Eclipe Féminine : Les graines du mal

Write by Pullar Debô

[Jean Diarra]

Je regarde encore une fois ma montre. Il est presque treize heures. A-t-elle décidé de ne pas venir ? Après toutes ces années, ce serait tellement compréhensible. Peut-être s’est-elle dit que c’est une mauvaise idée ?

Hier quand je l’ai croisé dans les couloirs de cet hôpital, ça m’a ramené à des années en arrière, et en un instant, le temps qu’elle se retourne pour me regarder, tout m’est revenu. Tout ce que nous avions vécu, et même la douleur après que nous nous soyons perdus de vue.

Mais Marie, n’a pas changé. Il se dégage d’elle la même énergie enivrante, les mêmes vibrations d’ondes positives…

Trop de questions sont tellement restées en suspens que j’ai seulement envie de la revoir, et tout réapprendre d’elle.

  • Vous avez choisi votre plat ?

  • Euh non, j’attends quelqu’un. Ce sera pour plus tard.

  • D’accord.

La jeune serveuse venait de me faire un clin d’œil, pas vraiment innocent en partant. Ça m’amuse plus que ne me choque. C’est monnaie courante dans la capitale.

Dans ma tête, je me dis, elle viendra…

[Cheick Touré]

La discussion d’avec Marie, hier soir, m’a assez bousculé. Et pour ne rien arrangé, mon père, m’a demandé de passer à la maison, il voudrait « me parler ». Ça va partir dans tous les sens, j’en suis convaincu.

Est-ce que j’aime ma femme ? Quelle question ! Avez-vous seulement vu à quel point elle est belle ? Elégante et tellement soignée ? Si je pouvais, je l’enfermerais dans une cage dorée afin que personne, nul autre que moi, ne pose les yeux sur elle. Elle est Mienne.

Je décroche mon téléphone et compose un numéro.

  • Champion ! Comment tu vas mon pote ?

  • Bien. Ça fait vieux ! T’es perdu !

  • Le boulot, toi-même tu sais… Au fait j’aurais besoin que tu me rendes un petit service, pour aujourd’hui…

Après quelque minutes de communication, je raccroche, certain, qu’il fera ce que je lui ai dit. Une petite surprise pour détendre l’atmosphère à la maison et profiter de tout l’amour de ma femme, ce soir.

[Marie Diall]

Je gare ma voiture dans le parking du fameux « SHUIS », convaincue, que ce rendez-vous est une mauvaise idée. Ça ne l’est jamais, d’ouvrir la porte du passé. Mais, je ne sais pas. Ce serait bien d’avoir quelqu’un à qui parler, quelqu’un qui te connait si bien et qui accepte tout de toi. Changer d’atmosphère, ne peut faire que du bien.

En fouillant mon sac pour tenter de dénicher un rouge à lèvre, je cogne accidentellement une femme qui sortait de sa voiture, renversant son téléphone et son sac à elle.

  • Oh non, quelle maladroite ! Je suis tellement désolée…

  • Ce n’est pas grave. Ça m’arrive aussi, pour une fois que je ne suis pas la fautive.

L’écran de son téléphone s’est fissuré et je grimace. Tout ça pour un rouge à lèvre que j’aurais pu me mettre dans la voiture !

  • Et pour votre téléphone ?

  • Ça a pris un coup de vieux, une excuse pour le changer. Je vous assure, ce n’est pas grave…. Excellente journée madame !

  • Merci, et excellente journée aussi.

C’est une belle femme, de l’assurance à gogo et une pointe de tristesse dans les yeux. Et à elle, quelle est son histoire ?

Je retrouve finalement le rouge à lèvres et l’applique avant de rejoindre Jean dans le restaurant. Il jette un coup d’œil sur sa montre, j’ai pris du retard. Et quand il m’aperçoit il se lève pour m’accueillir.

  • J’ai cru que tu avais changé d’avis…

  • Jean ? Aurais-tu seulement oublié mon gout prononcé pour la gourmandise ? Qui refuserait une invitation à déjeuner ?

On se fait la bise et il me tire la chaise pour que je m’assoie. Me tirer la chaise ? J’ignorais que ça existe encore. Mais je sais une chose, il a toujours été attentionné et il sait donner dans les détails.

[Amsa Keita]

Assa vient de franchir les portes du restaurant. Je suis contente qu’elle ait accepté de venir.

Je me lève pour l’embrasser chaleureusement, elle porte ce doux parfum « Rose Gordea » De BVLGARI, surement celui que je lui avais offert il n’y a pas si longtemps.

  • Tu sens délicieusement bon.

  • BVLGARI a fait le son. (En riant). Tu n’as pas trop attendu ?

  • Non. Mais je me suis permise de nous commander à manger, j’espère que tu aimeras.

  • C’est parfait.

  • Est-ce que ça va ? Tu as l’air agitée ?

  • Oui, j’ai cogné une jeune femme en sortant de la voiture… C’est tout. A part mon chignon que je devrais refaire, tout va bien.

On parle de tout et de rien. Ça part de la banque pour laquelle elle travaille, à ma société de Com. Nous n’avions pas vu le temps passer.

  • Quand vas-tu te décider à me parler de la raison pour laquelle je suis là ?

  • Assa…

  • Quoi ? C’est vrai. Dans une demi-heure, je dois rejoindre le bureau pour une réunion… Autant faire ça tout de suite.

  • D’accord. Avant mon appel hier soir, j’ignorais pour les documents.

  • Il t’en a parlé ? Vraiment ?

  • Oui. Et il les a déchirés.

  • Quoi ?

  • Ça t’étonne ? Qu’est-ce qui te passe par la tête, à demander à ton homme d’aller voir ailleurs ? C’est ça, la solution pour toi ?

  • Une parmi tant d ‘autres, des solutions. Je n’y pas vraiment réfléchi. Mais Amsa, c’était ça ou le divorce. Les filles n’auraient pas supporté. Et sincèrement, ça ne va plus.

  • Et toi, tu penses pouvoir tenir un ménage à trois ? Sérieusement ? Tous les deux, vous traversez des moments difficiles, mais il n’est jamais prudent de prendre une décision toute seule. Je connais mon petit-frère, il est têtu, certes, mais tu sais que jamais il ne te quittera pour une autre. Pas pour cette raison et encore moins dans ces conditions-là. Il t’a blessé, c’est vrai. Ces mots ont été durs, mais tu lui as bien rendu la pareille en agissant ainsi.

  • C’est différent.

  • Ah oui ? Et pourquoi ? Un mariage, ça doit tenir. Vous deux, Assa, vous devez tenir. Pour les enfants et pour tout ce que vous avez construit ensemble. Accrochez-vous à ce qui vous unit, à ces instants qui vous ont rendu heureux tous les deux, et tenez bon. Dire que vous ne vous aimez pas, est une raison pour divorcer, oui, mais vous, vous vous aimez encore, c’est une évidence.

  • L’amour ne suffit pas. Parfois c’est ce qu’on aime le plus qu’on détruit. Il est aveuglé par une chose qui le dépasse. Une chose sur laquelle, ni lui, ni moi n’avions aucun pouvoir.

  • Alors donne-lui de la force pour passer à autre chose. S’il te plait, Assa, n’abandonne pas… ça m’attriste toute cette histoire. Ne lâche pas…

Un bip nous tire de la discussion, c’est son téléphone.

  • Désolée, il faut que j’y aille. Merci encore pour le déjeuner et pour tout. Je suis heureuse d’avoir discuté avec toi. Vraiment.

  • Merci à toi d’avoir accepté cette rencontre…

Elle me donne une bise sur la joue et se lève. L’émotion me gagne. Ces deux-là, c’est depuis trop longtemps pour finir ainsi.

Pour eux, je vois toujours amour et grâce dans leur foyer. Au fond de moi, j’espère que tout rentrera dans l’ordre.

[Marie Diall]

Jean travaille pour son propre compte, il est propriétaire du « Jackpot Market », une ligne de supermarchés : un sur chaque rive et dans quelques régions du pays.

  • Est-ce ta fille va bien ?

  • Oui, ça va beaucoup mieux. C’était une vilaine angine.

  • Tu as d’autres enfants ?

  • Deux, il y’a Isaac, trois ans et la petite, Elise, celle qui était malade, bientôt elle va avoir deux ans. Ça grandit tellement vite.

  • Oh ça oui ! Les enfants, c’est tellement adorable !

  • Et toi, des enfants ? Pas cinq quand même ? Tu as toujours rêvé d’une grande famille.

  • Ah tiens pour la nouvelle, je n’ai encore qu’une petite fille, Oumou.

  • Et tu es mariée depuis combien de temps ?

  • Trois ans…

  • Ça alors… C’est un sacré veinard ton mari. Il en a de la chance. Si bien-sûr tu es restée celle que j’ai connue.

  • Je n’ai pas changé.

  • C’est bien. Et Netty ?

  • Antoinette ? Tu n’oublies rien. Elle détestait ce surnom ! Mais elle va bien, casée et heureuse.

  • Ah la totale !

Nous avions parlé de tout et de rien. Chacun de nous, évitait de se remémorer le passé. Ce n’est pas comme toutes les rencontres. Ça ne sert à rien d’évoquer tout ce qui peut, encore aujourd’hui, nous blesser.

Un appel de Cheick coupe la conversation. J’y jette un coup d’œil et décide tout simplement de le rappeler une fois à l’hôpital. Ça fera l’affaire.

[Zeina Walet]

Je suis un peu dans les nuages depuis le diner d’hier soir. Comment vous dire : est-ce seulement possible qu’il ait autant de charme en une personne ?

Walid est si attentionné, que tout parait très beau pour être vrai. Cette soirée passée avec lui, c’était comme dans les films. De la magie…

  • He ho, tu m’écoutes ?

  • Désolée Leila, tu disais ?

  • Et toi, à quoi tu pensais ? Ce très cher Tall ? Sincèrement, je sais que je suis celle qui était partante pour que tu te lances, mais sois quand même prudente. Des crapauds déguisés en princes, ça court trop dans les rues de Bamako.

  • Lui, je préfère croire que c’est un prince, tout ce qu’il y’a de vrai. Alors tu disais ?

  • Cet imbécile ne décroche pas mes appels. Ça va faire une semaine !

  • Tu savais à quoi t’attendre…

  • Quoi ? Tu vas encore me faire la morale ?

  • Oui. Et je ne me lasserais pas. Cet homme est marié, Leila, qu’est-ce que tu espérais ? Qu’il te soit entièrement tien et super disponible ? C’est un faux type. Surement que ça va beaucoup mieux entre sa femme et lui, il s’est dit qu’il est temps de mettre fin à vos escapades en amoureux.

  • Je ne suis pas celle qui l’a dragué…

  • Oui, mais tu es celle qui s’est éprise de lui. S’il ne décroche pas tes appels, ignores-le et passe à autre chose. Je ne sais pas, moi, passe aux hommes célibataires ?

  • Je refuse de croire à ça. Il tient à moi, il me l’a prouvé plusieurs fois. Et si monsieur a décidé de rompre avec sa maitresse, que j’ai bien voulu être, il doit avoir assez de cran en lui, pour me le dire.

  • Ou de tact… Je sais ce qui te pique tant. Le fait que, pendant deux mois, il ait fait de toi le centre de son univers, qu’il se soit montré tellement disponible, qu’il n’ait pas hésité des fois à laisser sa famille le week-end pour passer du temps avec toi, mais qu’au final, il te tourne le dos comme si tous ses efforts n’étaient que ruses et qu’il ne désirait de toi, que tu animes sa vie, ou ne réchauffe son lit, le temps de regagner les bras de sa femme…

  • Souvent je me demande comment je fais pour te supporter… (En se levant)

  • Où-tu-vas ?

  • Quelque part où on ne me débite pas des sottises. En attendant appelle ton super mec le gentleman version limitée.

Si seulement la situation amoureuse de mes deux amies, pouvait me pousser à me lancer dans une relation sérieuse. Fatma a des sentiments pour quelqu’un qui ignore tout de son amour et Leila aime quelqu’un qui l’ignore complètement.

Pourtant, elle, Leila, malgré son statut de « maitresse » est une fille bien. Une débrouillarde, pas compliquée et super sympa. Elle est toujours tombée sur de chics gars, jusqu’à cet homme-là, il y’a quatre mois et il en a fallu deux, pour qu’il la prenne entièrement dans son filet.

Un type qui n’a pas l’air louche pourtant. Soigné, beau, mature, voir même un peu trop pour notre âge et « complètement » marié. Ça, c’est que j’appelle « piocher une carte ruse ».

Alors que je regardais de la terrasse, Leila en train de regagner sa voiture, je reçois : « Sais-tu qu’une escapade sur le fleuve est magnifique en cette période ? Je voudrais t’inviter. Dis-moi quand tu es disponible, je crains que tu ne me plaises plus que je ne le pensais. Alors tant pis, tu vas devoir me supporter. Bis. »

Je lui plais ? Une escapade ? Je ne me suis pas totalement remise de la soirée d’hier. Peut-être est-il trop tôt ? Mais pourquoi pas ? Le seul moyen de s’enlever des doutes, c’est de chercher des réponses.

Mais je décide quand-même de décliner. Leila avait raison, les crapauds se déguisent bien en gentils hommes. Je vais prendre du recul et tenter de connaitre au fond, qui est vraiment Walid Khaled Tall.

«  Ce soir, une sortie de prévue. Désolée. Mais j’adorerais pour une prochaine fois, si la proposition tient toujours ? Alors, est-ce là une confession ? »

[Cheick Touré]

C’est la fin de la journée, je gare ma voiture devant la maison de mes parents. Tata, arrêtée devant la fenêtre de sa chambre, crie mon nom en applaudissant, je me demande quand est-ce que maman compte la laisser grandir.

Assis dans le salon, mon père fait mine de ne pas me voir. Ma mère, fidèle à elle-même se lève pour m’enlacer.

  • Voilà mon fils ! Tu vas bien ?

  • Oui, ça va maman et toi ? Bonsoir papa.

  • Bonsoir. Assieds-toi.

  • Et au boulot ? Renchérit ma mère.

  • On s’accroche comme on peut. Alhamdoulillah.

Tata vient me donner la bise et m’apporter un verre d’eau. La mine de mon père n’a pas changé.            

  • Sais-tu pourquoi j’ai demandé à te voir ? Oui, bien-sûr que tu le sais, parce que tu n’es pas dupe, et parce que ce n’est pas la première fois, mais malheureusement, les choses ne vont pas en s’arrangeant.

  • Père…

  • Laisse-moi terminer. Quand tu l’as épousé malgré que ta mère, ici et moi-même ne fussions pas d’accord, nous avons placé notre foi, en ce qui a été dit. Un homme musulman peut prendre une femme chrétienne, à condition que celle-ci se soumette à ta religion. Voilà trois ans, qu’elle est sous ton toit mais pourtant, elle ne respecte rien de ce qui t’est propre : ta foi. Ce n’est pas elle qui nous manque de respect chaque jour, c’est en réalité toi. Toi, Cheick, notre fils.

  • Eh Dieu ! Fit ma mère.

  • Je t’appelle, parce que mon honneur est en jeu. Je ne désire pas que mes proches, mes amis et voisins me pointent du doigt. L’homme pieux qui s’associe avec une égarée. Je suis conscient que le mariage est sacré. Mais quelle femme, digne de ce nom, qui dit aimer son homme, est incapable de se conformer à ses choix, à ses volontés ? Ou tu n’en as pas, ou ça lui est égal. Je désire que tu prennes ta vie en main ou sinon, je le ferais à ta place.

  • Père… Jamais je n’ai souhaité vous déshonorer.

  • Tu as fait bien pire. Je te donne trois mois. Si pendant cette période, ta femme se comporte encore comme si elle est le chef de famille. Elle devra accepter de vivre dans un foyer polygame.

  • Eh, Eh. Touré, tu as parlé ! Digne !

Ma mère acclamait les paroles de son mari. Moi, je n’en reviens pas de ce que je viens d’entendre. Polygamie ?

  • Tu as bien droit à quatre femmes. Alors tu en prendras une deuxième. Je l’ai déjà choisi pour toi. Elle est de ta famille et de ton rang, c’est une de tes cousines. Elle saura se soumettre, elle ! Et nous accordera le respect, que nous, tes parents, méritons.

  • Papa. Je ne désire pas épouser une autre. Trois mois ? C’est très peu.

  • Tu ne discuteras pas ma parole dans ma maison. Vois par toi-même ! Regarde le boulot que tu fais ! Toutes ces années à trimer dans une société comme agent de recouvrement, alors que tes diplômes doivent te pousser plus loin que ça. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tu n’avançais pas ? Pourquoi tous tes projets ne marchent jamais ? Pourquoi ta femme gagne plus que toi ? Si tout ceci ne te sert pas de signe, je me demande comment t’ouvrir les yeux ! Tu es devenu si malchanceux depuis que tu l’as épousé ! Et elle, elle rayonne tant elle en gagne de l’argent !

  • Elle travaille dur…

  • Ah ça, oui ! Le diable ne fait pas d’effort crois-moi ! Tu dépenses ton argent à entretenir une maison qui pourrait t’amener à la Mecque ! C’est à se demander si un jour, tu y mettras les pieds. Ton train de vie, cher fils, pour le mener bien, ce n’est pas ce boulot qui va te le permettre, ni cette femme. Crois-moi… Trois mois, ni plus ni moins. Et je ne reviendrais pas sur ce que j’ai dit.

  • Et l’argent que tu nous donnais par mois, fils, tu l’as même revu à la baisse. Vois par toi-même. Ton père et moi, nous ne voulons que ton bien. Dis-toi, que cela te rendra heureux.

Je les entends, mais je ne les écoute pas. Polygame ? Moi ? Non. Il n’y a pas moyen. Je suis incapable de dire ça à Marie, car à coup sûr, elle s’en ira. Elle préfèrera divorcer, plutôt que de subir cette situation.

  • Et tant qu’elle n’a pas décidé de changer, de faire des efforts, qu’elle ne remette plus les pieds ici.

« Qu’est-ce qu’on ne ferait pas par amour ? ». Marie m’aime, mais est-ce une raison suffisante pour tout laisser ? Sa foi, ne fait pas d’elle une autre personne. Elle a la même bonté depuis le jour où nous nous sommes rencontrés. Mon cœur est en morceaux.

Une histoire de femm...