Chapitre 9

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 9


Je me brosse les dents avec application. C’est bête comme j’ai horreur de patienter pour bien respecter mes trois minutes de brossage. Pierre cogne à la porte pour me demander de le rejoindre à la cuisine. Je lui dis que j’arrive la bouche pleine de pâte dentifrice. Je me suis réveillée en sursaut après un rêve insensé. Je ne savais même plus où je me trouvais. Il m’a fallu une bonne minute avant de me rappeler que je n’étais pas dans ma chambre mais dans la chambre d’ami de Pierre. Pierre qui se révèle être un hôte parfait. Comme promis, il est absent toute la journée et rentre le soir pour se restaurer, bavarder ou regarder la télé avec moi, dormir dans sa chambre et moi dans celle du bas et le lendemain, tout recommencer.  

Ça va faire une semaine que je ne suis pas sortie de chez lui.  

Ça va faire une semaine que je n’ai pas bu avec mes potes. 

Ça va faire une semaine que je n’ai pas passé du temps au garage. 

Ca va faire une semaine que je n’ai pas vu Idris. 

Tous ces changements devraient me rendre dingue mais ça m’a au moins permis de comprendre une chose. 

 

Je peux me passer des fêtes avec mes soi-disant potes. Fêtes arrosées où la plupart du temps je payais tout parce que j’étais celle qui n’avait pas de réelles charges. Eux avaient parfois des crédits à rembourser, des enfants à scolariser, des copines à nourrir, des loyers à payer...  

Je ne suis pas obligée de passer tout le reste de mon temps au garage comme si ce garage devait tout définir en moi. J’ai le droit de prendre du recul et de faire autre chose de mon temps libre. 

Mais concernant Idris, je n’arrive pas à me débarrasser du sentiment de manque.  Surtout lorsque je me rends compte à quel point ces conseils étaient précieux.  

 

— Dépense pas tout ton argent en fête avec tes amis Manu. Ils profitent de toi parce qu’ils savent que tu as l’impression d’être seule sans eux. Ce que tu gagnes, épargne s’en 20% chaque fois. Ça te servira plus tard, tu verras.  

 

Aujourd’hui, j’ai une épargne solide et une entreprise qui fonctionne bien. Je peux me poser quelques temps, sans être paniquée. Les fêtes et le boulot, c’était pour remplir ma vie quand Idris n’était pas là. Avec quoi je vais le faire maintenant que c’est lui qui n’est pas là ?  

Je pose la brosse et me rince la bouche avant de rejoindre Pierre à la cuisine. Aujourd’hui, c’est le premier samedi du mois donc il ne bosse pas. On s’est réveillés tard parce qu’on a passé la nuit à parler de business. Ça fait du bien de parler de problèmes de cash ou de documents administratifs à une personne entrepreneur comme moi.  

Il y a deux assiettes sous cloche posées sur le plan de travail ainsi qu’une baguette de pain. Je prends place et il fait de même. En silence on ouvre nos plats et j’éclate de rire. J’ai droit à des pâtes avec de la sauce tomate et des morceaux de viande de bœuf. Le fameux spaghetti viande de chez Diallo.  

 

— Tu mérites ce cadeau que je te fais. Ton palais va enfin découvrir le SPV le plus parfait du monde. Regarde comment ça dégouline de mayo, comme ça tu vas arrêter de maigrir parce que si ça continue comme ça, les gens vont croire que je te séquestre chez moi. Tu as vu le piment qui est esthétiquement dosé sur le côté ? C’est du grand art ce piment. Il doit être en réalité vieux d’une semaine. Ça va bien te déboucher la tuyauterie. 

— T’es con ! 

— Mange ça va refroidir, dit-il avec le plus grand sérieux. 


La voix d’Idris résonne dans ma tête et je me laisse à nouveau submerger par nos souvenirs à deux. A chaque fois que je le voyais effectuer ses ablutions,  déplier son tapis de prière et prier avec ferveur, je souriais, étonnée de voir cet homme qui acceptait tout de moi dire Allah. Mon sourire goguenard ne le perturbait pas plus que ça. Je ne comprenais pas pourquoi il priait chaque jour avec autant de ferveur. Il me répondait de son air pénétré, de ces yeux qui riaient de l’enfant déçu en moi: 


— « Tu as prié quand tu étais petite et tu n’as pas entendu de réponse à tes prières et tu en as déduit que Dieu n’existe pas. Moi, qu’il réponde à mes prières ou pas, je sais qu’Il est là pour moi. Dieu ce n’est pas forcément, une réponse à une demande d’aide, ou un miracle qui te simplifie la vie. Dieu est une présence continue en nous. Parfois on doit passer par certaines expériences difficiles pour forger notre foi en Lui tu sais. Et c’est cette foi qui affirme sa présence et sa présence qui répond à nos prières. 

— Dieu m’a abandonnée.

— Dieu ne t’as pas abandonnée. C’est toi qui ne t’es pas assez accroché à lui. Aujourd’hui, je n’ai aucun problème sérieux dans ma vie. Mais je prie avec la même ferveur que si j’en avais un parce que je veux affermir ma relation avec Dieu. Ainsi quand la tempête se lèvera, je n’aurai aucune crainte. Je verrai d’un œil claire l’once de bonheur dans l’océan de douleur. Et cela m’aidera à attendre les beaux jours.

— Oh tu me fatigue quand tu parles comme un vieil Imam.

— Mais quand je t’apporte des chocolats ça ça ne te fatigue pas hein.

— Tu as du chocolat ? 

— Oui. Regarde dans le sachet que je t’ai donné.»


Je n’ai rien compris à ce qu’il m’a dit ce jour-là. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression d’y voir plus clair. Pierre est comme l’once de bonheur dans l’océan de douleur. Je devrais être heureuse de l’avoir rencontré pile poil au moment où j’avais besoin de m’éloigner de mes anciennes connaissances pour me concentrer sur moi-même.    


— Aujourd’hui il faut qu’on sorte. Je n’en peux plus de ta bouille triste. 

— Où veux-tu aller ? j’arrive à lui demander tandis que le piment que je viens d’avaler me donne les larmes aux yeux.

— Quoi tu veux bien sortir ? s’exclame-t-il en posant sa fourchette pour s’essuyer la bouche avec sa serviette.

— Oui. Ce serait vraiment mal élevé de ma part de dire non.

— Et si on sortait te faire de petites courses ? Mes tee-shirts te vont à merveille mais ça me fait trop penser à l’après-sexe et du coup, je me sens à l’étroit dans mon pantalon et du coup, ça me donne envie de…

— C’est bon j’ai compris !

— Alors c’est oui ? 

— Oui. Mais il faudrait que je passe chez moi prendre du cash et ma carte. 

— Pourquoi ? 

— Comment ça pourquoi ? Il faut de l’argent pour faire des courses non ? 

— C’est moi qui t’invite, donc c’est moi qui offre ! Ne fais pas ta blanche !

— Faire ma blanche ? 

— Ce sont les blancs qui invitent et qui font payer les personnes qu’ils invitent. C’est vraiment un truc de pingre. J’ai horreur de ça. 


Je fronce les sourcils et essaie d’analyser calmement la situation. J’ai bien compris que Pierre a de l’argent et qu’il a la main plutôt « ouverte ».  Il est généreux et ne s’en cache pas. Il y a même une pointe de vantardise dans sa générosité mais pas de quoi faire peur. C’est plutôt plaisant. Un peu comme un enfant serait fier de partager ses jouets avec d’autres qui n’en ont jamais eu. 


— Attends, tu réfléchis à si tu dis oui ou non là ? demande-t-il ébahi.

— Bah oui.

— T’es cinglée ! T’es quel genre de filles toi ? 

— Le genre qui achète elle-même tout ce qu’elle porte. Je quémande rien.

— Mais … C’est pour me faire plaisir…

— M’acheter des trucs ? 

— Oui. Ça me fait plaisir de te faire plaisir si tu veux. 

— Non c’est bon. Ca va. C’est gentil d’avoir voulu le faire mais ça va. 


Pour la première fois depuis qu’on se connait, il a l’air un peu énervé par mon attitude. 


— Je peux te poser une question ? 

— Vas-y ? 

— Pourquoi tu réagis comme ça ? 


Oh comme tout le monde j’adore les cadeaux. La vie est devenue assez compliqué pour qu’on puisse tous apprécier un truc offert par quelqu’un de proche. Mais j’ai aussi eu une expérience assez désolante qui m’a servi de leçon. 

Avec mon premier petit copain qui aimait bien m’offrir des babioles avec les sous qu’il gagnait en faisant des paris sportifs. Sauf que le jour où j’en ai eu assez de lui, il m’a tranquillement demandée de lui rendre tout ce qu’il m’avait offert. Je lui ai répondu que j’allais tout lui rendre sans problème. Je n’étais pas tant que ça attachée aux jeans et tee-shirt de marque offerts. Sauf qu’il a croisé les bras devant tout le monde et m’a dit de lui rendre aussi ce que je portais. Sur le moment, j’étais tellement abasourdie que je n’ai pas su quoi lui répondre. Les serveuses autour de nous lui ont dit que ça ne se faisait pas mais il était tellement énervé par le fait de s’être fait largué par moi qu’il n’a pas voulu changer d’avis. On était en plein milieu d’un diner au restaurant. J’aurai peut-être pu choisir un autre endroit pour lui annoncer qu’on devait se quitter mais jamais je n’aurai pu imaginer qu’il réagirait ainsi. Son but c’était de m’humilier, de me faire comprendre que je n’avais rien, sans lui. A l’époque je reprenais à peine le garage et chaque sous comptait alors oui, je n’avais pas grand-chose à me mettre quand on sortait ensemble. C’était avec joie et naïveté que j’acceptais qu’il m’achète des choses. Je ne savais pas que ce serait pour me les réclamer quand on se séparerait. 

Mais déjà à l’époque j’avais ma fierté. C’est avec un avec un grand sourire que j’ai enlevé le maillot du PSG ainsi que le jean Levi’s original devant les autres clients complètement ahuris. Cette Scène est restée fichée dans ma mémoire à jamais. Je trouvais ça humiliant mais je n’ai pas flanché. Je suis resté en dessous, soit une brassière de sport et un mini short qui m’arrivait au ras des fesses. Heureusement pour moi que j’avais de quoi me payer un taxi et rentrer chez moi digérer au calme l’humiliation. Ce jour, j’ai compris que les hommes sont lâches comme mon père mais aussi mesquins à leurs heures perdues. J’ai compris qu’ils ne font pas tout de bon cœur et qu’il faut savoir avec qui baisser sa garde. 


Alors je raconte ma mésaventure à Pierre comme je l’avais racontée à Idris. L’attitude du mec de l’époque ne l’avait pas beaucoup amusé. 


— Je ne sais pas avec quel genre d’imbécile tu es sortie auparavant mais ne me mets pas dans le même sac, me fait-il le plus sérieusement du monde. Quand elle m’a quitté, elle s’est barrée avec tout ce qu’il y avait dans la maison. En dédommagement de toutes les années passées avec moi sans lui avoir passé la bague au doigt. Elle a pris jusqu’aux allumettes de la cuisine. Tu te rends compte ? Tu penses que je suis allé récupérer tout ça sous prétexte que c’était mon argent ? 

— Tu ne l’as pas fait ? 

— Non ! je sais que c’est à la mode, le truc des femmes fortes et indépendantes mais … C’est à moi de t’offrir certaines choses aussi riche sois-tu ! Si t’es belle à mon bras c’est moi que ça honore….Tu ne sais pas ça ?


Je secoue vivement la tête. Il me parle comme si on sortait ensemble. 

 

— Mais avec quel genre d’énergumène tu sors d’habitude ? Tu veux dire que depuis ton premier mec … On ne t’a plus jamais rien offert parce que tu prenais le soin de tout acheter toi-même ? 

— Bah. C’est devenu une habitude du coup, ça ne me gêne vraiment pas de tout acheter moi-même. Et puis j’avoue que je ne sortais pas vraiment avec des mecs riches donc, ça arrangeait tout le monde que je me débrouille bien sur le plan financier. 

— Ok, je vois. 

— Et puis c’est un peu paternaliste cette vision de la femme tu ne trouves pas. Si je suis belle à ton bras, avant que ça ne t’honore toi, c’est d’abord moi que ça devrait honorer. Ma supposée beauté devrait m’appartenir à moi, pas à toi. 

— Te méprends pas sur ce que je t’ai expliqué. C’est un genre d’échange si tu préfères. Je te fais plaisir et toi aussi tu me fais plaisir. 

— Comment ça un échange ? 

— Par exemple, si tu vois un beau calecif ou un tricot c’est à toi de me les acheter… des chaussettes, ce genre de truc. Tout le monde sait ça Manu, dit-il en se frappant le front. 


Bah moi non. Il faut dire que je n’ai pas eu de relation assez suivi et sérieuse pour en arriver à acheter des caleçons à un homme. Soudain, il lève les sourcils tellement hauts qu’ils touchent presque ses cheveux. 


— Oh mon Dieu je sors avec une gamine. Attends, tu as quel âge ?

— Ce n’est que maintenant que tu t’en inquiètes ? 

— Oh mon Dieu je vais faire de la prison pour détournement de mineure !

— Pas la peine de paniquer j’ai largement l’âge de faire des galipettes avec toi. 


Je ramasse nos assiettes, les rince dans l’évier puis les fourre dans le lave-vaisselle. Il va vraiment falloir que je m’en procure un, cette machine est une vraie merveille. Pierre s’approche tout doucement et pose son menton sur mon épaule. 


— Si je te laisse partir chez toi récupérer du cash, je sens que tu ne reviendras pas.

— Pourquoi tu dis ça ? je n’ai absolument rien à reprocher à ton accueil. 

— Tu es comme un animal sauvage que je cherche à …

— Domestiquer ? 

— Non apprivoiser. Si tu retournes trop tôt à la vie sauvage, ça sera fichu pour moi. Tout mon travail, toute cette patience d’ange … Fichue.

— T’es con. 


Il m’oblige à me tourner vers lui pour pouvoir me regarder dans les yeux. Pierre est un bout en train. Il a se petit côté chenapan auquel on peut difficilement résister. Il est drôle et agréable à regarder. Mais c’est avec le plus grand sérieux qu’il me parle. 


— J’essaie de me la jouer cool mais j’ai vraiment, vraiment envie que tu baisses ta garde avec moi. Juste pour voir ce que ça donne. 

— Pourquoi ? A quoi ça sert ? 

— Je me sens bien avec toi, comme jamais auparavant… C’est tellement dingue que j’en deviens mièvre et collant avec toi alors qu’on ne couche même pas ensemble. 

— Je suis désolée. 

— Ne le sois pas. Je me sens bête et vulnérable parce que je ne sais toujours pas si tu t’intéresses à moi ou si je t’amuse tout simplement.   


J’ai l’impression de m’être embarquée à nouveau dans quelque chose dans je ne distingue pas très bien les contours. Mais ça n’a rien d’effrayant. Je me sens comme un marin hypnotisé par le chant d’une sirène.  


— Tu avais dit que tout ça n’était pas sérieux. Que tu comprenais que j’ai encore des sentiments pour Idris…

— J’ai menti, coupe-t-il sans me laisser une chance de terminer ma phrase. J’ai menti Manuella. Quand je te vois marcher chez moi avec juste un de mes tee-shirts sur le corps pendant que tes jambes sont nues et que tes soins pointent, j’ai envie de te prendre sans te l’enlever… 

— Pierre…


Ses mains grandes et puissantes se faufilent sous le tee-shirt. Ma respiration se fait lourde et mon cœur rate quelques battements. A quel moment mon corps s’est-il mis à apprécier la présence du sien ? 


— T’entendre rire à mes blagues idiotes, me donne envie de t’embrasser à en perdre haleine, murmure-t-il tout contre mes lèvres. Rien que ta présence à mes côtés me rend heureux…  Donne-moi une chance de rendre tout ça… réciproque. 


Comment dire non ? A ce regard serein et à ces lèvres pleines ? A cet homme qui me dit avec tellement d’entrain, ose m’aimer et tu ne le regretteras pas. Je tends les lèvres mais il dépose un baiser sur mon front me laissant perplexe et désemparée. 


— Tout ce discours pour m’embrasser sur le front ? 

— Si tu veux un baiser un vrai, il faudra venir le chercher…

— Tu rêves !

— Oh, j’ai confiance en ma bonne étoile. 


*

**

Trois semaines plus tard


Je regarde avec avidité le très gros chèque que je viens de toucher parce que Pierre a dirigé une société vers mon garage et que j’ai fait un boulot de dingue sur leurs voitures. 


— Tu crois que je devrais encadrer ce chèque ? 

— Tu ferais mieux de le toucher et d’encadrer une photocopie couleur, me conseille –t-il en me souriant. 

— Je vais prendre une photo de ce chèque et le mettre en photo de profil. 

— T’es dingue. 

— Je suis tellement contente. Tu me laisses payer cette fois hein. 

— Surement pas ma belle !


Je lève les yeux au ciel en signe d’exaspération. Nous sommes au restaurant « le Grenier » qui se trouve non loin de l’Université Omar Bongo. J’aime bien le riz thiep qu’ils y font car il est bien épicé et le service est professionnel. La télévision accrochée au mur diffuse une vieille émission télé que personne ne regarde. Je lève la main pour commander en plus de nos riz poulet, deux autres plats à emporter. 


— Le plat coute 1 500. Ce n’est pas ça qui va me ruiner ou diminuer ta virilité.

— Manu, on en a déjà discuté. Laisse tomber. C’est un principe et c’est non négociable. Il va falloir t’y faire.

— Ok. Pas la peine de t’énerver. 

 

On parle business. Il m’explique que la concurrence libanaise est assez difficile à ignorer dans son secteur d’activité et je lui donne des conseils sur les marques qui plaisent aux clients ces derniers temps. De la Hummer complètement dépassée aux Toyota toujours à la mode, on passe tout en revue jusqu’à ce que je me fige en apercevant une silhouette reconnaissable entre toutes. Zeina entre dans le restaurant, le téléphone collé à l’oreille. Elle me voit et me sourit avant de s’approcher de notre table. 


— Bonjour Manuella, comment vas-tu ? ca fait tellement longtemps qu’on ne s’est pas vu !

— Bonjour Zeina. Je vais bien merci.


J'espère que je n'ai pas l'air aussi agacée que ma voix semble le dire. Elle prend place et regarde Pierre. 


— Oh, je comprends pourquoi tu as disparu…Tu ne me présentes pas ? 

— Oh pardon. Zeina, je te présente Pierre. Pierre voici Zeina…

— La fiancée d’Idris, complète -t-elle avec gentillesse.


Le sourire de Pierre se fait plus large. Et moi je ne peux m’empêcher de jeter de petits coups d’œil à l’entrée du restaurant, le cœur à vif. Mais il n’apparait pas. Je peux mieux respirer. Apparemment, elle est seule. 


— Alors Zeina, tu es la fiancée d’Idris ! Comment les choses se passent ? demande Pierre pour meubler le silence. 

— C’est compliqué, répond-elle en détournant les yeux. Je suis contente de tomber sur toi Manuella parce que j’espérai que tu …

— On ne se voit plus, je coupe un peu plus durement que je ne l’aurais souhaité.


Au même instant, le serveur nous apporte nos plats à emporter. Je me lève précipitamment et paie avant que Pierre ne comprenne ce qui se passe. Je ne veux pas qu’elle se mette encore à me parler de lui alors que je suis enfin parvenue à tourner la page. 


— Je suis vraiment désolée Zeina mais on va devoir y aller. 

— Oh, pas de souci. J’espère ne pas vous avoir chassé de votre table !

— Pas du tout. On s’en allait de toute manière. 

— D’accord. A bientôt alors. 

— A bientôt. 


Sans rien ajouter on avance vers la sortie. Pierre sort les clefs de voiture de sa poche lorsqu’il se rend compte que j’ai oublié nos deux plats sur la table. Il me le fait constater et me tend les clefs pour que je m’installe le temps qu’il revienne. Je traverse la route l’esprit un peu ailleurs puis débloque la voiture pour m’installer sur le siège passager. 


— Je ne pensais pas qu’un jour, tu me traiterais comme tu as traité tous les autres avant moi. Je t’ai cherché comme un malade dans toute la ville. J’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose de grave alors qu’en réalité… c’est juste moi qui n’avais rien compris. 


Evidemment qu’il est là. 

Idris. 

Sa voix calme semble l’aider à maitriser ses émotions. Mais sous le vernis, perce la colère. 


— Tu couches avec Pierre ? 


J’en connais beaucoup qui ne l’aurait pas demandé avec autant de tact. Mais Idris reste Idris. En toutes circonstances. Non, je ne couche pas avec lui mais c’est tout comme. Je suis fourrée chez lui et j’aime sa compagnie et je veux lui donner une chance. Pourquoi ? Parce qu’il me l’a demandée avec force et conviction. Et parce que pas un seul instant il ne m’a dit : dis un mot et je ne ferai pas ci ou ça.   


— Est-ce important ? 

— Pour toi ou pour moi ? 


Sous l’insulte, la douleur. Je ne dis rien. 


— Ok. J’ai compris Manu. J’ai compris. 


Je ne me suis toujours pas retournée pour voir son visage. Je ne peux pas. Parce que j’ai choisi et ce n’est pas lui que j’ai choisi. A travers la vitre, je peux voir Pierre qui sort du restaurant et patiente pour traverser. Ce moment va être embarrassant, je le sens.  Je ferme les yeux pour me donner le temps de me préparer à me dépatouiller de tout ça. 


— Manu ça va ? demande Pierre une fois qu’il se trouve derrière moi. 


Je me retourne et ne vois Idris nulle part. Il est parti. Je le vois à son tour traverser la route pour rejoindre Zeina. Il est de dos mais je reconnais sa démarche.


— Oui Pierre. Ça va. 


Je m’engouffre dans ses bras, m’y sens à ma place. C’est étrange. Il me serre très fort. 


— Hé c’est à cause du thiep que tu me serres si fort ? 

— Non. 


Emmène-moi à la maison, je lui murmure tout bas à l’oreille. 


*

**


Deux ans plus tard. 


Si un jour quelqu’un m’avait dit que je porterai un truc aussi débile pour faire plaisir à un mec, je lui aurai bien ri au nez. Pierre doit rentrer dans quelques minutes alors je m’allonge bien sagement sur notre lit et patiente….

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