Portraits de femmes : Zeina Walet - 2

Write by Pullar Debô

Ce premier jour à la compagnie de transport, n’a pas été de tout repos. Mon oncle m’a confié à Hapsatou, la Directrice Commercial Marketing. Elle ne m’aime pas je crois. Je pense plutôt qu’elle se méfie de moi. Peut-être se dit-elle que je désire son poste ? Ce qui n’est pas totalement faux, mais ce n’est pas non plus dans un avenir très proche, à mon avis. Elle devrait donc mettre de l’eau dans son vin au risque de rencontrer l’autre moi.

Aujourd’hui par exemple, elle m’a demandé de lui faire son café. Disons que, pour ne pas paraître arrogante, je l’ai fait. Demain, je serais moins clémente. Je suis une stagiaire, oui, mais pas n’importe laquelle. Je suis censée apprendre vite, faire mes preuves, pour qu’on puisse me responsabiliser. En gros, cette journée aurait pu être meilleure.

Pour la nouvelle voiture ? Je n’ai attendu que le petit soir pour lui faire signe, même si toute la journée, j’y ai pensé fort. Je n’en reviens toujours pas ! Même maman qui met un temps fou à remarquer des choses dans sa maison, a été la première à me sortir : « ça alors ! Quelle audace ! C’est vraiment un gentleman ! ». Mais je dirais plutôt que c’est parce qu’il a les moyens.

Les filles, quant à elles, lors d’un appel Skype, m’ont rabâché tout un plan pour le garder.

  • Zeina ! La générosité de Dieu s’est manifestée en cet homme. Amen ! Beau, grand, l’air intelligent, riche, blagueur et une bonne dose de confiance en soi ! Fonce ma belle, fit Leila, toujours enthousiaste.

  • Sais-tu au moins d’où vient tout cet argent ? Il n’est même pas vieux. Et tu es sûre qu’il n’est pas marié ? Ou qu’il n’a pas une copine complètement folle quelque part ? Tu devrais te méfier en mon sens. Du Fatma, tout craché.

Mais elle n’avait pas tort. Quel est le nom de cette entreprise ? Que fait-il réellement ? Drogue ? Affaires louches ? ça part dans tous les sens dans ma tête.

Assise au bord de la piscine, les pieds dans l’eau, je lui ai envoyé un message texte. « Monsieur Tall. J’ai apprécié le cadeau, même si ce n’était pas nécessaire. Et la couleur rouge, c’est tellement mieux ! J’aurais dû y penser… Bref, merci. Je vous enverrais la carte grise de l’autre voiture. Comme ça, on serait quitte. Excellente soirée ! »

Sa réponse ne se fit pas attendre. Il m’appela la seconde qui suivit.

  • Attendre toute la journée, et c’est pour avoir un « On serait quitte » ? Je ne maitrise pas le manuel des femmes, mais j’aurais parié qu’une toute autre, aurait voulu garder le contact…

  • Ah parce que tu t’attendais à ce que je tombe directement sous le charme ?

  • Ça, c’est déjà fait, mais tu préfères le nier… Tu es très entêtée, avoue. Mais je suis désolé, c’est un « non », on ne sera pas « quitte ». Un diner peut-être ? Et seulement après on verra si on peut se supporter.

Je pars en éclat de rire. J’en ai envie ? Oui ! Je veux le connaître, comprendre pourquoi il me devient si facile de céder à ses demandes. Savoir si tout ceci, n’est pas un masque. Tout ce qui brille, n’est pas forcement bon.

  • Accorde-moi ce diner et je te promets d’être sage ? Plus sage, que je ne le suis déjà…

  • Laisse-moi y réfléchir ?

  • Demain soir ? Je passe te prendre à huit heures ? Porte du blanc, ça t’irait à merveille !

  • Est-ce que tu as toujours obtenu tout ce que tu désirais ?

  • Non et pour ça, tu peux me croire… Alors pour demain ?

  • D’accord.

  • Merci ! Tu pourras me remettre la carte en main propre, c’est bien mieux.

Il a un rire moqueur. Il s’excuse, il a reçu du monde chez lui, il doit raccrocher. Je fais, genre, je suis occupée aussi, et mets fin à la conversation. Demain, je porterais de l’orange. Une robe à hauteur du genou, et ce sera parfait.

Le lendemain, alors que j’ai voulu garer ma voiture, j’ai remarqué qu’ils ont marqué ma place de parking comme « réservée ». Je ne comprends pas. Mon oncle m’avait pourtant assuré que c’était la mienne désormais…

Je me résigne de remettre les clés au parqueur, pour qu’il me trouve un endroit où garer ma voiture et file à l’intérieur.

J’ai arboré un tailleur-pantalon bleu de chez Zara et un dessus de haut blanc en dentelle. Je suis penchée sur treize centimètre de talons. Mes cheveux forment un chignon. Mon père a fait savoir qu’il désirait un bureau pour moi, même si je ne suis qu’une stagiaire. Il m’a dit que c’est le même que j’occuperais une fois employée. J’ai donc demandé à mon oncle, si je pouvais avoir celui qui a la fenêtre large et qui se trouve être en face de celle d’Hapsatou. C’est à l’angle du bâtiment et donne un très bon éclairage.

  • Hapsatou a dit qu’elle désirait ce bureau pour le responsable commercial du pays.

  • Vous avez surement d’autres bureaux qui lui conviendraient mon oncle ?

  • Oui, mais elle a avancé l’argument comme quoi la proximité de celui-ci rendrait les choses plus faciles pour elle.

  • Elle ne m’apprécie pas.

Mon oncle soupire et me sourit. C’est un homme qui a toujours été là pour moi, et qui a toujours été de bons conseils.

  • Tu apprendras à t’y faire et crois-moi si je te dis, qu’elle ne sera pas la seule. Des personnes qui ne t’apprécient pas, tu en rencontras par milliers. Le mieux, c’est de trouver le moyen de collaborer avec eux.

  • Alors qu’elle trouve le moyen de collaborer avec moi. Mon oncle, je désire ce bureau. Pas un autre.

  • D’accord. On lui donnera celui du fond…

  • Merci. Et pour ma place de parking ?

  • Tu l’as déjà eu…

  • C’était réservé ce matin en arrivant.

  • Je vois. Tu pourras l’utiliser à partir de demain. Vois avec le service Achats et Moyens Généraux pour l’aménagement de ton bureau, et fais-moi savoir si tu as besoin de quelque chose. Et puis… Nous avions tous eu échos de tes prouesses à la fac, tu nous es revenue Major de Promo. Impressionne-nous plus ma petite ! Sois rock.

Alors pour cette journée. J’ai été très occupée à rendre m’approprier mon espace de travail. J’ai décrit expressément les meubles que je voulais avoir dans mon bureau. J’ai même abusé en demandant un aquarium. Je sais !

Vers l’après-midi, aux environs de quinze heures, celle que j’avais évitée toute la journée, vint franchir ma porte : Hapsatou. Elle porte une mini-jupe ample et un chemisier légèrement déboutonné.

  • Zeina, c’est ça ?

  • C’est ça.

  • Je ne t’ai pas vraiment vu travailler aujourd’hui ? Ton bureau serait-il plus important que les affaires de la compagnie ?

  • Disons que, avant que je ne vienne, ils étaient traités, alors une journée sans moi, ça ne devrait rien changé.

  • Ah oui ? Tu crois ? Je suis ta Directrice. Ta patronne, si tu veux. Essaie de revoir tes réponses quand tu me les adresses. Ce sera un bon début ?

  • Je suppose que ça devrait être le cas, dans les deux sens…

  • Je… J’ai récupéré ta place de parking pour mon responsable commerciale des agences du Mali. Vu que tu as occupé le bureau qui lui revenait, ce petit détail ne devrait pas être un problème ? J’ai dit à ton oncle que je vais en parler avec toi et qu’on trouvera un compromis… Après tout, tu n’es qu’au stade de stagiaire, on peut éviter les protocoles ?

Je ne suis pas du genre à garder mon sens froid quand on me lance des pics. Je suis plutôt le genre de mon père. Le genre qui renvoie les pics encore plus gros à la personne qui me les lance.

  • Hapsatou, c’est ça ?

  • Madame Ba, pour toi.

  • Bien, Mme Ba. Pour info : la stagiaire vous dit non. Je prends, et le bureau, et la place de parking. J’ignore si c’est votre façon de traiter les gens, ou si c’est dans vos habitudes de les prendre de haut, mais sachez qu’avec moi, il faudra faire les choses autrement. Je n’ai pas pour habitude d’être, moi-même arrogante, mais j’avoue qu’avec vous, depuis hier, il est assez difficile d’y résister… Alors si vous voulez, on peut répartir sur de bonnes bases, à commencer par les présentations et ensuite, on essayera de s’entendre professionnellement. La stagiaire que je suis, n’aime que trop les bonnes procédures. Vous validez ? Et, j’oubliais… Je ne vous ai pas accordé le droit de me tutoyer… Désormais, ce sera Melle Walet, pour vous. Et au cas-où vous l’aurez oublié : je ne suis pas une stagiaire que vous pouvez virer, il va falloir me supporter.

A voir sa tête, elle n’en revenait pas de toute l’histoire de sa vie, que quelqu’un ait pu lui balancer des choses ainsi. Suis-je allée trop loin ? Non. Je comprends qu’elle veuille s’affirmer. La fille du patron qui débarque et qui veut tout gérer, ça, ce n’est pas moi. Je ne jouerais pas ce rôle, ni pour le poste qu’elle occupe, ni pour aucun autre. Il faut qu’elle se mette ça dans la tête, parce que si elle compte rendre les choses difficiles pour moi, elle sait à présent que je n’ai pas froid aux yeux, et qu’il faut bien plus, pour m’ébranler.

  • Melle Walet ? Un conseil, ici, ce n’est pas un dû.

  • Je ne l’ai jamais considéré ainsi… L’enfant du Boss, c’est moi, mais je ne suis pas une pastèque vide. Pas la peine d’être sur la défensive avec moi, je ne suis pas une menace. Et s’il est vrai ce qu’on dit de vous, que vous êtes une pointue dans votre domaine, vous ne devez pas craindre les stagiaires comme moi, simplement parce que j’ai les mêmes gènes que celui qui vous paye à la fin du mois. Votre réputation vaut beaucoup mieux que ce que vous me montrez là. C’est comme je l’ai dit : vous pouvez continuer de faire la peste avec moi, mais là, je ne suis pas du genre à subir ; ou, vous pouvez laisser ça de côté et apprendre à me connaitre avant de me juger. Les deux, me vont. Le choix est vôtre. Je suis la fille d’une lionne endormie, mais pas moins dangereuse.

Je la vois croiser ses mains et me fixer intensément. Elle ne s’y attendait pas. Si seulement elle connaissait celle qui m’a élevé. Toutes ces années de mariage avec mon père, ma mère est toujours sa seule femme. Riche comme il est, il aurait pu la divorcer et se remarier autant de fois qu’il désirait. C’est comme ça, chez nous. Mais non, elle est restée la seule. Il faut avoir plus d’un tour dans son sac.

  • Demain, j’ai un meeting avec notre fournisseur carburant. A dix heures, dans la grande salle de réunion, je veux que tu m’y rejoignes, ça pourrait être intéressant. Ton père nous a donné trois mois, pour te former. Je te prends sous mon aile, ce ne sera pas une partie de plaisir, avec le temps qu’il t’accorde, ce sera une formation dense et accélérée. Disons que ton audace a eu raison de mes doutes. Mais ne t’avises plus jamais de me parler ainsi. Tu peux m’appeler Hapsa. Mes excuses pour l’attitude que j’ai adoptée dès le départ.

Avant que je ne réplique, elle a quitté le bureau. Dans le couloir, on entendait le bruit de ses talons s’éloigner. Ben dis-donc ! Quelle femme !

Je m’assoie et j’y pense. Si je n’étais pas la fille du PDG de la société, je n’aurais pas tenu. On m’aurait fait dégager ou au pire, on m’aurait utilisé. Voilà donc l’envers du décor. Tout ce qui se passe dans le monde professionnel ? Les milliers de talents qu’on bafoue pour un rien ? Des chances qu’on refuse aux jeunes ? Seigneur, merci pour Ta bénédiction !

            A la descente, je ne perds pas une minute, je file à l’institut me faire un soin du visage. Je veux que ce soir, qu’il pense n’avoir jamais vu femme aussi belle. Bon, j’exagère peut-être…

            Une fois à la maison, je me suis fait couler un bon bain chaud et parfumé. Je suis restée un long moment dans la baignoire et ça m’a fait un bien fou. Ça a permis d’évacuer toute la fatigue accumulée au cours de la journée.

Et comme maman était à la maison, elle m’a fait des boucles, et m’a même maquillé. Ces moments, ne sont pas rares quand elle est présente. Une chose est certaine, elle adore ses enfants. Je me rappelle ma première année à la fac, elle prenait un vol chaque semestre pour me « soutenir » pendants mes examens. Elle cuisinait, faisait le ménage dans l’appartement pour que je révise correctement, disait-elle. Elle fait de même, pour Youcef et pour Sheyma.

  • Je voulais porter cette robe orange.

  • Hum ! Du Prada ! Ben pour quelqu’un qui n’est pas très emballée par ce jeune homme, tu fais fort.

  • Maman ! Je ne désire pas paraître non plus pour une fille qui ne sait pas s’habiller…

  • Tu seras toujours belle, même avec un sac poubelle. Crois-moi, notre mélange paye bien.

  • Oh non, c’est bon, je ne veux pas entendre la suite. Bye !

Je m’habille et vers les huit heures du soir, je rejoins l’entrée. Il était assis dans sa Range Rover et fouillait dans son téléphone. Mais quand il aperçut le grand portail s’ouvrir, il sortit de sa voiture, un large sourire sur le visage.

  • C’est encore mieux que le blanc ! Tu es sincèrement magnifique !

  • Merci…

  • D’accord, on y va.

Il m’ouvre la portière de la voiture ! Au vingt-et-unième siècle ! Dis-donc, j’ai finalement touché le gros lot.

Pendant le temps qu’a duré le trajet, il n’a cessé de me complimenter, ma robe, ma coiffure, le maquillage, la montre, le parfum, les chaussures… Tout y est passé !

Alors que je pensais qu’il m’amenait dans un restaurant, nous avons rejoint l’intérieur d’une villa, en bord du fleuve, dans le quartier de Faso Kanu. Le jardin était grand et magnifique. On se serait cru dans un château. Comment une telle maison peut-elle exister dans Bamako ?

Il m’a tenu la main jusqu’à une table dressée au beau milieu, entre la piscine et l’esplanade qui donne sur le fleuve. La vue était magnifique, l’éclairage était parfait. L’air était frais.

Alors que je regardais le décor tout autour de moi, émerveillée et surprise, je croise son regard posé sur moi.

  • Quoi ? Fis-je.

  • Je suis heureux que tu apprécies la surprise. Je le vois sur ton visage. Et ça fait plaisir.

  • Ça a dû te couter beaucoup pour organiser tout ça ?

  • Du temps surtout.

  • Tu essaies de me dire que tu as toi-même fait ça ?

  • Non, mais toute la journée, j’ai supervisé, je voulais que ça soit impeccable.

  • Et pourquoi ?

  • Pour toi. J’ai oui dire que les belles femmes aiment les belles choses…

  • Pas toutes, mais j’avoue, j’aime beaucoup.

Il m’a proposé de me faire visiter la villa. Il m’a avoué que ça lui appartenait mais que ce n’était pas celle qu’il occupait. Et dans un élan, il a dit : « Je n’invite pas non plus les femmes ici dans le but de les impressionner ». Serait-il en train de lire dans mes pensées ?

Chaque partie de la maison avait adopté une déco différente, comme si c’était un voyage ou des découvertes. C’était un bon mélange. Tout était si bien rangé que ça donnait l’impression qu’elle était inhabitée.

  • J’avoue, il y’a une chambre que j’utilise. J’aime venir ici pour réfléchir. C’est là, que les bonnes idées pleuvent. Je ne voyage pas beaucoup, donc ici c’est déjà un bout de paradis pour moi.

Puis on a rejoint le jardin et s’est installé autour de la table. On avait droit à un serveur privé. Il nous a d’abord apporté une bouteille de So.Jennie, une marque de champagne de luxe sans alcool.

  • Trinquons aux belles rencontres !

  • Aux belles rencontres ! (En levant mon verre)

Je voulais tellement profiter de cette soirée pour tout savoir sur lui, mais c’est lui qui apprit tout de moi. Un fin stratège, je me dis.

Alors que nous mangions, je me suis moi-aussi, lancée, dans les questions :

  • Que fais-tu réellement dans la vie ? Désolée, j’espère que tu sais que ce n’est pas ta fortune qui m’intéresse… Mais je préfère savoir à quoi m’en tenir. Tout ça, c’est bien beau. Ça devrait inquiéter aussi.

Je ne pouvais pas être plus sincère. Je ne désirais pas m’embrouiller dans une mauvaise histoire, une fois de plus. Mais il ne sembla pas choqué, ni offensé.

  • Les jeunes femmes que j’ai rencontrées dans ma vie, n’ont jamais posé de questions sur ma fortune… Je suppose que cela les importait peu du moment où, elles pouvaient en profiter ? Mais rassures-toi, je ne suis dans aucune affaire louche…

  • Oui, mais dis-moi plus. Toi, tu sais pourquoi je vis aussi bien… Cet argent appartient à mon père et tu sais qu’il possède une compagnie de transport internationale et qu’il a son compte une usine d’aliments bétails. Alors dis-moi tout sur toi ?

  • Je ne suis pas le fils d’un riche, Zeina. Je n’ai pas eu une enfance comme toi. Je suis né et j’ai grandi pauvre.

Il s’était arrêté pour regarder ma réaction. Je ne savais que faire. Je désirais juste qu’il me raconte son histoire.

  • Je ne jugerais pas, je veux juste te connaître. Finis-je par lui dire…

  • Mon père était menuisier. Il l’est toujours d’ailleurs. (En souriant). Ma mère, elle était une marchande de tissus au marché. Elle est décédée assez tôt, quand j’avais onze ans. Mon père a préféré ne pas se remarier.

Il boit dans son verre, regarde au loin vers le fleuve et se tourne vers moi.

  • Je vais la raconter courte, cette histoire, car je ne désire pas plomber l’ambiance de cette soirée. Je voulais quitter l’école et aider mon père dans son atelier de menuiserie, mais il a refusé, lui, voulait que je continue d’étudier et ça nous a sauvé la vie. Alors que je fréquentais le lycée, je continuais de l’assister. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Après le lycée, j’ai décidé d’arrêter mes études. J’ai travaillé avec lui, à créer des meubles. Chaque jour une idée me venait à l’esprit. Puis un matin, je lui ai demandé de faire un prêt à la banque. Il craignait de perdre la maison que nous habitions, à l’époque, sa seule richesse. Nous étions des pauvres, dans un quartier de riche en expansion. Alors la maison valait énormément. Je lui ai demandé de me faire confiance, on a alors hypothéqué la maison pour un prêt… Nous avons créé une entreprise d’ameublement et de décoration. C’étaient des artisans locaux qui fabriquaient des choses extraordinaires. Ça prospérait à une vitesse incroyable. Mais ça ne nous permettait pas d’éviter que l’échéance de la banque nous rattrape et qu’ils nous prennent la maison. Mais on a continué. Les étrangers présents à Bamako, aimaient l’idée du « Made in Africa ». L’un deux, Christophe, un riche diplomate, nous a accordé de l’argent. Il disait, qu’il voyait les choses en grand. Zeina, avec cet argent, j’ai créé « SO’KA » et avec le temps et beaucoup de travail, la société est devenue telle qu’elle est aujourd’hui.

  • SO’KA ? Tu es le PDG de SO’KA ?

J’ai la chair de poule. SO’KA, c’est le IKEA africain, et qui déjà a conquis l’occident. Ce sont des centaines de designers et de créateurs africains. Jamais le Made In Africa n’avait autant bousculé les choses.

Je reste émue face à son histoire. Je perds les mots. Je ne sais pas ce que je dois dire. Tout d’un coup l’image d’un jeune garçon qui frime avec l’argent de son père a cédé place à celle d’un jeune homme qui s’est battu pour sortir de la pauvreté. Je fus envahie par le dégout et la honte pour ma propre personne. Comment ai-je pu être aussi tranchante ? Le juger sans même le connaitre ?

  • Non… Pas ça… Je ne t’ai pas raconté cette histoire pour que tu me prennes en pitié ou que tu pleures.

J’ignore à quel moment les larmes ont recouvert mon visage. Je l’ai juste vu venir me tenir la main, agenouillé près de ma chaise.

  • Je suis désolée… Ce n’est pas de la pitié, je m’en veux tout simplement de t’avoir jugé trop vite…

  • Frimeur ? Fils à papa ? Ce n’est pas grave, j’ai tellement l’habitude. Viens que je te montre quelque chose.

Il me tient par la main et je le suis. Derrière le bâtiment principal se trouvait un genre d’atelier, mais qui ressemble plus à un garage, assez grand.

  • C’est ici, que je peux me prendre pour un artiste. Je dessine, oui, mais pas des personne (en souriant) mais des meubles. Mon boulot, c’est ma passion.

  • Je suis sûre qu’il est fier de toi…

  • Mon père ? C’est moi, qui suis fier de lui. Regarde tout ce qu’il a construit en m’élevant ainsi ? Tout ça, c’est grâce à lui. Une danse ?

L’air enjoué, il pointe du doigt un mini baffle Beats de Dr Dre. Quel incorrigible.

  • Je te préviens, je suis encore vieux jeu. Alors il y’a cette chanson qui date surement de l’année de ma naissance, et qui est vraiment magnifique…

La chanson, c’est « Still beautiful to me » de Brian Adams. Je la connaissais aussi… Papa l’écoute souvent.

Au cours de la soirée, je lui ai demandé la raison pour laquelle il n’était toujours pas marié ? D’après une étude de Leila, les hommes riches se marient plutôt, pas parce qu’ils ont les moyens de le faire, mais parce qu’ils ne comptent que des belles femmes autour d’eux.

Il m’a assuré que la seule relation sérieuse qu’il a eu, date d’il y’a trois ans. Il avait cru être tombé sur la femme de sa vie, mais en fait, elle était comme toutes les autres, intéressée… Elle avait juste réussi à cacher son jeu plus longtemps.

  • Cet accident ? C’était fait exprès ?

Il me considère un moment l’air surpris et absent à la fois, comme s’il réfléchissait.

  • Je  regagnais ma voiture, après avoir pris un café dans le restaurant en face de l’institut de beauté dans laquelle tu allais. Alors que tu descendais de la tienne, j’ai été d’abord fasciné par ta beauté. C’est vrai, je me suis demandé, s’il m’est un jour arrivé de voir femme aussi belle. Puis, il y’avait ce jeune garçon, un petit mendiant, six ans tout au plus, qui a traversé le goudron en courant pour te rejoindre. J’ai suivi toute la scène. Tu lui as pincé gentiment les joues en grimaçant et il est parti en éclat de rire. Tu lui as ensuite donné une pièce et a tapé dans sa main. Tu ne semblais pas superficielle, ni arrogante. Ton naturel était rafraichissant pour quelqu’un qui s’entoure de fausses personnes.

Il prend une pause et continue en souriant.

  • C’était une folle idée, dangereuse aussi. Mais oui, ce n’était pas un accident. Je voulais te rencontrer et savoir qui tu es…

Maintenant, sans nulle autre forme, je sais que le bel homme de la Range Rover, gris métallique, craque pour moi. Ce soir, je revis…

Et oui, peut-être n’est-il pas si mal de souvent céder à certaines choses ?

Une histoire de femm...