Partie 44 : Ludmilla

Write by labigsaphir

- Maman, que se passe-t-il ? Demande Demi en s'asseyant, Rodia notre cuisinière pose une assiette devant lui.

- Merci Rodia, fait-il en prenant son couvert.

- De rien.

- Pourriez-vous nettoyer cette cuisine de fond en comble aujourd'hui ?

- Oui, madame répond-elle peu disserte.

Il y a longtemps, je ne suis plus choquée par son attitude. Au début, j'y voyais de l'insolence ou mieux, un certain mépris mais avec le temps, j'ai appris à connaitre mon personnel et à leur faire confiance. Aujourd'hui, elle fait non seulement partie de mon personnel le plus qualifiant mais aussi des personnes en qui je peux avoir confiance les yeux fermés.

Des pas dans l'escalier, je me retourne et vois descendre mes filles, elles font ma fierté et sont comme tout le reste de mes enfants, la prunelle de mes yeux. Demi 24 ans, Saint 22 ans, Blu Ivy 20 ans et Cynamond 18 ans, sont les enfants issus de mon mariage avec Dick. Je ne n'en suis pas peu fier, moi, la petite-fille des Boers.

Certains diront que j'ai surement profité d'un système social inégalitaire, déséquilibré mais ce système était là bien avant ma naissance. Je n'ai fait que me plier aux convenances, me fondre dans le moule de la société afin de faire mon ascension.

- Maman, cela fait des semaines que je n'arrive plus à discuter avec papa, se plaint Blu Ivy la parfaite copie de son papa.

- Bientôt, répondis-je distraitement.

- Cela fait des jours que tu le dis, insiste lourdement Cyna en mordant dans un croissant chaud.

Rodia fait le service, je les observe et les regarde sans pour autant être là. Je Plonge et repense à ma rencontre avec Dick, il y a 28 années de cela. J'étais une fille de bonne famille, vivant dans les quartiers mais tellement blasée par tout e que j'avais connu jusque-là. Mes parents d'un naturel protecteur voire envahissant, avaient tout donné et veillé à ce que le bonheur de leur enfant et fille unique, moi, soit assuré. J'ai fréquenté les meilleures écoles du pays, suis allée poursuivre mes études à Londres avant de rentrer.

J'étais et est toujours été ce que l'on appelle, enfant précoce. Non, non, ne vous imaginez pas que je sois une inadaptée sociale, bien au contraire. J'ai toujours eu cette facilité à aller vers les autres et surtout, à attirer leur sympathie.

***FLASH-BACK DE 28 ANS***

C'est ainsi que j'ai rencontré Dick, à l'occasion d'une fameuse soirée étudiante. De tous les hommes pour ne pas dire garçon de la salle, il était le plus silencieux, ne parlant pas ou peu. En une heure, le liquide dans son bouteille, n'avait diminué que de quelques centilitres, tellement il gambergeait.

- Wow ! Tu pourrais être plus distraite, tu sais.

- Maiwen, fous-moi la paix ! Je ne me mêle pas de tes plans culs, derrière le dos de Winnie.

- Surtout que tu as été un de ces plans culs, rétorque-t-il en ironisant.

- Une erreur de jeunesse, repartis-je.

- Une erreur de jeunesse qui t'a marquée au fer chaud, murmure-t-il à mon oreille.

- Sur une échelle de 1 à 10, je te mets avec pitié, à 1. Maiwenn ? Arrête de croire que tu es un chaud lapin, incapable de tenir au lit. Je ne fais même pas allusion à faire jouir, car tu es et resteras un éjaculateur précoce.

- N'importe quoi ! Je suis un vrai Mbobog, un vrai camerounais et un vrai bassa. Tu peux demander à qui tu veux. Nous, nos femmes ne nous quittent jamais. Nous maitrisons nos femmes et savons les soumettre.

- Ceux qui en parlent trop, sont toujours ceux qui en font le moins.

- Je suis toujours d'attaque à te faire chanter sur mon micro.

- Ton affaire-là, c'est pire que la nourriture avariée, fais-je en prenant ma bouteille de bière.

J'espère ne pas vous avoir offusqué, c'est un échange aigre-doux entre Maiwen, un de mes ex et moi. Il y a de cela deux années que nous avons rompu, pour le plus grand bonheur de mes parents qui souhaitaient avoir un beau-fils de la même couleur que l'aspirine, un vrai leucoderme.

- Bonsoir. Moi, c'est Ludmilla et toi ?

- Dick, répond-il surpris par mon courage.

- Cela fait un moment que je t'observe, tu sembles loin.

- Ah oui ? Je cogitais effectivement.

- Qu'est-ce qui peut bien te perturber autant ?

- La vie, tout simplement, la vie.

- Je ne t'ai jamais vu à Pretoria, dis-je en posant ma bouteille sur la table.

- Maîtriserais-tu les visages de tous les habitants de cette ville ?

- Oh non, que non, non. J'ai tout de même la mémoire des visages.

- Ah ok ; il me regarde droit dans les yeux, je baisse les yeux pour la première fois devant un homme.

- Que fais-tu dans la vie ?

- Je voudrais faire une formation afin de m'adapter au système et commencer travailler. Je viens en fait, du pays d'Harry Potter.

- J'avais cru comprendre à ton ton et moi, du pays de Nelson Mandela.

- Ha ha ha ha éclatons-nous de rire.

C'est ainsi que nous avons commencé à échanger et n'avons pu nous séparer de la soirée. Nous nous sommes revus le lendemain et les jours d'après. J'avais l'impression de le comprendre assez facile et avais cette capacité à épouser ses problèmes. J'ai dû demander à ma mère de faire fonctionner ses relations afin qu'un travail, un job lui soit rapidement trouvé. Ce fut fait en quelques jours, il put ainsi faire deux années universitaires avant de trouver un job convenable et toujours avec l'appui de mes parents. Nous avions une passion en commun, la botanique en plus de l'art. J'avais depuis toujours, souhaité être conservatrice de musée et allier la botanique à l'art. Quelques années plus tard en devenant collectionneur, Dick avait réalisé mes rêves et ouvert ce jardin pour moi, réunissant les espèces rares au monde.

Tout s'est enchaîné rapidement, travail, enfants et puis, mariage. Dick à l'époque, était un homme peu disert et surtout, renfermé. Je savais qu'il avait un mal-être, souffrait dans sa chair, parlant très peu de sa famille. La seule personne avec qui il était en contact régulier, était sa mère. Je me souviens d'ailleurs qu'à notre mariage, elle avait été la seule à faire le déplacement ; il en avait été ébranlé. Les relations avec son père avaient toujours été tumultueuses. Au fils des années, il a lâché des bribes et j'ai pu apprendre que dans les placards de leur famille comme dans toutes les autres, traînaient des squelettes.

****FIN DU FLASH-BACK****

- Madame, fait Rodia, me sortant ainsi de mes pensées.

- Oui, qu'y a-t-il ?

- C'est monsieur Banimbeck au téléphone, répond-elle en me tendant le combiné.

- Merci, Rodia.

Je prends ; ignore les regards interrogateur de mes parents et vais m'enfermer dans notre bureau, à Dick et à moi.

- Oui, Maiwenn.

- Bonjour la femme des bassa.

- Encore toi, Maiwenn, fais-je en souriant ; impossible de rester fâché avec lui, longtemps. Bonjour.

- Comment vas-tu ?

- Ça peut aller, merci de t'en inquiété.

- Tiens-tu le coup ?

- Ai-je le choix, Maiwenn ?

- J'ai appris ce matin en rentrant de mission. Winnie a été la première à m'en parler.

- Ah oui, oui.

- Je n'ai pas encore rencontré les autres. J'imagine que cela a du faire des gorges chaudes.

- Oui, oui. J'ai compris la leçon, Maiwenn, c'est dans le malheur que tu sais qui est vraiment ton ami.

- Je ne te le fais pas dire. Ma pauvre, courage.

- Merci.

- Et les enfants ?

- Je sais que c'est compliqué pour eux. Ils doivent en baver, mais que puis-je y faire ? J'essaie de les rassurer au mieux mais qui me rassure, moi ?

- Louloute, nous sommes là, Maiwenn et moi, tu le sais bien.

TIN...TIN...TIN...

- Ne quitte pas s'il te plait, j'ai un double appel, s'il te plait.

Je soupire et en profite pour balayer une poussière imaginaire sur mon bureau, attendant patiemment qu'il me reprenne.

- Oui, excuse-moi louloute, c'était un ami un vieil ami.

- Je le connais ?

- Quoi ? Connaîtrais-tu tous mes potes ?

- La plupart, je crois.

- Ah oui, c'est vrai, c'est vrai. Je ne crois pas que tu connaisses celui-là, ma belle.

- Qui est-ce ?

- Dean.

- Un Sudaf ?

- Non, un camerounais.

- Rhalalala, tu n'as pas laissé cette habitude de trainer avec les camerounais.

- Louloute, ce sont mes frères et il n'y a qu'un camerounais pour faire un certain coup-bas à un autre. Je suis une personne vaccinée, ne t'inquiète donc pas et puis, tous ne sont pas roublards. Les sudaf ne sont pas des saints, non plus ; nombreux sont des bandits à col blanc.

- Je comprends, je comprends.

- Oui, cela faisait une éternité que nous ne nous étions pas vus. Nous nous sommes revus alors que j'étais dans la zone de transit en Suisse.

- Oh, je vois.

- Breff, assez parlé de moi. Revenons à toi, s'il te plait.

- Et si nous vous invitions à la maison pour un week-end ?

- Vous n'avez pas besoin de le faire, tu sais. Merci d'être là pour nous.

- Quitter Prétoria quelques jours, vous ferait à tous, du bien.

- Ils sont grands et ont surement leur programme.

- Je vais demander aux enfants de leur en toucher deux mots.

- Surtout qu'ils s'entendent comme larrons en foire

- Ha ha ha ha éclatons-nous de rire.

- Merci Maiwenn, dis-je les larmes aux yeux.

- S'il te plait, ne pleure pas, ça ira.

- ...

- N'y a-t-il aucune chance pour qu'il soit relâché ?

- Si mais cela se joue sur un détail.

- C'est déjà quelque chose, garde la foi et tout ira bien.

- Merci Maiwenn.

- Je vais devoir te laisser, Winnie est en train de me faire les gros yeux.

- Ok, merci pour l'appel.

- De rien. Bonne journée et Bisous.

- Bisous et bonne journée.

Je raccroche et pose ma tête sur le bureau en soupirant. Et dire que j'avais une vie de couple, tranquille. Mon portable sur le bureau, se met à clignoter.

- Oui, fais-je en décrochant....Merci...Je prends, merci.

Quelques minutes plus tard, après quelques grésillements, j'entends la voix de mon époux.

- Chérie,

- Oui, Dick.

- Bonjour. Comment vas-tu ?

- Ça peut aller, mieux et toi ?

- Aussi. Et les enfants ?

- Ils sont inquiets mais je suis là.

- Il est possible que je sois libéré, que je puisse profiter du doute considérable.

- Ah bon ?

- Sachant que Jen n'est pas l'enfant biologique de Carla, nous ne pouvons avoir des allèles communs.

- C'est certain.

- Mon avocat pense que nous pourrions profiter et rentrer dans cette brèche.

- C'est une bonne idée et pour le reste ?

- C'est plus compliqué.

- Ok ; j'ai la voix tremblante.

- Chérie

- Non, Dick, je suis fatiguée de devoir faire semblant devant les autres. Je suis fatiguée de devoir être celle qui soutient la famille, alors que moi-même, je ne vais pas bien. Tu n'as pas idée des retombées, conséquences de cette affaire sur nos vies. Ma famille, les amis, nos fournisseurs et le reste.

- Je sais, chérie, pardon. Ne me laisse pas tomber, nous sommes une équipe.

- En signant avec toi, je n'avais pas signé pour cela. Dick, j'ai beau t'aimer mais suis encore là pour les enfants.

- Merci, chérie, merci.

- Je vais devoir y aller, il faut faire bouillir la marmite.

- Embrasse-les de ma part, je vous aime.

Je raccroche, vais m'assurer que tous mes enfants vont bien avant me rendre au jardin botanique. Là-bas, je peux me fermer à toutes les turpitudes de la vie. Je ne sais si je vais pouvoir tenir longtemps. Entre mes parents me demandant de divorcer car disent-ils, Dick est la déception de leur vie et donc de la mienne, et le reste de la société qui nous a déjà taxées de criminels sans nous donner la possibilité de nous expliquer.

Je suis lasse et commence vraiment à penser au pire...


Jeneya CROFT, l'Impé...