Toi et moi pour la vie

Write by Farida IB



Nihad ANOUAM…


Un bruit de couloir me parvient alors que je tente de me concentrer sur l’étude des plans de gestion que le directeur de production vient de me confier. Il prévoit notamment de prioriser l’utilisation des fibres naturelles pour la production de nos fibres textiles ainsi que d’autres propositions très alléchantes qui suscitent relativement mon intérêt. Il fait conjointement des recherches sur des sociétés textiles à l’étranger  avec qui nous pouvons collaborer et pour le moment nous nous sommes accordés sur deux en l’occurrence une industrie de transformation du coton au Burkina Faso et un géant de la transformation des fibres textiles animales au Maroc. J’ai donc décidé de me rendre sous peu dans ces deux pays pour des rencontres subséquentes avec les dirigeants de ces entreprises. 


Le bruit de jungle dans les couloirs se calme un moment avant de reprendre de plus bel. Je fais donc plus attention à ce qu’ils se disent. Ils  parlent d’une voiture garée sur le parvis de l’entreprise, les commentaires foisonnaient de tous bords. Les femmes semblent curieuses de connaître à qui elle était destinée et les hommes fantasmaient sur la marque. Naturellement, je n’allais pas louper l’occasion de m’informer non plus. La vie privée des autres ne m’intéresse pas, mais du moment où elle entache les objectifs de l’entreprise, je me vois dans l’obligation de réagir. 


J’arrive devant la fenêtre et ouvre grand mes yeux sur l’entrefaite en pensant CELUI LA VA M‘ENTENDRE !!!


C’est à coup de vent que je déboule dans le hall d’entrée et fonce sur lui à pas déterminés. Dès qu’il m’aperçoit, il me fait son plus beau sourire en remuant la clé joyeusement. Je roule des yeux et soupire de frustration.


Dylan : enfin ! Je commençais à désespérer de te voir sortir un jour.


Moi m’approchant dangereusement de lui : je dis hein Rassondji, c’est quoi ce ramassis d’inepties ? Tu te crois à la foire ? 


Il stoppe son geste et renfrogne automatiquement sa mine.


Dylan : mais…


Moi l’interrompant : non mais tu es malade ? Où est-ce que tu te crois ? Ici, c’est un lieu de travail pas un garage d’automobile.


Dylan ton implorant : Nihad…


Il regarde par-dessus mon épaule, je me retourne pour constater le petit attroupement derrière nous. Comme si ça allait m'empêcher de réagir tsssuiiipp. 


Moi (désignant l’auto) : j’imagine que c’est à toi ça !


Dylan : non à toi. 


Moi (stupéfaite, mais faisant genre) : je n’ai passé aucune commande de voiture à ce que je sache et si je voulais m’offrir une voiture, je préférerais m’adresser directement à TractAfric ou CFAO !


Il se passe la main sur le visage et soupire.


Dylan : je t’ai acheté cette voiture, j’ai économisé mes trois premiers mois de salaire à Shell ajouté quelques épargnes pour te l’offrir.


Moi (croisant les mains sous la poitrine) : une grave erreur de ta part, je ne suis pas à vendre. Va l’offrir à tes sœurs !


Voix : oh ??


Il me regarde l’air penaud.


Dylan : je sais que tu es capable de t’offrir plus que cette voiture, mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour te montrer que je suis prêt à faire n’importe quel sacrifice pour toi. C’est…. C’est une métaphore en réalité. 


On parle là, c’est une Lamborghini Aventador coupé orange fluo, ma couleur préférée en plus. C’est vrai que le type a fait fort.


Dylan ajoutant : Nihad je veux être qu’avec toi. Je sais que je t’ai souvent manqué de respect, je sais que je t’ai déçu et j’en suis désolé. Je t’ai juré que je t’aimais et pourtant mes actes ont relativement prouvé le contraire, alors je tiens à jurer à nouveau devant tout le monde que je t’aime plus que tout et plus jamais je ne te traiterai mal. Nihad, je te veux pour partager peines et joies pour l'éternité. 


Moi faussement contrariée : et tu penses que juste parce que tu as fait ce geste et que tu viens de faire preuve de romantisme que je vais automatiquement me jeter dans tes bras, c’est ça ? (oui de la tête) Et bien laisse moi te dire que tout ça ne m’impressionne pas tu gagnerais à reprendre ta (articulant) voiture pour foutre le camp d’ici !


Dylan : et bien ma chérie, je ne m’en irai pas, s’il le faut, je me pointerai tous les jours ici pour te faire des tas et des tas d’excuses jusqu’à ce que tu réalises qu’il est hors de question que je vive sans toi. 


Moi l’imitant : et bien tant mieux !


Il me fait une tête de chien battu dont je fais abstraction et me retourne pour partir. Je fais deux pas vers les autres que je me ravise aussitôt, il s’avance en même temps que moi et nous finissons par nous croiser à mi-chemin. 


Moi : je veux bien essayer, mais je ne te laisserai plus jamais me faire du mal.


Dylan (levant la main droite) : il n’en sera rien.


Moi : tu vas devoir me traiter comme une princesse toute ta vie.


Dylan hochant la tête : non (j’écarquille mes yeux.) je t’élèverai au rang de reines.


Moi faisant la moue : plutôt comme une déesse parce que…


Mes mots meurent sur mes lèvres au moment où il captive mes lèvres pour un long baiser.


Les autres (entrechoquant bruyamment leurs mains) : wouuhhhhhh !!!


On se sépare en riant.


Moi (m'adressant à eux) : c’est fini le spectacle, la boîte doit tourner maintenant.


Une voix : moi, je veux connaître le sort de la voiture, enfin au cas où il n’y a pas de preneur, je suis là.


Un long écho de « moi aussi » raisonne pendant que Dylan me fixe un sourcil arqué.


Moi (m’accrochant à son cou hilare) : c’est la mienne (haussant le ton) c’est ma voiture.


Eux (le ton boudeur) : rhoooooo !


On éclate de rire ensuite, ils s’éclipsent en laissant entrevoir Loïc au beau milieu du parking. Je lui lance un regard désolé et lorsque je vois Dylan foncer sur lui, je presse mes pas pour le placer à l’abri dans mon dos.


Dylan serrant les dents : toi dégages.


Moi : calme toi s’il te plaît, laisse nous seul.


Il soupire plusieurs fois avant de s’exécuter. 


Moi (me tournant vers Loïc) : je suis désolée.


Loïc (les mains dans ses poches) : ce n’est pas grave ! De toute façon, c’était peine perdue, je sais que tu as fait de gros efforts pour écouter la voix de la raison, mais ton cœur lui appartient. Et pour te dire franchement, tu as bien fait d’écouter ton cœur... Je te souhaite d’être heureuse. 


Je le regarde pantoise.


Moi peinant à articuler : mais… et toi ? 


Loïc haussant l’épaule : il ne me reste plus qu’à me rendre à la maison et me saouler de glace et de chocolat devant un film romantique pour oublier que j’ai le cœur brisé (je souris.). (sérieux) Je vais me contenter d’être heureux pour toi, peut-être que je trouverai une fille qui m’aimera autant que tu l’aimes lui.


Je le prends dans mes bras alors que je me débats avec mes larmes qui menacent de couler.


Moi : tu mérites plus que ça, tu as un cœur en or. 


Loïc (lorsqu’on se sépare) : bon, je vais y aller, je venais t’inviter à déjeuner.


Je hoche lentement la tête et il s’avance vers Dylan à qui il tend la main. Celui-ci hésite un moment avant de le saisir.


Loïc à Dylan : prends soin d’elle.


Dylan : compte sur moi.


Ils se font une accolade avant qu’il n’y aille pour de bons. Je rejoins Dylan ensuite et lui prends la clé de la voiture avant de m’installer au volant.


Moi lui souriant : M. Rassondji, ça vous dit une balade ?


Dylan (répondant à mon sourire) : et comment ? 


J’actionne de démarrer la voiture au moment où il en fait le tour, c’est pendant que je relâche l’accélérateur en enfonçant mon pied sur le frein que je sens un objet étrange sur la pièce. Je baisse mes yeux plissés pour tomber sur une boite à bijou. Je le prends et me tourne vers Dylan qui attache sa ceinture de sécurité.  


Dylan souriant : tu sais ce que ça signifie n’est-ce pas ?


Je hoche la tête.


Dylan : alors ? 


Moi :…


Dylan : bébé ?


Je veux parler, mais il y a un nœud dans ma gorge qui m’empêche de le faire, que trop émue. Il tend sa main pour effacer les larmes qui perlent sur ma joue droite avant de poser un bisou sur mon front.


Moi la voix enrouée : oui, je le veux.


Dylan : je t’aime.


Moi : je t’aime aussi mon cœur.


*

*

Cynthia Clark… 


La porte s’ouvre sur le docteur qui s’avance vers moi en souriant.


Docteur en anglais : comment vont nos babies mummy préférée ?


Je fais semblant de m’intéresser aux matériels enrouler autour de son cou.


Docteur : plus que quelques semaines et nous verrons leurs frimousses. (palpant mon ventre) Voyons voir comment ils réagissent aujourd’hui. 


Je m’allonge difficilement et relève ma blouse jusqu’à la poitrine ensuite, je le regarde faire le reste. Inutile de vous dire que je rivalise avec un train en ce moment, je ne sais plus à quoi ressemblent mes pieds à cause de mon ventre énorme. Le docteur s'attèle à m'examiner et comme d’habitude, mes enfants tout heureux, ils distribuaient des coups à volonté. On a pour habitude de dire que le fœtus ressent toutes les émotions de sa mère, mais eux s’en foutent royalement de mon état d’âme.


Docteur nettoyant le gel : rien à signaler, ils se portent à merveille.


Je pousse intérieurement un soupir de soulagement.


Docteur : tu devrais prendre exemple sur eux, ils relativisent, ils sont forts et courageux. Je suis sûr et certaine qu’ils tiennent cela de leur père.


Je lui lance un coup d’œil furtif.


Docteur : bof, c’est l’heure de prendre tes médicaments.


Il me tend un grand verre d’eau avant d’aligner les pilules que je prends docilement. Quand il s’en va, je m’adosse au montant du lit  en fixant le vide un bon moment avant qu’on ne toque à nouveau à la porte. Je lève le regard vers celle-ci et vois Austine entrer. Elle traîne un chariot jusqu’à moi et s’assoit juste en face. 


Austine : on a fait bon dodo ?


Elle tend la main pour me caresser le ventre et les coups de pied reprennent de plus bel.


Austine (au bord de l’euphorie) : c’est ça mes loulous, aujourd’hui, on danse le Soukouss comme à l’ancienne. 


Je baisse ma tête et souris intérieurement, elle continue de caresser mon ventre en causant gaiement avec eux. Elle en a pris l’habitude depuis notre hospitalisation, elle ne s’en lasse jamais. C’est d’ailleurs le seul moment qui me donne envie de sourire également, mais je n’y arrive pas. Ils ont dû me garder ici tout comme Joe parce que j’ai longtemps déprimé. J’ai longtemps pleuré avant de me terrer dans ce mutisme. Actuellement, je voudrais dire à Austine que ça me fait tellement plaisir qu’elle reste ici depuis deux mois à prendre soin de nous, à s’inquiéter pour mes bébés et plus pour moi. Mais rien, rien ne sort. Et pourtant, ce n’est pas l’effort qui manque le moins, j’ai finalement compris qu’il va me falloir un électrochoc.  


Je relève la tête lorsque j’entends Aus conclure avec les enfants.


Austine : mes bebous je vais devoir mettre une pause à notre si intéressante conversation, c'est l’heure de mangerrrr.  


Ils étaient tellement réceptifs qu’ils avaient transformé mon ventre en tambourin. Une odeur alléchante envahit la salle lorsqu’elle enlève le torchon qui couvrait les différents mets posés sur le chariot. Je me redresse sans attendre, autant dire que je suis comme aimantée par les petits fours dans le second bac. Il fallait que j’en finisse et vite. Et comme si elle lisait dans mes pensées elle commence d’abord par une meringue au chocolat. 


Je souris… Mais intérieurement.


Elle poursuit avec un muffin au coulis de framboise que j’avale en entier.


Austine (me fixant) : ça suffit pour le sucre aujourd’hui, on y va avec la soupe aux épinards.


J’ouvre grandement ma bouche lorsqu’elle enlève le couvercle sur le bol en ardoise. Elle me fait vider le contenu en un rien de temps avant de terminer par une verrine aux fraises.


Austine petit sourire : j’aime quand tu manges aussi bien.


 Elle débarrasse puis revient se mettre face à moi. 


Austine : tu veux le voir ?


Non de la tête.


Austine : tu n’auras plus la chance de le voir aujourd’hui si on n’y va pas maintenant.


Mes larmes coulent sans retenue.


Austine : tu sais bien qu’il n’a pas besoin de ça, arrête de faire du mal aux bébés. Joe s’en sortira, c’est un battant.


Je hoche simplement la tête en me levant, elle essuie mes larmes pendant que nous nous dirigeons vers les soins intensifs. Je me change dans la salle attenante et passe par la porte d'intérieur pour retrouver Joe. Il semble comme toujours endormi d’un sommeil paisible avec des tubes dans le nez pour le nourrir, dans la bouche pour le faire respirer et une poche sur le côté du lit pour recueillir son urine. 


Deux mois, huit semaines, soixante jours que dure sa léthargie, il était censé y rester pendant dix jours seulement. Et pourtant ça fait deux mois qu’il garde les yeux fermés. Il a été déclaré mort deux fois, la deuxième fois, c’était à la salle d’opération. Son cœur s’est arrêté. Après plusieurs chocs, le cœur ne repartait pas. Le chirurgien à déclaré qu’il était décédé. Et puis tout seul, le cœur est repartit. Nous avons nourri l’espoir qu’il se réveille parce que normalement un cœur arrêté ne repart pas tout seul. Il appert toutefois que ses chances de survie se sont réduites à néant, les médecins ont même décidé de le débrancher, car les examens décèlent toujours une aréactivité totale. D’ailleurs, il l’aurait fait à la fin du premier mois si je ne leur avais pas résolument tenu tête.  


Je me tiens debout devant son lit et le regarde fixement, comme d’habitude, la petite voix au fond de moi me dit qu’il se réveillera d'un moment à l'autre. Il ne peut pas nous abandonner. Non, il me l’a promis. Il m’a promis d’être là jusqu’à la fin de mes jours, il m’a promis qu’on mourrait ensemble. Et moi, je ne me sens pas encore prête à partir, parce que l’éternité est encore à nous. Parce que c’est son amour qui galvanise ma vie et dissipait toutes mes larmes. Alors je refuse de croire qu’il puisse nous abandonner aussi lâchement. Je refuse d’accepter que ces beaux jours que nous avons traversés se transforment en souvenirs. Nous avons encore tellement de choses à faire, beaucoup d'autres à refaire,  tellement de choses à nous dire et une myriade de choses à construire ensemble.


 Je finis par éclater de nouveau en sanglots mettant ainsi fin à ma visite du jour. 


…….


Deux semaines se sont écoulées lentement et depuis quelques jours, je suis complètement paniquée à l’idée d’accoucher sans Joe à mes côtés. La dernière échographie a révélé que le moment fatidique peut survenir à tout instant et ça m’angoisse au point où ils ont dû faire recours à la sophrologie pour minimiser les risques de tension. Je ne sais plus où donner de la tête, si seulement je pouvais sortir de mon mutisme. J’ai cette douleur dans ma poitrine qui ne me quitte pas et ça m’assassine. Elle est si intense qu’elle me fait suffoquer, je voudrais pouvoir l’expliquer aux autres. J’ai envie de crier, de hurler jusqu’à épuisement. C’est peine perdue.


Bien entendu nos familles respectives, nos quelques amis, l'équipe médicale se mobilisent en permanence, de jour comme de nuit. En dehors d’Austine qui me traite comme de la porcelaine, papa James vient presque tous les jours à l’hôpital. Mes beaux-parents sont venus une ou deux fois, ils ont promis de revenir à la fin de ce mois. Daniel, qui était tout ce temps en mission humanitaire au Yémen, arrive dans deux jours pour nous soutenir également. 


J'avoue qu’ils réussissent parfois à me dérider, mais la plupart du temps leur regard affligé décuple mes angoisses en lieu et place de les atténuer.


……


Nous sommes à huit jours plus tard et ce matin, je me suis réveillée avec des douleurs atroces au ventre. Ça tiraillait durant la moitié de la nuit sans plus, mais là, je prends sur moi pour ne pas m’arracher la tête. Je tourne plusieurs fois dans le lit en poussant progressivement des soupirs bruyant qui finissent par tirer Austine de son sommeil.


Austine (le regard hagard) : Cynthia ? Qu’est-ce que tu as ? 


J’attrape mon ventre en me tortillant de douleur.


Austine l’air inquiète : dis quelque chose s’il te plaît, comment tu te sens ?


Je fronce la mine alors qu’elle se lève lentement et sort avertir les infirmières qui arrivent accompagnés du docteur.


Docteur (après consultation) : je pense que le travail a commencé (aux infirmières) allez préparer le bloc(à la dernière) toi envoie nous un fauteuil roulant.  


Je remue la tête dans tous les sens.


Austine (au bord de la panique) : quoi ? Comme ça ? Elle a toujours voulu accoucher par voie basse.


Je hoche la tête.


Docteur expliquant : je ne veux pas prendre de risque, il n’y a pas qu’un, mais trois bébés en jeu et vu son état, je crains qu’elle ne puisse faire d’énormes efforts physiques.


Moi gesticulant : si !


Il me regarde tous ébahis, je le suis moi-même. Je pense que j’ai eu plus que l’électrochoc qu’il me fallait. On se regarde tous quelque secondes avant que je ne reprenne la parole.


Moi : je veux voir mes enfants naître, je veux entendre leurs premiers cris.


Austine s’exclamant : gloire à Dieu tu as retrouvé la parole.


Docteur : ce serait imprudent pour vous et pour nous.


Austine : essayer quand-même, au cas où elle n’y arrive pas vous pouvez recourir à la césarienne.


Docteur : on verra bien.


L’infirmière revient avec le fauteuil roulant en même temps Daniel pénétrait la chambre. C’est au moment où ils m’aident à me lever que je remarque que j’étais trempée.


Moi : je pense que je me suis urinée dessus.


Infirmière : non, vous avez perdu les eaux.


Daniel nous lance un regard d’incompréhension et Austine se met à lui expliquer pendant qu’on me conduit vers la salle d’accouchement. 


Quelques instants plus tard, je me retrouve sur la table à lutter avec la sage-femme et le chirurgien qui s’entêtent à vouloir m’opérer. Je veux pousser moi-même mes enfants et je veux le faire en présence de Joe. Je le désire à telle enseigne que je me suis mise à prier dans ce sens entre deux contractions. 


Deux bonnes heures plus tard, le même scénario. Et les docteurs et Austine ont essayé de me faire changer d’avis sans succès. J’avais mal si tant que mes cris raisonnaient dans tout le bâtiment. 


Docteur : il faut vraiment que vous accouchiez maintenant, la situation va se compliquer pour vous et vos bébés.


Moi (secouant vigoureusement la tête en fixant Austine) : je veux que Joe me tienne la main, je veux qu’il soit ici avec moi.


Sage-femme : mais…


Austine l’interrompant : on peut le faire (on la regarde tous.) on peut déplacer son lit jusqu’ici. 


Docteur plissant les yeux : ça prendra du temps et du temps nous n’en avons plus. 


Austine insistant : faites quelque chose docteur, si c’est la seule condition pour les sauver.


Moi avec difficulté : ahhrrgggg hou hou hou, s’il vous plaît docteur faites ça pour mes enfants. Ils ont besoin de leur père.


Il regarde la sage-femme qui acquiesce de la tête avant de se précipiter vers la porte. Nous le regardons tous partir ensuite la sage-femme se tourne vers moi et me fixe avec des yeux tous ronds. Elles parlent toutes en même temps.


Sage-femme : ah !


Austine (se couvrant la bouche les yeux tous ronds) : ohh, l’enfant veut sortir.


Sage-femme (aux assistantes présentes) : redressez la table (à moi) madame, vous devez pousser maintenant, votre bébé ne peux plus attendre. 


Moi (bougeant la tête dans tous les sens) : non non non, je veux Joe. Arrrggghhh.


Sage-femme : soufflez et poussez encore vous y êtes presque.


Moi la respiration hachée : je ne poussais pas pour autant.


Elles : si !!


Je ne sais pas comment, mais je vois juste un bébé qu’on pose sur mon ventre. Je le regarde en coulant des flots de larmes de tristesse, c’était ce que je ressentais de la tristesse. Une assistante reprend le bébé et le temps de souffler, on m’annonce que je devais reprendre le manège de toute à l’heure parce que le  bébé number two s’apprête également à sortir. C’est le moment qu’a choisi le docteur pour revenir dans la salle, suivit de Joe qui s’avance avec des béquilles. 


J’éclate en sanglots à l’instar de toutes les femmes présentes dans la salle.


*

*


Joe NOUMONDJI…


Un cri strident me parvient au bout d’un tunnel à la lumière cru, j’ai tout de suite reconnu la voix de Cynthia et je me suis dit qu’elle était sur le chemin de la maison. Au fur et à mesure que j’avançais en suivant la voix, elle sortait des flots comme une lamentation. Je hâtais mes pas persuadé qu’elle encourait un danger. Un moment, je me retrouve en train de voltiger, ensuite les cris de Cynthia ont laissé place à ceux d’un bébé qui donnait l’impression d’être à proximité.


Je me réveille trempé de sueur et de rage, envers qui ? Je ne saurai le dire. Je sillonne la pièce d’un œil, il y a un docteur que je reconnais à sa blouse glauque. Il semble déplacer du matériel médical. À l’extrême gauche une infirmière arrangeait le perfuseur dont le fil est relié à ma main gauche. Je réfléchis rapidement pour trouver une explication à ma présence dans un hôpital lorsque tout me revient comme un flash. Je commence à gesticuler et le bruitage des machines devient de plus en plus discontinus, sitôt, le docteur se précipite au bord du lit et se penche au-dessous de ma tête avant de commencer à enlever la sonde naso-gastrique.


Moi (dès qu’il finit) : Cynthia, ma femme. Je veux voir ma femme.


Docteur : calmez-vous, elle va bien. 


Il sort sa lampe à clip pour vérifier mes pupilles pendant que son assistante criait au miracle.


Docteur : comment ça va ? Vous n’avez rien à la tête ? (non de la tête) Pas de bourdonnement d’oreilles ? Des nausées ? 


Moi (répondant par le négatif) : Cynthia elle où ? Elle est en danger, je dois la voir. Il faut que je la sauve.


Docteur : calmez-vous ok ? Vous la verrai sûrement, mais il faut d’abord que je vérifie si vous pouvez la rejoindre sur-le-champ.


Je hoche lentement la tête puis en quelques minutes, il me débarrasse de tout l’appareillage avant de m’aider à me relever. Je tiens à peine debout sur mes jambes qui flageolent. 


Docteur (penchant son épaule) : accrochez vous.


Ce que je fais en prenant appui sur son épaule, l’infirmière nous dépasse et nous retrouve ensuite dans le couloir avec des béquilles. Des cris de bébé se font de plus en plus persistants au moment où nous approchons une salle d’accouchement. Je pénètre difficilement l'interieur malgré mes béquilles et dès que mon regard croise celui de Cynthia, elle éclate en sanglots et toutes les femmes présentes l'imitent. Elle reprend le travail plus tard à bout de souffle. Je lui tiens la main en lui soufflant que je l’aime et que je suis fière d’elle puis quelques minutes plus tard le cri d’un bébé envahit la salle. C’est une magnifique petite fille.


Une dizaine de minutes encore et le bébé N° 3 qui lui s’est présenté en siège fut extrait par les pieds. Pour le compte, deux champions pour une princesse.


***  Trois mois plus tard ***


Austine (émerveillée penchée sur le berceau des triplés) : ils deviennent plus magnifiques tous les jours.


Cynthia me souriant : c'est vrai nous avons fait un travail impeccable.


Moi (répondant à son sourire) : en effet.


Austine (fixant Cynthia du coin de l’œil) : et je dois dire que les cheveux de Jaïna confirment ta théorie.


Cynthia (l'air de comprendre) : lol.


Daniel arque un sourcil interrogateur en me fixant et je hausse les épaules.


Moi : vous parlez de quoi les filles ?


Austine : je disais simplement qu’elle a pris les longs cheveux de sa mère.


Daniel : mais encore ?


Austine (lui butinant le cou) : il va falloir qu’on s’y mette nous aussi si tu veux comprendre le fin fond de cette histoire.


Daniel (voix suave) : c’est une invitation ? 


Austine : yes baby !


Daniel : on s’y met tout de suite ?


Cynthia (petit toussotement) : euh, veillez-nous excuser, enfin ce n’est pas pour être rabat-joie, mais au cas où vous l’aurez remarqué vous êtes dans une chambre d’hôpital en compagnie de cinq personnes donc arrêter de vous chauffer et de pervertir l’esprit de mes enfants par la même occasion.


Nous : mdr


Moi : Daniel épouse l’enfant des gens avant de lui faire des mômes !


Daniel : après ici nous irons directement chez le prêtre.


Cynthia/Moi : krkrkrkr


Daniel : je suis sérieux.


Cynthia se tordant de rire : ah ça !! Tu as senti kiakiakia...


Austine (s’adressant à Daniel) : c’est toi qui as raison chéri, je ne veux même plus de cérémonie. Il y a toujours quelque chose qui vient se mettre au travers de mes plans de mariage. 


Moi : t'inquiète cette fois j'en ferais mon affaire, ce sera ma façon de te remercier.


Austine : pas besoin de me remercier, c'est la famille !! (enchaînant) Sinon vous avez décidé pour votre vie après ici ? 


Cynthia parlant vite : on rentre définitivement au Togo.


Moi soupirant : il est mort chérie.


Cynthia : peu importe, cette ville porte la poisse. De toute façon j'ai décidé de laisser la maison aux enfants en souvenir de ma famille.


Moi (coupant court) : ok !


Cette discussion nous l’avons eu il y a quelques jours et elle tient ferme sur sa décision de couper définitivement ses liens avec le Wisconsin. Je suis conscient du traumatisme que cet incident lui a causé, j’en ai moi-même payé les frais. J’ai encore en mémoire les moments d’angoisses que nous avons passé ensemble, cette colère sourde que je ressentais à cause de mon incapacité à protéger ma femme et mes enfants encore en son sein, ce grand émoi lorsque j’ai cru les perdre pour toujours et tout le toutim après l’incident. En revanche, je pense que c’était un mal pour un bien parce que de toute évidence nous avons la grande certitude que ce Jason de malheur est réellement six pieds sous terre. Papa James, s’en est chargé lui-même donc la vie doit reprendre son cours. 


Grâce à Dieu je vais bien mieux aujourd’hui, même s’il a fallu des centaines d'heures pour réapprendre le fonctionnement élémentaire de mon corps. Et même jusqu’ici, je n’ai pas retrouvé la quasi-totalité de mes facultés motrices, toutefois le docteur a donné son accord pour que je sorte cet après-midi. En ce moment, nous attendons mes parents et papa James pour partir puisqu’ils ont tenu à être présents.


Quant aux enfants, ils vont bien, ils poussent comme des champignons. Nous avons nommé notre fille Jaïna comme la mère de Cynthia à qui elle ressemble trait pour trait. Jonathan-Christopher, l’aîné a hérité de ma pigmentation et Jarod le petit dernier a pris les yeux et la bouche de mon père, et ma mère en tout pour le reste. Du coup, nous avons mélangé leur prénom avec celui de papa James pour former le sien. Vous comprenez donc que bien que ce soit des triplés, ils ont chacun leur physionomie. 


Nous laissons le sujet qui fâche pour une autre discussion plus gai. Quand les parents arrivent une heure plus tard, les femmes s’occupent des affaires que Daniel, papa et moi chargeons dans l’autocar de papa James. Nous nous rendons directement à l’aéroport pour rentrer définitivement à Lomé suivant les consignes de Cynthia. Nous nous installons dans un coin discret du jet laissant les bébés aux soins des autres.


Moi taquin : euh, il n’y a pas un autre barge d’ex qui risque de débouler d’un moment à l’autre hein ?


Cynthia (secouant la tête en riant) : non, je te promets que c’est le seul.


Nous rions un moment avant de nous calmer puis il y a comme un flottement.


Moi reprenant : que l’éternité nous appartienne.


Cynthia : jusqu’à la fin de mes jours…


Moi (la coupant) : je serai là, car ensemble nous sommes plus forts.


Cynthia : nous aurons beau traverser des tempêtes…


Moi complétant : notre amour restera intouchable et indestructible.


Cynthia pour conclure : parce qu’il est fait de passion et de raison, de cœur et de tête.


Je hoche la tête avec grand sourire puis on se regarde dans le blanc des yeux avant que nos souffles ne s’emmêlent dans le plus passionnel des baisers qu’il soit.


FIN !!!


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