Chapitre IX
Ecrit par Tiya_Mfoukama
Chapitre IX
« —Drew !je l’interpelle alors qu’il passe devant moi.
—Hum ?
—Tu peux me ramener un verre de vodka, mais….dans un verre qui… enfin, tu me comprends ?
—Ouais mais euh… Okay. »
Il fronce des sourcils, hausse les épaules puis se dirige vers le bar.
J’essaie de garder le regard rivé sur un point tout en contrôlant les tremblements de ma jambe.
Dès que j’ai un excès de stress, une situation inattendue que j’admets avoir du mal à gérer, je suis prie de tremblements. C’est généralement léger, presque imperceptible, mais c’est là. Aujourd’hui, la situation qui se présente à moi, m’amène inévitablement à déclencher mon symptôme.
Je ne m’attendais à rien, vraiment rien. Accompagné de mes verres, je me faisais doucement à l’idée que j’allais me marier .Et cette pensée faisait son petit bout de chemin, jusqu’à ce que je me retrouve à transpirer pendant une quarantaine de minutes devant le maire, attendant une fiancée jamais rencontré et qui semblait vouloir « me planter ». Un soupir de soulagement a accompagné l’arrivé de ses demoiselles d’honneur. C’est pas tant leur arrivée qui m’a fait soupirer de soulagement, c’est plus l’idée de ne pas me faire planter à un mariage que je n’ai même pas souhaité. C’aurait quand même été le comble.
Je pensais que les battements de mon cœur n’auraient été perturbés que par cet interlude, mais c’était sans compter sur l’identité de ma très chère femme. Elle. Jamais je n’aurais un instant imaginé que ce pourrait être elle.
« —Ça fait quand même beaucoup ? lance Jesse.
—Quoi donc ?
—Les « verres d’eau ».
—…. »
Si seulement il savait !
C’est tellement inimaginable que je pourrais continuer à me dire que c’est mon imagination qui me joue des tours ci seulement elle n’était pas juste là, à côté de moi. Son parfum, le son de sa voix –les peu de fois où on l’entend –ses soupirs, me confirment qu’elle est là, que c’est bien elle, que c’est bien vrai.
Pour le coup, j’ai du mal à me faire à l’idée. Mais je me dis que boire un peu d «eau » va m’aider à faire cheminer cette information jusqu’à mon cerveau.
« —Tiens. me tend Drew.
—Merc… »
Avant même que je ne prenne mon verre, Jesse s’en empare et le pose à sa gauche.
« —Jesse tu…. »
Le haussement de ma voix attire les regards d’un groupe qui se tourne vers nous. Je leur sers un sourire et un hochement de tête qu’ils me rendent en levant leurs verres.
« —On t’a parlé pour ne pas l’épouser. JE t’ai parlé pour ne pas l’épouser maintenant tu vas assumer ton entêtement et arrêter de te bourrer la gueule. Il marmonne en se penchant vers moi.
—Ce n’est pas ce que tu crois. je lance avant de me lever. »
Faut que je prenne l’air.
Je me souviens des paroles d’une de mes tantes un peu plus tôt dans la soirée, qui affirmait qu’en suivant les escaliers se trouvant à ma gauche, j’accèderai à un petit balcon en hauteur, qui offre une vue magnifique sur les extérieurs « Vous pourrez avoir de belles photos », avait-elle rajouté. Nous n’avons pas fait de photos à cet emplacement, d’ailleurs nous n’en avons pas fait tout court. Du moins, pas des spontanées.
Je m’éclipse discrètement de la salle et enjambe les escaliers trois par trois. Une brise d'air frais m'accueille à la dernière marche, pour mon plus grand plaisir et je la savoure, les yeux clos et les mains enfoncées dans les poches. Ça a le même effet qu'un Tonic bien frappé sur moi; ça me dégrise en douceur et je peux enfin faire tomber le masque. Retirer ce stupide air niais de mon visage.
J’ouvre de nouveau mes yeux, et décide de m’accouder sur la balustrade pour contempler la vue. Un bruit de froissement attire mon attention vers ma droite mais une espèce de cloison en mousse végétale, me sépare de la partie d’où semble provenir le froissement. Mue par la curiosité, je m’avance vers la clôture.
« —Mais… Mais qu’est-ce que…Comment tu t’es retrouvée ici ? Il y a encore quelques minutes, tu étais à côtés de moi ? »
Au regard surpris qu’elle pose sur moi pendant un quart de seconde avant de froncer ses sourcils, je comprends que je viens d’interrompre un moment de réflexion. Elle se lève d’un bon, rabat les bas de sa robe vers elle, pour faciliter sa marche, et passe à côté de moi, sans répondre à ma question.
Dans un réflexe, je l’attrape par le bras, pour la ramener vers moi.
« —Ne me touche pas ! elle balance avec dédain, en retirant violemment sa main comme si j’avais la galle. »
Son geste m’irrite et je me sens obligé de lui répondre :
« —Ce n’est pas comme si je ne l’avais jamais fait auparavant.
—….
—Excuse-moi. je me reprends aussitôt. Ce n’est pas ce que je voulais dire, je….
—Je m’en fous complètement de ce que tu voulais dire. elle me coupe sèchement. Aujourd’hui, j’ai passé toute ma journée à t’ignorer et je compte faire ça jusqu’à ce que ce mariage soit dissout. Si tu es intelligent, tu feras comme moi.
Et sur cette entrefaite, elle me tourne le dos et reprend sa marche vers les escaliers.
Super le premier contact…
*
* *
« —Il faut reconnaître qu’elle est belle…. Même quand elle ne sourit pas. ajoute Jesse en regardant une série de photos. »
J’acquiesce simplement, en gardant une main devant mon visage. J’ai un mal de crâne pas possible qui perdure depuis quelques jours. J’ai trop de choses à gérer et du mal à tout compartimenter. Mes soucis pro empiètent sur ma vie perso et vice versa. C’est arrivé au point où je crains le surmenage. Je profite donc de la venue de Jesse pour me décharger un peu, et entendre ses conseils, souvent avisés.
Quoiqu'il ne me dise rien d'intéressant pour le moment. Trop absorber à regarder les photos du mariage reçues ce matin.
« —Mais t’as essayé de lui parler ? il me demande en détachant ses yeux des photos.
—Est-ce que c’est une question ?
—Non mais…Tu as essayé de la faire asseoir pour parler posément avec elle ? Mettre les choses carte sur table, au lieu d’attendre les rares fois où tu tombes sur elle.
—Non mais comment veux-tu que je fasse ça ? Elle est constamment dans sa chambre. Et n’en sort quasiment jamais. Les rares fois où je l’ai croisé comme tu dis, je peux les compter sur les doigts d’une main. C’était soit parce que je rentrais plus tôt, soit parce que je restais plus tard dans le bureau. Et dès que je l’interpelle, elle fuit aussi vite qu’un lièvre. J’ai l’impression de vivre avec un fantôme. Et encore…»
J'ai bien compris que ça n’allait pas être une partie de plaisir d'être marié mais je ne me doutais pas que ce serait à ce point.
Marie-Claire ou Tiya, je ne sais même pas comment l’appeler, passe son temps cloîtrée dans sa chambre et je ne saurais même pas dire ce qu'elle y fait.
Dans l’absolu son silence ne me dérange pas plus que ça, mais il y a des choses que l’on doit mettre au point. Des choses comme le discours commun que l’on doit avoir face aux membres de nos familles respectives qui ne sont pas dans la confidence, notre entourage… puis il faut qu'on établisse des règles qui nous permettront de supporter au mieux notre union, ou plutôt notre cohabitation, le temps qu'elle est sensée durer. En bref, le minima pour espérer “duper” le plus longtemps possible.
Une discussion d'une heure nous permettrait de tout peaufiner et de se débarrasser l'un de l’autre pendant un moment, mais avec Marie-Claire, c'est tout bonnement impossible…
Je me retrouve à inventer des histoires abracadabrantes pour justifier son absence aux repas de famille organisées en son honneur par ma mère malgré la façon dont s’est passé le mariage. Le fait qu’elle prenne de son temps pour organiser ces repas en dit long. Ça me montre qu'elle commence à me pardonner, qu’elle veut connaître ma supposé femme, en faisant abstraction de la façon dont elle est rentrée dans la famille. Pour toute personne connaissant un tant soit peu ma mère, c'est un miracle qu’elle se montre aussi conciliante en si peu de temps. Mais face au comportement de Marie-Claire, je ne sais pas si ses bonnes dispositions vont durer.
« — Écris-lui une lettre. »
Je retire ma main de mon visage, pour sonder celui de Jesse, et surprends un sourire en coin.
« —C'est pas drôle Jesse.
—Si, ça l’est. Ricane-t-il.mais comme je ris à tes dépens, ça ne l’est pas pour toi.
—….
—Plus sérieusement, tu devrais chercher à discuter avec elle au plus vite, et si elle ne veut pas, bah fais en sorte qu’elle entende et enregistre ce que toi tu veux lui dire. »
Dis comme ça, ça parait facile. Vraiment facile…
« —Je devrais être en train de bosser sur “Shine”. Je soupire en allant m'asseoir en face de lui.
—Ah, les ressources sont de nouveau positives? Il demande avec une pointe de sarcasme qu'il ne cache pas
—Il semble, je ne gère pas cette partie. Je sais simplement que mon budget a doublé de volume et ce n'est pas pour me déplaire. Je vais vraiment pouvoir laisser libre court à mon idée initiale.
—Tu le sens bien on dirait?»
Je le sens bien ? C'est beaucoup plus que ça. Ça fait 3ans que je bosse sur ce produit, que je le modifie, que je le perfectionne pour offrir la meilleure expérience sur smartphone. Je me suis investi dans chaque département, j’ai dû faire quelques sacrifices sur certaines fonctionnalités que je vais finalement pouvoir réintégrer comme je le voulais depuis le début. Je me laisse une année pour peaufiner tout ça et après….
« —Je préfère pas m’avancer. Je réponds simplement.
—Je te comprends et te connaissant, je suis certain que ça va être super.
—Espérons-le, les retombées seraient énormes et bénéfiques pour beaucoup. Je marmonne l’air ailleurs. Enfin bon, on va ensemble au déjeuner organisé par maman?
—Non désolé.
—Je pensais que ça allait mieux entre toi et elle ?
—C’est le cas, on va dire. Ça revient tout doucement.
—Mais où est le problème alors ?
—J’ai une cliente qui m’attend pour un devis. il dit en se levant. Je l’ai déjà repoussé deux fois. Désolé pour toi mais je ne pourrai pas te servir d’excuse. »
Grillé avant même d’avoir commencé, je pouffe en m’adossant à mon siège.
J'aurais aimé qu'il me serve de diversion face à notre mère. Mais si je ne peux pas compter sur lui, ça ne sert à rien d’y aller. Mon lot d’excuses s’est …
« Bizz, Bizz, Bizzz »
« —Quand on parle du loup. Tu ne réponds pas ?
—Non.
—Tamara Buaka va te tuer.
—Je le sais, j’allonge juste ma vie de quelques heures. »
Le temps de mettre les choses au point avec Marie-Claire.
« —Ça donne envie de se marier tout ça ! lance Jesse en souriant. »
Je me contente de le suivre dans le couloir.
« —Je voulais pas trop tiquer sur ça mais….C’est moi ou ça ne sent vraiment pas bon ici ? »
Ça aussi, c’est encore un autre problème…
*
* *
« —Marie-Claire, Marie-Claire ! »
Elle court dans les escaliers, et je la poursuis en montant les marches trois par trois. Je la rattraper au seuil, et la devance de justesse pour lui barrer l'accès à sa chambre.
« —Pousse-toi d’là !
—Il faut qu'on discute !
—Et moi je n'ai pas envie de discuter avec toi alors je te le répète, pousse-toi d'là !
—Je vais pas bouger tant qu'on aura pas discuté. Ça comme à bien faire cette histoire. Je lance énervé »
Je viens de passer près de trois quart heures à me faire copieusement laver par ma mère pour “le comportement qu'adopte ma femme et que je semble cautionner” pour reprendre ses mots. Ça me dérange déjà de lui mentir de cette façon mais si en plus de ça, je la blesse, à travers “ma femme”, ça ne va pas le faire.
« —Okay. Elle dit calmement. »
Puis elle pivote sur ses talons et se dirige de nouveau vers les escaliers.
« —Reste là si ça te chante.
—Mais tu penses que je suis en train de jouer ? Je la questionne en lui attrapant fermement le bras.
—Oh mais ça va pas ! Lâche-moi immédiatement !
—Je te lâcherai et te laisserai même en paix une fois que l'on aura discuté. Cette situation est aussi inconfortable pour toi que pour moi, mais on va devoir s’expliquer sur certains points afin de nous faciliter la vie à tous les deux.
—Y'aurait pas besoin d’explications si tu m'ignorais comme moi je t'ignore. Elle marmonne entre ses dents toujours en se débattant. »
Je me garde de lui dire que ce n’est pas faute d’avoir essayé mais cette technique ne marche pas. J’ai très vite compris que répondre à ses pics c’est rentrer dans un dialogue de sourd sans fin.
Et à cet instant, face à elle, je me dis que la manière douce aussi n’est plus à envisager.
« —Tu ne veux pas qu’on s’explique, tu ne veux pas de dialogue ? Bien ! Alors écoute. A partir d’aujourd’hui, tu feras comme bon te semblera, j’en ferai autant, mais quand il y aura une invitation de la part de ma famille ou un membre de la tienne t’aura intérêt à être prête et à te présenter.
—Carrément ! elle éclate de rire. Et si je ne fais pas comme tu le demandes que va-t-il se passer?
—T’as pas envie de le savoir.
—Un violent ! Comme c’est étonnant. elle lâche en retirant son bras qu'elle masse à l’endroit même où je la tenais et passe devant moi en marmonnant un « pauvre con » que je décide d’ignorer pour son bien. »
*
* *
« —Monsieur, je suis désolée mais je vais pas continuer.
—Co…Comment ça. Ça ne fait que deux jours.
—Monsieur pardon, monsieur pardon. Je peux pas !
—Gillette….
—Pardon.
—Mais…. »
Elle vient de raccrocher.
C’est pas possible. Y’a un truc qui se passe et que j’ignore. Trois gouvernantes qui démissionnent en deux semaines et sans explications, ce n’est pas possible.
« —Dylan ? T’as une réunion téléphonique dans un quart d’heure.
—Je ne peux pas y aller, y’a un souci chez moi. je l’informe en réunissant mes affaires.
—Je suppose que je vais devoir gérer ça ?
—Betty t’es la meilleure. je lui souffle à l’oreille, avant de partir.
—Mouais, c’est ça. elle me sourit en sortant à son tour. »
Heureusement que je peux compter sur elle. Sans sa présence, mon monde s’effondrerait. C’est elle qui me permet de garder la tête en dehors de l’eau, et qui sans le savoir atténue les coups portés par celle avec qui je cohabite. Oui, je l’appelle « celle » parce que je n’ai pas encore eu le temps de trouver un nom qui lui scie à merveille. Un mélange de têtue, garce, imbuvable et la liste est encore longue.
Depuis que j’ai eu à discuter avec elle, tous les jours, elle me rappelle que le feu « Tiya », ne fait pas qu’éclairer, mais peut aussi brûler et pas qu’un peu….