Se prendre un rateau
Write by leilaji
Chapitre 3
***Leila***
Je sens qu’on me soulève. Je ne sais pas franchement ce qui se passe mais j’ai affreusement mal au crane. Petit à petit la scène me revient.
J’essaie d’ouvrir les yeux mais je n’y arrive pas. Mes paupières me semblent tellement lourdes que j’ai l’impression qu’elles pèsent une tonne. Je suis surement morte. Il n’y a pas d’autres explications possibles et ce noir qui s’est soudainement emparé de moi.
J’ai mal au crane. Je suis morte et qu’est ce que je laisse sur terre ? Rien absolument rien. Qui va me pleurer ? Personne. C’est triste à dire. Mais je crois que j’ai raté ma vie. Mon rêve de devenir associé qu’est-ce qu’il devient maintenant que je suis morte.
J’ai sacrément envie de pleurer. Et si je n’y arrive pas, j’espère que les autres le feront. Mais qui ? Je suis morte et personne ne va me pleurer ? Quel genre de vie j’ai mené pour mériter ça !
J’essaie de me calmer, si je suis morte pourquoi je n’arrive pas à ouvrir les yeux. Est-ce qu’il est interdit de voir le paradis ou l’enfer ? Et puis où est la lumière blanche qui est censée nous accompagner.
Je me calme. Il faut que je retrouve mes esprits. Ca ne me ressemble pas de paniquer aussi vite. J’entends un léger battement tout près de moi. Ce battement me rassure un peu. Je ne sais pas, on dirait un cœur. Puis maintenant je sens une main qui passe dans mes cheveux. Wooo ! On dirait que … je suis encore vivante. Le brouhaha ambiant me rassure, il faut que je fasse l’effort d’ouvrir les yeux. Mais je n’y arrive pas. Je sombre à nouveau dans l’inconscient.
***Alexander***
Les secouristes présents l’ont examinée. Elle n’a rien de grave, juste une énorme bosse sur le front. Aucune fracture ou plaie ouverte. C’est comme un petit miracle qu’elle s’en sorte aussi bien après de tels évènements.
Elle me regarde l’air un peu sonnée, l’air de ne pas comprendre ce qu’elle fait dans ma voiture. Je sais pas pourquoi mais je l’ai prise en charge immédiatement. On est donc deux à être dans le flou le plus complet. Dans son téléphone, que j’ai pris la peine de fouiller en récupérant son sac, la plus part des numéros était classée dans la rubrique professionnelle. A croire qu’elle n’a aucune famille pour la soutenir dans les moments difficiles. Je ne savais pas que de telles personnes existaient ici, en Afrique, je veux dire au Gabon. Les gabonais sont comme nous. Ils sont communautaires et solidaires. Mais elle, elle est carrément accro à son boulot c’est étonnant. Je la plains presque même si au final nous avons tous les deux le même style de vie.
Je l’emmène à toute allure à El Rapha, la polyclinique la plus compétente de la ville. C’est l’une des plus grandes cliniques de la capitale. Ils sauront quoi faire là-bas parce que sa bosse ne me dit rien qui vaille.
Une heure plus tard, on est rassuré tous les deux. Après les examens d’usage, ils la laissent repartir mais avec une semaine de repos obligatoire. Elle n’a pas l’air content du tout. Elle s’éclaircit la gorge.
— Merci … Pour tout. dit-elle avec peine.
— Pas de souci, dis-je en me raclant la gorge.
Le silence s’installe de nouveau. Il faut que je la ramène chez elle. Je me sens tout d’un coup à l’étroit dans l’habitacle de la voiture. Elle a perdu sa veste dans l’accident et la chemisette qu’elle porte en dessous est très moulante. J’ai du mal à me concentrer sur la route. Je resserre ma prise sur le volant. D’où me reviennent ces reflexes d’ado en pleine puberté ? Je ne sais pas !
— Je vous laisse où ? Vous habitez dans quel quartier ?
— Ici ça ira. Je vais prendre un taxi.
Je ne m’attendais pas à cette réponse. A peine a-t-elle répondu qu’elle a détaché sa ceinture de sécurité prête à bondir de la voiture au premier arrêt. Je ne vais tout de même pas la retenir. Ce n’est certainement pas dans mes habitudes. Je me stationne sur le bas côté de la route. Je sens son regard hagard sur moi une dernière fois, puis elle descend. C’était vraiment une journée de merde.
Je redémarre et avance tout doucement. Je ne peux m’empêcher de surveiller sa silhouette un bref moment dans mon rétroviseur. Bien que la nuit soit tombée, j’arrive parfaitement à la distinguer. Je suis inquiet de la savoir toute seule là aux 3 quartiers. Je m’éloigne doucement mais constate qu’elle est toujours immobile et n’arrête aucun taxi. Bon sang, il ne manquait vraiment plus que ça.
Je fais demi-tour, me fais insulter au passage par la voiture qui me suivait et la rejoins. Mais qu’est ce qu’elle fait encore là ? Je l’observe pendant quelques minutes encore. Certains passants la bousculent mais elle ne réagit pas. Bien que je peste contre moi-même, je descends de la voiture et claque bien fort la portière pour marquer mon agacement. C’est vraiment une journée de merde.
— Vous êtes sûr que ça va? je demande en l'observant attentivement.
— Qu’est-ce que vous faites encore là vous ?
Au moins, elle est toujours aussi désagréable que lors de notre première rencontre. Ca prouve qu’elle ne va pas aussi mal que je le craignais.
Le ciel gronde au loin et l’air se rafraichit en un rien de temps. En cette saison de pluie, je crains les averses subites si caractéristiques du Gabon. Un éclair zèbre le ciel et un instant après je sens une grosse goutte froide tomber sur mon front. Si on ne se met pas à courir, on ne va pas échapper au déluge. Je lui prends la main et la tire de force vers ma voiture. Elle se laisse faire telle une poupée de chiffon. Une fois dans la voiture bien à l’abri, je remets sa ceinture et prie pour garder mon sang froid. je suis sujet à des colères aussi terribles que soudaines alors je n’aimerai pas rester en sa compagnie plus que nécessaire.
— Vous habitez où exactement ?
Elle regarde par la vitre de sa portière et ne répond pas. Je l’observe longuement sans trop savoir quoi dire. Je vois sa main se porter à son visage rapidement pour y essuyer … quoi ? Une larme. Puis une autre, et encore une autre. Ok, elle doit être en état de choc. N’importe qui le serait à sa place ça je dois bien l’avouer. Je vais l’emmener chez moi, je n’ai pas d’autre choix. Après tout, je suis un peu responsable d’elle maintenant. Je ne peux décemment pas l’abandonner dans cet état sur cette route à présent déserte.
Nous nous éloignons.
Une vingtaine de minutes plus tard, comme l’immeuble possède un parking souterrain, on a pu rentrer chez moi sans nous mouiller en prenant l’ascenseur du sous sol. Mais elle semble transie de froid.
J’ouvre la porte de mon appartement. C’est une belle trouvaille située à l’immeuble « Les 4 mers » juste après les feux tricolores de batterie 4 du côté du bord de mer. Je suis au septième étage avec une très belle vue sur la mer. L’appartement est doté de trois chambres plutôt spacieuses, une belle cuisine, une salle de séjour grandiose. Vu le peu de temps que j’y passe, il n’est pas encore totalement aménagé.
Je n’ai pas lâché sa main. Je la sens toute froide dans ma paume.
— Vous trouverez une salle de bain là-bas. Prenez le couloir puis la porte au fond à droite. dis-je en pointant le couloir qui fait face à la salle de séjour.
Elle trottine jusqu’à la salle de bain.
***Leila***
Une fois dans la salle de bain, je peux enfin contempler dans le miroir la vision d’horreur que je suis. Je constate amèrement les dégâts de l’accident. Je suis dans un état épouvantable ! J’ai des traces de saletés et d’écorchure sur tout le corps. Mon visage n’a pas été épargné. Mes cheveux d’habitude soigneusement domptés par un chignon strict, s’échappent en mèches indisciplinées et me donnent un air de folle furieuse. Et mes vêtements ? Complètement irrécupérables. J’essaie de m’arranger un peu mais je crois bien que c’est au dessus de mes forces. Je me sens soudainement si lasse. Si fatiguée.
Aujourd’hui, j’ai failli mourir.
Cette phrase me hante car le bruit du toit s’effondrant sur moi tourne en boucle dans ma tête. J’ai besoin d’extirper ce satané bruit de ma tête. J’ouvre les robinets d’eau du lavabo et plonge la tête sous l’eau tiède. Cela ne me calme pas le moins du monde. Je crois que je ferai mieux de prendre une bonne douche chaude. Je me déshabille aussi rapidement que mon corps engourdi me le permet. Je m’avance vers la baignoire, la remplis et m’y assois avec précaution. Mes muscles endoloris me font un mal de chien. A mesure que les minutes s’écoulent, je me détends, et de nouvelles larmes de mettent à rouler sur mes joues.
***Alexander***
Ca doit bien faire trente minutes qu’elle occupe la salle de bain. Je ne peux réprimer un mouvement d’humeur. Je sais que les femmes aiment bien prendre tout leur temps dans une salle de bain mais là ça commence à bien faire. Je vide le verre de white horse que je me suis servi pour me calmer les nerfs et me rapproche de la salle de bain. Je cogne tout doucement à la porte. Aucune réponse. J’insiste. Le silence absolu. Elle ne s’est quand même pas noyée dans la baignoire, si ?
— Mademoiselle, ça va ?
Toujours aucune réponse. Je prends une profonde inspiration et pousse la porte sans la faire grincer pour ne pas l’effrayer. Elle est là, le corps enveloppé dans une immense serviette blanche, couchée sur les carreaux froids du sol de la salle de bain. Maintenant qu’elle s’est lavée, ses cheveux habituellement si lisses ont quasiment triplé de volume. C’est impressionnant. C’est aussi la première fois que je vois son visage ordinairement barré d’un pli soucieux, sans aucune expression de mécontentement. Elle a l’air si jeune. Et si fragile. Elle doit être horriblement fatiguée pour s’être endormie ainsi. Si je ne la réveille pas, elle va prendre froid. Je la soulève et l’emmène dans ma chambre après avoir longuement hésité. Les deux autres chambres sont sommairement équipées de lit d’une place. Mais il n’y a pas de draps sur les matelas. Je ne peux pas la faire dormir à même le matelas. Elle pèse trois fois rien par rapport à mon gabarit. Elle remue un peu avant que je ne la pose sur mon lit défait ce matin de bonne heure, mais n’ouvre pas les yeux.
***Leila***
Je le sens me poser sur quelque chose de doux mais frais. Ce doit être un lit. Son parfum m’enveloppe tout entière. Je me sens … troublée. Je n’ai pas envie de rester seule, pas aujourd’hui.
— Restez là… S’il vous plait, j'arrive à murmurer.
Il s’immobilise et revient sur ses pas.
— Vous voulez quelque chose ? Je crois que vous êtes en état de choc.
Je le sens stressé. C’est presque drôle. Finalement, il n’est pas aussi méchant qu’il en avait l’air à OLAM.
— Vous avez un tee-shirt s’il vous plait ? Je ne peux pas rester dans cette serviette. Elle est mouillée.
— Oui bien sûr.
Il ouvre des placards les uns après les autres à la recherche d’un tee-shirt surement. Quoi ? Il ne va pas me dire qu’il n’a pas de tee-shirt tout de même. Finalement, il prend une chemise et me la tend. Je resserre un peu la serviette autour de mes épaules et il comprend qu’il doit se retourner pour que je puisse m’habiller. Je me lève rapidement et laisse tomber la serviette à mes pieds. Enfile la chemise. Elle est immense et sent bon la lessive et le propre. Je remonte dans le lit et m’adosse.
— Je vais vous laisser vous reposer. ca a été une dure soirée pour vous.
— Pourquoi ? Je ne suis pas fatiguée. Juste un peu … abasourdie par les évènements.
Pour résumer : un mec de l’entreprise dans laquelle j’audite m’a sauvée des décombres de l’immeuble dont une partie s’est effondrée sur moi ! C’est n’importe quoi ! C’est incroyable ! Fallait que ça m’arrive à moi ?
Un silence gêné s’installe entre nous. J’en profite pour l’observer. Il n’arrive pas à détacher ses yeux de mes cheveux. Au naturel sans brushing, ils doivent lui faire peur. Deux fois à trois fois par semaine, je dois passer au moins une bonne trentaine de minutes à les lisser. C’est une corvée mais je m’y tiens. Je ne souhaite pas effrayer la clientèle avec une crinière indisciplinée.
— C’est très gentil à vous … de m’avoir … aidé.
— Hum.
Quoi, c’est tout ce qu’il sait dire ? Hum ! Je ressens le besoin de parler à quelqu’un. Et comme il est là, il n’aura qu’à subir la conversation. J’ai besoin de parler à quelqu’un pour me prouver que je ne suis pas seule au monde. Je suis vivante et il n’y a que la parole qui peut en témoigner.
— Vos yeux.
— Quoi ?
Je les regarde un peu mieux.
— Ils ont changé de couleur. Je les croyais verts. Ils sont … Marrons ?
Il semble étonné mais ne bronche pas, puis il finit par répondre:
— N’y prêtez pas attention, ils changent de couleur selon mon humeur.
— Oh.
Je sens que mon regard le met mal à l’aise. Ca me fait sourire. Il faut dire que j’ai enfilé la chemise sans la boutonner alors au moindre geste, il aperçoit des bouts de peau. Ca ne me ressemble pas de faire ça, d’aguicher sans raison. Habituellement, je fuis les hommes, du moins ceux qui comme lui me plaisent. Me plaisent énormément. Sa réaction devant mon corps me plait. Ses yeux se sont encore légèrement assombris. Faut le voir pour le croire. Je crois que je sais très bien à quoi il pense.
— Comment vous appelle –t-on ?
— Alexander Kane.
— Salut Xander, moi c’est Leila.
— Bonsoir, dit-il en mettant les mains dans ses poches.
— Je crois qu’il serait temps que vous vous débarrassiez de vos vêtements, dis-je en me levant du lit et en m'approchant un peu plus de lui.
Mon crane me lance et j’ai l’impression que je vais m’évanouir. Mais je suis têtue. je veux quelque chose d’interdit aujourd’hui. Il ne dit rien. Je pose mes mains sur sa chemise. Elle a du se salir quand il m’a portée. Je m’attaque à présent au premier bouton. Il m’arrête.
— Comme je vous l’ai dit un peu plus tôt. Je crois que vous êtes en état de choc. Reposez vous, dit-il d’un ton docte.
Puis il s’en va et me laisse plantée là.
Est-ce que je viens de me prendre un râteau?
Journée de merde !