Portraits de femmes : Zeina Walet - 1

Write by Pullar Debô

Comment dire à l’homme avec qui on sort, qu’on ne veut pas « s’engager » ? Voilà l’impasse de Fatma, l’une de mes deux meilleures amies. Nous sommes dans ma chambre. Leila fait sa séance de manucure pédicure sur le canapé, et Fatma, assise sur le lit, est absorbée par son téléphone.

  • Il rappelle encore, fit Fatma, l’air désespérée…

  • J’adore cette couleur sur les pieds ! Tu parles d’Abba ?

  • Oui…

  • Tu ne pourras pas indéfiniment l’éviter… Faut bien avoir une discussion d’adulte…

  • D’adulte ? Et qu’est-ce qu’on se dirait ?

  • Commence par lui dire que tu es désolée. Excuses-toi, Fatma, ce n’est pas la fin du monde de présenter des excuses.

  • Oui, mais j’ai tellement honte. Je ne sais pas comment lui dire ça.

  • Commence par la vérité. Dis-lui, que tu n’es pas prête.

  • « Abba, salut ! Tiens, au fait, désolée d’avoir quitté le diner quand tu m’as fait ta demande en mariage. En fait je ne pense pas que je t’aime assez pour envisager de passer le reste de ma vie avec toi ou que je sois même prête à me caser » Quelque chose comme ça ? Parce que ça, c’est la vérité.

J’écoute leur conversation depuis les toilettes où j’essaie d’appliquer un masque sur mes cheveux. Je sors la tête pour m’immiscer dans leur conversation.

  • Non. Non, tu sais quoi ? Finalement laisse tomber la vérité… (En la regardant) Tu pourrais essayer autre chose ? Du genre : « Je suis désolée, j’ai tellement été surprise que je me suis emballée… Je t’aime bien, mais je crois que c’est assez tôt pour moi de penser mariage ». ça le fera…

  • Mais ça, ce n’est pas la vérité.

Leila et moi levons les yeux au ciel. Est-ce qu’elle a, elle-même, accepté la « vérité » au point de la partager ?

La vérité, c’est que Fatma est amoureuse de Sofiane, l’un des garçons de notre bande d’amis, et ça depuis toujours. Mais elle ne l’avouera jamais, parce que Sofiane a une copine trop cool que tout le monde adore, et parce que, mais surtout cette copine trop cool, c’est Anta. Une amie à nous, toutes. Un cas compliqué, auquel je ne veux ni penser, ni chercher à résoudre, au risque de devoir choisir entre deux personnes qui comptent pour moi

  • Ce bleu est parfait ! Oh non ! (En voyant ma tête » Est-ce que ça va ?

  • J’ai juste coupé mes cheveux, il n’y a pas mort d’homme.

  • Et tu as utilisé quoi, la tondeuse de votre jardin ? Fit Fatma en tirant la langue.

  • J’irais au salon après pour qu’ils refassent les bords.

  • Moi, j’aime bien, je trouve que ça te va… Si bien-sûr tu passes au salon.

Je grimace et retourne dans les toilettes.

Je m’appelle Zeina Walet, touareg, vingt-et-deux ans et j’ai un master en Marketing et Communication. Mon père est Abdel, le propriétaire de la compagnie de transport « Sahel Transport ». Elle est implantée dans plusieurs pays d’Afrique : Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée Conakry et Bissau, Togo, Benin, Cameroun, Burkina, Mauritanie, Ghana, Zambie, Congo… Un projet fou, et de l’argent à gogo. Ma mère, Aicha Ansar, est l’exemple type de l’épouse touareg : belle, jeune, femme au foyer. Elle passerait pour ma grande-sœur si vous nous croisez. Nous sommes trois : Moi, l’ainée, puis Younes vingt ans, et Sheyma, la benjamine, dix-sept ans.

Younes est au Etats-Unis pour ses études et Sheyma était avec moi, au Canada, avant que je finisse et ne rentre définitivement.

Je suis rentrée au pays il y’a un mois. Tout comme Leila, Fatma et la bande : Sidi, Sofiane, Ahmed, Houssame… Nous avons tous grandi à Gao et avons fréquenté le même collège à Bamako.

Diplôme universitaire en poche et des rêves pleins la tête, on s’est donné un mois, pour faire la fête, avant de se lancer dans la vie professionnelle. Faut croire qu’en vrai, on peut tous se le permettre car les parents pèsent lourds.

Le week-end prochain par exemple, on ira à Ségou, à deux heures de route de la capitale. C’est dans deux jours. On a réservé dans un hôtel au bord du fleuve. Le programme : sillonner la ville la journée et, toute la nuit, rependre la « fièvre touareg ». C’est comme ça, on a surnommé nos folies et l’idée vient d’Anta, la chérie de Sofiane quand elle a intégré le groupe.

Mon histoire ? Même si je suis l’ainée de la famille, je ne suis pas pour autant sage. Je ne bois ni ne fume, mais une chose est certaine, je ne suis pas une sainte.

A seize-ans, alors que nous venions d’avoir le BAC, j’étais allée dans un club de la ville, toujours avec Leila et Fatma. Personne ne dira d’une touareg qu’elle est moche. Enfin pour la plus part… Alors forcément, ça attire les regards.

Ce soir-là, j’ai rencontré un garçon. Hassan. Mignon comme tout. Le genre de personne qui agit comme un aimant. Lui et moi sommes sortis ensemble pour près de deux ans. Et de cette relation, je n’en suis pas sortie totalement idem. Il fut le premier. Enfin, ma première fois… C’était seize ans mais déjà bien adulte.

L’avantage d’avoir des parents comme les miens ? C’est que mon père est si occupé, que pour excuser son absence, il cède à tout ce qu’on lui demande : argent, voiture, téléphone, voyage… Tout y passe. Et ma mère tient tellement à toujours paraître distinguée, très bien habillée, qu’elle oublie qu’elle a de grands enfants. Soin du corps, hammam, manucure pédicure, shopping… Son passe-temps favoris.

Je sors de la douche et m’assoie à terre près du canapé. Fatma m’aidera à passer le fer.

  • Il y’a un barbecue chez Ahmed, ce soir ? Vous y aller ? Dis-je.

  • Non, sans façon. Diner obligatoire pour tout le monde.

  • Ta mère est rentrée ?

  • Oui. Imagine l’ambiance à la maison. C’est du fun au stricte. Moi, Leila, je sens que ce week-end risque de se passer sans moi.

  • Et toi, Fatma ?

  • Sofiane y sera ?

  • Bien-sûr. On est tous invité…

  • Et par tous, tu entends ?

  • Anta et tout le monde.

  • Alors c’est un « non » pour moi. Je préfère encore regarder la télé…

  • Ça a un nom, tu sais ? ça s’appelle de la jalousie.  

  • Leila, quelqu’un a demandé ton avis ?

  • Bon, ça suffit les filles. On n’y va pas. Simple. Pas la peine de se prendre la tête… Ok ?

Après le départ des filles, j’ai été au salon d’esthétique. J’ai profité d’une séance de spa, après la coiffure et la manucure-pédicure. Ça m’a fait un bien fou. Et je me sens encore plus jolie.

Mais alors que je tentais de regagner la maison, arrêtée au niveau d’un panneau de feux de signalisation, une Range-Rover gris métallique, vint cogner l’arrière de ma berline. Merde ! Elle ne vaut pas un an cette voiture ! Enervée, je sors du véhicule. Cette personne va m’entendre.

  • Vous êtes sérieux ? Le frein, vous connaissez ? Ou votre permis vous l’avez ramassé ?

Je n’ai pas regardé son visage, je considérais le coffre de ma voiture complètement détruit. C’était horrible. Et cette migraine…

  • Excusez-moi, je ne sais pas ce qui s’est passé. Je crois que j’avais la tête ailleurs.

  • Ah !

Quel toupet ! Quand je le regarde enfin, je vois un homme, grand, carré, un teint caramel. Et oui, il est beau, et sent extrêmement bon : Bois d’argent de Dior, je dirais.

  • Je suis désolé. Sincèrement. Je prends en charge les frais de la réparation de votre voiture. Je suppose que ça devrait aller ? Vous n’avez rien ?

  • Non… Mais vous avez complètement bousillé ma voiture. Elle est sortie d’usine, il y’a à peine un an ! Alors votre réparation…

  • Dans ce cas, je vous dois une nouvelle voiture.

Je cherche l’humour mal placé sur son visage, mais non, il a la même expression que, quand il a parlé de la réparation.

  • Vous trouvez ça drôle ? La situation vous amuse peut-être ?

  • Non. Je suis très sérieux. La mienne aussi est complètement amochée…

  • A qui la faute ?

  • Ecoutez… Laissez-moi appeler mon garagiste, il va venir récupérer votre voiture. Là, tout de suite. Moi, je vous dépose où vous voulez et Lundi, quelqu’un vous livrera votre nouvelle BWM. Ce sera une sortie d’usine aussi. Je vous le promets.

  • Et c’est censé m’impressionner ?

  • Disons que censé faire en sorte que vous m’excusez.

Il sort son téléphone et tient une conversation d’à peine une minute.

Il est bel homme. Je lui donnerais les vingt-et-six, mais pas moins. Je remarque à son poignet une Rolex. Pas une imitation, je sais en reconnaitre quand j’en vois. Alors, une voiture neuve ?

  • Je m’appelle Walid Khaled Tall. Mais mes amis m’appellent Walid, tout court.

  • Je ne suis pas votre amie, je suis celle avec qui vous venez d’avoir un choc. Donc Monsieur Tall m’irait bien. Pour la voiture ?

  • Donnez-moi vos clés, je la gare en bordure de goudron, ils vont venir la chercher, vous montez avec moi, je deviens votre chauffeur pour la journée.

J’ai l’air d’hésiter. Ma voiture délaissée. Monter avec un inconnu ? Tout semble être une mauvaise idée.

  • Je ne mords pas. Finit-il par dire.

  • Je n’ai pas peur de vous.

  • Eh bien d’accord.

Je le laisse garer la voiture à côté, je récupère la carte grise. On attend sans parler près d’une trentaine de minutes, puis une autre range rover se gare, accompagné d’un pick-up blanc. Le chauffeur lui lance les clés de la voiture.

  • On y va...

Je le suis complètement ahurie. Oui, si je veux une voiture, on ne me la refuse pas. Mais jamais aussi rapidement comme pour un claquement de doigts. Je devrais attendre dans trois mois pour que papa me l’accorde. Mais là, c’est un autre niveau.

Dans la voiture, « Number One » de Ric hassani explose les baffles. On reste silencieux près d’une vingtaine de minutes et je me décide de diminuer le volume.

  • Mais, ne vous gênez surtout pas. Dit-il.

  • Je n’y comptais pas. Bien. Je dois aller à Cité du Niger. C’est là-bas que vous devez me déposer.

  • D’accord mademoiselle. Vous ne comptez pas me dire votre nom ?

  • Zeina Walet.

  • Enchanté.

Je suis au bout de ma vie. Jamais je n’aurais cru rencontrer pareil homme. En chemin, il se fait bavard. Il me parle de lui. Il a vingt-et-huit ans, il a deux petites sœurs et il vient de rentrer pour pouvoir travailler avec son père.

Je ne dis rien. Je me contente de faire semblant de ne pas m’y intéresser. Quand même il faudrait beaucoup plus pour m’impressionner, c’est pour ça que je veux qu’il me dépose à la maison. Qu’il voit où j’habite et qu’il comprenne que son tour avec les voitures, ne fonctionne pas. L’argent, je connais.

  • Très belle maison.

En me tendant une note sur laquelle il avait inscrit son nom, son numéro de téléphone, la plaque d’immatriculation de sa voiture et son adresse. Tiens ! Il habite la Cité aussi.

  • Pour la voiture, vous pouvez me laisser votre numéro, je vous tiendrais informer pour lundi ? Et au besoin, je vous envoie quelqu’un.

  • Vous deviez être mon chauffeur non ?

  • Oui, mais vous n’êtes pas très bavarde. J’ai peut-être accidentellement cogné votre voiture, mais je n’ai pas éveillé d’intérêt chez vous pour qu’on puisse faire connaissance, alors on va mettre le chauffeur à la disposition de madame. Je n’aime pas trop forcer les choses… Je respecte les décisions de chacun.

Il ouvre la portière et me laisse sans voix. « Je n’aime pas forcer les choses ». Je me retrouve face à lui. Il sourit.

  • Vous êtes une très belle femme. L’air difficile, mais une très belle femme. Encore désolé pour la voiture.

Et ouf’s, il est parti. Dans l’air il ne flotte plus que son parfum. Je rêve, enfin, je n’ai pas ma voiture, donc ça ne doit pas en être un …

Vue que mes parents ne sont jamais là, alors la plus part du temps, quand je suis à la maison, je suis seule avec le major d’homme Aly, notre dame de ménage Gogo, et notre cuisinier, Abo. Moi, une fois à l’intérieur :

  • Abo ! J’ai faim… (En montant les escaliers)

Il sort en riant, pendant qu’Aly récupère mon sac.

  • Mademoiselle, il n’y avait pas à manger dans les restaurants de Bamako ?

  • Disons qu’il n’y avait pas Abo dans ces restaurants-là. (En grimaçant drôlement)

  • Je t’ai préparé des légumes sautés et de la viande grillée.

  • Super ! Je vais prendre une douche et me servir après. Et maman ?

  • Elle est sortie.

  • Comme d’habitude ! Merci !

Je suis consciente de la chance que j’ai, et donc je ne prends pas tout ce que j’ai pour acquis. Je ne suis pas une petite fille pourrie, gâtée. Je ne désire pas le dernier Iphone, une range rover, ou même des voyages tous frais payés pour des destinations de rêves, même s’il est vrai que je peux me les permettre.

Mes études, je m’y suis accrochée. Je ne voulais pas qu’en m’embauchant dans sa société, les employés de mon père, pensent que je n’ai rien fait pour mériter d’être là. Je veux me construire sur des bases honnêtes.

Alors qu’en est-il de mes relations amoureuses. « Zeina, n’est pas du long-terme ». C’est ce que la bande dit pour me charrier. Mon avis ? Ma vérité ? Je n’ai pas de chance en amour, et les échecs m’ont lassé, donc j’ai décidé de ne plus jamais m’attacher. Ma plus longue relation, c’était Hassan, bien-sûr. Les autres après lui, s’estimaient sur six, huit ou dix mois. Mais jamais plus.

La dernière en date a fini, il y’a un mois. Il s’appelait Idy. Un jeune homme charmant, de dix ans mon ainé. Je les préfère, âgés.

Je ne suis pas non plus partie au barbecue d’Ahmed. La voiture a été une belle excuse. Et quand j’ai raconté l’histoire de Walid aux filles, elles étaient hystériques.

  • Une nouvelle voiture ? Et il n’avait pas l’air frimeur ? J’aime ! C’est ce genre de type, qui lors d’une dispute te dit « Bb, va prendre l’air à Venise ». ça, c’est un portefeuille lourd ! Dit Leila.

  • Vu que tu es célibataire, tu ne perds rien à le draguer ! Dit Fatma.

Les filles, des conseils terribles. La veille de la sortie pour Ségou, je me suis rappelé que j’avais prévue de faire la virée avec ma berline. Je ne sais pas pourquoi, je me suis surprise à composer le numéro sur la note. Et à la deuxième sonnerie, il répond par un « Salut ! » comme s’il savait déjà qui c’était.

  • Salut…

  • Zeina ? C’est ça ?

  • Comment vous avez su ?

  • Tutoie-moi, je t’en prie… Tu es la seule à qui j’ai donné ce numéro, récemment. C’est ma ligne personnelle. Tu appelles pour ta voiture ? Lundi. Mais si tu as une course, le chauffeur peut passer te prendre ?

  • En fait, j’avais une virée sur Ségou. Et j’avais prévu d’y passer tout le week-end, mais j’aurais voulu conduire pour y aller.

  • Ségou ? Ce serait super ! Je peux venir ?

Je ne m’y attendais pas. J’aurais usé de ruse pour le lui proposer autrement. Les filles m’ont mélangé la tête.

  • Tu réfléchis trop. Laisse-moi t’y conduire ?

  • Je ne te connais pas.

  • Ça ne t’a pas empêché de m’appeler. Tu allais de toutes les façons me le proposer, je te facile la tâche. Ton orgueil ne t’aurait pas permis de céder, alors ne me remercie pas… Je passe te prendre à quelle heure ?

  • Walid ? C’est ça ?

  • Oui.

  • Quel vent ! Mais ce sera bon pour huit heures demain. Au revoir !

Je raccroche sans autre forme. La honte !

            Je l’ai dit, je n’ai jamais eu de chance en amour. Je cède très difficilement ma confiance aux hommes. J’ai tellement eu le cœur brisé, que j’ai cessé de donner du crédit aux belles paroles et aux jolis visages.

            Souvent je me dis qu’en fait, il est bien mieux de prolonger le célibat que de s’engager dans une relation qui n’entachera qu’en mal, ta conception de l’amour.

Je suis sortie avec des hommes très riches, des hommes pas très riches, des hommes sans fonds souvent, parce que j’ai fait confiance à mon cœur. J’ai cru en l’amour. J’ai pensé qu’ils aimaient la femme que j’étais au fond, ma personnalité, tout ce qui la compose, mais en fait, ils aimaient le corps, le teint, la beauté physique.

Alors peut-être que ce type aussi, n’est qu’un beau parleur, un frimeur qui se sert de la fortune de son père, pour draguer, séduire et mettre dans son lit toutes les femmes qu’ils rencontrent. Je refuse de céder. Encore une fois…

J’arrête, je ne joue plus. Et puis, je n’ai que vingt-et-deux ans. Ma vie est encore loin devant, je suis sûre de pouvoir rencontrer mon Brad Pitt un jour…

Le lendemain, à huit heures, il était bel et bien à l’entrée de la maison. Short, polo, lunettes de soleil et sourire. On devait joindre les autres au niveau de la Tour d’Afrique. Leila et Fatma ont préféré faire le trajet avec Ahmed.

  • Comment comptes-tu me présenter à tes amis ? « Salut ! c’est celui qui a bousillé ma voiture ! ». Dit-il en riant. Ils ne risquent pas d’apprécier…

Mais non, mes amis sont les meilleurs. Avec les garçons, c’était comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Ça a commencé à parler de foot, de billard… Ils riaient, se comprenaient et pire, Walid semblait se sentir parfaitement à l’aise. J’avais l’impression, qu’ils l’avaient plus l’adopter que je ne le fis.

Après s’être promenés en ville, on a atterri au crépuscule dans un atelier de peinture artisanale. Chacun son tableau. Ça dessinait du n’importe quoi. Mais Walid, lui, avait dessiné une forme, qui ressemblait plus à une personne, qu’on aurait vue, floue comme une vision au loin.

  • C’est très… ça a l’air très profond, ce tableau… Enfin, malheureusement, personne ne s’y connait à l’art ici donc… Tu devrais considérer ça comme un compliment.

Ça, c’était du Fatma, tout craché. Un franc parler, sans autre forme. Mais il n’avait pas été touché, il se contenta de faire le même sourire dans ma direction, avant de poser ses yeux sur Fatma.

  • Alors laisse-moi t’édifier… Je l’ai fait pour ton amie, je suis sure qu’elle, elle a compris.

Je n’avais rien compris… Mais pourtant ça n’a pas cessé de me travailler durant toute la soirée que nous avions passée au bord du fleuve.

Alors que je me servais un autre verre de jus de cocktail, je sentis son parfum flotter dans l’air.

  • Tu ne bois pas ? (En regardant vers Sofiane et Houssame qui tenaient chacun une bière)

  • Non, je ne vois pas l’intérêt… Tes amis sont jeunes mais intéressants.

  • Je suis moi-aussi jeune.

  • Pourquoi avoir accepté que je vous accompagne ici ?

  • Je ne sais pas… La curiosité ? Tu m’intrigues.

  • La nouvelle voiture ?

  • Ça, et aussi la confiance en soi, ton assurance…

  • Disons que je suis quelqu’un de chanceux, et que ça profite bien.

  • Tu offres des voitures à tous ceux que tu croises ?

  • Je n’ai rien proposé à tes amis. Si ? Ou sinon je ne m’en rappelle pas. (Le ton moqueur)

  • Qu’est-ce tu fais dans la vie ? Tu m’as dit que tu es rentré pour aider ton père ?

  • C’est une entreprise familiale…

  • Et votre fortune vous permet de tels écarts ?

  • Souvent, oui.

Nous restons silencieux un moment, puis il se met à fredonner un air que je ne saisis pas aussitôt, mais il s’agit de « Forever Young » de Jay-z.

  • Le tableau…

  • Il est tien. Mais je suppose que tu veux savoir pourquoi ? (Je secoue la tête pour dire oui). C’est toi, cette forme. Le tableau n’est pas totalement flou. Pour l’instant, ce que je vois de toi, me ramènent à ça. Je ne distingue ni ton visage, ni ton corps. Je ne distingue pas, ce qui t’anime. Ta personnalité… Peut-être qu’avec le temps, l’image se fera plus nette. Tout va se préciser ?

  • Et depuis quand tu dessines ?

  • Depuis toujours…

Il m’intrigue. Je ne le saisis pas non plus. Tout ça a l’air bien trop beau pour être vrai. Je préfère rester sur mes gardes que de tomber sous son charme.

Le week-end est terminé. C’était merveilleux. Et pour une fois, je ne sais pas par quelle magie, quand nous dansions au bord du fleuve, Sofiane a partagé un zouk avec Fatma. Anta, à l’écart, n’avait pas l’air de s’y intéresser non plus. Ça bavardait trop, et puis personne ne peut se douter des sentiments qu’elle peut avoir pour lui… C’était des amis. Et comme tout le monde dansait avec tout le monde, ce n’était pas suspicieux.

Alors le fameux lundi vint. C’est aussi le jour où je devais me présenter dans la société de papa. L’introduction se fera par mon oncle, son petit-frère. Ma mère n’a remarqué l’absence de la voiture que ce matin.

  • Que s’est-il passé ?

  • Quelqu’un a cogné la voiture par derrière… Mais, il a pris en charge la réparation.

  • Tu vas te retrouver avec une voiture neuve, qui va donner l’air d’avoir sept ans au compteur. Et cette personne a les moyens de la réparer ?

  • Il a les moyens de m’en offrir une nouvelle, alors la réparer, ça on en parle pas.

  • Ah oui ? Eh ben ça alors… Donc le chauffeur te déposera à la compagnie ?

  • Oui. Et si tout va bien, ils rapporteront la voiture du garage aujourd’hui.

  • Eh bien d’accord. Passe-une excellente journée. Au fait, je voudrais organiser un voyage sur Paris. Ton père étant en déplacement et toi, qui commence ton stage. Je n’ai pas envie de rester seule ici.

  • Maman… Ne te cherche pas d’excuses. (En posant une bise sur sa joue). Tu n’es jamais à la maison de toutes les façons… Bye !

Alors que je le chauffeur franchissait la porte avec la Jeep, je vis, garée près de la concession une berline rouge vive, neuve. Je fis signe au chauffeur de s’arrêter et sortis de la voiture. C’était le garagiste de la dernière fois, qui se tenait près d’elle.

  • Monsieur Tall m’a chargé de vous la livrer. (En me tendant une petite boite)

  • Ce n’est pas ma voiture…

  • Si. C’est la vôtre. Il a remplacé celle qui est au garage, par celle-ci. J’espère que la couleur vous convient ?

  • Si la couleur me convient ? Vous rigolez ? Il est toujours comme ça ?

  • Excusez-moi ?

  • Votre Monsieur Tall. Est-ce qu’il vous envoie livrer des voitures dans tous les quartiers de Bamako ?

  • Vous êtes la première à qui j’ai livré une voiture. (En souriant). D’habitude, Monsieur est très prudent en circulation, il ne fait pas d’accident…

Il me tend de nouveau la boite et je la saisis. Je sens l’adrénaline me monter des pieds à la tête, en allant et descendant. Le garagiste est parti.

En ouvrant la petite boite, il y’avait à l’intérieur, les clés et une note : « Milles excuses pour l’accident. J’espère que le rouge te plaira… Et surtout, soit prudente au volant »

            Je libère notre chauffeur et m’assoie, toute excitée, au volant de ma nouvelle berline. Quelque chose se passait tout en moi.

« Zeina Walet, be careful » Dis-je en démarrant.

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