Lueur d'espoir
Write by Kossilate
Chapitre sept : Lueur d'espoir.
- Une chanteuse nigériane a dit dans l'une de ses chansons,
qu’aucun endroit n'est pareil à chez soi. Chaque fois que je viens à Grand- Popo, cette affirmation se renouvelle pour moi. Je ne suis pas née ici c'est certain, mais après tous les obstacles que j'ai affrontés au Nigeria, le Benin est devenu comme une seconde maison pour moi, dis-je à Shadé lorsque nous avons fini de manger.
- Je n'ai jamais eu l'occasion de sortir du pays donc je ne peux partager votre sentiment.
- Je m'en doute. Pour avoir visité plusieurs pays, je pourrais vous dire que la joie de vivre des béninois, leur simplicité, leur convivialité et cette façon qu'ils ont de prendre leur temps, ne se retrouvent nulle part. Je pourrais vous dire que dans certains pays vous irez même jusqu'à regretter l'absence des zémidjan1. Mais vous ne me croirez pas sans avoir vu, sans avoir ressenti le vide qu'on ressent quand on se casse la figure contre l'idéologie des sociétés parfaites que nous vend l'Occident.
- ………
- Suivez-moi, dis-je en me levant de mon siège.
- Où allons-nous ? Demande Shadé tout en faisant de même.
- J'ai besoin de me dégourdir les jambes et si vous tenez à entendre la suite de l'histoire vous avez tout intérêt à en faire autant.
- Je vous suis Mada…..je veux dire Phoebe.
- Krkrkr
Nous sortons et nous nous dirigeons vers la plage. Face au reflux des vagues, je suis tellement subjuguée que j'en oublie de poursuivre mon histoire. Ce phénomène naturel est l'un de ceux que j'aime le plus. Il semble être un rappel de la nature qui nous demande de ne pas nous fier aux apparences. Autant l'eau peut être calme, sereine et source de vie, autant ici elle est vive, déchaînée et mortelle. Après mon départ de Porto-Novo et en raison de mes antécédents, je dû apprendre à devenir comme l'eau.
Le docteur Grâce devait repartir à Cotonou le soir même. Comme promis, elle m’emmena avec elle après que je sois passée chez le démarcheur pour prendre le numéro de Kira. Cotonou était une beaucoup plus effervescente que Porto-Novo. On y trouvait de tout et certains quartiers très huppés côtoyaient littéralement des bidonvilles. C'était assez déstabilisant mais toujours moins impressionnant que le contraste building-taudis de Lagos. On sentait ici le clivage entre les classes moyennes voire pauvres, et celles un peu plus aisées auxquelles appartenait Grâce. Dès notre arrivée, elle me conduisit dans le centre d'accueil et me présenta à la responsable Joséphine.
- Coucou Tati Joss, cria Grâce en allant à la rencontre de Joséphine.
- Grâce combien de fois devrais-je te demander de ne plus m'appeler ainsi ??
- Arrête de faire cette tête Tati. Ça ne te rajeunis pas tu sais.
- Jeune femme, s'offusqua la responsable tandis que Grâce avait de plus en plus de mal à garder son sérieux.
- Tati cela fait un moment que je ne t'ai pas vu alors laisse-moi exprimer ma joie
- Tchrumm…c'est la faute à qui si on ne te voit que lorsque le Gala de bienfaisance approche ??
- Je sais, je sais. Je suis une mauvaise marraine. Mais pour me racheter, je t'ai amené quelqu'un, répliqua Grâce en me tirant prêt d'elle.
- …….
- Tati, je te présente Phoebe. C'est une jeune femme que j'ai rencontré à Porto-Novo.
- Bonjour…
- Oh ! Elle ne parle pas le français. Elle comprend uniquement le yoruba et l'anglais.
- Bonjour, répétât Joséphine en yoruba.
- Bonjour, Madame.
- Appelez-moi Joséphine ou Tati
- Ou Tati joss, murmura Grâce à côté de moi.
- Grâce.
Sans m'en rendre compte, je me mis à pouffer devant le regard innocent de Grâce à Joséphine. Au fil de la conversation qui s'était poursuivie en yoruba par égard pour moi, j’appris que Joséphine était la tante paternelle qui avait recueilli Grâce après la mort de ses parents. Elle s'est battue pour que sa nièce n'aille pas chez sa famille maternelle mais n'ayant aucun lien direct avec Gina la petite sœur de Grâce, elle ne put en faire de même pour elle. D'autre part, je découvris que contrairement à ce que pouvait laisser croire son physique et son comportement vis-à-vis de sa tante, Grâce était une femme mariée âgée de 41 ans et mère de trois enfants ayant respectivement 25, 20 et 17 ans. Je compris alors pourquoi son regard sur moi n'était pas accusateur malgré mon jeune âge. En effet, elle eut son premier enfant à 16 ans et fut ainsi celle qui a inspiré cette idée de centre à sa tante.
La première semaine que je passai au centre fut assez mouvementée car il fallait me trouver une place, des vêtements et m'inclure dans la vie du centre. Pendant cette semaine, je fis la rencontre d'un grand nombre de personnes mais Tati Joss fut la seule à qui je me liai vraiment et la seule après Grâce, qui fut mise au courant de mon parcours. Cette vieille fille de 60 ans qui paraissait grincheuse et très stricte aux premiers abords, se révéla être une femme au cœur pur et plein de générosité. Ayant été privée par la vie de sa capacité à être mère, elle considérait chaque pensionnaire du centre et chaque femme qu'elle aidait comme ses filles. Sa phrase préférée c'était : « je suis comme les prêtres. Je n'ai pas d'enfants dans la chair mais j'ai une multitude d'enfants dans le cœur ». L'amour et la présence que je reçus dans ce centre, me changea énormément de l'inhumanité à laquelle j'avais eu à faire face au Nigeria. Cela m'aida à reprendre confiance à la race humaine.
Un mois après mon arrivé au centre, pendant que je m'occupais des tous petits pensionnaires du centre, Tati Joss me fit appeler.
- Coucou Tati Joss, dis-je en entrant dans son bureau.
- Coucou Phoebe, cria Grâce dont je n'avais pas remarqué la présence.
- Oh ! Grâce. Comment allez-vous ? Cela fait deux semaines que je n'ai plus eu de vos nouvelles, répondis-je en m'asseyant dans l'un des sièges que me désigna Tati Joss.
- Tati…
- Hum…
- Vous n'avez plus de coton tige ? Demanda Grâce très sérieusement à sa tante.
- Hein !!!
- On dirait que la fille ci ne me comprend pas quand je lui dis de me tutoyer. Donc j'en conclus qu'elle ne se cure pas bien les oreilles, continua Grace pendant que sa tante et moi éclations de rire.
- Toi la si c'est pour me faire avoir mal aux côtes que tu es venue la rentre chez ton mari.
- Ah pardon oh ! Si on ne peut plus s'exprimer librement.
- Désolée, Grâce. J'ai beaucoup de mal à vous….te tutoyer vu l'écart d'âge mais désormais je ferais l'effort.
- Quel écart d'âge ! Si quelqu'un t'entend, on va croire que je suis une grand-mère de quarante ans.
- Mais tu es une grand-mère de quarante ans, répliqua Tati en souriant à sa nièce.
- Non. Je suis une mère de quarante ans. Nuance.
- Krkrkr. Il ya juste un pas entre les deux et connaissant ton fils aîné cela ne saurait plus tarder.
- On n’est pas pressé….
- On ?? Parce que lorsqu'il fait la chose là il te prévient.
- Eh pardon ! On ne devait pas parler de quelque chose, objecta Grâce pour que sa tante arrête de l'embêter.
Il me fallut un instant pour retrouver un peu de sérieux car la joute verbale de Grâce et Tati Joss m'avait plongée dans un état d'hilarité prononcé. C'était toujours comme cela avec ces deux femmes. Elles avaient cette façon de se disputer gentiment avec des répliques plus ridicules les unes que les autres. Toutes les pensionnaires du centre les connaissaient pour cela et c'était toujours un plaisir d'assister à ces écarts venant de deux femmes qui paraissent si distinguées.
- Madame a fini de sécher ses maïs ??
- Eh pardon ! Laissez-moi rire. Hormones obligent…..
- Ouais je te crois.
- Bon, Phoebe à ton arrivée, Grâce m'a dit que tu avais été scolarisée et que tu avais même eu ton bac, repris Tati quand je fus totalement calmée
- Effectivement……
- J'imagine que tu sais que le centre essaie de réinsérer les jeunes femmes dans la vie active pour qu'elles ne soient pas dépendantes de nous et qu'elles ne bloquent pas nos fonds nous empêchant ainsi de venir en aide à d'autres……
- Oui je le sais.
- Grâce ici présente a proposé qu'on t'aide pour que tu passes l'équivalence de ton bac au Benin.
- …..
- Cela ne peut se faire cette année, car ton niveau en français n'est pas encore bon.
- …..
- L'un des donateurs du centre nous aidera pour les cours de français car il est directeur d'école. Tu assisteras à des cours du soir. Ainsi, tu auras le temps de te remettre à niveau en français et de t'occuper de ton fils.
Lorsque Tati finit de parler, je ressemblais plus à la peinture. « Le cri » d’Édouard Munch qu'à un être humain. Mon visage était figé dans la même position que cette peinture, avec la même bouche ouverte en un parfait o. La seule différence était que cette peinture exprime la douleur et le trouble, tandis mon visage exprimait la joie, la reconnaissance, l'étonnement et une multitude d’autres sentiments purement positifs. Mon enfant sembla sentir se déferlement d'ondes positives et choisi ce moment pour me donner les coups de pieds que je guettais depuis bientôt deux semaines.
- Seigneur…..il a bougé.
- Quoi ! S'étonna Tati en ouvrant de gros yeux pendant que le sourire le plus niais mais le plus reconnaissant du monde s'épanouissait sur mes lèvres.
- C'est normal tu es dans ton sixième mois de grossesse. Certaines femmes le ressentent même plutôt, affirma Grâce en souriant près de mon ventre.
- Hé pardon ne gâche pas sa joie avec tes mangnan-mangnan de scientifique là. Tu te souviens comment toi-même tu as pleuré comme une enfant quand Yann-Alric t'as donné son premier coup.
- Hé pardon ne commence pas pour moi… viens on va parler de la madeleine qui est assise à côté de moi, s'écria Grâce me faisant sourire sous mes larmes de joie.
- Je vous remercie mesdames pour cette chance que vous m'accorder. Je ne sais pas quoi faire ou dire….
- …….
- …….
- Ce que vous faites là me rappelle l'une des histoires que les jeunes élèves étudiaient à Porto-Novo. C'est une histoire de Tidjani A. Serpos. Dans cette histoire le héros se faisait vendre par un ami puis sauver par une autre.
- …..
- ….
- Moi je me suis faite vendre par des hommes et ce sont encore des hommes qui me sauvent. Je comprends maintenant sa question. Que faire alors à l'homme ?
- ……
- Pardonne et avance mon enfant. Tu as une trop bonne âme pour la gaspillée en la remplissant de haine et de douleur.
- …….
- Ce que je dis n'est pas facile et j'en ai fait l'épreuve. Mais je sais aussi que ce n'est pas impossible, continua Tati en me souriant.
- …..
- Grâce a une autre chose à te dire. J'espère que cela t'aidera.
- Phoebe, avant de quitter Porto-Novo, je t'avais parlé d'un neveu à moi qui irait voir si tes sœurs vont bien, commença Grâce qui avait regagné son siège.
- …….
- Il est revenu hier avec des nouvelles.
A cet instant tout le manque que m'avait inspiré l'absence de mes sœurs et toutes les incertitudes qui découlaient de l'absence de leur nouvelles, me compressaient comme dans un étau et je dus faire quelques exercices de respiration pour m'apaiser afin que Grâce puisse finir de m'informer.
- Tes sœurs ne vivent plus avec ton père.
- Quoi !!!
- Calme-toi, je n'ai pas fini.
- Mon contact les a retrouvé dans votre maison mais votre père n'y est plus…
- Comment …comment….balbutia-je pleine d'incompréhensions et de peur
- Grace tu es trop sauvage. Tu veux qu'elle accouche maintenant ? Demanda Tati
- J'ai….
- Dis-lui tout d'une traite au lieu de couper tes phrases et de faire monter sa tension.
- Phoebe calme toi. Tes sœurs vont bien.
- Mais…mais…papa ?
- Mon ami a parlé à Abeni. Elle lui a dit qu'après ton départ ton père a été pris de remords. Il a essayé de rembourser sa dette pour que son créancier te ramène mais ce dernier ayant refusé, il a encore plus plongé dans l'alcool. Il n'avait plus aucun moment de lucidité et donc les bars ne le laissaient plus parier. Il traîne de bar en bar et ne revient chez vous que rarement
- Oh mon Dieu ! Et…..mes sœurs ??
- Comme je te l'ai dit elles vont bien. Elles ont eu leur Bepc mais le manque d'argent ne leur a pas permis de poursuivre la seconde cette année. Abeni a dit à mon ami que l'une de tes anciennes camardes les a aidés à trouver un travail de serveuse et qu'elles économisent pour commencer la seconde à la rentrée prochaine. Adouni n'était pas présente car elle était au marché pour vendre les produits de votre jardin qu'elles cultivent toujours.
- Mes chéries…..mes …..
Je ne m'étais pas rendue dompte que je pleurais jusqu'à ce que le débit de mes larmes augmenta menaçant de me noyer. J'étais tellement heureuse qu’elle n’eut pas à subir le même sort que moi. J'étais heureuse d'apprendre que mon père a au moins regretté son acte. Mais surtout, j'étais heureuse de ne pas avoir failli à ma tâche de grande sœur et même de mère. Ce que me dit Grâce me montra que mes sœurs avaient acquis le goût du travail que nous avait inculqué maman et que j'avais essayé de semer en elle. Malgré la situation, elles ont tout fait pour trouver une solution sans perdre leur dignité et leur honneur. Oh ! Je savais que tout le monde ne réussissait pas toujours à respecter ces valeurs lorsque la nécessité s'installait et loin de moi l'idée de juger qui que ce soit. Mais j'étais énormément fière de mes sœurs. Toutefois, mon côté maternel repris vite le dessus lorsque je fini de me vider de toutes les eaux de mon corps.
- Mes sœurs…..je ne peux pas les laisser. Elles…ne pourront pas toujours se défendre des crises de papa et même si elles y arrivent, elles ne peuvent pas vivre ainsi. Je ne peux pas les laisser vivre ainsi.
- Je me doutais de cette réponse. J'ai une amie qui a un orphelinat….
- Jamais, criai-je. Je ne suis pas morte donc mes sœurs n'iront pas sans un orphelinat….
- Déjà tu baisses d'un ton. Pour le moment, on ne fait que t'aider donc laisse-moi finir avant de jouer à « je sais crier plus fort que king-kong »
- ……
- Donc je disais que mon amie avait un orphelinat. Tes sœurs pourront y être logées et nourries en attendant que tu aies une situation stable et que tu puisses vous entretenir tous les quatre. Elles suivront aussi une remise à niveau de français, et repasseront le brevet. Si elles travaillent aussi bien qu'elles l'ont fait au Nigeria elles s'en sortiront avec une bourse et dans le cas contraire, je me chargerai de payer leur frais de scolarité.
- Je ne peux pas accepter vous avez déjà tant fait, dis-je honteuse en regrettant mon éclat de gueule de tout à l'heure.
- Je ne le fais pas pour toi chérie mais pour tes sœurs. Elles ont été vaillantes en agissant comme elles l'ont fait. J'ai vraiment été touché par ce que mon neveu m’a raconté. Le moins que je puisse faire est de les aider dans la mesure du possible.
- ………
- Mon neveu est revenu car il avait des affaires à régler. Après ici pour son père mais il va bientôt repartir à Lagos. A ce moment-là, il reviendra avec tes sœurs.
- Je ne saurai jamais assez vous remerciez.
- Contente toi de crier partout que je suis la femme la plus cool que tu connaisses et on est quitte, dis Grâce en me faisant un clin d'œil.
Je ne pus en supporter d'avantage et ce fut reparti pour une autre série de pleurs et de rires. L'avenir me souriait enfin. Ce n'était pas trop tôt mais ne dit-on pas que le bonheur vient à point nommé pour celui qui sait attendre ?