Tout comme vous. Un point partout, balle au centre.

— Parle-lui ou fais la partir de ma maison. 


Je me lève à mon tour. Tout au fond de moi, je suis tremblante de honte et de peur mêlée. Mais je ne l’affiche pas. Cette journée est un peu comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. 


— Gardez votre fils. Si parfait. Je garde mon garage. Mon garage c’est mon mari. Il paie mon loyer, m’occupe, prend soin de moi…

— Tu l’écoutes ? Et c’est elle que tu veux en lieu et place de Zeina ? C’est ton garage qui va te faire des enfants ? C’est ton garage qui va te soigner quand tu seras malade ? C’est ton garage qui va t’appeler maman ? regarde quelle folle tu veux m’emmener à la place de Zeina !


La belle Zeina, je l’avais presque oubliée. 


— Maman tais-toi !

— Je suis malade et c’est comme ça que tu me parles maintenant ?

— Idris, pas la peine d’intervenir encore une fois. Après m’être fait traitée de dévergondée ? Je serai vraiment « folle » de rester. 

— Manu… murmure Idris.

— Oui c’est ça, va-t’en. Dieu merci, s’exclame sa mère le sourire aux lèvres. 


Et cette fois-ci, il n’est pas feint. Je vais lui en coller une si je reste ici. Et ça Idris ne me le pardonnerait jamais. Sans dire au revoir, je fais passer mon sac sur mon épaule et salue Idris d’un petit signe de tête. A peine je dévale les marches d’escalier qui mènent à la cours principale qu’il me rattrape. J’ai toujours détesté cette maison. Il ne m’est jamais rien arrivé de bien ici.


— Laisse-moi partir ou je vais lui en coller une. 

— Comme tu voulais en coller une à Harold? 

— Tu l’as laissé me traiter de chienne ! Je ne supporte pas les mecs qui se laissent faire !

— Je l’ai laissé… Non mais je rêve là Manu ! Il était bourré ! je lui ai demandé de se répéter et il a préféré bien fermer sa gueule ! Ce n’était pas suffisant pour toi ? La dernière fois que j’ai réagi tu te rappelles de ce qui s’est passé ! 


Je tire mon bras pour qu’il cesse de me faire mal. Mais il ne me lâche pas. Ses doigts s’enfoncent dans ma chair à mesure que le ton monte entre nous. 


— La dernière fois c’est toi qui étais saoule ! Tu l’as traité d’enculé, il a voulu te frapper, je suis intervenu. J’ai juste voulu le calmer, il est tombé tout seul, il s’est déchiré l’arcade sourcilière. Il a appelé son frère flic. Le jour même, je m’en rappelle comme si c’était hier, c’était un vendredi, ils m’ont embarqué en me faisant bien comprendre que je n’étais pas dans mon pays ici et que je n’avais pas à faire chier les vrais gabonais. J’ai passé le week-end en cellule. Toute ma famille m’a cherché dans Libreville. C’était la fin du mois et je n’avais pas un rond sur mois pour négocier. T’es venue payer le lundi pour qu’on me relâche. Tu t’en rappelles ou pas de ça. Les mecs bourrés tous les soirs c’est pas mes amis, ce sont les tiens qui sont devenus les miens par la force des choses… Si je voulais trainer avec toi il fallait bien que je les accepte alors que leur comportement était loin d’être irréprochable. Alors si t’es potes avec des mecs qui ne savent pas te respecter une fois qu’ils sont bourrés parce que tu agis de même avec eux quand tu l’es que dois-je faire ? Dis le moi Manu. Que voulais tu que je fasse ? Que je lui casse la gueule ? Puisque pour toi c’est ça un homme. Il doit réagir au quart de tour… affirmer sa personnalité, son fort caractère à tout bout de champs même quand ça peut lui causer des problèmes. Je devrais être tout feu tout flamme n’est-ce pas ? Ne pas me soucier de t’empêcher de faire des conneries mais plutôt les faire avec toi ! Je ne suis pas comme ton père… Ce n’est pas parce que je suis calme que ça veut dire que je suis lâche. Ne te méprends pas sur mon compte.  

— Laisse-moi. Si tu n’étais pas lâche tu te serais déclaré depuis longtemps… tu n’aurais pas laissé tous ces hommes…

— Coucher avec toi ?

— Obtenir ce que tu voulais toi… On n’en serait pas là. 

— Mais Manu ce n’est pas moi qui me suis offert… c’est toi et rien que toi. C’est  toi qui dis à tout le monde que c’est ton corps et tu en fais ce que tu veux. Quel droit pouvais-je bien avoir sur toi pour t’empêcher de le faire? Ton travail c’est ton mari, ton compagnon, c’est toi-même qui viens de le dire. Quelle place laisses-tu à un homme ? Pourquoi penses-tu qu’ils sont tous partis ?  Tu es une femme libre. Tu ne laisses personnes t’imposer quoi que ce soit. Tu ne veux changer pour personnes, t’incliner devant personnes, obéir à personne. Tu ne reconnais jamais quand tu as tort… 

— Et pourtant tu es là… à me supplier de t’épouser…


Il me lâche enfin la main. J’aurai souhaité le dire avec un autre ton. Mais il est trop tard pour retirer mes mots. Il y a une note de mépris dans les termes que j’ai utilisé. Je m’approche et il recule d’un pas. On se regarde droit dans les yeux un long moment. J’aimerais me blottir dans ses bras et lui dire qu’on efface cette journée pour la recommencer entièrement. 


— Parce que je t’aime Manu. Si j’en suis à te supplier c’est parce que je t’aime. Et cela malgré tout ce qui en moi me dit de ne pas le faire… J’ai beau essayer de ne pas t’aimer… Je n’y arrive pas ! 


Bon ben nous y voici. A la vérité toute crue. 


— Alors au final … tu penses comme ta mère que je ne suis pas digne de toi. Tu t’empêches de m’aimer mais tu n’y arrives pas. Et je devrais donc être si heureuse que Saint Idris m’accorde un regard à moi la Marie Manuelle, la prostituée de notre terrible histoire… Tu excuseras mon crâne rasé, je n’ai pas de cheveux pour te laver les pieds avec, dis-je en applaudissant.

— Ne fais pas ça ! Ne me jette pas ton mépris au visage comme tu le fais avec les autres.


J’inspire pour me calmer et tends la main devant lui en le regardant droit dans les yeux pour qu’il comprenne à quel point je suis déterminée. 


— J’aimerais que tu me rendes les clefs de chez moi. 

— Manu…

— Ma clef s’il te plait. Je ne suis pas digne de ta famille, je ne suis pas digne de toi, je ne suis peut-être même pas digne de moi-même, qui sait ! Mais je vais apprendre à l’être. Pour que plus jamais une femme comme ta mère puisse se permettre de me traiter comme une moins que rien.

— Manu…

— Ma putain de putain de clef ! 


Il fouille dans ses poches et les décroche de son trousseau sans me les donner. Je les lui arrache des mains. Comme un esclave arracherait à son maitre, sa liberté.


— Ne fais pas ça Manu… 


Les yeux secs, le regard implorant, il est comme statufié par ma détermination. Je n’ai jamais su refuser quoi que ce soit à Idris parce qu’il m’a toujours accordé ce que je voulais. Toujours, quoi que ça lui en coute. Il ne mérite pas ça mais je ne le mérite pas non plus.

Je me résigne. 

Si on avait vraiment été fait l’un pour l’autre, les choses ne seraient pas si insensées entre nous. 


Je le serre dans mes bras et pose ma joue contre son torse pour ressentir sa chaleur. J’entends son cœur battre en désordre. Il caresse ma tête, puis me serre fort à m’étouffer. Je sens une peine dans mon cœur que je n’avais ressenti qu’une seule fois auparavant. Quand mon père m’a abandonnée. Je m’étais toujours dit que des ex j’en aurai plein, mais qu’il n’y aurait toujours qu’un seul Idris dans ma vie. Mais là ça ne peut pas continuer.


— Si tu me croises dans la rue ou n’importe où encore, fais comme si tu ne me connaissais pas. Trace ta route. Ne m’appelle plus jamais. Restons-en là Idris. 

— Ne fais pas ça.

— Dis merci à ta mère pour son intervention. Elle n’a pas totalement tort après tout. C’est toi-même qui dis que Dieu devrait être au centre de toute chose dans une vie bien menée. Epouse Zeina, elle t’aime. Elle sera surement à la hauteur des très grandes attentes de ta mère. Je ne peux pas lutter contre ça, je ne veux même pas essayer. J’ai déjà donné dans les belles mères castratrices. Et ça m’a fait haïr mon père. Je ne crois peut-être pas en l’amour mais je crois en toi Idris. Et je ne veux pas te haïr. Parce que c’est ce qui arrivera si nous insistons. 

— Aime-moi. Sans réfléchir, sans penser aux conséquences. Ca suffira. Je te promets que ça suffira. Laisse-nous une chance. 


Je le repousse loin de moi. Il se laisse faire. Nous entendons tous les deux sa mère l’appeler au loin. Je recule d’un pas. 


— Elle est malade Manu. Ne t’en va pas. Je vais voir ce qu’elle veut. S’il te plait ne t’en va pas. 


Il tourne les talons et court voir ce qui se passe. J’en profite pour m’en aller sans regarder derrière moi. 


*

**


Je suis dans la voiture depuis une bonne vingtaine de minutes maintenant. Mes mains tremblent. Je ne me sens pas bien du tout. J’ai jeté ma puce et en ai acheté une autre  l’instant même. J’appelle la seule personne que j’ai besoin de prévenir. Il décroche au bout d’un moment. 


— Excuse-moi, j’espère que je ne te dérange pas. 

— C’est qui ? 

— Manu. 

— Salut petite. C’est le numéro de qui ça ? 

— Mon nouveau numéro.


Je pleure. Fichues larmes qui m’empêchent d’une voix calme et posée. Pourvu que Patrick ne dise rien, sinon je vais éclater en sanglot.


— Est-ce que tu pourras tenir le garage un moment sans moi ? 

— Oui pas de souci. Mais c’est quoi le problème ? 

— Ca va, ça va…

— T’as encore fais une bêtise toi ! Attends j’appelle Idris.

— Non… C’est lui la bêtise… Ne l’appelle pas. 


C’est les grandes eaux maintenant. Je m’essuie le nez avec la main puis sur mon tee-shirt. Bordel de merde, je pleure comme une ado qu’on vient de plaquer. L’amour c’est vraiment du grand n’importe quoi. C’est pire qu’une gueule de bois. 


— Il a enfin dit qu’il t’aimait…

— Comment…

— Mais Manu entre hommes on se connait hein. Et quand tu vois un garçon comme lui se tenir à carreau et supporter toutes tes conneries sans rien dire et toujours être là pour toi. On ne cherche pas midi à 14 heures. 

— Sa mère…

— Hum madame Diop. Je la connais cette femme, il faut t’en méfier hein. Elle a une société de BTP là, les employés ne restent jamais plus de 6 mois chez elle. 


Je lui raconte ce qui s’est passé. Il est un peu comme un père pour moi. Peut-être saura-t-il me dire quoi faire. 


— Je vais te dire la vérité comme je la vois Manu. Si tu veux épouser Idris, vends le garage et expatriez-vous loin de sa famille, sinon ça ne marchera pas. C’est un homme qui aime profondément sa famille, sa mère et toi… tu es à part. Peut-être que tu aurais dû être un homme, je n’en sais rien. Mais en tant que femme mariée, la société attendra certaines choses de toi. Je ne te vois pas les faire. et c’est une telle pression ma petite Manu. Une telle pression. 


Tandis qu’il parle, je sors de la voiture et claque la portière. Je marche rapidement car un vent froid s’est levé. Il soulève les vieilles branches et de la poussière en tourbillon. Il va pleuvoir cette nuit. Lorsque j’arrive devant chez moi, je sors la clef de ma poche. C’est celle que j’avais donné à Idris. Elle brille comme si elle était encore neuve.


— Je t’attendais, me dit une voix derrière moi, me faisant sursauter.


J’ai bien failli lâcher mon téléphone.   


— Patrick, je peux te rappeler. 

— Comme tu voudras. Hé Manu. Tu sais quand j’étais au lycée j’étais fou amoureux d’une fille. Je voulais l’épouser. Mes ses parents ne voulaient pas parce que je n’avais pas un rond pour payer la dot. Tu sais ce qui s’est passé ?

— Non, je réponds tout en continuant de fixer l’homme devant moi.

— J’ai épousé à la place une fille de mon quartier que je n’aimais pas beaucoup au début mais qui était amoureuse de moi. Ses parents m’ont même aidé en diminuant la dot. Et aujourd’hui, ça va faire 30 ans qu’on est mariés. C’est la femme de ma vie et je ne l’aurais pas parié à cette époque, je pensais m’être marié par dépit, pour prouver à l’autre que j’étais capable. Comme quoi parfois c’est pas plus mal de ne pas insister. 

— Ok, j’ai compris. 

— Bon bonne nuit. Donc s’il cherche ton nouveau numéro je ne le donne pas ? 

— Non. 

— Tu ne passeras pas au garage non plus ? 

— Non. Je vais prendre des congés. 

— Ahhh ! tu n’en avais jamais pris auparavant. 


Je n’en avais jamais senti l’absolu nécessité. Je raccroche et soupire. Pierre fourre ses mains dans ses poches et dandine d’un pied à l’autre. 


— Tu n’allais jamais me rappeler n’est-ce pas ?  


Ce n’est vraiment pas le moment. Mais comment le lui dire sans passer pour une connasse. J’en ai marre de jouer les indifférentes, celle qui se fiche de tout. 


— Non, je n’allais pas le faire. 

— Donc c’est une nuit et basta ! waouh c’est chaud.

— Ecoute Pierre… t’es un mec mignon, plutôt friqué, pourquoi tu insistes avec moi…La je suis juste pas d’humeur…


Je voulais le dire d’une voix dégagée, genre : je maitrise la situation. Mais c’est parti en sucette dans ma tête et ma voix est montée dans les aigus. Mes yeux s’inondent de larmes. Je n’y vois plus rien, tous les contours deviennent flous. Mais son regard navré qui m’enveloppe, je le sens. 


— Ça fait un mal de chien hein, murmure-t-il comme s’il avait tout deviné. 


Je ne sais même pas pourquoi j’ai mal. Il y a un mois encore, je n’avais aucune idée des sentiments d’Idris pour moi. 


— Je suis passé par là et sache Manu que quoi que tu en penses à cet instant précis… Même si tu as l’impression que rien n’a de sens, que ça fait trop mal pour pouvoir être oublié un jour… sache que c’est faux. Le temps. C’est tout ce qu’il te faut. Du temps…


Je pose mon front contre sa poitrine et je laisse les larmes couler. C’est le seul contact entre nous. 


— Ecoute., c’est surement prématuré comme proposition mais j’ai une grande maison. Très grande. Grande et vide. Viens passer quelques jours. Promis je ne t’obligerai pas à préparer… On mangera des corn flakes le soir et des nikes le matin et à midi le SPV international…


Je me redresse et essuie mes yeux. Mais de quoi parle-t-il ? 


— C’est quoi un SPV ?

— Hum avec une telle question je doute de ta nationalité hein. Tu ne connais pas le fameux spaghetti viande de Diallo qui est vers chez moi ?

— T’es malade toi ! 

— Non, je connais les vraies choses du pays c’est tout. 

— Le SPV c’est de la merde, le vrai de vrai c’est le sans feuille !

— Ah j’aime une femme qui s’y connaît en plats de cafète…


On éclate de rire tous les deux. 


— Allez ! viens. Qui dirait non à des abdos de rêve, ajoute-il en soulevant légèrement son tee-shirt et en contractant ses muscles.

— Il te manque une case. Sérieux, c’est quoi ce truc de montrer ton ventre ? 

— Nahhhh. C’est pas un truc, c’est mon arme fatale. 


Je regarde la clef de chez moi puis lève les yeux vers Pierre. 


— T’es garé où je n’ai pas vu ta voiture en arrivant ?

— Je l’ai planquée un peu loin. Je me suis dit que si je la garais devant chez toi, en la voyant tu taillerai la route. 

— C’est vrai que c’est ce que j’aurai fait. 

— Alors c’est oui ? 

— Je serai de très mauvaise compagnie Pierre. 

— Ce n’est pas grave. Je fais avec. 


Ce n’est pas grave. Il va falloir que moi aussi je fasse avec.

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