Épisode 4
Write by Mona Lys
4
DERRICK
Encore une journée où je vais devoir la voir. Ça devient comme un supplice pour moi. Je ne m’habitue toujours pas à l’idée qu'elle soit dans ma maison, tout près de moi. Je m’étais juste habitué à son absence. Je ne devais normalement plus la revoir ni entendre parler d'elle. Ça m'épuise le cerveau de la voir chez moi. Je crains qu'elle ne dise la vérité aux enfants et qu’ils me détestent en retour. Je n'avais pas trouvé meilleur mensonge que sa mort furtive pour expliquer son absence. Je ne me voyais pas dire à des enfants que leur mère était en prison pour détention, consommation de drogue et meurtre pour couronner le tout. Ils ne méritaient pas une telle vérité. Maintenant voilà que Vingt-deux ans plus tard elle réapparaît. Sa présence me donne une boule au ventre. Pourvu qu'elle change de décision et s'en aille.
Je rejoins presque tout le monde à table pour le petit déjeuner. Will se fait encore remarquer par son absence. Cet enfant, je ne sais quoi en faire. Murima et les autres nous servent le petit déjeuner. Je ne supporte pas voir Murima dans ce rôle de domestique mais c'est son choix et je ne vais pas l’en dissuader.
‒ Aurelle sers-moi du jus. Pas de café, ordonne Xandra.
Un raclement de gorge me fait lever la tête vers Murima. Elle me fait des gros yeux en direction d'Alexandra. Je soupire.
‒ Xandra, dis s'il te plaît. Aurelle n'est pas une esclave.
‒ Mais c'est une domestique. C'est pareil.
‒ Tant que tu ne demanderas pas poliment elle ne te servira pas. D’ailleurs sers-toi toi-même.
‒ Mais…
‒ Je ne vais pas me répéter.
Elle boude et se sert elle-même son jus.
‒ Ce sera ainsi tous les jours. Chacun se servira.
Je lève les yeux vers Murima. Elle me fait un léger merci de la tête. Bon je le reconnais elle a raison quand aux mauvais comportements d’Alexandra. Je l'ai un peu trop couvé.
‒ Bon, dit subitement ma femme. J’informe tout le monde que demain se tiendra ici une soirée que j’organise avec des connaissances et vous la famille. C'est pour remercier tout le monde d'avoir assisté à notre mariage. De ce fait donc, (elle se tourne vers Murima) voici la liste des courses que vous allez faire pour demain et les mets qui seront proposés.
Murima prend la feuille et la lit.
‒ C'est pour combien de personne ? Demande cette dernière.
‒ Une vingtaine avec la famille y compris. Je tiens à ce que tout se passe bien. Je ne tolérerai aucun écart de votre part.
‒ Bonjour.
Nous nous tournons tous vers Will qui fait son entrée dans la salle à manger. Il s’assoit négligemment dans le siège près de sa petite sœur.
‒ Café, dit-il d'une voix enrouée.
Murima se hâte de lui en servir en le regardant avec beaucoup de tendresse.
‒ Encore plus de sucre, ordonne-t-il alors que Murima finissait de mettre les deux petites cuillérées de sucre dans sa tasse.
‒ Trop de sucre ce n'est pas bon pour la santé, lui dit Murima.
‒ Ton travail c'est de me servir, pas de te mêler de ce qui ne te regarde pas, lui balance-t-il avec mépris.
Murima obéit. Je veux intervenir mais je me retiens.
‒ J'ai besoin d'argent, me lance-t-il comme à son ami.
‒ Tu en as déjà, William.
‒ Je n'en ai plus. Et tu as bloqué mon compte.
‒ Dans ce cas viens travailler et tu auras un très bon salaire qui te permettra de faire tes folies.
‒ Je ne veux pas travailler dans ta boite.
‒ Dans laquelle alors ?
‒ Dans aucune boîte.
‒ Tu veux donc passer toute ta vie à fréquenter tous les dealers du pays et revenir à la maison tel un sans-abri avec cette odeur puante sur toi ?
‒ Je fais autre chose.
‒ Oui je sais. Coucher avec toutes les vielles peaux de la ville. Dis-moi quelque chose que je ne sais pas.
Il se tait.
‒ Je te donne deux semaines pour te décider. Soit tu viens travailler à la boite comme ton frère, soit tu te débrouilles tout seul pour subvenir à tes besoins. J'en ai marre de gaspiller des sous sur toi.
‒ Je ne suis pas obligé de travailler dans la boite comme Travon.
‒ Mais tu vois au moins que lui ne me demande rien.
‒ Parce que tu lui donnes tout.
‒ Non, parce qu’il n'est pas un raté comme toi encore moins un toxico de merde.
Murima fait trembler les assiettes qu'elle tenait. Je la regarde. Elle me regarde avec surprise. Personne n'ose parler. Travon et Xandra détestent ce genre d’atmosphère mais ne bronchent jamais. Ils s'y sont habitués. Will sort de table et de la pièce tout énervé. Je termine mon café et je sors à mon tour. Je sens quelqu’un dans mon dos quand je récupère mon sac dans le salon.
‒ Un raté ? Tu es sérieux ?
J’ignore Murima et je marche vers la porte d’entrée.
‒ Pourquoi le détestes-tu autant ? Me demande-t-elle en me suivant. Pourquoi rejettes-tu sur lui la haine que tu as contre moi ?
Je lui fais face.
‒ Peut-être que si tu n'avais pas consommé de drogue lorsque tu étais enceinte de lui nous n'en serions pas là.
J'ouvre la porte et sors. Je déteste cette femme.
Assis dans mon bureau, je fixe mon ordinateur en réfléchissant à comment faire partir Murima de ma maison. Je n’en peux plus de la voir. A chaque fois que je la vois, ma haine pour elle monte crescendo. Elle a brisé notre famille. C'est de sa faute si Will se drogue. Elle lui a transmise la toxicomanie. Si elle m'avait écouté ne serait-ce qu'une seule fois, nous ne serions pas à ce stade. Elle a fait n’importe quoi et maintenant elle veut se jouer la bonne mère soucieuse de ses enfants. N’importe quoi.
Je redescends sur terre lorsque des coups sont frappés sur la porte de mon bureau. Je donne la permission de rentrer. C'est Daniel, mon meilleur ami qui fait son entrée.
‒ Tu es rentré de voyage ? Lui demandé-je surpris de le voir là.
‒ Dans la nuit d'hier. J'ai voulu te faire une petite surprise.
Nous nous tapons dans les mains avant qu'il ne prenne place en face de moi.
‒ Alors ces vacances ?
‒ Super. Ma femme et moi en avions besoin. Elle est maintenant heureuse et moi je pourrais enfin respirer. Quoi de neuf ici ?
‒ Elle est de retour ?
Il plisse les yeux d’incompréhension.
‒ Qui elle ?
‒ Murima.
‒ Je ne vois toujours pas. Qui est Murima ?
‒ La seule que tu connaisses.
Il fait mine de réfléchir et quand son cerveau capte il me regarde avec de gros yeux.
‒ Non. Comment est-ce possible ? Elle en avait pour encore longtemps non ? Comment ça se fait ?
‒ Remise de peine pour bonne conduite.
‒ Waho ! Elle est chanceuse dis donc. Et où est-elle ?
‒ Chez moi.
‒ Comment ça chez toi ?
‒ Elle vit avec nous mais comme gouvernante. C'est le moyen qu'elle a trouvé pour se rapprocher des enfants et créer des liens.
‒ Et tu la laisse faire ? Tu laisses une criminelle près de ta femme et de tes enfants ?
‒ C’était soit ça, soit elle leur révélait son identité, ce qui me mettrait dans une mauvaise posture face à eux. N'oublie pas que je leur ai dit qu'elle était morte. Ils me détesteront s'ils venaient à apprendre la vérité.
‒ Mais tôt ou tard ils le sauront.
‒ J’espère que d'ici là ils l’affectionneront pour que la pilule passe plus facilement.
‒ Tu n'as donc pas l’intention de l’éloigner de vous ?
‒ Je ne cesse d’y penser mais je ne sais pas si c'est une bonne idée. Je la déteste mais en même temps je pense qu'elle a le droit d’être près de ses enfants.
‒ Et qu'en pense Pétra ?
‒ Je ne lui ai encore rien dit. Je suis moi-même encore sous le choc alors j’ai du mal à lui en parler.
‒ Tu vas devoir le faire avant qu'elle ne le découvre d’elle-même.
‒ Je sais.
La porte de mon bureau s'ouvre sur Xandra.
‒ Combien de fois vais-je te dire de cogner avant d'entrer ?
‒ Désolée papa. Mais il faut qu’on parle.
Elle croise ses bras sur sa poitrine.
‒ Tu n'as pas vu ton oncle ?
Elle se tourne vers Daniel.
‒ Oh tonton tu es de retour, fait-elle en l’enlaçant. Vous êtes revenus quand ?
‒ Hier.
‒ Vous m'avez rapporté des cadeaux ?
‒ Bien évidemment. Je ne peux pas ne pas rapporter de cadeau à ma princesse.
‒ Chouette. Je passerai les prendre avec tata.
‒ Bon oui que voulais-tu ? Demandé-je pour mettre fin à leur échange.
‒ D’abord je n'ai pas aimé la façon dont tu m'as traité ce matin devant les employés. Surtout cette… Murima ou je ne sais quoi.
‒ J'ai fait ce qui me semblait juste. Tu ne dois manquer de respect à personne, encore moins aux employés parce qu’ils sont aussi humains. C’est à moi de me fâcher contre toi.
Elle fait la tronche.
‒ Que voulais-tu d'autres ?
‒ Je veux te présenter mon petit ami. Aujourd’hui si possible.
‒ Invite-le donc pour le dîner ce soir comme ça toute la famille le verra.
‒ C’est super. Merci papa. Bon je te laisse. A ce soir. Je t’aime.
Elle nous embrasse à tour de rôle Daniel et moi et nous laisse de nouveau seuls.
‒ Apparemment elle n'aime pas sa mère.
‒ Oui. Murima la trouve insolente et elle s’est lancée dans une mission de redressement.
‒ Et tu laisses faire ? Après Vingt-deux ans d’absence elle veut refaire l’éducation de tes enfants ? Sait-elle déjà pour Will ?
‒ Oui. Elle en est chagrinée.
‒ Bah voyons. N’est-ce pas qu’il suit ses traces ?
Cette remarque me blesse malgré moi. Je mime une grimace.
‒ Ecoute, si j’ai un conseil à te donner c’est de veiller à ce que cette femme ne foute pas de nouveau le bordel dans ta famille. Je l'adorais autant que toi mais nous avons tous vu ce qui s’est passé. Tu as su élever tes trois enfants tout seul donc qu'elle ne vienne pas tout gâcher.
‒ J’ai l’œil sur elle. Soit sans crainte.
Je mets un autre sujet sur la table. Il me raconte ses vacances en amoureux avec sa femme. Je l’écoute d'une oreille distraite. Je repense à nos moments à moi et Murima. Lorsqu'elle était enceinte de Travon, je crois à son sixième mois de grossesse, je nous avais organisé un mois dans un hôtel en bordure de mer. C’était pour qu’elle se détende un peu parce que la grossesse l'épuisait. Nous avions passé des moments formidables. J'avais remis ça après son accouchement. Ces moments étaient tous inoubliables pour moi. Jusqu’à ce qu’elle détruise tout à cause d'une putain de drogue.
Après le départ de Daniel que j’ai pris la peine d’inviter à la soirée de demain, je passe le reste de la journée entre les réunions et certains dossiers. Le plus gros du boulot est confié à Travon qui prendra d'ici la fin de cette année les rênes de l’entreprise. Il est maintenant apte à diriger totalement.
Travon c’est mon portrait craché. Non seulement au niveau du physique mais aussi dans le caractère. Il est très réservé et intègre dans ses agissements. Jamais durant le cours de sa vie il ne m'a déçu ni donné des céphalées comme Will. Il est ma fierté. Au moins mes deux garçons ne sont pas à jeter. Ils n’ont pas tous deux pris leur mère.
Nous rejoignons la maison après une journée harassante. Djénéb et Aurelle nous accueillent et nous débarrassent de nos effets. Je cherche Murima du regard sans la voir. C’est pendant ma douche que ma femme entre à son tour. Elle me rejoint et nous faisons l’amour avant de terminer par nous laver. Je souffle lorsque je constate qu’il est l'heure du dîner. Avant, dîner avec ma famille était un moment de plaisir. Mais depuis que cette femme est réapparue c’est devenu un supplice. La voir me donne des hauts les cœurs. Je ne pensais pas un jour la détester autant que je l'ai aimé.
Dès que nous prenons tous place autour de la table, Xandra apparaît accrochée au bras d'un jeune qui n'a pas fait d’effort pour cacher ses nombreux tatouages. Sans oublier son piercing au nez.
‒ Bonsoir. Je vous présente Tiger. Mon petit ami. Bébé, voici mon père, mon grand-frère Travon et sa femme Imelda et elle c’est ma belle-mère Pétra.
‒ Bonsoir à tous.
‒ Bonsoir, répondons-nous tous en chœur.
Elle l’installe près d'elle. Durant le dîner je pose des questions à l’invité pour en savoir plus sur lui. J’espère apprendre de bonne chose parce que son apparence déjà me met un goût amer à la bouche.
‒ Quel âge avez-vous jeune homme ?
‒ Vingt-huit ans Monsieur.
‒ Et que faîtes-vous dans la vie ?
‒ Je grouille.
‒ Quoi précisément ?
‒ Les business monsieur. Je fais un peu de tout.
Sa réponse me laisse perplexe. Lorsqu’une personne dit qu'elle fait des business, ça sent les affaires louches. J’espère qu’il n'en est rien. Je lui pose d'autres questions sur sa famille et les réponses sont encore plus ambigües. Je préfère m’arrêter. En balançant mon regard je tombe sur celui de Murima qui en dit long sur le fond de sa pensée. Je ne m'en préoccupe pas.
*Mona
*LYS
Ma femme a invité plus de monde que prévu. Ça devait être juste une petite fête de remerciement avec une quinzaine d’invités mais là nous nous retrouvons avec plus de trente. Heureusement que j’avais fait construire un immense salon qui puisse contenir toutes ces personnes. Arrêté dans un coin isolé de la pièce, une coupe de champagne à la main, je regarde tout le monde discuter, rire, boire et manger. Ma femme joue à la perfection son rôle d'hôte. Elle arrive à discuter avec tout le monde. Aurelle, Djénéb et Murima apportent au fur et à mesure les amuses-bouches et les champagnes. C’est un cocktail debout donc chaque invité fait son propre service. Un DJ installé dans un autre coin joue de la musique douce en fond sonore. On pouvait bien se passer de lui mais ma femme a insisté. A chaque apparition de Murima dans la pièce je ne peux m’empêcher de la suivre du regard. En plus de détester sa présence dans ma maison, je déteste encore plus la voir dans ce rôle qu'elle campe. Mais elle ça n'a pas l’air de la gêner.
Je sens un tapotement sur mon épaule. Clinton, un partenaire d’affaire et bon ami depuis plusieurs années maintenant apparaît près de moi, sa coupe de champagne en main.
‒ Comment vas-tu très cher ? Me questionne-t-il.
‒ On se maintient malgré l'âge.
‒ J’ai remarqué que vous aviez une nouvelle employée. Elle n’était pas là la dernière fois que je suis venu.
Je suis son regard qui est braqué sur Murima toute souriante qui sert du champagne à un homme qui doit sans doute lui faire la cour.
‒ Oui elle est nouvelle.
‒ Elle est très belle. Ça fait plus d'une heure que je l’observe. Ça ne te dérangerait pas que je tente un rapprochement ?
Je le regarde sans lui répondre dans l’immédiat. J’essaie de déceler sur son visage un signe de plaisanterie ou de mauvaise foi mais rien. Il est très sérieux. Clinton est veuf depuis cinq ans. Du haut de mes souvenirs il n'a jamais été un homme volage. Alors s’il s’intéresse à Murima je crois que ce n’est pas pour jouer à touche pipi. C’est d’ailleurs la première fois depuis la mort de sa femme que je le vois s’intéresser à une femme.
‒ Non ça ne me dérange pas, lui répondé-je sans grande conviction. Tu es donc prêt à te relancer dans une relation ?
‒ Il faut bien. La solitude commence à se faire ressentir et j’ai besoin de quelqu’un avec qui dépenser ma fortune.
‒ Je vois.
Il s’excuse et s’éloigne. Je termine ma coupe de champagne en le regardant se diriger vers Murima. Il la gratifie d'un sourire auquel elle répond. Il se contente de prendre une coupe de champagne sur la table puis s’éloigne. Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu son sourire à elle. C’est juste un sourire de circonstance mais ça faisait quand même longtemps. Elle s’approche de Travon qui discute avec Xender, le DAF de notre entreprise. Elle lui dit quelque chose avec un sourire. Il hoche la tête et elle se détourne de lui. Lorsque les premières notes d’une chanson parviennent à mes oreilles, mon cœur fait un splendide looping. Automatiquement, Murima et moi nous nous regardons.
C’est notre chanson.
Enfin, c’était notre chanson. C’est sur cette belle musique qui faisait mouche à notre époque qu'elle et moi avions fait l’amour pour la toute première fois. C’était un soir du nouvel an. Elle et moi ne sortions pas ensemble. Mais cette nuit-là, alors qu'on se souhaitait les meilleurs vœux, nos lèvres se sont rencontrées et nos corps ont fait connaissance pour la première fois d'une longue série. Ce fût aussi là le début d'une belle histoire d’amour. C’est cette nuit que Travon a été conçu. Juste la première fois et c’était la bonne. C’est d’ailleurs le nom de l'artiste que nous avons donné à notre fils pour ne remémorer à chaque fois cette nuit magique. Nous avions décidé de faire de cette chanson la nôtre et nous faisions l'amour la plupart du temps sur ces notes.
Par le regard qu'elle me lance, je comprends qu'elle aussi pense à cette nuit. Elle ne l'a pas oublié. Mon cœur bat si fort à m’en faire mal à la poitrine. Ces souvenirs sont douloureux.
Ma femme me tourne la tête par surprise et m’embrasse langoureusement.
‒ A quoi penses-tu ? Me demande-t-elle.
‒ Rien de particulier. Je me sens un peu las.
‒ La soirée prendra fin dans une trentaine de minutes. Juste un petit effort mon amour.
‒ Ok.
Elle m’embrasse de nouveau et retourne près de ses amies. Quand je relève la tête, Murima n’est plus là. Il me faut une deuxième coupe de champagne. Cette femme commence sérieusement à me mettre le cerveau à l’envers. Après elle je n'ai plus jamais aimé. Je ne suis plus tombé amoureux. Même pas de Pétra. Je ne suis pas amoureux d'elle. Enfin, pas comme je le devrais et ça elle le sait. Pétra, ça a toujours été le choix de mes parents. Tout comme nous, elle vient d’une famille de la haute Mexico-Anglaise. Son père et le mien étaient amis et partenaires en affaire. Notre destin à tous les deux étaient donc tout tracé. Nous devrions coûte que coûte finir ensemble. Mais j'ai rencontré Murima et les choses ont vite dégénéré. Mais plusieurs années plus tard, c'est elle que je finis par épouser. Même s'il n'y a pas d’amour entre nous, ou du moins me concernant, j’avoue quand même qu'elle fait une bonne partenaire. Grâce à elle je me sens moins seul. Je lui ai fait comprendre à l’entame de notre relation que je l'épouserais pour trois raisons. La première, pour faire plaisir à ma mère et honorer la mémoire de mon père qui est mort en me haïssant. La deuxième parce que j'ai juste besoin d’une femme à mes côtés pour mes besoins charnels, mon image dans la société qui exige que je sois marié. Et la troisième, pour ne pas terminer ma vie seul quand mes enfants iront tous fonder leur foyer. Elle n'y a pas vu d’inconvénient. Elle a aussi compris que je ne voulais plus d’enfant. Elle non plus n’en veut pas. Disons qu’elle n'est pas maternelle et Pétra c’est le genre de femme qui refuse de déformer son corps pour aucune raison que ce soit, même pas la maternité. Je lui ai aussi fait signer un contrat de mariage qui stipule qu'en cas de divorce chacun reparte de son côté avec ses biens qui lui sont propres donc pas de communauté de bien. J'ai trimé seul pour bâtir mon empire. Je ne vais pas tout laisser à une femme. Tout est pour mes enfants et leurs enfants. Mon père m'a renié quand j'ai fait le choix de rester avec la femme que j’aimais. J’étais juste jeune et stupide. C'est tout ce que je peux faire comme résumé.
Une trentaine de minutes plus tard, ma femme entame un discours de remerciement à tous nos invités présents. Moi je reste debout près d’elle.
‒ Vraiment merci à vous d'avoir répondu présent à cette soirée. Ma famille et moi avons été ravies de vous recevoir. J’espère…
‒ Ta famille ? Il ne manquerait pas un membre ?
Toutes les têtes se dirigent vers l’entrée du salon. Je sers les dents lorsque je vois William faire son entrée avec une bouteille d’alcool à la main. Il est tout débraillé, les premiers boutons de sa chemise ouvertes, avec un soupçon de poudre blanche sur le nez.
‒ La fête ne peut pas finir sans le fils préféré de la famille.
‒ Will ! Essaie de le retenir Travon.
‒ Toi lâche-moi, le dévie-t-il. Nous devons trinquer. Elle est où cette putain de bouteille de champagne ?
Il ramasse une bouteille sur l'une des tables.
‒ Nous devons trinquer à mon père. Le meilleur père qui puisse exister.
‒ Mais c’est qui lui ? Questionne l'un des invités.
‒ Oh ! Il ne vous a pas parlé de moi ? Tu déconnes Derrick. Je suis son deuxième fils. Il vous a juste parlé de Travon parce que c’est lui l'intello de la famille. Moi je suis le junkie.
Travon essaie encore de le retenir mais il le repousse. Moi je m’emploie à un exercice des plus compliqué : se contrôler. Mes poings brûlent de s’écraser sur sa face. Ma femme s’en apercevant m’attrape la main pour me calmer.
‒ Mon père ne parle jamais de moi parce que je lui fais honte. Pour lui je ne suis rien qu'un toxico qui ne mérite pas son amour. Mais on s'en fout. Ce n’est pas important. Ce soir j’ai envie de faire la fête.
Il secoue la bouteille et la pète. Tout le monde sursaute de frayeur. Je décide d’intervenir. Je lui agrippe le bras alors qu’il boit à même la bouteille.
‒ Toi viens par-là.
‒ Ne me touche pas Derrick.
Il se dégage tellement fortement qu’il tombe sur une femme.
‒ Oh désolé belle dame.
Il se relève à peine qu’il dégueule sur la même femme qui se met à hurler. Je perds patience. Je le saisis violemment par les colles et le sors de force de la pièce. Je le trimballe jusqu’à une autre pièce qui était normalement destinée pour les moments en famille mais qui n’a jamais servi. Je le projette par-dessus un fauteuil.
‒ Espèce de petit enculé.
‒ L'enculé c’est toi.
Il me lance un vase. Je l’esquive de justesse et lui enfonce mon poing dans sa gueule. Il se ramasse au sol. Il revient encore à la charge et je lui donne encore un autre coup.
‒ Papa ! S'écrit Travon en courant vers nous.
‒ Sors d'ici Travon. Ton frère et moi devons régler nos comptes.
‒ Papa…
‒JE T’AI DEMANDÉ DE SORTIR.
Il sort malgré lui.
‒ Tu penses pouvoir ternir mon image ? Tonné-je en retroussant les manches de ma chemise. Tu n'y arriveras jamais, sale chien.
‒ Vas te faire foutre Derrick. Tu ne mérites pas ce titre de père parce que tu es nul à chier dans ce rôle. J'aurais souhaité un malade mental pour père plutôt que toi. T'es qu'un gros bouffon.
Je vois rouge face à toutes ces insultes. Je fonce sur lui et je lui assène des coups que je retiens pour ne pas trop l'amocher. Mon prochain coup s’apprête à s’abattre lorsque le cri de Murima me parvient.
‒ Derrick non arrête !
Elle m'attrape de justesse le bras avant qu'il ne descende sur Will. Elle me pousse et me tape dans la poitrine.
‒ Je t'interdis de le toucher, me hurle-t-elle d'une voix brisée.
Elle se tourne vers Will qui tente de se relever.
‒ Will !
Dès qu'elle pose sa main sur lui, il se relève brusquement et bam donne un coup à Murima en plein visage pensant que c’était moi. Elle se cogne encore le mur avant de s’écrouler. Son cri me met deux fois plus en rogne. Il a osé la taper. Je fonce de nouveau sur mon fils. C’est à ce moment que ma femme fait son entrée suivie de Travon, Imelda et Alexandra. Elle me tire loin de Will tandis que Travon part aider son frère à tenir sur ses pieds. Murima se relève en se nettoyant du sang sur la bouche.
‒ Murima tu vas bien ? M’inquiété-je en essayant de l'aider à se tenir debout.
‒ Ne me touche pas, se dégage-t-elle.
Will repousse de nouveau son frère.
‒ Laissez-le me tuer pour qu’il ait enfin la paix qu'il recherche, gueule-t-il. Qu'il me tue qu'on en finisse.
‒ William ressaisi-toi, l’interpelle ma femme.
‒ Toi la pute de service ferme-la.
Je fonce encore une fois de plus sur lui. Mais je ne le cogne pas. Je le saisis juste.
‒ Estime-toi heureux d’être de mon sang sinon j'aurais mis à exécution ton souhait. Espèce de petit merdeux.
Murima vient de nouveau me dégager de son fils. Son visage est rempli de larme. Elle ne dit rien mais je la sens très en colère. Elle la ferme juste parce que nous ne sommes pas seuls.
‒ Je vais m'occuper de lui, dit-elle en me fixant tout en essayant de maîtriser sa voix.
‒ Enferme-le dans sa chambre et apporte-moi la clé. Il y restera jusqu’à ce que la police vienne le chercher. Un séjour en prison ne lui ferait pas de mal.
Will se décale sur le côté.
‒ Oh tu veux maintenant me foutre en tôle ? Dans ce cas laisse-moi te tuer pour avoir une raison valable d’y croupir.
Il sort de son dos un révolver. C’est la panique dans la pièce. Ma femme se cache derrière moi, Imelda et Xandra derrière Travon. Seuls Murima et moi restons stoïques. Elle lui arrache l’arme en un clin d’œil. Je profite du fait qu'elle soit distraite pour en coller une dernière à Will qui s’évanouit sur le coup. Sa mère me pousse de nouveau en hurlant.
‒ J’AI DIT DE NE PAS LE TOUCHER.
Je sors évacuer ma colère. Je n'arrive pas à croire que mon propre fils était sur le point de me tuer.
Je rumine dans mon bureau sans prêter attention à tout ce que dit Pétra. Je sais qu’elle essaie de me calmer mais je ne suis pas disposé à l'écouter.
‒ Tu devrais le faire séjourner en prison en moment. Ça lui remettra les idées en place, me dit-elle.
‒ Oui je le ferai demain à la première heure. Il faut que je lui apprenne une bonne leçon à ce garçon.
Je tourne sur moi-même comme un lion en cage.
‒ Calme-toi mon amour. Ça va passer.
‒ Je vais travailler un peu pour faire baisser l’adrénaline, dis-je en m'asseyant derrière mon bureau.
‒ Ok je te sers un verre ?
Avant que je ne réponde la porte de mon bureau s'ouvre en fracas sur Murima. Le bleu près de son œil et sa lèvre fendue me sautent tout de suite aux yeux.
‒ Non mais ça ne va pas de rentrer sans frapper ? Gueule Pétra.
‒ Nous devons parler, me dit Murima son regard rivé sur moi sans se préoccuper de ma femme.
‒ Non mais pour qui tu te prends ? Continue Pétra. Sors immédiatement de ce bureau.
‒ Derrick, nous devons discuter.
Je blêmis quand je l'entends m'appeler par mon prénom devant ma femme.
‒ Comment oses-tu…
‒ Si c’est pour elle ne t’inquiète pas, m’interrompt-elle. Elle sait déjà tout.
Je regarde Pétra qui ne réplique pas. Je fronce les sourcils.
‒ Comment ça ?
‒ Tu pensais vraiment que je n'aurais pas reconnu cette femme qui t'a séparé de ta famille et qui a bousillé ta vie ? Me crache-t-elle. Je ne l'avais jamais vu en vrai mais je savais tout d'elle. Alors quand je vous ai vu vous échanger des regards j’ai tout de suite compris et ta mère m'a confirmé son identité.
‒ Je… je suis désolé.
‒ Oui sois désolé Derrick. Je suis ta femme et tu aurais dû me dire toute la vérité dès le premier jour.
‒ Tu as raison et…
‒ Oh ça suffit, nous interrompt Murima. Vous ferez vos amourettes plus tard. Pour l’instant je veux parler de mon fils. En tête à tête avec toi Derrick.
‒ Il s'agit aussi du fils de mon mari donc je ne bougerai pas, s’impose Pétra.
Murima me regarde. Je ne contredis pas ma femme.
‒ Ok, fait-elle en se rapprochant de mon bureau. Will et toi aviez besoin de discuter de père à fils. Il est en manque d'amour.
Ma femme éclate de rire.
‒ Non mais tu t’entends parler ? En manque d'amour ? N’importe quoi. Ce gosse est tout simplement insolent et un toxico. Ce dont il a besoin c’est d'un bon séjour derrière les barreaux. Demain matin il y sera.
Le visage de Murima change d’expression.
‒ Tu ne vas pas faire ça !?
‒ C’est tout décidé.
‒ Derrick, ce dont il a besoin c’est de son père. La prison ne fera qu’aggraver son cas.
‒ Il aurait dû y penser avant de me menacer avec une arme.
‒ Je te l’interdis.
Pétra éclate de nouveau de rire.
‒ Non mais pour qui se prend-elle ? Tu penses être en droit d’interdire quoi que ce soit ici ?
‒ Je ne permettrai pas que tu mettes mon bébé en prison.
‒ (Tapant du poing) C’est aussi mon fils et je décide de son sort.
‒ Dans ce cas tu m'auras sur ton chemin, hausse-t-elle le ton. Tu ne toucheras pas un seul de ses cheveux. Pourquoi déverse-tu sur lui toute la colère que tu as à mon égard ? Il n'a rien fait. Tu passes ton temps à le traiter comme de la merde au lieu de discuter avec lui. Ce garçon est juste faible psychologiquement parce qu'il lui manque l’amour de son père en plus de n'avoir pas eu celui de sa mère.
‒ Et à qui la faute, rigole Pétra. Si tu n’étais pas une toxico…
Je bondis de mon siège lorsque Murima fonce sur elle. Je me place en deux enjambées entre les deux.
‒ Calme la sauvageonne qui dort en toi, lui dis-je entre les dents.
‒ Dans ce cas calme la connasse sans cervelle qui dort en ta femme, me répond-t-elle sèchement.
‒ Sors de ce bureau.
‒ Touche un seul cheveu de mon fils demain et tu verras une autre facette de ma sauvagerie.
Elle tourne les talons et me laisse seul avec ma femme. Je retourne derrière mon bureau.
‒ Je suis désolé pour tout ça.
‒ Tu aurais dû y penser avant de la laisser vivre ici avec nous.
‒ Pardonne-moi de te l'avoir caché. Mais pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu savais ?
‒ Je voulais que ça vienne de toi. Je voulais voir si tu me faisais suffisamment confiance pour me mettre dans la confidence. Mais je me suis trompée. Je ne suis juste qu'une compagnie pour toi.
‒ Ne dis pas ça. Tu as de l’importance à mes yeux.
‒ Si c’était vraiment le cas tu ne m'imposerais la vision de son nom sur ta poitrine. A chaque fois que nous faisons l'amour c’est son nom que je vois et je prends sur moi par amour. Mais voilà que tu viens encore m'imposer sa personne et je vais encore prendre sur moi parce que je t'aime. Seulement ne compte pas sur moi pour jouer à la marelle avec elle. Je vais dormir.
Elle sort et claque la porte. Je me laisse choir dans mon siège dans un gros soupir. Et voilà que je me retrouve entre mon ex-femme et ma femme. Je sens que je vais en baver.
Debout devant le miroir de la salle de bain, le torse nu après avoir pris une douche froide pour me calmer, je regarde longuement ce tatouage fait sur mon sein gauche, exactement à l’emplacement de mon cœur. Murima. C’est juste ce qui y est tatoué. Je me l’étais fait comme preuve d'amour. J’étais tellement dingue d'elle que j'ai voulu me tatouer son nom sur mon cœur. Elle en avait pleuré de joie lorsque je lui avais montré. Après tout ce qui s’était passé, je n’ai pas eu le temps, ou plutôt pas assez de courage pour l'effacer ou encore le modifier. Je ne saurais dire pourquoi je le garde encore. Mais ce n’est certainement pas parce que je l'aime. Ce doit plutôt être l’habitude.
N'arrivant pas à dormir, je descends dans la cuisine me chercher un verre d’eau. Il y en a dans mon appartement mais en descendant j’espère voir Murima. Maintenant que je suis plus calme j’ai pris en compte ses propos. Comme espéré, je la trouve assise sur l'un des sièges près du plan de travail dans la cuisine. Elle tient une poche de glace contre son visage. Elle doit avoir mal. Le coup que Will lui a donné était quand même violent. Je me souviens m'être plus énervé à cet instant-là. Ça a réveillé mon instinct de protection vis-à-vis d'elle. Je reste silencieusement à l’entrée à la regarder. Je ne m’habituerais peut-être jamais à la voir chez moi. J’ai encore l’impression d’être en train de rêver.
Je finis par entrer dans la cuisine. Nos regards se croisent lorsque j'arrive près du réfrigérateur. Je prends une autre poche et m’approche d'elle.
‒ Prends ça. L’autre doit être déglacé.
‒ Pas la peine. Je n’ai plus vraiment mal.
‒ Ok.
Je remets la poche de glace à sa place et je reviens sur mes pas.
‒ J’ai réfléchi pour William. Tu as raison, la prison ce n’est pas une bonne idée. Mais il doit aller en centre de désintoxe sinon il finira par se détruire.
‒ Je sais. J’approuve cette idée bien que je ne veuille pas qu'il s'éloigne.
Une larme s'écrase sur sa joue.
‒ L’arme n’était pas chargée, m'informe-t-elle en essuyant la larme. Je crois qu'il a fait ça pour te pousser à bout.
‒ Faut croire qu’il aime bien ça.
‒ Ce n’est pas un mauvais garçon. Pourquoi ne prends-tu pas le temps de discuter avec lui ?
‒ La communication ce n’est pas notre fort.
‒ Tu devrais essayer. C’est ton fils.
Elle a raison. Mais comment revenir au stade de la discussion lorsqu’on a déjà franchi l’étape des poings ?
‒ Tu devrais aller te reposer, lui dis-je pour changer de sujet.
‒ Oui. Au fait, pour le petit ami de Xandra…
‒ Je sais. Il n’est pas fiable. Je vais garder un œil sur lui.
‒ Ok.
Je braque mon regard sur elle alors qu'elle manipule le paquet de glaçons.
‒ Ok. Bonne nuit, lui souhaité-je.
‒ Bonne nuit.
Je marche vers la sortie de la cuisine mais une fois au pas de la porte je me retourne. Nous échangeons un dernier regard avant que je ne parte pour de bon.