Fleur flétrie
Write by Meritamon
Je sanglotai silencieusement dans l’immense salle de bain trop grande
pour mes besoins, abîmée de douleur, le front collé contre la céramique de la
douche alors que l’eau chaude coulait sur moi.
Je suis comme une maison cambriolée. Vidée. Une maison qui se demande
encore ce qui lui arrive. Je suis une fleur flétrie aux pétales piétinées.
J’avais envie de dégueuler mes entrailles. Tout au long, alors que je me retrouvais sous
l’emprise de Xander, et malgré mes yeux bandés, j’avais senti la présence de
Serguei, lourde et suffocante . Même si je ne le voyais pas, j’avais perçu
ses yeux de taupe sur mon corps nu, j’avais entendu sa respiration haletante
alors qu’il se branlait en faisant le plein d’images des scènes dont il était
le témoin privilégié. Il y avait aussi son odeur visqueuse qui vous prenait à
la gorge, son eau de toilette musquée qui imprégnait longtemps après les lieux
où il allait. J’entendis aussi l’homme Russe se répandre bruyamment comme un
porc qu’on égorge.
Je sursautai lorsque Xander m’eût rejoint sous la douche. Il m’aida à me frotter le dos, les cuisses, le
sexe, avec l’éponge et une savonnette parfumée.
-
N’en fais pas un drame. On a eu beaucoup de plaisir et tu es une fille
libre… Pourquoi en faire un drame? Essaya-t-il de me raisonner. Il venait de
voir mes yeux rougis par les larmes.
-
Ramène-moi, je le suppliai en le repoussant. Je veux rentrer…
-
Éva, mon amour, arrête ça, ne cessait-il de me répéter. Tu le voulais
aussi… Tu as joui comme une folle, les draps sont encore trempés de ton eau, ma
chérie.
C’était vrai. À ma plus grande honte. Le fait est que plusieurs vagues
de plaisir m’avaient traversées comme des ondes de choc. Je maudis mon corps
d’être aussi faible, aussi expressif. Je me maudis d’être ce que j’étais.
Xander comme toujours essaie de dédramatiser les choses. Il se met à
rigoler et à m’embrasser joyeusement.
« Je vais te dire une chose. Ce que je vis avec toi, toutes ces
fantaisies que nous découvrons ensemble, c’est unique et exceptionnel. Je n’ai
jamais eu autant de plaisir avec qui que ce soit. Jamais. Alors, il faut que tu
arrêtes de te sentir coupable, de te torturer parce que tu jouis, d’apprécier
cela avec moi ».
-
Tu m’humilies. Tu me fais mal. En quoi c’est normal?
-
Seulement quand nous jouons. Est-ce que je t’ai déjà traité mal en
dehors de ces rapports? Non. Tu es une princesse pour moi le jour, et le soir
venu, tu es mon amante. N’Est-ce pas excitant de t’abandonner ainsi?
-
Je ne sais plus qui je suis…
-
Moi, je sais qui tu es. Tu es ma petite amie et tu me fais du bien. On
se fait du bien.
Il m’adressa ce regard attendrissant qu’il me réservait parfois et
m’embrassa.
-
Tu as faim? On sort manger un morceau.
-
Il est parti l’autre porc? Demandai-je avec appréhension.
Xander a ri en m’entendant traiter le Russe de porc.
-
Oui, il a laissé quelque chose pour toi. Mais ne parlons pas de lui, il
ne compte pas. Pour l’instant, j’ai envie de te lécher à n’en plus finir. Il m’est
difficile tu le sais, de me rassasier de toi.
Il m’enveloppa dans un
peignoir et me souleva dans ses bras. Il me porta jusque dans la chambre où
jambes écartées je me laissais prodiguer un long cunnilingus. C’était sa façon
de se faire pardonner, je crois. Il y avait un chèque à mon intention laissé
par le Russe sur la petite table du salon.
« Tu dois quitter cet homme. Il faut que
tu le quittes ». Me disait la petite voix en
moi, que je me mis à repousser, très loin dans ma conscience. Je le sais, je voudrais, je
devrais en finir avec cette histoire, m’en aller. Mais je n’y arrive pas. Je
l’ai dans ma peau. C’est plus fort que moi.
Parfois, la voix revenait plus énergique puisant sa force dans mes
doutes, dans ma souffrance. Elle me fit prendre une nuit mon téléphone, me fit composer
le numéro de Xander.
« Allô? Éva… Il est 2h le
matin, ma chérie » me disait-il de sa voix ensommeillée.
« Tu m’as dit que je pouvais te rejoindre à n’importe quel moment ».
Je l’entendis qui soupirait dans le combiné, essayant d’être patient
avec moi.
« Bon d’accord… quel est le problème? »
« Je n’arrive pas à dormir… Il faut que je te dise quelque
chose »
« Kaere, ça pourrait attendre demain… Viens me rejoindre
chez moi après tes cours, ok? Ensuite, tu pourras me dire la chose qui te
turlupine tant. Allez, j’y retourne ».
« Non! Attend! » je n’avais pas envie qu’il m’échappe. Il
fallait qu’il m’écoute là, maintenant. Alors que ma décision était claire.
Il était sur le point de raccrocher. Peut-être avait-il senti que je
vacillai, que je voulais partir, mettre fin à notre liaison.
« Xander, je ne peux plus continuer comme ça… »
« Que veux-tu veux dire par là? »
« C’est terminé. Voilà. C’est trop pour moi, toutes ces choses
qu’on fait… Tout ce mal. »
« Éva, ce n’est pas mal, c’est de la passion, c’est l’expression de
mon désir pour toi… Tu ne peux pas dire que c’est mal. Écoute, Kaere, viens me
voir, ok? On va s’en parler, on va trouver une solution ».
Je ne répondis pas tout de suite, mon cœur battait à tout rompre prêt à
flancher. Je n’aurais jamais pensé qu’en lui disant que c’était terminé, que
j’allais en souffrir.
« Oublie-moi ». Je raccrochai rapidement et éclatai en
sanglots. C’était la première fois que je partais. Elle fut la plus
douloureuse, cette première fois, parce que la liberté que je pensais trouver
ne fut pas au rendez-vous.
Il
n’y eut pas de jours paisibles ni de nuits sereines car une force inconnue sourdait
en moi. Mon traitre de corps fut pris par un puissant désir qui me tint éveillée
et me rendit distraite. Et, ce corps que je ne reconnaissais plus ne réclamait
qu’une seule personne, qu’un seul homme capable de lui faire toutes ces choses
expérimentées. C’était Xander qui hantait mes rêves, lui qui de son âme damnée
me prenait dans ses bras et me conduisait dans la danse infernale de la luxure.
Fallait-il qu’après tout ce qu’il m’avait fait, que je pense à lui, que j’en
redemande encore? Qui étais-je réellement?
Mes nuits
furent fièvre et sueur. Elles furent attente et langueur. Elles furent moites.
Xander avait
promis de me marquer. Cela était-il vrai après tout? Xander était le démon, il
s’était emparé de moi, avait déversé sa pernicieuse semence en moi. Comme
promis, il avait réussi à me marquer.
Pour un temps,
je me révoltai contre le désir, je domptai mon corps et mon esprit en
rattrapant mon retard à l’école, en étant studieuse, en m’intéressant aux
choses de mon âge. J’échangeai avec des filles et des camarades de classe de
sujets légers et frivoles comme la mode, la musique, le cinéma. Pour la
première fois, depuis longtemps, j’essayai de tisser des liens avec d’autres
personnes. Sans succès. Parce que j’avais trop changé. Et cela se remarqua.
Même ma mère qui vivait dans un autre univers et qui n’était pas à 100% lucide,
s’aperçut de mon changementle .
Depuis qu’elle se
trouvait à l’hôpital, je venais voir ma mère tous les jours. Il avait fallu que je m’habitue de la voir
dans son état, dans un endroit aussi tourmenté que cet asile, qui répondait au
nom pompeux d’« Institut national psychiatrique et de la santé mentale »
mais qui restait quand même un asile pour les fous. Cependant, on s’occupait
bien d’elle ici. Son nouveau médecin, un passionné de la santé mentale, me plut
beaucoup par son approche bienveillante de la maladie.
-
Éva, c’est toi?
Elle répétait toujours : « Éva, c’est toi? ». Comme si
elle avait du mal à me reconnaître.
-
Comment vas-tu
aujourd’hui, maman?
-
Cet endroit est
pourri, je veux m’en aller, maugréa-t-elle.
-
Je sais, je
voudrais aussi te faire sortir d’ici. Mais c’est encore tôt, ils doivent te
garder un peu, afin que tu guérisses. Bientôt, je viendrais te chercher et nous
fabriquerons des confitures à la mangue comme tu les aimes.
Elle se souvint, hagarde.
-
Où sont tes frères?
Pourquoi, ils ne viennent pas me voir?
Elle avait beaucoup de perte de mémoire. Et il
fallait lui rappeler le cours des choses.
-
Ils sont occupés
avec les assurances de la maison. Ousmane est à Accra pour se soigner.
-
Ah bon? Il est
malade?
-
Oui, si on peut le
dire. Ne t’inquiète pas pour eux.
Taher avait essayé
de me rejoindre mais j’avais coupé les ponts. Il venait voir ma mère à
l’institut et je m’arrangeais de ne jamais le croiser là. J’avais donné l’ordre
au personnel médical qu’il ne s’approche pas de maman, sans succès. C’était lui
qui s’occupait des assurances et de l’administration, de ce qu’il fallait faire
désormais avec la maison, prenait rendez-vous avec les entrepreneurs, les
architectes. Il voulait reconstruire la bâtisse. À ce moment, je trouvai cette
décision ridicule. À quoi ça sert de reconstruire une maison désertée de ses
habitants?
Maman me couva d’un regard tendre et dessina mes
sourcils de ses doigts.
-
Tu es différente
Éva... il y a quelque chose qui irradie en toi. Je peux le ressentir.
-
Ce n’est rien, je
suis un peu fatiguée avec l’école. Notre ancienne vie me manque aussi.
-
Tu as changé, ma
petite fille. Je le vois. Laisse-moi voir tes yeux. Pourquoi sont-ils aussi
tristes?
Mes yeux sont fuyants. J’ai peur qu’elle lise en
moi. Qu’elle voit ce que j’étais devenue, la femme que j’incarnais.
-
Nous changeons
tous, maman répliquai-je. Toi, moi et les autres, tout dépend à quelle vitesse.
-
J’ai l’impression
que tu es un bolide qui file plus vite que nous autres, un bolide sans
contrôle.
Je ne pus répondre parce que j’avais une boule au
fond de ma gorge. Elle avait raison. J’étais un bolide sans contrôle qui
fonçait vers le précipice. Des larmes naissaient dans mes yeux.
-
Peut-être.
-
Ta tante m’a dit
que tu découchais souvent, elle s’inquiète beaucoup pour toi. Dis-moi qu’elle a
tort.
Je soupirai en entendant cette affirmation.
-
Son mari ne m’aime
pas. Je suis un poids pour eux.
Le fait est que l’oncle Abou, son mari, me tolérait
plus qu’il ne m’acceptait. Je les entendais lui et ma tante, parfois tard le
soir, se disputer derrière les cloisons de leur petite maison de 3 chambres,
lui mari qui protestait.
-
Nous ne pouvons pas
la garder encore longtemps. Je ne veux pas qu’elle ait une mauvaise influence
sur mes enfants.
-
Tu exagères, Abou! Répliquait
ma tante Mariam qui me défendait malgré tout. Comment veux-tu qu’elle ait une
influence sur les enfants? Ils n’ont que 2 et 4 ans… Et puis, ils adorent leur
cousine, elle m’aide à m’en occuper.
-
Uniquement quand
elle daigne nous gratifier de sa présence. Où traîne-t-elle après l’école? Le
sais-tu toi? Sans oublier ces weekends où elle ne dort pas ici.
-
Elle est jeune. Ne
dit-on pas « Que jeunesse vive »?
-
Il y a quand même des
règles de bienséances à respecter dans ma maison.
Ma tante soupira face à l’entêtement de son mari.
-
Éva me prévient
toujours avant. Elle est occupée à l’école, il y a l’équipe de volley-ball avec
qui elle s’entraîne. Je trouve qu’elle s’en sort bien avec tout ce qui leur est
arrivé! Pauvres enfants…
-
En tout cas, tout
ce qui est pourri finira un jour par sentir, concluait-t-il d’une voix qui se
voulait sage.
« Il y a eu par le passé, toutes ces histoires qui circulaient à
son propos. Ces garçons avec qui… tu t’en souviens? Ces rumeurs qui disaient
qu’elle serait allée en escapade avec des garçons de l’équipe de basket-ball de
son école… de ce qui a pû arriver…. »
-
C’est des rumeurs,
je n’y crois pas.
-
Tu es naïve,
Mariam.
-
Sans doute, mais c’est
ma nièce, Abou! C’est ma famille. Je ne peux pas l’abandonner.
Ma tante Mariam était un ange pur tombé du ciel.
Elle me défendit jusqu’au bout. Je lui en serait reconnaissante toute ma vie.
Je fis manger ma
mère. Je l’aidai à se nourrir, ensuite je lui enlevai ses tresses, lavai ses
cheveux avec le shampoing qu’elle aimait bien. J’enduisis ses cheveux d’huile
de jojoba et d’amande douce. Je massai son corps avec du beurre de karité
frais. Je lui refis de nouvelles tresses. J’aimais ces moments de douceur et de
tendresse où j’avais l’impression que rien n’avait changé, que tout était comme
avant. Maman les yeux mi-clos me dit :
-
Éva ma chérie, tu
n’as pas répondu à la question.
-
Quelle question?
-
Découches-tu parfois?
Je haussai les
épaules, en traçant une ligne droite dans ses cheveux avec le peigne.
-
Ça arrive. Je vais
voir des amies.
-
Tu n’as jamais eu
d’amis proches, je le sais. Tu as toujours été une nature solitaire.
Puis, elle ajouta :
« Il y a un homme qui est venu ici, un homme blanc, il te
cherchait ».
Mon cœur tomba dans
mon ventre, j’avais arrêté de respirer.
-
J’ai l’impression
de l’avoir déjà rencontré, je ne m’en souviens pas très bien, ajouta Maman. Il
a dû habiter à la pension, non?
-
Je ne sais pas de
qui tu parles, maman, mentis-je en cachant mon émoi.
Il me
cherchait. Mon démon me cherchait. Il devait être en manque puisqu’il se
montrait aussi imprudent et prenait des risques. Cela fait quinze jours qu’il
ne m’a pas touchée. Il devait être dépourvu sans Sa chose et doit être fou de
rage. Il ne fallait pas qu’il me voie.
Je me levai
rapidement une fois terminées les tresses de maman. Je l’aidai à s’allonger et
remis son oreiller en place, je la bordai sous la couverture comme une enfant.
-
Ne t’inquiète pas,
maman. Tout va bien à présent.
Oui tout allait
bien, me convainquis-je moi-même. J’avais réussi à quitter Xander. Pour combien
de temps encore, je l’ignorai. Mais dans toute guérison, il fallait du temps. J’avais
besoin de temps. Et dans toute guérison, il y avait des rechutes.
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